Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080320

Dossier : IMM-1705-07

Référence : 2008 CF 370

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

AYODEJI AKANMU ALABI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Survol

[1]               Le demandeur est un citoyen du Nigeria. En 1993, il a été déclaré coupable aux États-Unis (les É.-U.) de complot dans le but de distribuer de l’héroïne. Un rapport a été établi en application de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), indiquant que le demandeur est interdit de territoire au Canada pour criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR et l’affaire a été déférée à la Section de l’immigration.

 

[2]               Devant la Section de l’immigration, le demandeur a affirmé avoir présenté une demande de réadaptation, conformément à l’alinéa 36(3)c) de la LIPR, mais il a reconnu qu’il n’avait aucun document pour prouver qu’il était une personne présumée réadaptée, et qu’il n’avait pas reçu de réponse quant à sa demande de réadaptation présumée. Bien que dans les observations qu’il a présentées en juillet 2006 à l’appui de sa demande fondée sur des considérations humanitaires (la demande CH) il ait pu laisser entendre qu’il pouvait prétendre à la désignation de personne présumée réadaptée, le demandeur n’a déposé sa demande de réadaptation qu’en août 2007.

 

[3]               La Section de l’immigration a conclu que le demandeur était visé par l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. Le demandeur a admis avoir été déclaré coupable, aux É.-U., de complot dans le but de distribuer de l’héroïne. Cette infraction équivaudrait à l’infraction de complot prévue à l’alinéa 465(1)c) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, qui, dans les circonstances, pourrait être punissable d’un emprisonnement à perpétuité. Rien dans la preuve ne permettait d’établir que le demandeur était présumé réadapté. Le demandeur était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, et une mesure d’expulsion a été prise contre lui conformément à l’alinéa 229(1)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

II.  Procédure judiciaire

[4]               La présente demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR, vise la décision rendue le 17 avril 2007 par laquelle la Section de l’immigration a déclaré le demandeur interdit de territoire en application des alinéas 36(1)b) et 40(1)a) de la LIPR.

 

III.  Contexte

Antécédents criminels aux États-Unis

[5]               Le 3 septembre 1980, le demandeur, M. Ayodeji Akanmu Alabi, est arrivé en tant qu’étudiant aux É.-U. Il est entré sous le nom de Timothy Kayode Alabi et avait comme date de naissance le 29 janvier 1958. (Dossier de la demande, examen du bureau de l’immigration américaine, aux pages 47 à 49; dossier du tribunal, transcription de l’audience devant la CISR, datée du 23 janvier 2007, à la page 122.)

 

[6]               Le 27 juin 1989, le statut du demandeur a été modifié pour celui de résident permanent en règle. (Examen du bureau de l’immigration américaine, précité.)

 

[7]               Le 10 août 1993, le demandeur a été déclaré coupable, devant la Cour fédérale du District du Rhode Island, d’une infraction de complot dans le but de distribuer de l’héroïne, en contravention de la disposition 841.A-1 du United States Code. (Examen du bureau de l’immigration américaine, précité.)

 

[8]               Le demandeur, connu aux É.-U. sous le nom de Timothy K. Alabi, a plaidé coupable à deux chefs d’accusation de distribution d’héroïne, en violation de 18 USC, 8, ce qui correspond à l’article 841.A-1 du United States Code, et il a été condamné à purger une peine d’emprisonnement de 24 mois. (Dossier du tribunal, transcription de l’audience devant la CISR, datée du 23 janvier 2007, à la page 123.)

 

[9]               Le 1er avril 1994, l’Immigration and Naturalization Service a délivré une ordonnance de justifier déclarant le demandeur passible d’expulsion conformément à la disposition 241a)(2)(A)(iii) de l’Immigration and Nationality Act de 1990, du fait qu’il avait été déclaré coupable d’un acte délictueux grave. (Examen du bureau de l’immigration américaine, précité.)

 

[10]           Le 13 février 1997, après avoir interjeté appel au Board of Immigration Appeals, il a été ordonné que le demandeur soit expulsé des É.-U. vers le Nigeria. (Examen du bureau de l’immigration américaine, précité; il faut souligner que la transcription de l’audience devant la CISR, datée du 23 janvier 2007, précitée, à la page 126, indique que le demandeur a été expulsé le 20 février 1997.)

 

Activiste politique

[11]           Le demandeur, M. Akanmu Alabi, citoyen du Nigeria, est né le 20 mai 1958.

 

[12]           M. Akanmu Alabi participait activement au mouvement pro-démocratique au Nigeria avant que ne commencent ses démêlés avec les agents de la sécurité, le forçant à s’enfuir du Nigeria pour sauver sa vie.

 

[13]           M. Akanmu Alabi prétend qu’il est un activiste politique et qu’il a été membre de la Coalition démocratique nationale (la NADECO), du Front uni pour la démocratie (le UAD) et du Comité de défense des droits de l'homme (le CDHR). Il était également membre du Parti social‑démocrate (le SDP) durant la troisième république au Nigeria et a énergiquement fait campagne en faveur du chef Moshood Abiola, candidat du parti à la présidence.

 

[14]           En raison de ses activités politiques visant à instaurer la démocratie au Nigeria et de son opposition au gouvernement militaire, M. Akanmu Alabi a été arrêté à plusieurs reprises, battu, torturé et a subi des blessures graves pendant sa détention.

 

[15]           M. Akanmu Alabi allègue qu’il a été informé, après sa libération, par des agents du service de sécurité de l’État (le SSS), loyaux à sa cause, que son nom avait été transmis au bureau du chef d’État, à Abuja, en tant que grand fauteur de troubles. Ce sont ces agents qui lui ont recommandé de quitter le pays.

 

[16]           Grâce à l’aide d’un bon ami qui travaillait à l’agence de sécurité, il a acheté un passeport britannique avec lequel il est venu au Canada.

 

[17]           M. Akanmu Alabi est arrivé à l’aéroport international Pearson, à Toronto, le 17 janvier 1998. Peu de temps après son arrivée, le 20 janvier 1998, il a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être persécuté du fait de ses opinions politiques, des opinions politiques qu’on lui imputait et de son appartenance à un groupe social. M. Akanmu Alabi n’a pas mentionné dans sa demande d’asile qu’il avait antérieurement fait l’objet de déclarations de culpabilité aux É.‑U. ni qu’il avait utilisé un pseudonyme et une date de naissance différente.

 

[18]           Le 13 avril 1999, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Akanmu Alabi n’était pas un réfugié au sens de la Convention en raison d’un changement dans la situation politique au Nigeria.

 

[19]           Le 7 juillet 1999, M. Akanmu Alabi a présenté à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) une demande en vue d'être considéré comme un demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada. Encore une fois, M. Akanmu Alabi a omis de faire mention aux autorités canadiennes de ses déclarations de culpabilité antérieures et de son utilisation d’un pseudonyme.

 

[20]           Le 29 janvier 2000, M. Akanmu Alabi a reçu la décision relative à sa demande en vue d’être considéré comme un demandeur non reconnu du statut de réfugié, dans laquelle il était indiqué que celle-ci était rejetée au motif qu’elle n’avait pas été déposée dans le délai prescrit.

 

 

[21]           M. Akanmu Alabi a sollicité le contrôle judiciaire de la décision rejetant sa demande. Dans une ordonnance datée du 2 mars 2001, le juge Francis C. Muldoon a accueilli la demande de contrôle judiciaire, annulé la décision et renvoyé l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue (Alabi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 294 (QL)).

 

[22]           Par la suite, M. Akanmu Alabi a obtenu le droit d’entrer au Canada pour des considérations humanitaires. (Transcription de l’audience devant la CISR, datée du 23 janvier 2007, précitée, à la page 120).

 

[23]           Le 16 janvier 2003, M. Akanmu Alabi a obtenu une dispense sous le régime de l’article 25 de la LIPR, autorisant que sa demande de résidence permanente soit traitée au Canada. Pour une troisième fois, M. Akanmu Alabi n’a pas fait mention de ses déclarations de culpabilité antérieures ni de son pseudonyme. (Dossier de la demande, affidavit du demandeur souscrit le 3 juillet 2007, au paragraphe 3.)

 

[24]           En avril 2006, CIC a appris que M. Akanmu Alabi avait été antérieurement déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement aux É.-U. CIC a aussi appris que M. Akanmu Alabi avait été expulsé des É.-U. vers le Nigeria une fois sa peine complétée, laquelle avait été de deux ans. Lorsque CIC a confronté M. Akanmu Alabi, celui-ci a reconnu qu’il n’avait pas été franc et a expliqué qu’il avait omis antérieurement de mentionner qu’il avait fui la persécution au Nigeria. À ce moment, M. Akanmu Alabi a demandé qu’on le considère comme une personne présumée réadaptée. (Affidavit du demandeur, précité, aux paragraphes 4 et 5.)

 

[25]           Le 17 avril 2007, la Section de l’immigration a jugé que M. Akanmu Alabi était une personne visée par les alinéas 36(1)b) et 40(1)a) de la LIPR et, par conséquent, elle l’a déclaré interdit de territoire au Canada. (Transcription de l’audience devant la CISR, datée du 17 avril 2007, précitée, aux pages 112 à 114.)

 

[26]           Le 25 avril 2007, M. Akanmu Alabi a déposé une demande de contrôle judiciaire.

 

IV.  Décision faisant l’objet de contrôle

[27]           La Section de l’immigration était convaincue que M. Akanmu Alabi était un étranger visé par l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, du fait qu’il avait été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction, qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. Conformément à l’alinéa 229(1)c) du Règlement, une mesure d’expulsion a été prise contre lui. (Transcription de l’audience devant la CISR, datée du 17 avril 2007, précitée, à la page 114.) 

 

[28]           En outre, la Section de l’immigration a également conclu que M. Akanmu Alabi était visé par l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, c’est-à-dire qu’il devait être interdit de territoire pour fausses déclarations parce qu’il avait, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraînait ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Par conséquent, conformément à l’alinéa 229(1)h) du Règlement, M. Akanmu Alabi a fait l’objet d’une mesure d’exclusion. (Transcription de l’audience devant la CISR, datée du 17 avril 2007, précitée, à la page 112).

 

V.  Dispositions législatives pertinentes

[29]           Les dispositions législatives de l’article 36 de la LIPR applicables en l’espèce sont les suivantes :

36.      (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

 

[…]

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

[…]

 

(3) Les dispositions suivantes régissent l’application des paragraphes (1) et (2) :

 

[…]

 

c) les faits visés aux alinéas (1)b) ou c) et (2)b) ou c) n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui, à l’expiration du délai réglementaire, convainc le ministre de sa réadaptation ou qui appartient à une catégorie réglementaire de personnes présumées réadaptées;

36.      (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

[…]

 

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

 

[…]

 

(3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

 

[…]

 

(c) the matters referred to in paragraphs (1)(b) and (c) and (2)(b) and (c) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or foreign national who, after the prescribed period, satisfies the Minister that they have been rehabilitated or who is a member of a prescribed class that is deemed to have been rehabilitated;

 

 

La Section de l’immigration a conclu que l’infraction américaine correspondait à celle prévue à l’alinéa 465(1)c) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 :

465.      (1) Sauf disposition expressément contraire de la loi, les dispositions suivantes s’appliquent à l’égard des complots :

 

 

[…]

 

c) quiconque complote avec quelqu’un de commettre un acte criminel que ne vise pas l’alinéa a) ou b) est coupable d’un acte criminel et passible de la même peine que celle dont serait passible, sur déclaration de culpabilité, un prévenu coupable de cette infraction;

465.      (1) Except where otherwise expressly provided by law, the following provisions apply in respect of conspiracy:

 

 

[…]

 

(c) every one who conspires with any one to commit an indictable offence not provided for in paragraph (a) or (b) is guilty of an indictable offence and liable to the same punishment as that to which an accused who is guilty of that offence would, on conviction, be liable; and

 

VI.  Question en litige

[30]           La Section de l’immigration a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le demandeur était visé par l’alinéa 36(1)b) de la LIPR?

 

VII.  Norme de contrôle

[31]           Le juge Max M. Teitelbaum de la Cour fédérale a conclu que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter lorsqu’un étranger est déclaré interdit de territoire en vertu de la Loi sur l’immigration du fait qu’il a été déclaré coupable d’une infraction criminelle. (Wynter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1107 (QL), aux paragraphes 20 à 22.)

 

VIII.  Analyse

            Observations préliminaires

[32]           M. Akanmu Alabi a également contesté la décision par laquelle la Section de l’immigration a jugé qu’il était interdit de territoire suivant l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La Cour fédérale a rejeté sa contestation. M. Akanmu Alabi ne peut donc pas contester la décision relative à l’alinéa 40(1)a) en l’espèce.

 

Alinéa 36(1)b) – Conclusion d’interdiction de territoire pour criminalité valablement tirée

(a)  Examen sur la possibilité d’une admission selon laquelle le demandeur est présumé réadapté

[33]           M. Akanmu Alabi plaide que la Section de l’immigration a omis de reconnaître que le représentant du ministre n’avait pas contesté sa réadaptation, et ajoute qu’il avait demandé au ministre de le considérer comme une personne présumée réadaptée.

 

[34]           Le représentant du ministre n’a pas admis que M. Akanmu Alabi était réadapté. Plus exactement, concernant l’état de sa demande de réadaptation, M. Akanmu Alabi a avoué au représentant du ministre qu’il n’avait aucun document pour prouver qu’il était une personne présumée réadaptée et qu’il n’avait pas reçu la décision relative à sa demande de réadaptation. (Transcription de l’audience devant la CISR datée du 17 avril 2007, précitée, aux pages 135 et 136.)

 

 

 

(b)  Obligation de produire une preuve de réadaptation présumée

[35]           M. Akanmu Alabi prétend que la Section de l’immigration a commis une erreur en l’obligeant à produire une preuve de sa réadaptation présumée alors que l’alinéa 36(3)c) exige seulement que le demandeur convainque le ministre de sa réadaptation.

 

[36]           La prétention de M. Akanmu Alabi doit être rejetée pour plusieurs raisons. D’abord, il incombe à M. Akanmu Alabi d’établir qu’il a été considéré par le ministre comme une personne présumée réadaptée. Cette obligation impose nécessairement la production d’éléments de preuve devant la Section de l’immigration.

 

[37]           Ensuite, la Section de l’immigration ne peut évaluer que la preuve dont elle dispose. Sauf production d’éléments de preuve selon lesquels le ministre a effectivement conclu à la réadaptation, la Section de l’immigration ne peut se pencher sur l’application de l’alinéa 36(3)c) de la LIPR. Si le ministre a bel et bien jugé M. Akanmu Alabi comme une personne réadaptée, ce dernier avait l’obligation d’en faire la preuve devant le commissaire de la Section de l’immigration.

 

[38]           M. Akanmu Alabi ne peut être considéré comme réadapté sans prouver qu’une conclusion en ce sens a été tirée. On ne peut reprocher à la Section de l’immigration de s’attendre à ce que le demandeur produise une telle preuve.

 

 

 

(c)   Une demande de réadaptation n’empêche pas qu’il soit statué sur une allégation d’interdiction de territoire pour criminalité

 

[39]           M. Akanmu Alabi a précisé que, puisque sa demande de réadaptation était antérieure à l’audience relative à l’allégation fondée sur l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, la Section de l’immigration n’avait pas compétence pour examiner cette allégation avant que la demande de réadaptation ne soit tranchée.

 

[40]           L’argument avancé par M. Akanmu Alabi doit être rejeté en fait et en droit. En effet, bien que M. Akanmu Alabi puisse avoir mentionné la possibilité qu’il soit présumé réadapté dans les observations présentées à l’appui de sa demande CH, il n’a pas officiellement déposé de demande de réadaptation avant août 2007, bien après que la Section de l’immigration eut statué sur l’allégation d’interdiction de territoire. Rien ne pouvait justifier la Section de l’immigration de remettre à plus tard une décision en raison d’une demande de réadaptation pendante puisque aucune demande de ce genre n’existait. (Affidavit de Heather Cumming, au paragraphe 5.)

 

[41]           En droit, l’argument de M. Akanmu Alabi, selon lequel une demande réadaptation pendante empêche la Section de l’immigration d’examiner une allégation fondée sur l’alinéa 36(1)b), est incompatible avec la LIPR et la jurisprudence.

 

[42]           Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, un étranger ne jouit pas du droit de demeurer au Canada, en particulier lorsqu’il a été déclaré coupable d’une infraction grave. Cette condition traduit un choix légitime et non arbitraire fait par le législateur d'un cas où il n’est pas dans l’intérêt public de permettre à un non‑citoyen de rester au pays. Une personne qui entre dans la catégorie des étrangers mentionnés à l’alinéa 36(1)b), soit une personne qui a manqué volontairement à une condition essentielle devant être respectée pour qu'il lui soit permis de demeurer au Canada, est susceptible d’être renvoyée du Canada sur ce fondement.

 

[43]           Dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, la Cour suprême du Canada a également reconnu que les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier. Considérés collectivement, les objectifs de la LIPR et de ses dispositions relatives aux étrangers traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi.

 

      (i)  Dispositions de la LIPR

[44]           L’article 45 de la LIPR exige que la Section de l’immigration examine rapidement les allégations d’interdiction de territoire dont elle est saisie. Aucune disposition n’habilite la Section de l’immigration à remettre à plus tard l’examen d’une allégation d’interdiction de territoire pour criminalité lorsqu’une demande de réadaptation est pendante. Si telle était l’intention du législateur, il l’aurait dit expressément, mais il ne l’a pas fait.

 

[45]           L’alinéa 36(3)c) est de nature réparatrice. Il peut s’appliquer pour soustraire une personne des conséquences d’une conclusion d’interdiction de territoire pour criminalité, soit avant qu’elle ait été tirée ou après. Étant donné que la réparation prévue à l’alinéa 36(3)c) peut être invoquée, après qu’une conclusion relative à l’alinéa 36(3)c) a été tirée, rien ne justifie le report de l’examen de l’allégation fondée sur l’alinéa 36(1)b) en attendant qu’il soit statué sur la demande de réadaptation.

 

[46]           Une demande de réadaptation doit être présentée, examinée et tranchée. Le critère pour prouver une réadaptation est exigeant. Il serait incompatible avec le libellé de l’alinéa 36(3)c) de différer une conclusion d’interdiction de territoire pour criminalité, qui est le processus normal, dans l’attente de la possibilité qu’une conclusion favorable à la réadaptation soit tirée en fonction d’un critère exigeant susceptible de ne pas être rempli.

 

[47]           Selon l’alinéa 36(3)c), il est nécessaire qu’une demande de réadaptation soit présentée même après l’expiration du délai prescrit. Si, avant l’expiration du délai, on décide de procéder à l’examen d’une allégation d’interdiction de territoire pour criminalité, à l’égard de laquelle l’alinéa 36(3)c) serait susceptible de s’appliquer, et que la personne visée présente une demande de réadaptation avant l’expiration du délai en question, cette situation risquerait d’entraîner une impasse en ce sens que la Section de l’immigration ne pourrait pas examiner l’allégation dans l’attente d’une décision relative à une demande de réadaptation qui ne peut être tranchée avant l’expiration du délai prescrit. En outre, l’alinéa 36(3)c) est semblable aux paragraphes 34(2) et 35(2) de la LIPR. Si le dépôt d’une demande fondée sur le paragraphe 34(2), le paragraphe 35(2) ou l’alinéa 36(3)c) pouvait empêcher l’examen d’une allégation d’interdiction de territoire, le gouvernement pourrait ne plus être en mesure de faire face aux risques sur les plans de la sécurité et de la criminalité au Canada. Il est clair que le législateur n'a pas voulu un tel résultat. Une orientation politique a été choisie par le législateur à ce sujet, à savoir qu’une demande de réadaptation doit être présentée, examinée et tranchée. C’est pour cette raison qu’aucune question ne sera certifiée à cet égard puisqu’il s’agissait d’un choix de politique.

 

(d)   La jurisprudence applicable établit que la Section de l’immigration demeure compétente pour statuer sur une demande de réadaptation

 

[48]           Dans la décision Kalicharan c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), [1976] 2 C.F. 123 (1re inst.), le juge Patrick M. Mahoney a expliqué qu’un enquêteur spécial n’est pas tenu d’attendre la décision d’un appel à l’encontre d’une déclaration de culpabilité au criminel avant de décider si une mesure d’expulsion devrait être prise dans les circonstances. Le juge Mahoney a expliqué que, dans l’examen sur l’interdiction de territoire, il faut tenir compte de la situation actuelle et non éventuelle.

 

[49]           Dans la décision Johnson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 2, [2008] A.C.F. no 10 (QL), la juge Eleanor R. Dawson s’est fondée sur la décision Kalicharan, précitée, pour conclure que l’agent CH n’est pas tenu d’attendre l’issue d’un appel avant de décider si la déclaration de culpabilité à l’égard d’un demandeur étranger le rend interdit de territoire au Canada pour criminalité.

 

[50]           Par analogie, si le décideur en matière d’immigration n’est pas tenu d’attendre l’issue d’un appel pour procéder à l’examen sur une interdiction de territoire en fonction de la situation actuelle de la personne visée, la Section de l’immigration n’est pas non plus tenue d’attendre la décision relative à la demande de réadaptation pour statuer sur une allégation d’interdiction de territoire pour criminalité.

 

IX.  Conclusion

[51]           M. Akanmu Alabi n’a pas établi que la Section de l’immigration avait commis une erreur en le déclarant interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. Il n’y a donc aucune raison de modifier la conclusion de la Section de l’immigration.

 

[52]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            IMM-1705-07

 

INTITULÉ :                                                                           AYODEJI AKANMU ALABI

                                                                                                c.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 19 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                  LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 20 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kingsley I. Jesuorobo

 

POUR LE DEMANDEUR

Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kingsley I. Jesuorobo

Avocat

North York (Ontario)

 

                               POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.