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Date : 20080320

Dossier : IMM-993-07

Référence : 2008 CF 368

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

YUN HEE LEE,

CHU JA PARK, et

JAE YANG LEE,

JAE BOK LEE et

JAE PIL LEE,

représentés par leur tuteur à l’instance,

YUN HEE LEE

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Il importe de souligner que la situation des demandeurs ne donne aucunement à penser qu’elle s’inscrit dans la catégorie spéciale des affaires qui sont susceptibles de mener à une décision favorable. Les demandeurs ne sont que d’éventuels immigrants dont la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) repose principalement sur l’existence d’enfants mineurs et sur le fait qu’ils se trouvent au Canada depuis quelques années. S’il s’agissait là de la norme en fonction de laquelle il fallait approuver ce type de demande, presque aucune ne serait refusée. En outre, cela inciterait les étrangers à faire totalement abstraction des procédures d’immigration ordinaires. Par exemple, des citoyens de la Corée du Sud, un pays démocratique et relativement bien nanti, pourraient voyager jusqu’au Canada, se prévaloir des recours que leur offre la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), ou vivre dans la clandestinité afin de demeurer au Canada durant quelques années et, ensuite, demander l’autorisation de rester au pays. En fait, cela créerait un régime d’immigration tout à fait nouveau, que le législateur n’envisageait pas.

 

[2]               Essentiellement, les décisions CH favorables sont réservées aux circonstances suffisamment disproportionnées ou injustes, dont la nature est telle qu’il convient d’autoriser les intéressés à solliciter le statut de résident permanent en sol canadien, plutôt que de retourner chez eux et de se joindre à une longue file d’attente dans laquelle attendent de nombreuses autres personnes. Si l’on considère les choses sous cet angle, il est clair que toute la question de savoir si les enfants peuvent revenir au Canada pour faire leurs études est moins qu’importante.

 

II. La procédure judiciaire

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR, relativement à une décision datée du 20 février 2007 par laquelle une agente d’immigration a rejeté la demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire que les demandeurs avaient présentée afin de pouvoir solliciter la résidence permanente en sol canadien.

 

III. Le contexte

[4]               Les demandeurs, cinq citoyens de la Corée du Sud, soit un couple marié et leurs trois enfants, ont présenté une demande CH en 2004. Par une décision datée du 20 février 2007, une agente d’immigration a examiné la demande et l’a refusée.

 

[5]               En 2003, les demandeurs ont demandé l’asile en se fondant sur des problèmes qu’avait le demandeur adulte à cause de dettes contractées dans son entreprise en Corée du Sud par suite d’une fraude commise par son ancien employé. Cette demande a été refusée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) dans une décision datée du 31 décembre 2003.

 

[6]               En septembre 2004, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente au Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire et en joignant à cette demande des observations et des documents justificatifs.

 

[7]               En novembre 2006, à la requête du défendeur, les demandeurs ont présenté une version mise à jour de la demande CH, y compris des observations, des formulaires et des documents justificatifs mis à jour.

 

[8]               Par une décision datée du 20 février 2007, une représentante du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a passé en revue la situation des demandeurs; elle a décidé que la dispense prévue par le paragraphe 25(1) de la LIPR ne serait pas accordée et elle a donc refusé leur demande CH.

 

[9]               Pour établir qu’ils ou d’autres personnes subiraient des « difficultés inhabituelles et injustifiées » ou des « difficultés excessives » s’ils étaient tenus de quitter le Canada pour demander le statut de résident permanent depuis l’étranger, les demandeurs ont allégué, notamment, qu’étant donné que les trois demandeurs mineurs étudiaient au Canada depuis un certain temps, ils éprouveraient des difficultés inhabituelles s’ils étaient obligés de retourner étudier en Corée du Sud et forcés de s’adapter à un nouveau milieu scolaire.

 

[10]           Pour établir que les demandeurs mineurs se sont adaptés à leur milieu scolaire et éducatif canadien et qu’ils s’y épanouissent, les demandeurs ont soumis des lettres d’un pasteur, d’enseignants et d’autres membres de la collectivité, y compris de nombreux certificats.

 

[11]           Ils ont également soumis des renseignements expliquant pourquoi le demandeur adulte serait incapable d’exploiter une petite entreprise, en ce qu’on ne lui accorderait pas le crédit dont il avait besoin, à cause des problèmes financiers causés par son ancien employé.

 

[12]           Après avoir étudié la demande présentée par les demandeurs en vue d’obtenir une dispense fondée sur des facteurs d’ordre humanitaire, l’agente d’immigration a décidé que la dispense ne serait pas accordée.

 

[13]           Les motifs invoqués par l’agente d’immigration pour justifier le refus étaient fondés sur le fait qu’elle croyait que les demandeurs adultes seraient capables de trouver du travail en Corée. En outre, elle a jugé que les demandeurs mineurs, malgré la période d’ajustement, n’éprouveraient pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives pendant qu’ils se rétabliraient dans la société coréenne.

 

IV. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[14]           Les demandeurs soutiennent que l’agente d’immigration, pour tirer cette conclusion, a commis un certain nombre d’erreurs : en concluant de façon déraisonnable que les demandeurs mineurs pourraient revenir au Canada après avoir obtenu un permis d’étude, en tirant une conclusion ne reposant sur aucune preuve, en faisant abstraction d’éléments de preuve ou en prenant en considération, à tort, des preuves extrinsèques, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale, en concluant que les demandeurs mineurs pouvaient étudier en anglais en Corée du Sud, et en tirant une conclusion ne reposant sur aucune preuve, en faisant abstraction d’éléments de preuve ou en prenant en considération, à tort, des éléments de preuve extrinsèques, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale, en concluant que l’anglais est une langue couramment parlée en Corée du Sud; les demandeurs soutiennent également que l’agente d’immigration a tiré une conclusion contraire à la justice naturelle à cause de l’incompétence de leur avocat, en concluant que les demandeurs adultes pourraient retourner en Corée du Sud pour y exploiter une petite entreprise.

 

[15]           Les demandeurs n’ont invoqué aucun argument convaincant qui donne à penser que l’agente d’immigration s’est trompée dans sa décision. Ils demandent à la Cour de soupeser à nouveau la preuve soumise à l’agente d’immigration, mais il s’agit là d’un motif qui ne justifie pas un contrôle judiciaire.

 

[16]           Rien dans la situation des demandeurs ne donne à penser qu’elle s’inscrit dans la catégorie spéciale des affaires qui sont susceptibles de mener à une décision favorable. Les demandeurs ne sont que d’éventuels immigrants dont la demande CH repose principalement sur l’existence d’enfants mineurs et le fait qu’ils se trouvent au Canada depuis quelques années.

 

V. La législation applicable

Le cadre des motifs d’ordre humanitaire

[17]           Aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre peut dispenser un étranger de l’application d’une exigence quelconque de la Loi s’il « estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – ou l’intérêt public le justifient ».

Statut et autorisation d’entrer

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

 

25.       (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

Status and Authorization to Enter

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

25.       (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[18]           Pour déterminer si le paragraphe 25(1) s’applique, un agent doit décider si les demandeurs et, en particulier, un enfant, éprouveraient une difficulté soit « inhabituelle et injustifiée » soit « excessive » s’ils étaient tenus de quitter le Canada pour solliciter le statut de résident permanent de l’extérieur du pays. Cette exigence est confirmée par, notamment, le Guide des politiques intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » (Guide IP5), à la section 5.1.

 

[19]           L’existence d’un examen fondé sur des motifs d’ordre humanitaire permet d’examiner de façon spéciale et additionnelle le cas d’une personne en vue de la dispenser de l’application des lois canadiennes en matière d’immigration, lesquelles, par ailleurs, sont d’application universelle. La décision d’un agent d’immigration de ne pas recommander une dispense ne prive une personne d’aucun droit.

 

VI. Les questions en litige

[20]           1)   La conclusion de l’agente d’immigration quant à la capacité des demandeurs de trouver du travail était-elle raisonnable?

2)   La conclusion de l’agente d’immigration quant à la capacité des demandeurs mineurs de se réadapter à la vie et au milieu scolaire en Corée du Sud était-elle raisonnable?

 

VII. La norme de contrôle applicable

[21]           Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a statué que la norme de contrôle qui s’applique aux décisions CH est la décision raisonnable. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a reconnu que le ministre ou son représentant doit avoir droit à une grande latitude dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire :

[59]      […] En l’espèce, le décideur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ou son représentant. Le fait que, officiellement, le décideur soit le ministre est un facteur militant en faveur de la retenue. Le ministre a une certaine expertise par rapport aux tribunaux en matière d’immigration, surtout en ce qui concerne les dispenses d’application des exigences habituelles.

 

[…]

 

[62]      […] Je conclus qu’on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi.  Toutefois, l’absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d’appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d’aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable ».  Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

 

[22]           Dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 37, la Cour suprême du Canada a clarifié la décision qu’elle avait rendue dans Baker en soulignant que, dans le cas d’une demande CH, « [i]l n’incombait à personne d’autre qu’au ministre d’accorder l’importance voulue aux facteurs pertinents ».

 

[23]           La Cour d’appel fédérale a eu la possibilité d’examiner l’arrêt Suresh dans le contexte d’une affaire mettant en cause des motifs d’ordre humanitaire. Dans Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. no 457 (QL), la Cour d’appel a déclaré :

[11]      La Cour suprême, dans Suresh, nous indique donc clairement que Baker n’a pas dérogé à la tradition qui veut que la pondération des facteurs pertinents demeure l’apanage du ministre ou de son délégué. Il est certain, avec Baker, que l’intérêt des enfants est un facteur que l’agent d’immigration doit examiner avec beaucoup d’attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu’il appartient à cet agent d’attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l’espèce. Ce n’est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

 

[24]           La Cour d’appel fédérale a confirmé cette thèse dans Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 38, [2004] A.C.F. no 158 (QL), au paragraphe 12. Elle a déclaré qu’il n’appartient pas à la cour, au stade du contrôle judiciaire, de substituer son opinion sur le bien-fondé d’une demande CH à celle du décideur désigné par la loi, même si la demande est peut-être bien fondée.

 

[25]           Dans l’arrêt Owusu, précité, au paragraphe 8, la Cour d’appel fédérale a également conclu que « puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites ».

 

VIII. Analyse

1)         La conclusion de l’agente d’immigration quant à la capacité des demandeurs de trouver du travail était-elle raisonnable?

 

[26]           À la page 2 des motifs, l’agente d’immigration déclare ceci :

[traduction]

Le demandeur n’a pas démontré que son épouse et lui seraient incapables de continuer à travailler dans des domaines semblables en Corée. Le demandeur a, ici au pays, des économies et d’autres placements dont il peut se servir pour se réintégrer en Corée. À la section G de son formulaire IMM5001, le demandeur affirme qu’il a travaillé en Corée de 1993 à 2002. Il a été capable de conserver un emploi de longue durée avant de venir ici au pays. Je ne suis pas persuadée qu’il ne peut pas le faire une fois de plus.

 

 

[27]           Les demandeurs soutiennent cependant qu’ils ont été victimes d’un manquement à la justice naturelle dans le cadre de leur demande CH en raison de l’incompétence de leur avocat, car ce dernier avait omis d’écrire dans la demande CH la raison pour laquelle il serait déraisonnable de croire que le demandeur serait capable d’exploiter une petite entreprise en Corée du Sud. Ils signalent que le défaut du conseil de représenter convenablement son client peut être assimilable à un manquement à la justice naturelle.

 

[28]           En outre, le demandeur allègue qu’il ne peut exploiter une petite entreprise en Corée du Sud parce qu’il a des problèmes de créance dans ce pays à cause d’une fraude commise par son ancien employé; il ne peut donc pas obtenir du crédit et s’expose au risque d’une éventuelle poursuite.

 

[29]           Il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale à cause de l’incompétence du représentant des demandeurs. Aucune preuve n’indique que ces derniers ne comprenaient pas l’anglais ou les documents qu’ils ont signés. Sans cela, l’argument des demandeurs selon lequel ils ne comprenaient pas ce qui était écrit dans leurs formulaires de demande CH ne peut pas être retenu.

 

[30]           Il ressort clairement de la preuve soumise à la Cour que le demandeur principal et son épouse parlent, lisent et écrivent l’anglais suffisamment bien, de sorte qu’ils ne peuvent pas blâmer leur représentant pour les omissions ou les inexactitudes que peuvent contenir leurs observations fondées sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[31]           La lettre d’observations la plus récente, qui provient des demandeurs, est en anglais et semble avoir été rédigée de la propre main du demandeur principal ou de son épouse. Les formulaires CH originaux et les formulaires CH mis à jour donnent à penser que le demandeur principal et son épouse parlent, lisent et écrivent l’anglais. Dans leurs formulaires de demande originaux, le demandeur principal et son épouse ont tous deux affirmé qu’ils ont [traduction] « […] étudié plus d’un an en anglais dans le cadre d’un programme d’ALS à plein temps […] » et qu’ils amélioraient leur connaissance [traduction] « […] de l’anglais de diverses façons, comme lire des documents en anglais et suivre des cours d’anglais, etc. ». Dans son formulaire mis à jour, le demandeur principal a répété qu’il suivait un cours d’ALS depuis plus d’un an et, dans son formulaire mis à jour, la demanderesse principale a répété la même chose et ajouté : [traduction] « je suis capable d’obtenir des emplois à temps plein car j’ai les compétences et la capacité voulues pour travailler dans un milieu anglophone ». En outre, le travail bénévole qu’a fait la demanderesse principale contredit la prétention (pour laquelle il n’y a, là encore, aucune preuve) qu’elle ne comprend pas l’anglais. Comme les demandeurs principaux comprennent l’anglais, ils ne peuvent blâmer leur représentant pour les omissions ou les inexactitudes que peuvent comporter leurs observations fondées sur des motifs d’ordre humanitaire (Dossier de la demande, pages 17, 23, 29, 31, 37, 70, 72, 91, 96, 110 et 112.)

 

[32]           Par ailleurs, la présumée négligence du représentant des demandeurs n’était pas importante pour la décision. Pour ce qui est de la crainte des bandits dont les demandeurs ont fait état, cette allégation d’une ligne seulement figure dans les formulaires mis à jour (et non dans les formulaires ou les observations originaux) et, comme l’agente d’immigration a simplement conclu qu’il s’agissait d’un point dont la police pouvait se charger, l’allégation n’a pas joué contre les demandeurs. (Dossier de la demande, page 8).

 

[33]           Après avoir reconnu que le demandeur principal exploite une entreprise de construction et achète et vend des immeubles et que son épouse travaille comme préposée au nettoyage et comme employée chargée des documents fiscaux, je réitère ce que l’agente d’immigration a déclaré :

[traduction]

Le demandeur n’a pas démontré que son épouse et lui seraient incapables de continuer à travailler dans des domaines semblables en Corée. Le demandeur a, ici au pays, des économies et d’autres placements dont il peut se servir pour se réintégrer en Corée. À la section G de son formulaire IMM5001, le demandeur affirme qu’il a travaillé en Corée de 1993 à 2002. Il a été capable de conserver un emploi de longue durée avant de venir ici au pays. Je ne suis pas persuadée qu’il ne peut pas le faire une fois de plus.

 

(Motifs, page 2.)

 

[34]           L’agente d’immigration n’a pas été persuadée que le demandeur principal ne pourrait pas continuer à faire des affaires ou à travailler comme employé en Corée. Même si, comme l’allèguent les demandeurs, le demandeur principal ne peut pas exploiter une entreprise en Corée en raison de circonstances antérieures, il n’y a aucune preuve, et cela n’a pas été allégué, qu’il lui est impossible de trouver du travail. Dans ce contexte, la question de savoir si le représentant des demandeurs a fait valoir convenablement que le demandeur principal ne pouvait pas lancer une entreprise en Corée est sans importance pour la décision dans son ensemble.

 

[35]           Enfin, il faut signaler que le motif apparent des difficultés qu’a le demandeur principal en Corée est la fraude, qui, dit-il, a été commise par un ancien employé mais pour laquelle c’est lui qui fait face à des accusations. La SPR n’a pas ajouté foi au fondement de la demande d’asile du demandeur principal et, de toute façon, a conclu que ce dernier faisait face à une poursuite et qu’il [traduction] « ne serait pas victime de persécution, d’un grave préjudice, d’un risque pour sa vie ou d’un danger de torture à son retour ».

 

[36]           Le fait que le demandeur principal ne soit peut-être pas en mesure d’exploiter une entreprise en Corée, à cause de telles circonstances antérieures, ne peut constituer le fondement d’une demande CH fructueuse, surtout si son épouse et lui sont par ailleurs capables d’obtenir un emploi.

 

2)         La conclusion de l’agente d’immigration quant à la capacité des demandeurs mineurs de se réadapter à la vie et au milieu scolaire en Corée du Sud était-elle raisonnable?

 

[37]           L’agente d’immigration a examiné si les demandeurs mineurs subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils cessaient d’étudier au Canada et devaient se réadapter à une nouvelle école en Corée du Sud. Elle a conclu que non.

 

[38]           L’agente d’immigration, après avoir examiné la demande CH des demandeurs, a conclu ce qui suit :

[traduction]

J’ai pris en considération l’intérêt supérieur des enfants et même s’il y aura peut-être une période d’ajustement, je ne crois pas qu’ils subiront des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives pendant qu’ils s’établiront à nouveau dans la société coréenne. Il y a aussi la possibilité qu’ils reviennent au Canada en vertu d’un permis d’étude et poursuivent leurs études dans un milieu canadien.

 

[…]

 

Au vu des renseignements examinés, je ne suis pas convaincue que les demandeurs éprouveront des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils sont priés de quitter le Canada et de demander un visa depuis l’extérieur du pays, comme cela se fait habituellement. Demande d’exemption de l’application du par. 11(1) de la LIPR refusée. [Non souligné dans l’original.]

 

(Motifs, page 3.)

 

Les permis d’étude

[39]           En ce qui concerne la capacité des demandeurs mineurs de revenir au Canada après avoir obtenu un permis d’étude, les demandeurs disent qu’il s’agit là d’une conception gravement erronée de la probabilité que l’on délivre aux enfants un tel document. Étant donné qu’ils sont des demandeurs d’asile déboutés et qu’il y a fort peu de chances que l’on autorise les enfants à revenir au pays, vu qu’ils font l’objet d’une mesure d’expulsion, il faudrait obtenir l’autorisation du ministre. En outre, même si les demandeurs mineurs pouvaient obtenir l’autorisation de revenir au Canada, pour qu’un permis d’étude leur soit délivré, ils doivent convaincre le ministre qu’ils ont l’intention de retourner en Corée du Sud à l’expiration du permis ou qu’ils sont par ailleurs tenus de quitter le Canada.

 

[40]           Contrairement à l’argument des demandeurs, l’agente d’immigration n’a pas commis d’erreur manifestement déraisonnable en déclarant : [traduction] « Il y a aussi la possibilité qu’ils reviennent au Canada en vertu d’un permis d’étude et poursuivent leurs études dans un milieu canadien. » (Motifs, page 3)

 

[41]           Cette déclaration était un commentaire fait en passant et n’est pas pertinente pour la décision. Les demandeurs expliquent qu’avant la déclaration contestée, l’agente d’immigration a dit avoir pris en compte l’intérêt supérieur des enfants et affirmé que [traduction] « même s’il y aura peut-être une période d’ajustement, je ne crois pas qu’ils subiront des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives pendant qu’ils s’établiront à nouveau dans la société coréenne ». Il s’agissait là de la conclusion principale, et la déclaration additionnelle au sujet du fait que les enfants pourraient peut-être revenir au Canada après avoir obtenu un permis d’étude était peu importante pour la décision dans son ensemble. Dans ce contexte, cette déclaration ne soulève pas une question grave. (Motifs, page 8.)

 

[42]           Les demandeurs soutiennent que cette conclusion faisait intrinsèquement partie des motifs pour lesquels l’agente d’immigration a conclu que les difficultés que les demandeurs mineurs subiraient s’ils étaient renvoyés ne seraient pas suffisamment graves.

 

[43]           La déclaration contestée était une déclaration de fait. Les demandeurs ne nient pas que les enfants pourraient revenir au Canada après avoir obtenu un permis d’étude, mais ils disent simplement qu’il pourrait être difficile pour les enfants de revenir parce qu’ils n’ont pas quitté le Canada en temps opportun — avec le résultat que la mesure d’interdiction de séjour s’est transformée en mesure d’expulsion (par. 224(2) de la LIPR) et qu’ils leur faut donc une autorisation écrite pour revenir au Canada (par. 52(1) de la LIPR et par. 226(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227). Ils disent aussi qu’il serait difficile d’obtenir un permis d’étude parce que, étant donné qu’ils sont des demandeurs d’asile déboutés et des demandeurs CH déboutés, les enfants auraient de la difficulté à prouver qu’ils quitteraient le Canada à la fin de la période autorisée, ce qui est le critère auquel doivent satisfaire tous les demandeurs d’un visa temporaire. Le fait qu’il ne serait peut-être pas facile pour les enfants d’étudier plus tard au Canada ne mine pas la conclusion de l’agente d’immigration. Celle-ci n’a pas affirmé qu’il serait facile d’obtenir un permis d’étude; elle a plutôt noté simplement, avec raison, qu’il s’agissait d’une option.

 

[44]           Il convient de souligner deux autres points. Premièrement, pour la plupart des étudiants qui souhaitent étudier au Canada, il n’est pas facile d’obtenir un permis d’étude. Deuxièmement, l’argument des demandeurs nous oblige à nous concentrer de nouveau sur l’objet d’une demande CH. Essentiellement, les décisions CH favorables sont réservées aux circonstances suffisamment disproportionnées ou injustes, dont la nature est telle qu’il convient d’autoriser les intéressés à solliciter le statut de résident permanent en sol canadien, plutôt que de retourner chez eux et de se joindre à une longue file d’attente dans laquelle attendent de nombreuses autres personnes. Si l’on considère les choses sous cet angle, il est clair que toute la question de savoir si les enfants peuvent revenir au Canada pour faire leurs études est moins qu’importante.

 

[45]           Les demandeurs font valoir que l’agente CH a commis une erreur en concluant que les enfants pouvaient étudier en anglais en Corée du Sud et que l’on parle couramment cette langue dans ce pays. Il est possible de traiter de ces deux arguments ensemble.

 

[46]           Il convient de souligner que les trois enfants sont nés en Corée et que leur langue maternelle est le coréen. Cela est affirmé explicitement dans la demande CH et a été reconnu dans une lettre d’un ami de la famille, qui a signalé que [traduction] « la connaissance [qu’ont les enfants] de l’anglais s’est beaucoup améliorée et ils se sont bien adaptés à l’école ». (Dossier de la demande, page 69.)

 

[47]           En outre, les demandeurs ont fait valoir que les enfants auraient de la difficulté à se réadapter à la vie et à l’école en Corée, mais ils n’ont jamais laissé entendre ou fourni une preuve démontrant que l’impossibilité de s’instruire ou de communiquer en anglais dans la société en général créerait une difficulté inhabituelle ou excessive. Dans leurs formulaires de demande originaux (9 septembre 2004), les demandeurs ont affirmé ceci :

[traduction]

Premièrement, nos trois fils éprouveraient beaucoup de difficultés si nous devions retourner en République de Corée. Ils se trouvent au Canada depuis janvier 2002 et ils étudient présentement. Ils arrêteraient d’étudier si nous retournions en Corée du Sud. Il est très difficile pour eux de changer leur milieu d’étude.

 

(Dossier de la demande, page 110.)

 

[48]           Dans leurs formulaires mis à jour (12 novembre 2006), les demandeurs ont affirmé ceci :

[traduction]

Deuxièmement, l’intérêt supérieur de nos enfants sera en péril s’ils sont renvoyés en République de Corée. Nos trois fils auront énormément de difficultés dans leurs études et dans la vie de tous les jours. Leur instruction sera retardée. Ils devront passer plus de temps à suivre des cours en coréen.

 

(Dossier de la demande, page 37.)

 

[49]           Il convient de noter que ces allégations peuvent être faites dans n’importe quel cas où il y a des enfants qui retournent dans leur pays d’origine. Par ailleurs, il n’y a aucune preuve que les demandeurs faisaient valoir, comme fondement de difficultés inhabituelles, le manque d’instruction ou de communication en anglais dans la collectivité coréenne en général. En fait, au paragraphe 43 de leur mémoire, les demandeurs reconnaissent que la disponibilité de cours en anglais n’était pas vraiment le problème. Les conclusions que contestent les demandeurs ne soulèvent donc pas une question grave.

 

[50]           Enfin, il convient de noter que les demandeurs reconnaissent que l’anglais est un sujet obligatoire en Corée et qu’il est possible de suivre des cours dans cette langue. Le fait que les demandeurs laissent entendre qu’ils n’ont pas les moyens de payer des cours en anglais ne contredit pas la conclusion de l’agente d’immigration selon laquelle de tels cours sont disponibles.

 

VIII. Conclusion

[51]           Même si la question a été plaidée d’une manière des plus savantes par l’avocat des demandeurs, au vu de ce qui précède, la Cour conclut que ces derniers ne subiront pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives à leur retour en Corée, où ils pourront demander des visas d’immigrant de l’extérieur du Canada, de la manière habituelle. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-993-07

 

INTITULÉ :                                       YUN HEE LEE,

CHU JA PARK, et

JAE YANG LEE,

JAE BOK LEE, et

JAE PIL LEE,

représentés par leur tuteur à l’instance,

YUN HEE LEE

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

 

POUR LES DEMANDEURS

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MAMANN & ASSOCIATES

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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