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Date : 20080320

Dossier : IMM-1977-07

Référence : 2008 CF 367

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

VANESSA DOSSETI VARGAS

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Il est important de ne pas élargir ou abaisser le seuil du caractère déraisonnable objectif pour deux raisons. Premièrement, cela dénature fondamentalement la définition d’un « réfugié » : « […] on devient un réfugié sans avoir la crainte d’être persécuté et du fait que la vie au Canada serait meilleure sur le plan matériel, économique et affectif que dans un endroit sûr de son propre pays ». Deuxièmement, « il s’ensuit une certaine confusion en brouillant la distinction entre les revendications du statut de réfugié et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire […] ».

(Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, [2000] A.C.F. no 2118 (QL))

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a pris en considération la jurisprudence au moment d’évaluer le caractère raisonnable de la possibilité de refuge intérieur (PRI) de la demanderesse, et on ne peut pas présumer que la SPR a commis une erreur en omettant de mentionner le rapport psychologique de la demanderesse. Selon le seuil « très élevé » que la Cour d’appel fédérale a précisé pour déterminer ce qui est déraisonnable, on ne peut pas dire que le rapport psychologique de la demanderesse « contredit » la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse pouvait se réinstaller soit à Guadalajara soit à Monterrey sans préjudice indu.

 

[3]               Il ressort clairement de la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589, [1993] A.C.F. no 1172 (QL), au paragraphe 12, que le critère qui permet de déterminer si une PRI est raisonnable est de nature objective et que le fardeau de la preuve revient au demandeur, comme c’est le cas pour tous les autres aspects d’une demande d’asile. Dans l’arrêt Ranganathan, précité, aux paragraphes 14 et 15, la Cour d’appel fédérale a de plus spécifié que la décision Thirunavukkarasu « [place] la barre très haut lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions ».

 

II.         La procédure judiciaire

[4]               La demanderesse, citoyenne du Mexique, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 18 avril 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué qu’elle n’avait pas la qualité de réfugiée ou celle de personne à protéger, au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

III.       L’historique

[5]               La demanderesse, Mme Vanessa Dosseti Vargas, est à la fois une étudiante universitaire à temps plein qui se spécialise en anglais et une entrepreneure qui possède une agence d’assistance promotionnelle à Pachuca, dans l’État de Hidalgo (Mexique).

 

[6]               Le 5 février 2005, Mme Dosseti Vargas a été embauchée par un homme du nom de Guzman qui, a-t-elle plus tard appris, est appelé « El Chapito » Guzman, le fils d’un narcotrafiquant notoire : « El Chapo » Guzman. Il lui a été demandé d’envoyer un groupe de quatre « magnifiques » danseuses exotiques à un club avoisinant; et ce, dans le but d’aider à remettre des prix pour un combat de coqs, tenu lors d’une fête dans un ranch, organisée par M. Guzman pour divertir des hauts représentants de la police et du gouvernement de Hidalgo.

 

[7]               Le 12 février 2005, vers minuit, la nuit de la fête en question, Mme Dosseti Vargas aurait été violée par M. Guzman et un ami à lui dans le bureau de son ranch.

 

[8]               Avec l’aide de l’une des autres filles, Mme Dosseti Vargas est parvenue à s’enfuir du bureau de M. Guzman. Une fois hors des limites de la propriété de ce dernier, Mme Dosseti Vargas a rencontré un membre de sa famille, qui l’a reconduite chez elle.

 

[9]               Le 14 février 2005, après avoir consulté un gynécologue, Mme Dosseti Vargas a décidé de ne pas signaler l’incident à la police; elle allègue avoir conclu que, en raison du statut politique des invités présents à la fête, elle ne pouvait s’attendre à rien de la part des autorités (compte rendu de l’audience, dossier du tribunal, page 316).

 

[10]           Le lendemain, soit le 15 février 2005, Mme Dosseti Vargas a reçu une note accompagnée d’une fleur exotique, l’avertissant de ne dire mot à personne de l’incident (dossier de la demande, exposé circonstancié de la demandeure d’asile, page 41).

 

[11]           Le 17 février 2005, ou aux environs de cette date, M. Carlos Cordero Bolio, un avocat du Ministère public auprès du Bureau du procureur général de l’État de Hidalgo, qui connaissait Mme Dosseti Vargas et sa famille depuis plus de dix ans, a déclaré à Mme Dosseti Vargas que tous les bureaux du ministère public avaient reçu du Directeur des enquêtes l’ordre de refuser de prendre une déclaration ou de recevoir une plainte de la part de Mme Dosseti Vargas; en outre, si une plainte était déposée, il fallait l’en avertir sur-le-champ pour qu’il s’occupe de l’affaire personnellement. M. Bolio a averti Mme Dosseti Vargas de ne pas porter plainte car les conséquences pouvaient être fatales. Cette dernière allègue que, par conséquent, elle ne s’est pas présentée à la police et n’a pas sollicité la protection de l’État (dossier de la demande, page 62).

 

[12]           Compte tenu des menaces reçues, Mme Dosseti Vargas a abandonné ses études et a fermé son entreprise; elle a décidé de quitter Pachuca le 18 février 2005 et d’emménager chez une amie de sa mère, Mme Yaritzy Chavez Garcia, à Mexico (dossier de la demande, exposé circonstancié de la demandeure d’asile, page 42).

 

[13]           Trois mois plus tard, soit le 12 mai 2005, Mme Dosseti Vargas a reçu le même genre de fleur exotique. La fleur n’étant pas accompagnée d’une note, Mme Dosseti Vargas a pensé qu’il s’agissait d’une erreur et ne s’en est pas souciée (compte rendu de l’audience, dossier du tribunal, page 320).

 

[14]           Une semaine plus tard, soit le 20 mai 2005, ou aux environs de cette date, pendant qu’elle marchait près d’un centre commercial, Mme Dosseti Vargas a été suivie par deux hommes dans une camionnette noire. L’un d’eux est descendu du véhicule, tenant à la main une fleur exotique semblable, l’a appelée par son nom et a commencé à la pourchasser. Mme Dosseti Vargas est partie en courant vers le centre commercial et a dit à un agent de police que quelqu’un la suivait. Mme Dosseti Vargas allègue que l’agent de police et elle sont sortis du centre pour jeter un coup d’œil; mais ils n’ont vu personne. Deux heures plus tard, l’agent de police a proposé qu’elle rentre chez elle en métro (dossier de la demande, exposé circonstancié de la demandeure d’asile, page 42).

 

[15]           Le lendemain, une fois de plus, le même type de fleur a été envoyé au nouveau domicile de Mme Dosseti Vargas, accompagnée d’une autre note de menace (dossier de la demande, exposé circonstancié de la demandeure d’asile, page 42).

 

[16]           Mme Dosseti Vargas a consulté sa mère, puis, après avoir présenté une demande de passeport, a quitté le Mexique à bord du premier avion à destination du Canada, le 16 juin 2005.

 

IV.       Les dispositions législatives pertinentes

[17]           L’article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR définissent comme suit le mot « réfugié » et l’expression « personne à protéger » :

 

Définition de « réfugié »

 

96.       A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques  :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97.       (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée  :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant  :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Convention refugee

 

96.       A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country

 

Person in need of protection

 

97.       (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

V.        Les questions en litige

[18]           1)         La conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État était-elle déraisonnable?

2)         La conclusion de la Commission au sujet de la PRI était-elle manifestement déraisonnable?

 

VI.       La norme de contrôle applicable

[19]           La protection de l’État est une question mixte de fait et de droit et, par conséquent, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter : Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. No 232 (QL).

 

[20]           La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la question de savoir si la demanderesse dispose ou non d’une PRI est celle de la décision manifestation déraisonnable : Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999, [2003] A.C.F. no 1263 (QL).

 

VII.      La décision faisant l’objet du présent contrôle

[21]           Mme Dosseti Vargas a prétendu qu’elle a droit à un contrôle judiciaire car la Commission a agi sans compétence, a commis une erreur de droit, a tiré des conclusions de fait arbitraires ou abusives sans tenir compte des documents qui lui étaient soumis, ou a manqué aux règles de la justice naturelle ou de l’équité procédurale en décidant qu’elle n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la convention.

 

[22]           Mme Dosseti Vargas a déclaré de plus que sa vie est en danger car elle a été associée par erreur à une bande criminelle qui vend des stupéfiants et vole des véhicules. Elle allègue que si on la renvoie au Mexique, elle sera à coup sûr battue, violée et assassinée par des membres de la bande, qui exercent beaucoup d’influence auprès des autorités; elle ne peut donc pas compter sur ces dernières pour assurer sa protection (dossier de la demande, exposé circonstancié de la demandeure d’asile, page 37).

 

VIII.     L’analyse

[23]           La Commission a conclu que Mme Dosseti Vargas ne s’était pas acquittée du fardeau d’établir une preuve « claire et convaincante » de l’absence de protection de l’État pour les personnes résidant au Mexique. Elle a de plus souligné qu’un demandeur se trouve dans l’obligation de « s’adresser à son État pour se réclamer de sa protection dans les cas où une protection pourrait raisonnablement être assurée » (décision de la Commission, dossier de la demande, page 9).

 

[24]           La Commission a fait remarquer que, en dépit de sa réinstallation, Mme Dosseti Vargas n’a rien fait pour solliciter l’aide d’organismes fédéraux d’application de la loi à Mexico, et plus particulièrement l’aide d’agences qui font enquête sur la criminalité, le trafic de drogue et la corruption, tels que le Secrétariat de l’administration publique (SFP), qui fait enquête sur les abus de pouvoir des policiers fédéraux, l’Agence fédérale d’enquêtes (AFI), qui fait enquête sur la criminalité, la corruption et le trafic de drogue, le Bureau du sous-procureur général chargé des enquêtes sur le crime organisé et le trafic de drogue (SIEDO), et le Bureau du procureur général de la République (PGR) à Mexico, qui enquête sur les crimes ou les infractions perpétrés contre des victimes (décision de la Commission, dossier de la demande, page 9).

 

[25]           En outre, la Commission a précisé que Mme Dosseti Vargas aurait pu bénéficier de l’aide de la Commission nationale des droits de la personne (CNDH) et de l’Institut national des femmes (INMUJERES), qui ont tous deux des liens directs avec les organismes gouvernementaux d’enquête et d’application de la loi. Par ailleurs, Mme Dosseti Vargas n’a eu recours ni à SACTEL, une ligne d’urgence fonctionnant 24 heures sur 24 qui a été créée pour que des citoyens puissent porter plainte à propos d’actes répréhensibles de la part de fonctionnaires, ni à la Direction de l’aide aux citoyens du contrôleur général, où elle aurait pu déposer une plainte à l’égard de sa crainte que le Bureau du procureur général de Hidalgo soit de mèche avec M. Guzman (décision de la Commission, dossier de la demande, page 9).

 

[26]           La Commission a conclu que Mme Dosseti Vargas, si elle retournait au Mexique, pourrait s’adresser à ces agences et organismes (décision de la Commission, dossier de la demande, page 10).

 

[27]           Quand on lui a demandé si elle avait songé à s’adresser à d’autres organismes pour l’aider à porter plainte, Mme Dosseti Vargas a déclaré ce qui suit : [traduction] « J’y ai songé, mais il y travaillait des personnes qui provenaient non seulement de l’État de Hidalgo mais également de l’ensemble de la république du Mexique. Il y avait des gouverneurs généraux, des gouverneurs, que pouvais-je (inaudible) ils étaient tous ses amis » (compte rendu de l’audience, dossier du tribunal, page 325).

 

[28]           Lorsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établie et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens, le fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes ne peuvent pas se réclamer de sa protection : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (C.A.F.), [1992] A.C.F. no 1189 (QL).)

 

[29]           Quand l’État en question est un État démocratique, le demandeur d’asile doit faire plus que simplement démontrer qu’il a cherché un membre du corps policier et que ses démarches ont été vaines. Le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur d’asile est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie qui existe dans l’État en cause; plus les institutions sont démocratiques, plus le demandeur d’asile doit avoir cherché à épuiser les recours qui s’offre à lui (Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (QL); décision de la Commission, dossier de la demande, page 10).

 

[30]           La Commission a examiné si Mme Dosseti Vargas avait réfuté la présomption selon laquelle il existe une protection de l’État. La Commission a conclu que Mme Dosseti Vargas n’avait pas tenté de se réclamer de la protection du Mexique avant de s’enfuir pour le Canada; en outre, il ressort de la preuve documentaire que les réformes policières du Mexique amélioraient la situation : vingt-huit opérations d’envergure se sont soldées par l’arrestation de trafiquants clés et de fonctionnaires corrompus en 2005, l’arrestation de plus de 50 000 trafiquants de drogue entre 2000 et 2005; 4 512 enquêtes ont été menées en 2005 sur de possibles actes répréhensibles de la part d’agents de l’État, lesquelles enquêtes ont donné lieu à la formulation d’avertissements, à des réprimandes, à des suspensions et à des congédiements (décision de la Commission, dossier de la demande, pages 11 et 12; mémoire des arguments du défendeur, paragraphe 10).

 

[31]           La Commission a également pris en compte des questions expressément liées à la violence exercée contre les femmes ainsi qu’à la protection de l’État dont elle est venue à disposer :

·                    L’établissement de l’Institut national des femmes (INMUJERES), qui a servi de catalyseur à la mise sur pied du Comité institutionnel pour la coordination de la prévention et de l’aide en matière de violence familiale et de violence faite aux femmes, et qui a pour mandat d’établir un cadre de travail pour combattre le problème de la violence de façon coordonnée.

·                    L’adoption de nouvelles lois sur la violence faite aux femmes dans quinze États, la mise en œuvre dans seize États de programmes visant à combattre cette violence et la création d’un programme national de la femme et de la santé, sous la direction du ministère de la Santé, qui vise à élaborer un modèle intégré de prévention, de détection et d’aide en matière de violence conjugale.

·                    Des initiatives locales lancées par de nombreux États mexicains, dont l’ouverture de six refuges pour femmes violentées à Aguascalientes, dans le District fédéral, à Morella, à Mexicali, à Puebla et à Monterrey, qui offrent aux femmes une aide psychologique, juridique et médicale.

·                    L’édition 2006 du Rapport de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, intitulé : « Intégration des droits fondamentaux des femmes et de l’approche sexospécifique : Violence contre les femmes ». La Commission a pris acte des préoccupations de la Rapporteuse spéciale à l’égard des nombreux problèmes que vit le Mexique dans sa lutte contre la violence faite aux femmes, mais elle a également pris note du commentaire suivant qui figure dans les conclusions du rapport : « Le gouvernement du Mexique a pris d’importantes mesures pour empêcher, punir et éliminer la violence faite aux femmes, avec toute la diligence requise ». [Non souligné dans l’original.]

(Décision de la Commission, dossier de la demande, pages 12 à 14; mémoire des arguments du défendeur, paragraphe 11.)

 

[32]           La Commission a reconnu que le Mexique est aux prises avec sa part de problèmes d’ordre public, à l’instar de nombreuses autres démocraties; cependant, elle s’est dite convaincue que le Mexique fournissait à ses citoyens une protection de l’État adéquate (décision de la Commission, dossier de la demande, pages 14 et 15).

 

[33]           Mme Dosseti Vargas, qui vivait dans une démocratie, n’a tout simplement pas épuisé de façon raisonnable tous les recours qui s’offraient à elle en ne tentant pas de se réclamer de la protection de l’État. (Décision de la Commission, dossier de la demande, page 9).

 

[34]           Pour ce qui est de la question du caractère raisonnable de la protection de l’État, la norme reconnue par la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605, [1991] A.C.F. no 341 (QL), est celle d’une protection qui « […] sans être nécessairement parfaite, [est] adéquate ». C’est également ce que met en évidence la décision Villafranca, précitée. Ainsi, en tenant compte de ces deux décisions, il est possible de conclure que, en tant que démocratie progressiste, le Mexique procure à ses citoyens une protection qui, sans être nécessairement parfaite, est adéquate. Mme Dosseti Vargas n’a pas raisonnablement épuisé tous les recours qui s’offraient à elle, avant de se réclamer de la protection de la communauté internationale; elle n’a donc pas fui son pays parce que l’État ne pouvait pas la protéger (décision de la Commission, dossier de la demande, page 15).

 

[35]           La Commission a conclu que Mme Dosseti Vargas pouvait déménager dans une autre grande ville, comme Guadalajara, qui compte 4,10 millions d’habitants, un peu plus à l’ouest de l’État de Hildalgo et de Mexico, et Monterrey qui compte 3,66 millions d’habitants et qui est nettement plus au nord de l’État de Hidalgo et de Mexico. La Commission a conclu que si Mme Dosseti Vargas retournait à Mexico ou dans une autre ville très populeuse et prenait des précautions raisonnables au moment de révéler sa nouvelle adresse à ses parents et à ses amis, il n’y aurait pas de possibilité sérieuse que M. Guzman la trouve (décision de la Commission, dossier de la demande, page 16).

 

[36]           Mme Dosseti Vargas a invoqué trois arguments au sujet de la PRI :

a)         La Commission a commis une erreur en exigeant qu’elle [traduction] « se cache » dans les PRI qu’elle a mentionnées.

b)         Il était manifestement déraisonnable pour la Commission de conclure que Mme Dosseti Vargas disposait d’une PRI, alors que l’individu qui la persécutait était capable de la repérer à Mexico.

c)         La Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du rapport psychologique de Mme Dosseti Vargas au moment d’examiner le caractère raisonnable des PRI dont elle disposait.

 

a)         Aucune conclusion de la part de la Commission selon laquelle la demanderesse serait tenue de « se cacher » pour être en sécurité

[37]           La Commission a conclu ce qui suit : « si [la demanderesse] devait retourner au Mexique dans l’une de ces autres villes très populeuses et qu’elle prenait des précautions raisonnables au moment de révéler sa nouvelle adresse à ses parents et amis, j’estime qu’il n’y aurait pas de possibilité sérieuse que la demandeure d’asile soit poursuivie par Guzman » (décision de la Commission, dossier de la demande, page 15-16).

 

[38]           Le concept de la PRI n’exige pas qu’une personne se cache. Il n’oblige pas Mme Dosseti Vargas à éviter de révéler son adresse à ses parents et amis : Escobar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1436 (QL), au paragraphe 8.

 

[39]           La Commission n’a pas affirmé qu’il fallait que Mme Dosseti Vargas reste cachée à Guadalajara ou à Monterrey pour vivre en sécurité. Dans le cadre de son examen détaillé de la question de savoir s’il se pouvait que M. Guzman trouve Mme Dosseti Vargas dans l’une quelconque des grandes villes mentionnées, la Commission a plutôt conclu qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse que Mme Dosseti Vargas soit repérée à l’aide de moyens électroniques, grâce aux numéros d’identification du gouvernement, comme celui qui est mentionné sur la carte d’électeur, et que rien n’indiquait que l’on se servait ou que l’on pouvait se servir de demandes illégales visant à trouver dans le système des personnes particulièrement ciblées. La Commission a fait remarquer aussi qu’elle n’était pas « convaincu[e] que [le système] peut être utilisé par des agents de persécution pour retracer des individus au Mexique et [elle] décide, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne peut être utilisé à cette fin » (décision de la Commission, dossier de la demande, pages 15, 16 et 20).

 

b)         Aucune contradiction de la part de la Commission dans sa conclusion relative à l’existence d’une PRI

[40]           La Commission a décidé que « compte tenu des antécédents et de l’expérience de [Mme Dosseti Vargas], […] elle pourrait s’établir à son nouvel endroit, dans un nouvel environnement, dans l’une ou l’autre de ces deux villes, sans préjudice indu, en tenant compte des critères relatifs à la PRI énoncés dans Rasaratnam et dans Thirunavukkarasu » (décision de la Commission, dossier de la demande, page 21).

 

[41]           Une fois que la Commission a soulevé la question d’une PRI, il incombait à Mme Dosseti Vargas de démontrer qu’elle ne disposait pas d’une PRI au Mexique. Cette éventuelle conclusion au sujet d’une PRI n’est pas incompatible avec la conclusion de la Commission quant à la crédibilité (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706, [1991] A.C.F. no 1256 (QL); Thirunavukkarasu, précité).

 

[42]           Dans l’arrêt Rasaratnam, précité, le juge Patrick M. Mahoney, de la Cour d’appel fédérale, souligne ce qui suit :

[10]      […] en concluant à l’existence d’une possibilité de refuge, la Commission se devait d’être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant ne risquait pas sérieusement d’être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour l’appelant d’y chercher refuge.

 

[43]           En outre, dans l’arrêt Thirunavukkarasu, précité, le juge Allen M. Linden, de la Cour d’appel fédérale, mentionne clairement ce qui suit :

Puisque l’existence ou non de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur, il appartient à ce dernier de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans tout le pays, y compris la partie qui offrait prétendument une possibilité de refuge.

 

[44]           Comme l’a mentionné la présente Cour dans la décision B.O.T. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 284, [2005] A.C.F. no 343 (QL), à l’égard des conclusions relatives à la PRI au Mexique :

[8]        […] la Cour connaît les documents publics de la Commission qui établissent que le Mexique est un grand pays qui a de nombreuses régions et qui offre des possibilités de refuge intérieur. En outre, le Mexique est un pays démocratique dont les citoyens ont effectivement accès à une protection adéquate de l’État au sens de la Convention sur les réfugiés. Pour ces motifs, la conclusion de la Commission que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur n’est pas une conclusion de fait déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. [Non souligné dans l’original.]

 

[45]           La Commission n’a donc pas commis d’erreur en concluant que Mmee Dosseti Vargas disposait d’une PRI au Mexique.

 

c)         La Commission a pris en considération le rapport psychologique

[46]           Dans l’arrêt Thirunavukkarasu, précité, la Cour d’appel fédérale mentionne très clairement, toutefois, que le critère permettant de déterminer si une PRI est raisonnable est de nature objective et que le fardeau de la preuve revient au demandeur, comme c’est le cas pour tous les autres aspects d’une demande d’asile.

 

[47]           Dans l’arrêt Ranganathan, précité, la Cour d’appel fédérale a de plus précisé que l’arrêt Thirunavukkarasu, précité, « [place] la barre très haut lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions ». (Il est également fait référence à l’arrêt Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 12.)

[48]           Il est important de ne pas élargir le seuil du caractère déraisonnable, en reconnaissant premièrement qu’une personne n’a pas qualité de réfugiée parce que « la vie au Canada serait meilleure sur le plan matériel, économique et affectif que dans un endroit sûr de son propre pays ». Deuxièmement, une telle définition crée une certaine confusion « en brouillant la distinction entre les revendications du statut de réfugié et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire […] » (Ranganathan, précité, aux paragraphes 16 et 17).

[49]           La Commission a examiné avec soin la jurisprudence applicable au moment d’évaluer le caractère raisonnable de la PRI de Mmee Dosseti Vargas et il est présumé qu’elle a pris en considération le rapport psychologique en ayant analysé les concepts figurant dans la jurisprudence susmentionné.

 

[50]           Selon le seuil élevé que la Cour d’appel fédérale a fixé pour ce qui est de déterminer ce qui est déraisonnable , on ne peut dire que le rapport psychologique de Mme Dosseti Vargas « contredit » la conclusion de la Commission selon laquelle elle pouvait se réinstaller sans difficultés excessives soit à Guadalajara soit à Monterrey.

 

[51]           Comme la présente Cour l’a dûment noté, au sujet des rapports psychologiques, dans la décision Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1365, [2006] A.C.F. no 1716 (QL) :

[58] […] Le fait que la demanderesse principale a suivi une thérapie au Mexique et qu’elle avait des symptômes de stress post‑traumatique et le fait que ces symptômes auraient pu être causés par son ancien partenaire violent n’ont pas été contestés. Le rapport n’avait tout simplement aucun lien avec les réserves de la Commission : la demanderesse principale n’avait pas réfuté la présomption que l’État assure la protection des personnes et l’existence d’une PRI à Mexico.

 

[59] En outre, les rapports psychologiques ne prouvent pas par eux‑mêmes le bien‑fondé de la demande d’asile en cause. La demanderesse principale ne peut s’appuyer uniquement sur ces rapports pour démontrer qu’elle serait persécutée si elle retournait à Mexico. Il appartenait à la Commission d’examiner la preuve et de rendre une décision.

 

 

VIX.    Conclusion

[52]           Au vu de ce qui précède, la Commission n’a pas commis d’erreur en statuant que Mme Dosseti Vargas n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la convention et que si celle-ci retournait au Mexique, elle ne serait pas exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ni au risque d’être soumise à la torture; elle n’a donc pas non plus la qualité d’une personne à protéger, au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-1977-07

 

INTITULÉ :                                                            VANESSA DOSSETI VARGAS

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 11 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                   LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 20 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Norguay

 

POUR LA DEMANDERESSE

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vandervennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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