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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080328

Dossier : IMM‑2752‑07

Référence : 2008 CF 397

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2008

En présence de Monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

SERGIO MORALES LOZADA

VERONICA REYES VILLA

OSCAR MORALES REYES

KARLA ALEJANDRA MORALES REYES

 

demandeurs

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Sergio Morales Lozada (le demandeur), son épouse, Veronica Reyes, et leurs enfants, Oscar Morales Reyes et Karla Alejandra Morales Reyes, sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 19 juin 2007, par laquelle il était conclu qu’ils n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Le demandeur, un Mexicain, avait été un policier affecté à une escouade spéciale antidrogue. Il a quitté le service de police, pour finalement fuir au Canada avec sa famille parce qu’il craignait d’être persécuté par des policiers corrompus et par des membres du cartel de la drogue, étant donné qu’il était au courant de la disparition de drogues illégales remises à des policiers de rang supérieur.

 

[3]               J’ai décidé de rejeter la demande de contrôle judiciaire pour les motifs suivants.

 

LE CONTEXTE

[4]               Le demandeur a témoigné qu’il avait joint les rangs de la force policière du Mexique en 1992. Il appartenait à une escouade qui avait confisqué une grande quantité de drogue à un cartel de la drogue. La drogue avait été remise à des policiers de rang supérieur et avait ensuite disparu. Les membres de l’escouade ont fait enquête et ont signalé l’affaire aux autorités de surveillance. Ils ont alors été harcelés, puis avertis de ne pas pousser l’affaire plus loin. Le demandeur a dit que, en 1993, plusieurs de ses camarades de l’escouade sont tombés dans une embuscade, puis ont été blessés ou tués. Cet événement lui a fait quitter la police en 1994.

 

[5]               Le demandeur s’est marié en 1995, puis a déménagé dans l’État de Coahuila, où il travaillait comme gardien de sécurité. Il a dit qu’il avait été contraint de changer d’emploi plusieurs fois car il craignait d’être suivi. Il est finalement retourné vivre dans le District fédéral de Mexico. En octobre 2005, quatre ans après son retour dans le District fédéral, plusieurs hommes auraient tiré sur sa maison, causant des dommages importants à sa demeure. Il a signalé l’agression à la police locale, sans lui dire qu’il croyait que ses agresseurs étaient de mèche avec des policiers corrompus et des membres du cartel de la drogue. Il a dit que la police était venue enquêter et qu’il avait signalé aux policiers qu’il avait reçu des menaces au fil des ans, mais sans en révéler davantage.

 

[6]               Le mois suivant, le demandeur s’est rendu au Canada et a revendiqué l’asile ici. Il revendique l’asile au titre des articles 96 et 97 de la LIPR. La demande d’asile présentée par la famille est fondée sur celle du demandeur.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[7]               La Commission a jugé que le Mexique est un État démocratique au plein sens du terme. Elle a fait observer que plus les institutions d’un État sont démocratiques, plus un demandeur d’asile doit s’efforcer d’épuiser tous les moyens à sa disposition pour obtenir de l’État une protection. Elle a appliqué la présomption selon laquelle le demandeur doit apporter une preuve claire et convaincante que l’État mexicain n’est pas disposé ou n’est pas apte à le protéger, lui et sa famille.

 

[8]               La Commission a reconnu l’ampleur de la criminalité et de la corruption au Mexique, mais, selon elle, le dossier d’information montrait clairement que le gouvernement mexicain fait de réels efforts pour enrayer ces deux phénomènes. La Commission a conclu qu’il existait une preuve documentaire objective montrant que le gouvernement et les fonctionnaires mettaient tout en œuvre pour protéger la population et que les victimes de la corruption pouvaient obtenir de l’État une protection.

 

[9]               La Commission a relevé que le demandeur avait signalé à la police l’agression d’octobre 2005, mais qu’il n’avait pu identifier les agresseurs. Il n’y avait donc pas eu d’arrestation.

 

[10]           La Commission a relevé que, selon la preuve documentaire, plusieurs mesures importantes avaient été prises pour enrayer la corruption policière. Les victimes de la corruption et du crime organisé peuvent signaler les infractions directement au ministère public lorsque la police locale est suspectée d’y être mêlée. La Commission a jugé qu’il avait été déraisonnable pour le demandeur de ne pas avoir fait davantage pour obtenir une protection policière ou la protection d’un autre organisme public.

 

[11]           La Commission a accordé davantage de poids à la preuve documentaire qu’au témoignage du demandeur. Selon elle, il n’était pas déraisonnable que le demandeur retourne au Mexique et obtienne dans son pays une protection.

 

[12]           La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, car il n’avait pas au Mexique une crainte fondée de persécution pour un motif prévu par la Convention. Elle a jugé aussi qu’il n’était pas une personne à protéger, car son renvoi au Mexique ne l’exposerait pas personnellement à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités, et il n’y avait aucun motif réel de croire que son renvoi au Mexique l’exposerait personnellement à un danger dans ce pays. Puisque la demande d’asile du demandeur n’était pas admissible, celles des membres de sa famille ne l’étaient pas non plus.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]           Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur parce qu’elle a laissé de côté la preuve documentaire qui confirme les observations du demandeur selon lesquelles la protection offerte par l’État au Mexique était insuffisante. Il dit aussi que la Commission a manqué à l’équité procédurale en se référant à deux documents sur le Mexique qui n’avaient pas été soumis à la Commission au cours de l’audience et auxquels il n’avait pas eu accès avant qu’elle rende sa décision.

 

[14]           Les questions en litige sont les suivantes :

1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en disant que la protection offerte par l’État était suffisante et que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une telle protection?

2.         La Commission a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale en se référant, dans sa décision, à deux documents extrinsèques qui ne lui avaient pas été soumis durant l’audience et auxquels les demandeurs n’avaient pas eu accès avant qu’elle rende sa décision?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[15]           Le contexte des procédures de contrôle judiciaire a récemment été modifié par la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. La Cour suprême a déclaré qu’il n’y a maintenant que deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable (arrêt Dunsmuir, paragraphe 34).

 

[16]           La Cour suprême a expliqué aussi que la procédure de contrôle judiciaire ne comporte maintenant que deux étapes (arrêt Dunsmuir, paragraphe 62) :

Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

 

 

[17]           Dans l’arrêt Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, la Cour d’appel fédérale a considéré la question de la protection de l’État dans un cas où une demanderesse avait revendiqué l’asile au Canada parce qu’elle estimait ne pas pouvoir obtenir au Mexique une protection de l’État contre la violence conjugale. Selon la Cour d’appel fédérale, la norme de contrôle devant s’appliquer à la manière dont la Commission avait évalué la protection de l’État et l’inertie de la demanderesse à obtenir cette protection était la norme de la décision raisonnable (arrêt Carillo, paragraphe 36). Aucune des parties n’avait présenté d’observations écrites détaillées sur la norme de contrôle à appliquer aux décisions relatives à la protection de l’État, mais la Cour fédérale a rendu une foule de jugements où elle écrit que la norme de contrôle d’une décision concluant à l’existence d’une telle protection est, d’après la terminologie antérieure à l’arrêt Dunsmuir, la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir Monte Rey Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1661; Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1249; et Fernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1132).

 

[18]           La mention, par la Commission, de deux documents extrinsèques relatifs au Mexique soulève une question d’équité procédurale. Lorsqu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, la décision en cause doit être annulée (arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, paragraphe 53).

 

ANALYSE

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la protection offerte par l’État était suffisante et que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une telle protection?

 

[19]           Selon le demandeur, la Commission a appliqué le mauvais critère juridique parce qu’elle ne s’est pas demandé si l’État au Mexique offrait réellement une protection. Il se fonde sur un jugement du juge Russell, Torres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 660, où l’on peut lire ce qui suit, au paragraphe 16 :

Lorsque j’examine la décision dans son ensemble, il n’est pas évident pour moi que la Commission a abordé la question de la crainte de la demanderesse au sujet de l’insuffisance de la protection de la police et de la difficulté pour elle de se prévaloir avec succès du mécanisme législatif et procédural existant de protection de l’État au Nicaragua. Il me semble que la Commission n’a jamais vraiment tenu compte de la préoccupation de la demanderesse au sujet de l’incapacité de la police et d’autres groupes de soutien d’assurer une protection efficace. Je crois que son témoignage était clair et convaincant et qu’il établissait que la police et les groupes en question n’avaient pas pu la protéger de son père dans le passé et qu’ils ne pourraient le faire à l’avenir. La Commission aurait dû se pencher sur cette question et l’aborder directement dans ses motifs.

 

 

[20]           Le demandeur souligne que la preuve documentaire comprend des rapports attestant le caractère endémique de la corruption policière et il ajoute que l’impunité et la corruption demeurent problématiques. Il fait valoir que la capacité de l’État mexicain de lui offrir une protection ne s’est pas améliorée et que, comme le montrent les rapports sur le pays, cette protection ne lui est encore pas accessible. Il dit que la Commission n’a pas tenu compte des rapports attestant l’impunité et la corruption et que sa décision est donc viciée.

 

[21]           Le demandeur se fonde sur le jugement Herrera Villalva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 314, au paragraphe 22, où le juge Kelen écrivait que, selon la preuve, d’autres personnes se trouvant dans la même situation que la demanderesse n’avaient pu obtenir une protection de l’État. Il en a conclu que la Commission n’avait pas tenu compte de cette preuve.

 

[22]           Pour l’essentiel, le défendeur rappelle le raisonnement de la Commission selon lequel l’État mexicain s’applique à enrayer la corruption policière et le crime organisé. Comme le Mexique est une démocratie véritable, il faut présumer que sa population peut obtenir de l’État une protection. La preuve documentaire atteste effectivement que la corruption policière et le crime organisé sont endémiques, mais la présomption d’existence d’une protection de l’État n’est pas pour autant réfutée. Le défendeur soutient que le demandeur doit réfuter la présomption d’existence d’une telle protection en montrant qu’il s’est efforcé d’obtenir cette protection. Le défendeur invoque le jugement Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 944, aux paragraphes 7 et 8, où la juge Snider écrivait ce qui suit :

Dans l’arrêt Ward, précité, à la page 724, la Cour suprême du Canada a conclu que, lorsque la protection de l’État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée », la Commission est autorisée à tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur ne s’est pas adressé aux autorités de l’État pour obtenir leur protection :

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit : l’omission du demandeur de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l’État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée ». En d’autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l’expression « réfugié au sens de la Convention » s’il est objectivement déraisonnable qu’il n’ait pas sollicité la protection de son pays d’origine; autrement, le demandeur n’a pas vraiment à s’adresser à l’État.

 

À mon avis, la question de savoir s’il est objectivement déraisonnable pour le demandeur de ne pas avoir sollicité la protection de son pays d’origine invite la Commission à apprécier la preuve dont elle est saisie et à tirer une conclusion de fait. À titre d’exemple, bien que les agents de persécution puissent être des représentants de l’État, les faits de l’espèce peuvent indiquer que des éléments purement locaux ou indésirables sont en cause et que l’État en question est un État démocratique qui offre une protection aux personnes qui sont dans une situation semblable à celle du demandeur. Il pourrait donc être objectivement raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur cherche à obtenir la protection de l’État dans un tel cas. Dans d’autres cas, l’identité des représentants de l’État et la preuve documentaire quant à la situation dans le pays pourraient indiquer que la protection de l’État ne peut raisonnablement être assurée. On ne s’attend donc pas à ce que le demandeur cherche à obtenir la protection de l’État dans de tels cas. Vu que l’analyse qu’a faite la Commission des institutions politiques et judiciaires du Costa Rica n’était pas manifestement déraisonnable (autrement dit, qu’elle s’appuyait sur la preuve dont était saisie la Commission), l’obligation imposée par la Commission, en se fondant sur cette preuve, de chercher à obtenir la protection de l’État, ne constitue pas, à mon avis, une erreur susceptible de contrôle.

 

[23]           Le défendeur se réfère aussi à l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 57, pour affirmer qu’un demandeur d’asile qui vient d’un pays démocratique sera astreint à l’obligation rigoureuse de montrer qu’il n’est pas tenu d’épuiser tous les recours possibles dans son pays avant de pouvoir revendiquer l’asile.

 

[24]           Selon le défendeur, la défaillance occasionnelle de la protection de l’État ne signifie pas que cette protection n’existe pas. Il fait valoir que la Cour a déjà jugé que l’État au Mexique offre une protection suffisante, bien que les policiers soient parfois eux‑mêmes des agents de persécution (Ortiz Juarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, paragraphe 10). Le demandeur doit apporter la preuve d’un amoindrissement généralisé des institutions démocratiques. Il ne lui suffit pas de dire que l’État n’a pas toujours réussi à protéger les gens se trouvant dans sa situation (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. n° 1189 (C.A.F.).

 

ANALYSE

[25]           Les règles régissant la protection de l’État ont été bien résumées par le juge O’Reilly dans la décision Carrillo c. Canada, [2007] A.C.F. n° 439, aux paragraphes 10 à 14. J’en rappellerai ici les divers éléments :

  • Un réfugié est une personne qui craint « avec raison d’être persécutée » et qui « ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut » obtenir la protection du pays dont elle a la nationalité (alinéa 96a) de la LIPR).
  • La crainte ressentie par une personne n’est pas fondée si elle peut obtenir de l’État une protection. En revanche, sa crainte sera fondée si elle ne peut pas obtenir de l’État une protection (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, paragraphe 52).
  • Lorsqu’une personne allègue une persécution de la part de l’État, on présume qu’elle ne peut pas obtenir la protection de l’État (Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 507, paragraphe 19).
  • La charge de la preuve repose sur le demandeur d’asile. Il doit montrer qu’il répond à la définition d’un réfugié, c’est‑à‑dire qu’il craint effectivement la persécution et qu’il la craint « avec raison ». Le demandeur d’asile doit montrer qu’il existe une possibilité raisonnable, ou une possibilité sérieuse, qu’il soit persécuté s’il est renvoyé dans le pays dont il a la nationalité (Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F), paragraphe 8).
  • Les décideurs peuvent présumer que les États sont en mesure d’assurer la protection de leurs citoyens (arrêt Ward, précité) sauf lorsqu’il y a effondrement complet de l’appareil étatique (arrêt Villafranca, précité).
  • Le demandeur d’asile doit prouver qu’il s’est efforcé d’obtenir de l’État une protection. Plus le niveau de démocratie est élevé au sein de l’État et de ses institutions, plus le demandeur d’asile devra s’être efforcé d’épuiser les ressources à sa disposition (arrêt Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.)).

 

[26]           Dans l’arrêt Carillo, précité, le juge Létourneau, de la Cour d’appel fédérale, a analysé plus avant la question de la protection de l’État et la possibilité de réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État. Il faisait observer que le fardeau de la preuve, la norme de preuve et la qualité de la preuve sont trois notions juridiques distinctes qu’il convient de ne pas confondre.

 

[27]           Pour réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État, le demandeur d’asile assume le fardeau de la preuve et le fardeau juridique. Il doit s’acquitter du premier fardeau en apportant la preuve du caractère insuffisant de la protection offerte par l’État. Il doit s’acquitter du fardeau juridique en convainquant la Commission que, selon la prépondérance de la preuve, la protection offerte est insuffisante. La qualité de la preuve qui est requise pour réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État doit être fiable et être d’un niveau suffisant (Carrillo (C.A.F.), précité, paragraphes 18, 20, 30).

 

[28]           Les défaillances occasionnelles de la police ne prouvent pas en elles‑mêmes que la protection de l’État est inexistante (Zhuravlvev, précité). Dans l’arrêt Kadenko, précité, une demande unique d’assistance policière, suivie d’un refus, n’a pas été vue comme une preuve qui suffisait à réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État. Les jugements de la Cour fédérale reconnaissent que la protection offerte par l’État ne sera pas toujours parfaite. Cependant, la Commission devra parfois se demander si la protection de l’État pourrait effectivement s’étendre à un demandeur d’asile (décision Torres, précitée).

 

[29]           En l’espèce, le demandeur a témoigné qu’il avait protesté contre la corruption policière à l’époque où il avait démissionné du corps policier en 1994. Il s’est marié, et il a déménagé plusieurs fois, craignant d’être suivi. Lorsque des assaillants ont tiré sur sa maison, il a signalé ce fait à la police. Il n’a pas dit à la police qu’il croyait que l’agression était liée à la confiscation antérieure de drogues, ni qu’il soupçonnait que les assaillants étaient soit des policiers corrompus soit des trafiquants de drogue. Il a témoigné que la police avait conjecturé qu’ils étaient des trafiquants de drogue.

 

[30]           Le demandeur s’est adressé à la police une fois pour obtenir sa protection. Il a reconnu que la police avait fouillé la maison et les alentours dans l’espoir de trouver les agresseurs ou des indices. Il n’avait pas pu identifier les assaillants, et il n’avait pas révélé non plus à la police les soupçons qu’il avait à propos de l’incident. Le demandeur n’a pas fait tout ce qu’il aurait pu faire pour rendre l’enquête policière plus efficace. Dans la mesure où la police pouvait l’aider, c’est ce qu’elle a fait.

 

[31]           La Commission a pris note de la preuve documentaire qui faisait état à plusieurs endroits du problème de la corruption policière, ainsi que des mesures prises pour l’enrayer. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas poussé plus loin les options qui s’offraient à lui, notamment en communiquant d’autres renseignements à la police ou en déposant une plainte directement auprès des fonctionnaires du ministère. Elle a conclu qu’il n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État.

 

[32]           Le témoignage du demandeur, tel qu’il était, ne suffisait pas à prouver que l’enquête policière avait été délibérément écourtée et qu’une protection de l’État ne pouvait pas être obtenue. Le demandeur lui‑même n’avait rien fait de plus pour obtenir de l’État une protection, en explorant d’autres moyens d’obtenir la protection de la police ou celle d’une autre institution.

 

[33]           Une décision qui n’est pas raisonnable est une décision dont les motifs ne renferment aucune analyse qui pourrait conduire raisonnablement la Commission, en fonction de la preuve qu’elle avait devant elle, à la conclusion à laquelle elle est arrivée. [traduction] « Si les motifs qui suffisent à appuyer la conclusion sont défendables, en ce sens qu’ils peuvent résister à un examen assez poussé », alors la décision ne sera pas déraisonnable (décision Rey Nunez, précitée, paragraphe 11).

 

[34]           La Cour doit aussi s’interroger sur « l’appartenance de la décision [de la Commission] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité, paragraphe 47). S’agissant de la présente affaire, il m’est impossible de dire que la décision de la Commission était déraisonnable. Elle s’appuyait sur des dossiers d’information reconnus  concernant le Mexique, ainsi que sur une preuve confirmant le caractère restreint des démarches personnelles faites par le demandeur. Elle suit les principes juridiques exposés dans les arrêts Ward, Carrillo (C.A.F.) et Kadenko, précités.

 

La Commission a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale en se référant, dans sa décision, à deux documents extrinsèques qui ne lui avaient pas été soumis au cours de l’audience et auxquels les demandeurs n’avaient pas eu accès avant qu’elle rende sa décision?

 

[35]           Le demandeur fait valoir que la Commission a fait état de deux réponses à des demandes d’information (RDI), réponses qui n’avaient pas été produites comme pièces. Ces RDI, mentionnées dans les notes infrapaginales 5 et 12 des motifs de la Commission, n’avaient pas été soumises à la Commission au cours de l’audience ni n’avaient été communiquées au demandeur pour qu’il les examine et présente des observations avant que la décision ne soit rendue. Le demandeur soutient qu’il en résulte un manquement à l’équité procédurale et que la décision de la Commission devrait donc être annulée.

 

[36]           Le défendeur fait valoir que les RDI mentionnées par la Commission étaient d’anciens dossiers d’information qui avaient été remplacés par des dossiers plus récents contenant pour l’essentiel les mêmes renseignements. Le régime des dossiers d’information sur les pays requiert une mise à jour constante à mesure que d’anciens documents sont remplacés par des documents plus actuels. Le défendeur soutient qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale puisque les documents plus récents, que le demandeur avait à sa disposition, contiennent pour l’essentiel les mêmes renseignements.

 

[37]           La Commission s’exprime ainsi et, pour la partie soulignée, ajoute un renvoi à la note 5 :

Il n’en demeure pas moins que cette même preuve documentaire établit également clairement que le Mexique est rongé par une criminalité et une corruption galopantes, ce que le tribunal ne songe pas à remettre en question; cependant, ces renseignements montrent aussi clairement que le gouvernement déploie des efforts substantiels, significatifs et souvent fructueux pour lutter contre le crime et la corruption.

 

[38]           La Commission écrit, dans la note 5, que la RDI MEX38312.EF (septembre 2002) « ne figure pas dans ces pièces ». Cependant, après examen du Cartable national de documentation du 4 juillet 2006 contenu à la page 93 du dossier du Tribunal, la RDI MEX101376.E (juin 2006) renferme les mêmes énoncés à propos des moyens mis en œuvre pour lutter contre la corruption.

 

[39]           La Commission s’exprime ainsi, en ajoutant un renvoi à la note 12 :

Lorsque les plaintes des victimes sont ignorées ou qu’elles ne sont pas traitées, ces dernières peuvent alors s’adresser directement au contrôleur interne du Bureau du procureur général de la République.

 

[40]           La Commission écrit, dans la note 12, que la RDI MEX39540.EF (septembre 2002) « ne figure pas dans ces pièces ». Le dossier du tribunal ne fait pas référence à un document qui prévoit le dépôt de rapports directement au Bureau du procureur général de la République. Cependant, le récit qu’avait fait le demandeur à la police concernant les tirs sur sa maison n’avait pas été laissé de côté et avait eu une suite puisque la police avait enquêté sur l’agression. Il est difficile de voir quel préjudice subit le demandeur par suite du renvoi fait par la Commission à ce document extrinsèque.

 

[41]           Je ne crois pas qu’un manquement à l’équité procédurale résulte du renvoi fait par la Commission à deux RDI extrinsèques.

 

LE DISPOSITIF

[42]           Je suis d’avis que les conclusions de la Commission, à savoir celle selon laquelle une protection est offerte par l’État au Mexique et celle selon laquelle le demandeur n’avait pas réfuté la présomption d’existence d’une telle protection, sont raisonnables, car elles sont fondées sur une preuve documentaire objective ainsi que sur le propre témoignage du demandeur.

 

[43]           Je suis également d’avis que le renvoi fait par la Commission à deux dossiers antérieurs d’information sur le Mexique ne figurant plus dans la Liste des documents de la CISR ne tire pas à conséquence puisque les documents que la Commission avait devant elle, et auxquels le demandeur avait accès, couvrent pour l’essentiel le même sujet ou bien ne sont pas applicables au cas du demandeur.

 

[44]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE:

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2752‑07

 

 

INTITULÉ :                                       SERGIO MORALES LOZADA et al. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 17 MARS 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 MARS 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt                                                                        POUR LES DEMANDEURS

 

David Joseph                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LES DEMANDEURS

 

John S. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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