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Date : 20080326

Dossier : IMM-2098-07

Référence : 2008 CF 379

Montréal (Québec), le 26 mars 2008

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

Roger Eugene Shephard

 

partie demanderesse

 

et

 

Le ministre de la Citoyenneté

et de l’Immigration

et

Le ministre de la Sécurité publique

et de la Protection civile

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur conteste par une demande de contrôle judiciaire la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 19 mars 2007, ayant pour effet de lui refuser l’asile au motif d’exclusion en vertu de l’article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et de rejeter également sa demande connexe recherchant une déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 98 de la Loi.

[2]               Le demandeur demande à la Cour d’annuler cette décision et de déclarer l’article 98 de la Loi inopérant. Et ce, au motif que cette disposition exclut la possibilité pour le demandeur d’obtenir l’asile et contreviendrait à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), Loi constitutionnelle de 1982, L.C. 1982, c. 11, et à l’article 7 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Assemblée générale des Nations Unies, New York, adoptée le 10 décembre 1984, en vigueur le 26 juin 1987, (la Convention contre la torture), en ce qu’elle autorise le renvoi du demandeur vers son pays d’origine, les  États-Unis, où il risque la peine de mort.

 

FAITS

[3]               Les faits ne sont pas contestés. Né aux États-Unis, le 12 juin 1985, le demandeur arrive au Canada le ou vers le 16 juin 2006. Peu de temps après l’entrée du demandeur au Canada, la GRC contacte l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et l’informe que le demandeur est recherché en Caroline du Sud, aux États-Unis, en rapport avec un meurtre commis lors d’un vol à main armée survenu le 15 juin 2006.

 

[4]               Or, si reconnu coupable de l’accusation de meurtre dont on le soupçonne, le demandeur est passible de la peine de mort en vertu du South Carolina Code of Law, Titre 16, Chap.3, art.16-3-2- et suivants.

 

[5]               Arrêté le 17 juin 2006, par des policiers de la Ville de Montréal, le demandeur revendique par la suite l’asile du Canada, aux termes de l’article 97 de la Loi.

 

[6]               Le 3 août 2006, on entreprend une mesure de renvoi conditionnelle contre le demandeur qui,  le 11 août 2006, dépose son formulaire de renseignements personnels (FRP). Il demeure détenu par les services d’immigration du Canada depuis le 17 juin 2006.

 

[7]               Le ministre de la Sécurité publique intervient dans le présent dossier dès le stade préliminaire pour affirmer que le demandeur est une personne visée par l’article 1F de la Convention des Nations Unies relative au statut de réfugiés, 28 juillet 1951, Nations Unies, Recueil des Traités, Vol.189, p.137, article 1 (la Convention).

 

[8]               Le demandeur transmet par la suite aux parties intéressées un avis soulevant une question constitutionnelle et annonce ainsi son intention de contester la validité de l’article 98 de la Loi, au motif que celui-ci prévoit l’application de clauses d’exclusion prévues à la Convention, contre des personnes, qui comme lui, auraient autrement la qualité de personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi, et ce, malgré le fait que le Canada a donné son accord à la Convention contre la torture et contre le renvoi d’une personne dans un pays où celle-ci risque la torture ou des traitements cruels.

 

[9]               Lors d’une conférence préalable tenue le 20 décembre 2006, le procureur du demandeur admet qu’au terme d’une audition au fond son client serait probablement visé par l’article 1F de la Convention. De son côté le procureur du ministre admet qu’advenant son retour aux États-Unis, le demandeur serait exposé à la peine de mort si trouvé coupable du meurtre dont on le soupçonne et pour lequel il est recherché.

 

[10]           Fort de ces admissions, les parties consentent à procéder par voie de représentations écrites sur la question constitutionnelle. De sorte que le débat ne portera que sur une question de droit, soit le droit du demandeur d’obtenir l’asile demandé aux termes de l’article 98 de la Loi, suite à son entrée au Canada malgré l’exclusion qu’on lui oppose.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[11]           Après l’analyse de l’article 98 de la Loi et de la Section F de l’article premier de la Convention, et avoir considéré les prétentions des parties, le 19 mars 2007, le commissaire saisi du dossier décide que l’article visé par le litige ne commande pas l’expulsion d’un demandeur d’asile, comme le soutient le demandeur, mais l’exclut uniquement du droit à l’asile.

 

[12]            Ayant conclu ainsi, le commissaire n’accepte pas les arguments du demandeur à l’effet que l’article 98 de la Loi soit inconstitutionnel parce que contraire aux articles 7 et 12 de la Charte et à l’article 3 de la Convention contre la torture.

 

[13]           S’appuyant sur l’article 98 de la Loi et sur l’admission que le demandeur est visé par l’article 1F de la Convention, le commissaire rejette sa demande, ce qui laisse intacts toutefois les autres recours prévus à la Loi pour celui-ci.

 

LÉGISLATION ET CONVENTIONS

[14]           La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés :

95. (1) L'asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

 

a) sur constat qu'elle est, à la suite d'une demande de visa, un réfugié ou une personne en situation semblable, elle devient soit un résident permanent au titre du visa, soit un résident temporaire au titre d'un permis de séjour délivré en vue de sa protection;

 

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

 

c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3).

 

[…]

 

95. (1) Refugee protection is conferred on a person when

 

(a) the person has been determined to be a Convention refugee or a person in similar circumstances under a visa application and becomes a permanent resident under the visa or a temporary resident under a temporary resident permit for protection reasons;

 

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection; or

 

(c) except in the case of a person described in subsection 112(3), the Minister allows an application for protection.

[…]

 

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

 

(i)     elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii)    elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

[…]

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themselves of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

[…]

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[…]

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[…]

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

[…]

    (3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

[…]

 c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés

[…]            

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

[…]

    (3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

[…]    

 c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention;

      

[…]

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

[…]

d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

113. Consideration of an application for protection shall be as follows

 

[…]

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

(2) Le ministre peut révoquer le sursis s’il estime, après examen, sur la base de l’alinéa 113d) et conformément aux règlements, des motifs qui l’ont justifié, que les circonstances l’ayant amené ont changé.

    (3) Le ministre peut annuler la décision ayant accordé la demande de protection s’il estime qu’elle découle de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

(4) La décision portant annulation emporte nullité de la décision initiale et la demande de protection est réputée avoir été rejetée.

114. (1) A decision to allow the application for protection has

(a) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), the effect of conferring refugee protection; and

(b) in the case of an applicant described in subsection 112(3), the effect of staying the removal order with respect to a country or place in respect of which the applicant was determined to be in need of protection.

 (2) If the Minister is of the opinion that the circumstances surrounding a stay of the enforcement of a removal order have changed, the Minister may re-examine, in accordance with paragraph 113(d) and the regulations, the grounds on which the application was allowed and may cancel the stay.

(3) If the Minister is of the opinion that a decision to allow an application for protection was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts on a relevant matter, the Minister may vacate the decision.

      (4) If a decision is vacated under subsection (3), it is nullified and the application for protection is deemed to have been rejected

 

 

 

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

 

2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

 

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

 

 

 

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

[…]

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

 

 

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

 

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

 

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

[…]

 

[15]           La Charte canadienne des droits et libertés («la Charte») :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7.  Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

 

[16]           La Convention relative au statut des réfugiés :

F.  Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

 

[…]

 

b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

[…]

FThe provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

[…]

 

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

 

[…] 

 

[17]           La Convention contre la et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants :

ARTICLE 3

 

1. Aucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

ARTICLE 3

 

1.  No State Party shall expel, return or extradite a person to another State where there are substantial grounds for believing that he would be in danger of being subjected to torture.

 

La norme de contrôle applicable

[18]           La norme de la décision correcte s’applique aux décisions de la SPR portant sur une question de droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 ; Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982).

 

[19]            Les déterminations constitutionnelles des tribunaux administratifs ne commandent aucune déférence lorsque, comme dans l’espèce, on conteste la validité constitutionnelle d’une disposition législative (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 59 et 60). La « norme de la raisonnabilité » n’est alors pas pertinente.

 

Prétentions des parties

[20]           Le demandeur soutient que le rejet de sa demande d’asile en raison de l’application de la clause d’exclusion de l’article 1Fb) de la Convention a pour effet de rendre exécutoire la mesure de renvoi conditionnelle prononcée par la SPR. Même si le demandeur reconnaît ne pas être privé pour autant du droit de revendiquer la protection prévue à l’article 112 de la Loi ( i.e. présenter une demande d’évaluation des risques avant renvoi ou ERAR), il insiste sur le fait que cette protection dépend de la discrétion du ministre, qui peut la refuser sans l’obtention préalable de garanties des autorités américaines que la peine de mort ne sera pas infligée advenant son renvoi dans son pays d’origine.

 

[21]           Partant du fait que l’article 98 permet d’opposer des clauses d’exclusion à sa demande d’asile fondée sur un risque de torture ou de peines cruelles et inusitées, le demandeur soutient que cette disposition contrevient aux obligations internationales du Canada, et plus particulièrement à la Convention contre la torture à laquelle il a souscrit, et ayant pour but de consacrer le « principe de non‑refoulement » sans clause d’exclusion s’il existe un tel risque.

 

[22]           On ne peut, selon le demandeur, assujettir la protection à laquelle il a droit à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, pour justifier la violation d’un droit constitutionnel aussi fondamental que celui à la vie.

 

[23]           Le demandeur rappelle que l’interdiction de renvoi vers un pays pratiquant la peine de mort constitue une norme de droit international impérative dont la non‑observation entraîne une violation de l’article 7 de la Charte. Vu l’irréversibilité de la peine de mort, aucun objectif urgent ou réel ne saurait justifier celle-ci aux termes de l’article premier de la Charte.

 

[24]           Le demandeur insiste d’autant plus sur l’opportunité de s’interroger à ce moment-ci sur la constitutionnalité de l’article 98 de la Loi, que celle-ci n’a été tranchée jusqu’ici, ni dans l’affaire Barrera c. Canada (M.E.I.), [1993] 2 C.F. 3, ni dans l’affaire Xie c. Canada (M.C.I.), [2005] 1 R.C.F. 304, et dans aucune autre des décisions sur lesquelles le défendeur appuie ses prétentions à l’effet contraire.   

 

[25]           Dans son argument principal, le défendeur soumet, à l’inverse des prétentions du demandeur, que l’article 98 de la Loi ne vise pas le renvoi d’une personne vers son pays d’origine, mais le prive seulement du droit à l’asile. De plus cette exclusion n’a aucune portée directe sur la mesure de renvoi elle-même, n’a pas pour effet de la rendre exécutoire, et encore moins d’autoriser le renvoi.

 

[26]           Conséquemment, le défendeur plaide que l’argument constitutionnel du demandeur est prématuré tant et aussi longtemps que la mesure de renvoi ne devient pas exécutoire, ce qui est loin d’être le cas.

 

[27]           Le défendeur plaide aussi subsidiairement que, de toute façon l’article 98 de la Loi ne contrevient pas à l’article 7 de la Charte, puisque le seul fait d’exclure un demandeur de la qualité de « réfugié au sens de la Convention » ou de « personne à protéger » n’autorise pas pour autant son renvoi. Comment peut-on alors soutenir que l’article en question contrevient au droit à la vie, la liberté ou la sécurité du demandeur?

 

[28]           À supposer même que l’article 98 porte atteinte au droit à la vie et à la sécurité de la personne, l’atteinte n’en serait pas moins conforme au principe de la justice fondamentale, soutient le défendeur, compte tenu de l’économie de la Loi qui prévoit un mécanisme indépendant d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR), de sorte qu’il n’est pas nécessaire de procéder à un examen sous l’article 7 de la Charte.

 

Analyse

[29]           L’argument principal du demandeur revient ni plus, ni moins à chercher de conférer à la SPR un pouvoir discrétionnaire que la Loi attribue expressément au ministre. La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Xie, précité, ne partage malheureusement pas cet objectif.

 

[30]           Ne faisons pas dire à l’article 98 plus qu’il ne dit. Car lu et compris dans le contexte des autres dispositions de la Loi, cet article n’a pas pour objet de permettre le renvoi d’une personne vers son pays d’origine mais bien seulement de lui refuser le droit à l’asile.

 

[31]           L’arrêt Xie, précité aux paragraphes 30,32 et 33, indique clairement que :

[30] Ce n’est cependant pas parce que l’asile est refusé à quelqu’un qu’il n’a droit à aucune protection. L’article 113 précise en effet que les personnes visées au paragraphe 112(3) ont droit à ce que leur demande de protection soit décidée d’une part sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et d’autre part, en fonction de la question de savoir si elles constituent un danger pour le public au Canada ou pour la sécurité du Canada. C’est à l’article 97 que sont énumérés les motifs qui peuvent être invoqués pour se voir reconnaître la qualité de personne à protéger. 

 

(…)

 

[32] (…) Dans le cas des personnes visées au paragraphe 112(3), elle a pour effet de surseoir à la mesure de renvoi les visant. Une des conséquences de cette distinction est que les personnes protégées peuvent obtenir la résidence permanente et bénéficient du principe du non refoulement. 

 

[33] Voilà donc l’économie de la Loi en ce qui concerne la façon de trancher les demandes de protection. Elle comporte deux volets, le premier concernant les demandes d’asile et le second, les demandes de protection dans le contexte de l’examen des risques avant renvoi. Ceux qui font l'objet de l'exclusion prévue à l'article 98 n'ont pas droit à l'asile mais peuvent présenter une demande de protection à l'étape de l'examen des risques avant renvoi. Les motifs qui peuvent fonder la demande de protection sont les mêmes, mais le ministre peut se demander si le fait d'accorder la protection porterait atteinte à la sécurité du public ou à celle du Canada. Si la protection est accordée, il y a sursis de la mesure de renvoi prise contre le demandeur. Ce dernier ne peut obtenir le statut de résident permanent aussi facilement que la personne à qui l'asile a été conféré. 

 

 

[32]           L’argument constitutionnel du demandeur est donc défectueux dans la mesure où il confond une « mesure de renvoi exécutoire » et celle, comme dans l’espèce, « qui a pris effet ». La distinction entre les deux étapes de la mesure est explicite dans la Loi et a son importance puisque seule une mesure de « renvoi exécutoire » permet le renvoi éventuel d’une personne (art.48(2) de la Loi), contrairement à la mesure de « renvoi qui a pris effet » qui ne devient exécutoire que si elle ne fait l’objet d’aucun sursis (paragraphe 48(1) de la Loi).

 

[33]           Lors de la décision de la SPR, la mesure de renvoi émise contre le demandeur n’était que conditionnelle, et ne devait prendre effet que 15 jours après l’avis au demandeur de cette décision (alinéa 49(2)c) de la Loi).

 

[34]           Mais même si la mesure de renvoi a pris effet depuis, elle n’est pas devenue exécutoire pour autant si l’on tient compte de l’article 232 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, (le Règlement) qui prévoit comme suit :

232. Il est sursis à la mesure de renvoi dès le moment où le ministère avise l’intéressé aux termes du paragraphe 160(3) qu’il peut faire une demande de protection au titre du paragraphe 112(1) de la Loi. Le sursis s’applique jusqu’au premier en date des événements suivants :

a) le ministère reçoit de l’intéressé confirmation écrite qu’il n’a pas l’intention de se prévaloir de son droit;

b) le délai prévu à l’article 162 expire sans que l’intéressé fasse la demande qui y est prévue;

c) la demande de protection est rejetée;

d) …

e) …

f) s’agissant d’une personne visée au paragraphe 112(3) de la Loi, la révocation du sursis prévue au paragraphe 114(2) de la Loi.

 

232. A removal order is stayed when a person is notified by the Department under subsection 160(3) that they may make an application under subsection 112(1) of the Act, and the stay is effective until the earliest of the following events occurs:

(a) the Department receives confirmation in writing from the person that they do not intend to make an application;

(b) the person does not make an application within the period provided under section 162;

(c) the application for protection is rejected;

(d)

(e) …

(f) in the case of a person to whom subsection 112(3) of the Act applies, the stay is cancelled under subsection 114(2) of the Act.

 

 

[35]           C’est donc dire que le sursis s’applique jusqu’à la décision sur la demande de protection que le ministre a l’obligation, en vertu des paragraphes 160(1) et (3) du Règlement, d’autoriser le demandeur de déposer sous l’article 112(1) de la Loi.

 

[36]           Vu l’obligation du ministre de permettre au demandeur de déposer une demande de protection malgré le refus d’asile décrété par la décision du SPR, et considérant que cette demande de protection entraîne le sursis du renvoi, il s’ensuit nécessairement que cette décision ne saurait avoir pour effet de rendre le renvoi exécutoire et encore moins de l’autoriser.

 

[37]           Le demandeur n’est pas privé pour autant de son droit de requérir un examen des risques au fond (ERAR), auquel cas sa demande sera évaluée sur la base des éléments de risque énumérés à l’article 97 de la Loi. Il est donc inexact de soutenir que les risques qui visent le demandeur, et qu’énumère l’article 97 de la Loi, ne seront jamais considérés avant que la mesure de renvoi ne devienne exécutoire, à moins de renoncer à une évaluation des risques. Advenant l’acceptation de sa demande, le demandeur bénéficiera d’un sursis de son renvoi pour une durée illimitée, ou jusqu’à révocation pour cause valable par le ministre.

 

[38]           Il s’ensuit que si la mesure d’expulsion prise contre le demandeur n’était pas exécutoire au moment de la décision du SPR, et qu’elle ne l’est toujours pas, il devient pour le moins prématuré de conclure qu’elle le deviendra et que l’exclusion au droit d’asile constitue l’étape finale du processus de renvoi.

 

[39]           Étant donné l’économie de la Loi, les arguments quant à la constitutionalité de l’article 98 de la Loi sont prématurés lorsque invoqués avant qu’un demandeur ait atteint l’étape finale de la mesure d’expulsion (arrêt Xie, précité; au même effet voir Arica c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 182 N.R. 392, au par. 14).  

 

[40]           En attaquant l’article 98 de la Loi, le demandeur suppose implicitement et erronément que son exclusion du droit à l’asile équivaut à l’expulser du Canada. Un tel raisonnement, comme le souligne l’arrêt Xie (précité, par. 36), va à l'encontre de l'économie de la Loi puisque « l’exclusion n’a pas pour objet d’expulser [le demandeur] du Canada. Elle vise à [l’] empêcher de bénéficier du droit d’asile » et celui-ci n’en conserve pas moins son droit de revendiquer la protection prévue à l’article 112 de la Loi.

 

[41]           Liée par cet arrêt, la Cour se doit de conclure que le demandeur n’a démontré aucune erreur dans la décision du commissaire justifiant une intervention pour annuler celle-ci. Il n’y a pas plus lieu pour la Cour de se prononcer sur la constitutionalité de l’article 98 vu la prématurité de cette demande.

 

[42]           Le demandeur insiste beaucoup sur le fait que la décision du ministre d’accorder ou pas un sursis de renvoi, suite à un ERAR, repose sur un pouvoir discrétionnaire dont on ne peut prévoir le résultat. Mais si le demandeur dit vrai, il omet par ailleurs de prendre en considération le principe voulant que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit respecter les exigences constitutionnelles prévues par la Charte et les valeurs et obligations internationales défendues par le Canada (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, paragraphes 32 et 41).

 

[43]            La protection recherchée par le demandeur contre la peine de mort qu’il craint advenant un renvoi dans son pays d’origine ne passe pas nécessairement, comme il le soutient avec vigueur, par un droit d’asile au Canada.

 

[44]           Car au moment d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, le ministre ne peut ignorer les valeurs fondamentales défendues par le Canada, tant sur le plan national qu’international, et plus particulièrement celles touchant la peine de mort. Le ministre devrait s’assurer, avant de lever le sursis sur le renvoi et que cette mesure devienne exécutoire, d’obtenir des garanties suffisantes que le renvoi d’un demandeur vers son pays d’origine, ne contrevient pas aux valeurs auxquelles croit le Canada. Le ministre peut toujours exiger du pays d’origine de telles garanties pour protéger un demandeur contre l’imposition d’une peine qui viole les principes de la justice fondamentale.

 

[45]           Ce refus du droit d’asile opposé par le SPR ne prive pas le demandeur du droit de revendiquer la protection prévue à l’article 112 de la Loi. Et advenant qu’il exerce ce droit malgré ses craintes, rien ne laisse prévoir, « à moins de prêter des intentions au ministre » que celui-ci exercerait son pouvoir discrétionnaire de façon non judiciaire et sans respecter les valeurs défendues par le Canada.

 

[46]           Pour tous ces motifs la Cour se doit de rejeter le recours du demandeur, parce que prématuré et mal fondé en droit. En décidant ainsi, la Cour n’abdique pas pour autant le rôle important qu’elle pourrait être appelée à jouer pour s’assurer que le ministre a examiné les facteurs pertinents et qu’il s’est conformé aux exigences de la Loi et de la Constitution. Mais alors seulement si un besoin présent existe.

 

Questions proposées par la demanderesse pour certification

[47]           La demanderesse soumet pour certification les questions suivantes :

[1]   Priver les personnes tombant sous le coup des exceptons liées à la sécurité énoncées dans la Convention relative au statut des réfugiés et ses protocoles du bénéfice d’une audience devant la Section de la protection des réfugiés pour faire examiner leur demande au fond et les empêcher de se voir reconnaître de la qualité de personne à protéger (art.97-98) porte-t-il atteinte à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et l’article 3 de la Convention contre la torture?

 

[2]   Le caractère absolu de la protection contre le renvoi, en toutes circonstances, vers la torture de l’article 3 de la Convention contre la torture est-il respecté du fait que la personne privée d’un examen juridictionnel au fond par un tribunal spécialisé (CISR) puisse se prévaloir de l’examen des risques avant renvoi et faire des représentations au Ministre (ERAR) quant aux risques de torture ou de traitements cruels?

 

[3]   Est-il prématuré de contester, devant la CISR, la validité constitutionnelle de l’article 98 qui prévoit l’application des clauses d’exclusion de la Convention de Genève aux personnes qui demandent l’asile aux termes de la Convention contre la torture, compte tenu du fait qu’une décision excluant cette personne a pour effet de rendre le renvoi exécutoire (art. 49)?

 

[48]           Le demandeur soumet qu’ainsi formulées ces questions sont graves et de portée générale tel que requis par l’article 74d) de la Loi.

 

[49]           Le défendeur s’oppose à la certification des questions proposées et soumet qu’aucune de ces questions ne répond aux critères établis par la Cour d’appel fédérale. Et que peu importe leur nombre et leur formulation, les questions ne visent qu’un seul but, soit attaquer la constitutionalité de l’article 98 de la Loi.

 

[50]           Les questions proposées rencontrent-elles les critères énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (M.C.I.) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL), [1994] 176 N.R. 4 ?

[4] Lorsqu’il certifie une question sous le régime du paragraphe 83(1), le juge des requêtes doit être d’avis que cette question transcende les intérêts des parties au litige, qu’elle aborde des éléments ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. (voir l’excellente analyse de la notion d’importance qui est faite par le juge Catzman dans la décision Rankin v. McLeod, Young, Weir Ltd, et al., (1986) 57 O.R. (2d) 569 (H.C. de l’Ont.) et qu’elle est aussi déterminante quant à l’issue de l’appel. Le processus de certification qui est visé à l’article 83 de la Loi sur l’immigration ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l’article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale ni être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la Cour d’appel, des jugements déclaratoires à l’égard de questions subtiles qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler une affaire donnée.

 

 

[51]           Retenons de plus que dans l’affaire Huynh c. Canada, [1995] 1 C.F. 633, 646 (T.D.), confirmée à [1996] 2.C.F 976 (C.A.F.), cette Cour précise que pour justifier sa certification, la question doit soulever non seulement des questions de droit de portée générale, mais encore faut-il que la question n’ait pas été déjà tranchée.

 

[52]           La première question a déjà été tranchée par la Cour d’appel fédérale dans Xie, précité, au par. 39, alors qu’elle conclut que le fait de priver un individu visé au paragraphe 1F de la Convention de son droit d’être entendu sur sa demande d’asile au fond devant la CISR ne contrevient pas à l’article 7 de la Charte, et à fortiori donc à l’article 3 de la Convention contre la torture qui ne s’applique, tel que précédemment indiqué qu’à l’étape de l’expulsion.

 

[53]           La deuxième question n’est pas plus déterminante quant à l’issue de l’appel et s’apparente plus à l’obtention d’un jugement déclaratoire sur celle-ci, alors qu’il n’est pas nécessaire d’éclaircir cette question pour déterminer l’issue du présent contrôle judiciaire.

 

[54]           Dans cette question le demandeur réfère à l’article 3 de la Convention contre la torture qui traite de l’expulsion d’un individu. Mais vu la conclusion précédente à laquelle en arrive la Cour sur cette question et vu aussi la réponse de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Xie, précité, à l’effet que les arguments quant à la constitutionalité de l’article 98 de la Loi sont prématurés lorsque invoqués avant que le demandeur, comme c’est le cas ici, ait atteint l’étape finale de la mesure d’expulsion, il n’y a pas lieu de certifier la deuxième question.

 

[55]            Quant à la troisième question, la Cour a déjà expliqué longuement dans ses motifs que celle-ci découle d’une prémisse erronée résultant du fait que le demandeur confond la mesure de renvoi qui a pris effet avec la mesure de renvoi exécutoire. Or, l’arrêt Xie, précité, reconnaît la distinction et répond clairement par la négative à cette question de sorte qu’elle ne mérite pas plus que les deux autres la certification.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR pour ces motifs :

 

                     - REJETTE la demande de contrôle judiciaire; et

 

                     - REFUSE de certifier les questions proposées.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2098-07

 

INTITULÉ :                                      Roger Eugene Shephard c. Le ministre de la Citoyenneté

                                                           et de l’Immigration et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 21 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 26 mars 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Marie-Hélène Giroux

Me Clemente Monterosso

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Lisa Maziade

Me Alexandre Tavadian

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Monterosso Giroux s.e.n.c.

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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