Toronto (Ontario), le 17 mars 2008
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY
ENTRE :
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1]
En
2005, Mme Theresa Murphy a demandé à un tribunal de révision
d’examiner des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de sa demande de
prestations d’invalidité présentée en vertu du Régime de pensions du Canada,
L.R.C. 1985, ch. C-8 (le RPC). Le tribunal avait précédemment rejeté sa demande
en 1999 au motif que la preuve n’établissait pas que sa situation satisfaisait
à la définition d’« invalidité » au sens du paragraphe 42(2) du RPC
(les dispositions citées sont reproduites en annexe).
[2]
Le
tribunal a conclu que les éléments de preuve présentés par Mme
Murphy n’étaient pas nouveaux et a refusé de réexaminer sa décision antérieure
rejetant la demande.
[3]
Mme
Murphy allègue que la conclusion du tribunal était déraisonnable et me demande
d’ordonner au tribunal d’examiner les éléments de preuve supplémentaires.
Cependant, je ne peux trouver aucune raison justifiant l’annulation de la
décision du tribunal et je dois, par conséquent, rejeter la présente demande de
contrôle judiciaire.
I. Question en litige
[4]
La
conclusion du tribunal de révision selon laquelle les éléments de preuve
présentés par Mme Murphy n’étaient pas « nouveaux »
était-elle déraisonnable?
II. Analyse
1. Contexte
factuel
[5]
Pendant
de nombreuses années, Mme Murphy a travaillé comme serveuse dans
l’armée. En 1996, elle a accepté une offre d’indemnité pour départ
volontaire du gouvernement et n’a pas travaillé depuis.
[6]
Depuis
le début des années 90, Mme Murphy souffre de problèmes aux genoux.
Au fil des ans, divers médecins l’ont examinée, ont formulé des diagnostics
quant à son état et l’ont traitée. Dans sa demande de prestations d’invalidité
de 1998, elle a présenté des rapports de son médecin de famille, d’un
rhumatologue, d’un chirurgien orthopédiste et d’un psychiatre. Le tribunal a examiné
ces éléments de preuve et a jugé que Mme Murphy ne pouvait pas être
considérée invalide. Le tribunal s’est particulièrement fondé sur l’avis du Dr
Kevin Orell, le chirurgien orthopédiste, qui a affirmé que Mme
Murphy [traduction]
« éprouverait des difficultés dans un emploi où elle aurait à demeurer
debout ou à être dans une même position pendant une longue période » et [traduction] « aurait de la
difficulté à soulever des objets ou à effectuer des travaux exigeants sur le
plan physique ». Le RPC prévoit qu’une personne est « invalide »
si elle est atteinte d’une invalidité « grave et prolongée », la
rendant « régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement
rémunératrice » pendant une période longue ou indéfinie (alinéa 42(2)a)).
À la lumière de ces éléments de preuve et de l’avis du Dr Orell, le
tribunal de révision a rejeté la demande de Mme Murphy.
[7]
En
2005, Mme Murphy a demandé au tribunal de révision d’exercer le
pouvoir lui étant conféré par le paragraphe 84(2) du RPC afin d’annuler son
ordonnance antérieure au motif qu’il existait des « faits nouveaux ».
Elle avait obtenu des dossiers médicaux supplémentaires des années 90 et
un autre avis du Dr Orell. Selon le tribunal de révision, ces éléments de
preuve ne révélaient pas de « faits nouveaux », puisqu’ils
n’ajoutaient rien à ce qu’il avait pris en compte en 1999.
2. Cadre
législatif
[8]
La
période d’admissibilité aux prestations d’invalidité de Mme Murphy a
pris fin le 31 décembre 1998. La question dont était saisi le tribunal en
1999 était donc de savoir si Mme Murphy était invalide à cette
date. Comme il a été indiqué, le tribunal peut par la suite examiner des faits
nouveaux et annuler sa décision antérieure, mais la question principale est
toujours de savoir si Mme Murphy était invalide à la fin de l’année
1998.
[9]
Il
faut appliquer deux critères pour déterminer si des faits devraient être
considérés comme « nouveaux » pour l’application du paragraphe 84(2)
du RPC. Premièrement, les éléments de preuve présentés par le demandeur ne doivent
pas avoir pu être découverts, malgré une diligence raisonnable, avant la
première audience. Deuxièmement, les éléments de preuve doivent être
substantiels, c’est‑à-dire qu’on doit pouvoir raisonnablement croire
qu’ils auraient conduit à une décision autre que celle de l’audience antérieure
(Kent c. Canada (Procureur général) (2004), 248 D.L.R. (4th)
12; Mazzotta c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. no
1209 (C.A.F.) (QL)).
[10]
Le
tribunal a jugé que le premier critère avait été rempli en l’espèce, de sorte
qu’il n’est pas en litige. La seule question qui se pose est de savoir si on
pouvait raisonnablement croire que les éléments de preuve présentés par Mme
Murphy en 2005 auraient conduit à une conclusion autre que celle tirée
antérieurement selon laquelle la demanderesse n’était pas invalide en 1998.
3. Preuve
[11]
La
preuve présentée par Mme Murphy en 2005 était constituée
principalement de dossiers médicaux des années 90. Ces dossiers indiquaient que
Mme Murphy avait souffert de problèmes aux genoux depuis le début
des années 90, et que sa situation s’aggravait au fil du temps. Ces dossiers
ont été examinés par le Dr Orell, qui a rédigé un deuxième avis le 8 mars 2005,
dans lequel il a affirmé :
[traduction] Selon moi, cette dame était atteinte d’une invalidité importante en 1998. J’ai jugé que l’arthrite, qui avait été vue au cours d’un examen radiologique et d’une arthroscopie, était suffisante pour expliquer pourquoi cette dame éprouvait des difficultés pendant les activités de la vie quotidienne dans sa propre maison. Je croyais en fait qu’elle était tellement incommodée par les activités ordinaires quotidiennes qu’elle aurait beaucoup de difficulté à détenir une occupation rémunératrice quelconque. J’étais d’avis qu’elle était invalide.
En fait, selon moi, cette dame était
atteinte d’une invalidité totale lorsque je l’ai examinée pour la première fois
en août 1998.
[12]
À
mon avis, les dossiers médicaux fournis par Mme Murphy ne révélaient
pas de « faits nouveaux ». Ils révèlent simplement que la demanderesse
souffrait de problèmes sérieux aux genoux dans les années 90, pour lesquels
elle a demandé des soins médicaux. Le tribunal était conscient de ce fait en
1999. Ces dossiers supplémentaires ne pouvaient pas raisonnablement conduire à
une décision autre que la décision antérieure.
[13]
Pour
ce qui est du deuxième avis donné par le Dr Orell, je souligne une différence
frappante entre celui-ci et son premier rapport. Le Dr Orell avait en fait
affirmé en 1998 que Mme Murphy pouvait travailler, mais qu’elle ne
pouvait exercer aucune activité ardue. En 2005, le Dr Orell a revu son avis et
a affirmé que Mme Murphy était atteinte d’une invalidité totale et
qu’elle était incapable de détenir une occupation rémunératrice quelconque
depuis le jour où il l’avait examinée pour la première fois en août 1998. Le Dr
Orell n’a donné aucune raison expliquant pourquoi il avait revu son examen de
l’aptitude au travail de Mme Murphy. Dans ces circonstances, la
conclusion du tribunal selon laquelle la deuxième opinion du Dr Orell n’était
pas susceptible de conduire à une décision autre que sa décision antérieure
était raisonnable.
[14] Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.
« James W. O’Reilly »
Traduction certifiée conforme
Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.
Annexe « A »
Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8
Personne déclarée invalide 42 (2) Pour l’application de la présente loi : a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa : (i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice, (ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès; b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été établie.
Annulation ou modification de la décision
(2) Indépendamment du paragraphe (1), le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui-même rendue ou qu’elle a elle-même rendue conformément à la présente loi. |
Canada Pension Plan, R.S.C. 1985, c. C-8
When a person deemed disabled 42 (2) For the purposes of this Act, (a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph, (i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and (ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and (b) a person shall be deemed to have become or to have ceased to be disabled at such time as is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.
Rescission or amendment of decision
84 (2) The Minister, a Review Tribunal or the Pension Appeals Board may, notwithstanding subsection (1), on new facts, rescind or amend a decision under this Act given by him, the Tribunal or the Board, as the case may be. |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1704-06
INTITULÉ : THERESA MURPHY
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU
CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : SYDNEY (NOUVELLE-ÉCOSSE)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 12 MARS 2008
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : LE 17 MARS 2008
COMPARUTIONS :
Vincent A. Gillis |
|
Tania Nolet |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Vincent A. Gillis Inc. Sydney (Nouvelle-Écosse)
|
|
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |