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Date : 20080312

Dossier : T-1506-06

Référence : 2008 CF 371

Ottawa (Ontario), le 12 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

 

ENTRE :

GIOVANNI ZEN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               M. Zen sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par le ministre du Revenu national, qui a rejeté sa demande fondée sur les dispositions d’équité visant l’obtention d’un allègement en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi).

 

[2]               Cette demande ne constitue que le dernier chapitre d’une saga qui a commencé au début des années 1980 et qui sera décrite ci‑dessous dans les faits.

 

[3]               Au début de l’audience, reconnaissant qu’il n’avait pas demandé une exception en vertu de l’article 302 des Règles des Cours fédérales pour que sa demande porte sur plus d’une seule ordonnance, le demandeur, avec le consentement du défendeur, a demandé et a obtenu l’autorisation de modifier l’avis de demande de sorte qu’il ne s’applique qu’à la décision susmentionnée[1].

 

[4]               Étant conscient en outre que, au mieux, la décision contestée avait été prise ou au moins qu’il en avait été informé en août 2005, le demandeur a aussi demandé à la Cour d’examiner sa requête présentée de vive voix en prorogation de délai pour le dépôt de sa demande concernant cette décision, le tout en se fondant sur les documents déjà déposés. La Cour a autorisé le demandeur à poursuivre ladite requête, étant entendu que le défendeur pourrait déposer des observations supplémentaires à la suite de l’audience.

 

I. Les faits

[5]               M. Zen est devenu administrateur de la société Pacific Refineries Inc. (Pacific) en 1981[2]. Au cours des années suivantes, la société a omis de verser diverses retenues à la source quant aux salaires et elle a reçu cinq cotisations distinctes à cet égard (trois avis de cotisation en 1982, un en 1983 et un en 1984).

 

[6]               En 1986, les conditions énoncées au paragraphe 227.1(2) de la Loi quant à la responsabilité des administrateurs ayant été respectées, Revenu Canada a envoyé à M. Zen une cotisation en date du 8 décembre 1986 au montant de 103 463,32 $ pour des retenues, des intérêts et des pénalités non payés qui auraient dû l’être par Pacific au titre des avis de cotisation susmentionnés.

 

[7]               Pour diverses raisons, l’appel de M. Zen relativement à la cotisation de 1986 dont la Cour canadienne de l’impôt était saisie a duré jusqu’en 1996, lorsque dans le cadre d’un règlement plus global concernant d’autres questions, M. Zen a accepté de se désister de son appel. Les parties ont déposé des éléments de preuve quant à la question de savoir si ledit règlement prévoyait l’application future des dispositions en matière d’équité à la cotisation de 1986. La Cour n’a pas besoin de faire d’autres observations sur ce sujet, sauf pour souligner que cela fait partie des faits et que les parties s’entendent maintenant pour dire que le règlement ne prévoyait rien à cet égard.

 

[8]               D’après les éléments déposés en preuve par le demandeur (l’affidavit de M. Colin Moran), après 1986, M. Zen n’a reçu aucune communication de Revenu Canada portant sur la cotisation de 1986 avant le 2 février 1999, jour où il a reçu une lettre à laquelle était annexée une demande formelle de paiement d’un montant de 351 328,46 $ (103 463,32 $ plus les intérêts accumulés depuis 1986)[3]. Selon l’affidavit de Lynn Sherman, agente de perception à l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), d’autres communications sont mentionnées dans le dossier : une communication écrite en date de mai 1996 (aucune copie n’est fournie) et deux conversations entre les représentants de M. Zen et des agents de l’ARC, l’une en juin 1996 et l’autre en octobre 1998. En mai 1996, M. Zen aurait été avisé que l’ARC demandait le paiement intégral (ce montant incluait censément les intérêts) et, plus tard, que s’il désirait présenter une demande fondée sur les dispositions d’équité quant à la cotisation, il serait obligé de le faire par écrit.  

 

[9]               Après avoir reçu la cotisation du 2 février 1999 et après avoir récupéré ses anciens dossiers qui étaient présumés fermés, M. Zen a répondu le 10 juin 1999 à la lettre de l’ARC et a envoyé une copie de sa réponse au ministre du Revenu de l’époque, l’honorable Herb Dhaliwal. Dans sa lettre, M. Zen exprimait qu’il était à la fois surpris et troublé de savoir que l’ARC tentait de recouvrer une dette fiscale qu’il croyait avoir été réglée plus de trois ans auparavant. Il a affirmé qu’à son avis, le ministre s’était engagé à appliquer des dispositions en matière d’équité à sa dette fiscale, et il a demandé un examen immédiat à cet égard. Le 19 juillet 1999, M. Zen a reçu une lettre de réponse de l’honorable Herb Dhaliwal dans laquelle il déclarait qu’il avait demandé à des hauts fonctionnaires de Revenu Canada d’examiner l’affaire et de l’informer dès que possible à ce sujet.

 

[10]           Dans son affidavit, M. Moran fait savoir que M. Zen n’a pas reçu de lettre de réponse d’un haut fonctionnaire de Revenu Canada ou de toute autre personne de Revenu Canada avant le 3 août 2005, lorsque Mme Sherman lui a écrit pour demander le paiement du montant de 593 739,12 $. Il ressort de l’affidavit de M. Moran qu’il avait cru jusque‑là que la cotisation en cause de M. Zen avait été réexaminée et qu’en raison de son cheminement inhabituel et de la façon anormale dont M. Zen avait été traité, Revenu Canada avait décidé de ne pas poursuivre sa réclamation. Il n’y a aucune mention de la dette principale de 103 463,32 $ établie dans la cotisation ou de la raison pour laquelle ce montant n’avait pas été payé. (En fait, ce n’est qu’en février 2007 que le demandeur a réellement payé ce montant.)

 

[11]           M. Moran fait également remarquer, toutefois, que quelque temps après avoir reçu la lettre du ministre, il a reçu l’appel d’une femme du cabinet du ministre. M. Moran se souvient ainsi de cet appel : [traduction] « Elle a dit que les dispositions en matière d’équité ne s’appliquaient pas à l’année 1985 et aux années antérieures. J’ai souligné que M. Zen n’avait pas fait l’objet d’une cotisation avant 1986. Ce fut une brève conversation. » De plus, il ressort de l’affidavit de Mme Sherman que la personne en question, Lois Willett, était l’agente responsable du courrier du ministre ayant trait aux comptes clients. Mme Willett a informé Mme Sherman que le 29 juillet 1999, avant de parler à M. Moran, elle avait communiqué avec M. Zen lui‑même pour donner suite à sa lettre du 10 juin. C’est censément M. Zen qui a demandé à Mme Willett de parler à M. Moran.

 

[12]           Le 11 août 2005, à la suite de sa prétendue lettre d’avertissement du 3 août 2005, Mme Sherman a rédigé une lettre à l’intention de l’avocat de M. Zen pour donner suite à une lettre également en date du 11 août 2005, dans laquelle on peut lire, entre autres, ce qui suit :

[traduction]

D’après un examen de nos dossiers, M. Zen a présenté une demande en vertu de la politique d’équité. Cependant, cette demande fut rejetée parce que la dette concernait des cotisations pour des années antérieures à 1985. L’option d’équité ne s’applique qu’aux cotisations pour les années d’imposition ultérieures à 1985. M. Zen a été avisé que sa demande fondée sur les dispositions d’équité avait été examinée puis rejetée et qu’il devait prendre des arrangements de paiement.

 

[13]           Moins de deux semaines plus tard, soit le 23 août, M. Zen s’est vu signifier cinq avis de demande de renseignements (les demandes de renseignements) présentés en vertu de l’alinéa 231.2(1)a) de la Loi.

 

[14]           Le 23 septembre 2005, l’avocat de M. Zen a répondu à Mme Sherman en faisant savoir qu’il visait, par sa lettre, à soulever un certain nombre de questions en vue de trouver des points communs avant d’engager toute procédure. À la page 4 de cette lettre, l’avocat a déclaré que [traduction] « à ce jour, M. Zen n’a reçu aucune réponse écrite de la part de Revenu Canada ou du ministre (à moins que la lettre du 11 août 2005 de Mme Sherman doive être considérée comme une réponse?). » La lettre se termine par le commentaire suivant à la page 9 : [traduction] « Quelle que soit la façon dont on considère les faits et le droit applicable, il est évident que vu le cheminenent long et complexe de l’affaire, M. Zen mérite un certain allègement. Encore une fois, avant d’engager une autre longue procédure, nous serions heureux de discuter de ces questions avec vous et/ou votre avocat. » À compter de ce moment-là, et jusqu’à la semaine du 24 juillet 2006, des discussions « sous toutes réserves » ont eu lieu entre des agents de l’ARC et l’avocat de M. Zen en vue de la résolution de la question concernant la cotisation de M. Zen[4].

 

[15]           Le 2 août 2006, le ministre du Revenu national a déposé un avis de demande dans lequel il sollicitait une ordonnance d’exécution quant aux demandes de renseignements présentées en vertu de l’article 231.2 de la Loi (dossier de la Cour no T-1360-06). Le 17 août 2006, M. Zen a déposé son avis de demande dans le présent dossier.

 

[16]           Dans son affidavit, Mme Sherman fait savoir que dans sa lettre du 11 août 2005 à l’intention de l’avocat de M. Zen, elle avait tort de déclarer que l’examen des dossiers révélait que M. Zen avait présenté une demande fondée sur les dispositions d’équité et que sa demande avait été examinée et rejetée. Elle explique son erreur au paragraphe 19 de son affidavit.

 

 

 

II. Analyse

[17]           Les questions de droit soulevées par la requête du demandeur dans le cadre de la présente demande ne sont pas particulièrement complexes. Cependant, le seul point de fait qui soit essentiel à la résolution tant de la requête que de la demande, c’est‑à‑dire le moment où la décision contestée a été prise ou communiquée, n’est pas clair.

 

[18]           En fait, le défendeur a même soutenu qu’il n’y avait eu aucune demande fondée sur les dispositions d’équité et aucune décision en l’espèce. Il a ensuite déclaré subsidiairement que si la lettre du 10 juin 1999 de M. Zen constituait vraiment une demande fondée sur les dispositions d’équité et présentée en bonne et due forme, la décision du ministre avait été prise et communiquée au demandeur en juillet 1999.

 

[19]           Bien que l’on puisse lire au paragraphe 8 de la Circulaire IC92-2 intitulée « Lignes directrices concernant l’annulation des intérêts et des pénalités » en date du 18 mars 1992 que les contribuables « […] peuvent faire la demande en écrivant au centre fiscal […] » ou en envoyant leur demande « […] au bureau de district qui dessert leur région », et au paragraphe 9 que certains renseignements sont requis, les parties s’entendent pour dire qu’il n’existe aucune exigence particulière à cet égard dans la Loi ou son Règlement.

 

[20]           Dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu des questions à trancher, la Cour est disposée à travailler sur le meilleur scénario[5] possible pour le demandeur et à présumer qu’une telle demande a été présentée en 1999, tout comme Mme Sherman l’avait affirmé en août 2005. La question de savoir quand le demandeur a été informé du rejet de sa demande sera abordée lors de l’examen de l’explication donnée quant au retard accusé pour le dépôt de la demande.

 

[21]           Les principes applicables à la requête en prorogation de délai sont bien connus et sont énoncés dans de nombreuses décisions de la Cour et de la Cour d’appel fédérale. Dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, [2007] A.C. F. no 37, aux paragraphes 32 et 33, le juge Gilles Létourneau a résumé ces principes comme suit :

[32]           Il n’y a aucun débat quant au critère juridique qui s’applique à une requête visant une prorogation de délai pour la présentation d’une demande d’autorisation d’appel; voir Marshall c. Canada, [2002] A.C.F. no 669, 2002 CAF 172; Neis c. Baksa, [2002] A.C.F. no 832, 2002 CAF 230. Ce qu’il faut, c’est :

a)  qu’il y ait eu et qu’il y ait une intention constante de la part de la partie qui présente la requête de poursuivre l’appel;

b)  que les moyens d’appel révèlent une cause défendable;

c)  qu’il y ait une explication raisonnable pour le retard de la partie défaillante;

d)  que la prorogation de délai ne cause aucun préjudice à l’autre partie.

 

[33]        Ce critère ne va pas à l’encontre de la déclaration formulée par la Cour il y a plus de vingt (20) ans dans la l’arrêt Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263, selon laquelle l’aspect fondamental à prendre en considération dans une demande de prorogation de délai consiste à s’assurer que justice est faite entre les parties. Le critère à quatre volets susmentionné sert d’appui à l’application de cet aspect fondamental. Il s’ensuit qu’une prorogation de délai peut être accordée même si l’un des volets du critère n’est pas respecté; voir Grewal c. Canada, précité, aux pages 278 et 279.

 

[22]           La Cour examinera les quatre critères susmentionnés selon l’ordre dans lequel ils ont été présentés à l’audience.

 

A. La cause défendable

[23]           En 1999, le paragraphe 220(3.1) était rédigé comme suit :

220(3.1) Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.       

 

 

[24]           Ce paragraphe a été modifié en 2005 par la Loi no 2 d’exécution du budget de 2004, L.C. 2005, ch. 19, article 48 (sanctionné le 13 mai 2005), pour être rédigé comme suit :

220(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

 

 

[25]           Dans Montgomery  c. Canada (Ministre du Revenu national), [1994] A.C.F. no 624, la Cour fédérale a conclu que le pouvoir du ministre de renoncer aux pénalités et aux intérêts ne s’applique qu’à l’année 1985 et aux années ultérieures. Cela était fondé sur la conclusion selon laquelle le paragraphe 127(5) de la L.C. 1993, ch. 24, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu, imposait une restriction quant à la période pour laquelle le ministre avait le droit d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 220(3.1).

 

[26]           En l’espèce, il semble que le ministre ait rejeté la demande fondée sur les dispositions d’équité présentée par M. Zen au motif que la cotisation, même si elle avait été établie en 1986, concernait les années d’imposition 1981, 1982 et 1983 (voir les cotisations fiscales de Pacific susmentionnées) et que, par conséquent, elle précédait l’année critique de 1985. Cette interprétation repose sur le fait que, au regard du paragraphe 227.1(1), M. Zen est et était solidairement responsable de la dette fiscale de la société Pacific.

 

[27]           En raison des conditions énoncées au paragraphe 227.1(2), le recouvrement de cette dette – ce qui comprend l’établissement d’une cotisation fiscale personnalisée à l’égard de M. Zen lui-même) – a été reporté jusqu’en 1986. La dette fiscale de M. Zen se rapporte donc aux années d’imposition 1981, 1982 et 1983 et le ministre nie avoir quelque pouvoir que ce soit de renoncer aux intérêts comme M. Zen lui a demandé de faire.

 

[28]           Le demandeur interprète la disposition différemment. Selon lui, le paragraphe 227.1(1) dit quels administrateurs sont responsables de la dette fiscale d’une société (voir la décision du juge Marshall Rothstein dans Kyte c. Sa Majesté la Reine, 96 DTC 6050 (C.F. 1re inst.)), tandis que le paragraphe 227.1(2) énonce les conditions préalables à l’engagement de leur responsabilité pour la dette fiscale de la société, comme la Cour canadienne de l’impôt l’a expliqué clairement dans Green c. MRN, 90 DTC 1898.

 

[29]           Par conséquent, la réponse à cette question repose essentiellement sur l’interprétation de l’expression « intérêt payable […] par un contribuable […] en application de la présente loi […] » tiré du paragraphe 220(3.1).

 

[30]           Il est convenu que les seuls intérêts contestés par les parties sont ceux courus sur la cotisation personnelle établie en 1986. Le ministre convient aussi que son pouvoir de réclamer des intérêts en l’espèce est fondé sur le paragraphe 227.1(1) plutôt que sur son droit d’imposer des pénalités et des intérêts sur les cotisations de Pacific à proprement parler :

 

227.1(1) Lorsqu’une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu aux paragraphes 135(3) ou 135.1(7) ou aux articles 153 ou 215, ou a omis de verser cette somme ou a omis de payer un montant d’impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d’imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s’y rapportant.

 

[31]           À ce point‑ci, pour ce qui est de déterminer s’il y a lieu ou non d’accorder une prorogation et compte tenu du fait que les parties conviennent que Kyte, précitée, est la seule décision qui s’applique à la présente affaire, je suis convaincue que le demandeur a une cause d’action solide concernant cette question. 

 

[32]           La Cour fait remarquer que outre l’argument examiné précédemment, M. Zen conteste aussi le pouvoir du ministre d’imposer des pénalités et des intérêts en invoquant la responsabilité d’un administrateur en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi. Le demandeur à l’intention de présenter cet argument si le défendeur décide de solliciter de nouveau une ordonnance d’exécution.

 

[33]           Le défendeur avance un autre argument fondé sur le fait qu’en 2005, lorsque le paragraphe 220(3.1) a été modifié, une nouvelle condition a été ajoutée : désormais, une personne devait demander un allègement avant le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou sur demande de ce contribuable faite au plus tard ce jour‑là. Étant donné que le défendeur soutient qu’aucune demande d’allègement fondée sur les dispositions d’équité n’a été présentée par le demandeur, il allegue que le délai de dix ans l’empêche maintenant d’accepter une telle demande.   

 

[34]           Bien que la Cour apprécie la logique sous-tendant cet autre argument du défendeur, il n’en demeure pas moins que le demandeur a établi qu’il a une cause défendable quant à son allégation qu’il a présenté une demande d’examen fondée sur les dispositions d’équité en 1999 et, comme je l’ai déjà mentionné, la Cour accepte à ce point‑ci de présumer qu’une telle demande a été présentée.

 

B. L’explication du retard

[35]           M. Zen affirme que si en réalité la Cour conclut que la décision du ministre a été prise en 1999, elle devrait tenir compte du fait que, comme il est mentionné aux paragraphes 32, 33 et 34 de l’affidavit de M. Moran, il a cru jusqu’au 11 août 2005 qu’aucune décision définitive n’avait été prise quant à sa demande et que l’ARC avait simplement décidé de ne pas poursuivre sa demande.

 

[36]           M. Zen soutient également qu’après avoir été informé du rejet en août 2005 et comme il était mentionné dans la lettre du 23 septembre 2005 de son avocat, il prévoyait clairement contester la décision du ministre et intenter une procédure judiciaire au besoin. Cependant, vu le cheminement du dossier, il était tout à fait raisonnable qu’il tente d’abord de négocier un règlement de l’affaire.

 

[37]           Comme il est mentionné dans l’affidavit de M. Moran, lesdites négociations se sont poursuivies jusqu’à l’été 2006 et bien qu’il n’y ait pas de détails quant à la raison pour laquelle aucune demande n’a été présentée tout de suite après la clôture des négociations[6], le demandeur affirme que vu le moment et la séquence des faits, on peut conclure qu’il a présenté sa demande de contrôle judiciaire dès qu’il a été en mesure de le faire par la suite.

 

[38]           La Cour estime que l’explication du demandeur, selon laquelle il croyait que Revenu Canada avait décidé de ne pas poursuivre sa réclamation, n’est pas raisonnable ou même vraisemblable étant donné la teneur et le contenu réels de ses communications avec l’ARC depuis 1996 et vu qu’il n’avait même pas payé la dette principale découlant de la cotisation de 1986, qui ne serait pas visée par une demande fondée sur les dispositions d’équité en tout état de cause. En fait, même si la Cour concluait que la décision communiquée en 2005 était la décision définitive, elle ne pourrait pas faire abstraction du fait que tant M. Zen que M. Moran avaient d’abord été informés en juillet 1999 qu’il y avait un problème relativement à l’application des dispositions en matière d’équité. Si, à ce moment‑là, M. Zen avait pu présumer que cela résultait d’un malentendu quant aux années d’imposition comprises dans la cotisation, cela n’était plus le cas en 2005 parce qu’il était clair que la décision n’était pas fondée sur un malentendu et qu’elle n’avait pas changé depuis 1999. À ce moment‑là, M. Moran avait clairement fait savoir qu’à son avis, la cotisation s’appliquait à l’année 1986 et non aux années 1981 à 1984.

 

[39]           De plus, il est évident que M. Zen bénéficiait en tout temps de l’aide de conseillers juridiques. C’est pourquoi il ne pouvait pas ou n’aurait pas dû négliger de tenir compte des délais stricts applicables à l’égard du dépôt d’une demande de contrôle judiciaire. À cet égard, la Cour fait remarquer que la seule existence de négociations entre les parties ne permet pas en soi de reporter des délais. Comme l’a déclaré le juge John Evans au paragraphe 12 de Eli Lilly and Co. c. Abbott Laboratories, [1999] A.C.F. no 466 : « Les avocats d’expérience savent bien que les discussions en vue d’un règlement peuvent traîner en longueur et que, dans l’intervalle, ils ne doivent pas oublier les délais de prescription. » Même s’il a été présenté, de toute évidence, dans un contexte différent, ce commentaire est pertinent en l’espèce; la Cour est d’avis que le demandeur a poursuivi les négociations sur le règlement pendant trop longtemps et a omis d’apprécier que la courte période qui lui était accordée pour solliciter un contrôle judiciaire ou demander une prorogation de délai ne durerait pas indéfiniment. Il n’y a aucune explication de la raison pour laquelle il n’avait pas pu présenter un avis de demande pour au moins arrêter le temps, sinon pour démontrer l’importance de son point de vue.   

 

[40]           Le défendeur est d’avis que, à tout le moins, le fait que le demandeur n’a pris aucune mesure entre 1999 et 2005 montre un défaut de poursuivre l’affaire diligemment[7]. La Cour convient que le manque de diligence du demandeur dans le traitement de l’affaire jusqu’en août 2005 jette une ombre sur le comportement qu’il a eu par la suite.   

 

[41]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que le demandeur n’a pas expliqué de façon satisfaisante pourquoi il avait tardé à intenter la présente procédure.  

 

C. L’intention de faire valoir ses droits en recourant au contrôle judiciaire

[42]           M. Zen n’est le souscripteur d’aucun affidavit dans le dossier. Le demandeur a plutôt déposé un affidavit souscrit par son avocat fiscaliste dans le cadre de la procédure en instance devant la Cour canadienne de l’impôt de 1987 à 1996. Il a également déposé l’affidavit de M. Moran, qui a travaillé étroitement avec lui pendant plus de 25 ans en tant que conseiller, particulièrement dans les affaires où il fallait examiner des documents et de la correspondance complexes. En fait, parce que M. Zen avait de la difficulté à lire l’anglais, M. Moran a attesté qu’il avait lui-même lu tous les documents pertinents en cause et que toute la correspondance signée par M. Zen avait été rédigée et examinée en sa présence avant d’être signée.

 

[43]           Bien que M. Moran n’atteste pas expressément que M. Zen avait eu en tout temps l’intention de solliciter le contrôle judiciaire de la décision du ministre après en avoir été informé, le demandeur soutient que cela ressort clairement de son comportement général tout au long du présent dossier et plus particulièrement de la lettre du 23 septembre 2005 de son avocat, qu’il était résolu en tout temps à contester tout rejet de la part du ministre et à intenter la procédure judiciaire appropriée au besoin.

 

[44]           La preuve à cet égard est certainement faible. Bien qu’il soit clair que tout au long du présent dossier, le demandeur s’est opposé à toute tentative de la part de l’ARC de recouvrer l’argent qu’il lui devait, il a pris très peu de mesures pour faire valoir activement ses droits. En fait, il semble que c’est seulement lorsque le ministre a de nouveau agi en vue de recouvrer la dette en demandant la délivrance d’une ordonnance d’exécution que le demandeur s’est finalement décidé de présenter son propre avis de demande.

 

[45]           Après examen du cheminement du dossier, la Cour n’est pas convaincue que M. Zen a démontré une intention constante de solliciter le contrôle judiciaire. La Cour estime plutôt que bien qu’il ait été au courant depuis 1999, à tout le moins, d’un problème relatif à l’application des dispositions en matière d’équité, il n’a fait que se croiser les doigts pendant près de sept ans et souhaiter que cette affaire disparaisse de même que la réclamation de la somme principale de 103 463,32 $. Ce comportement ne démontre pas vraiment une intention constante de faire valoir ses droits.

D. Le préjudice

[46]           Il n’y a aucune preuve d’un préjudice réel à l’égard du défendeur autre qu’il serait privé de l’avantage du délai de prescription prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7 (Berhad c. Canada, [2005] A.C.F. no 1302, au paragraphe 60).

 

[47]           Le demandeur affirme que, même s’il ne respecte pas tous les critères applicables à la prorogation de délai, parce qu’il a une très bonne cause, il est néanmoins nettement dans l’intérêt de la justice de lui accorder une prorogation. Il mentionne les décisions récentes de la Cour dans Leighton c. Canada (Procureur général), 2007 CF 553, et Première Nation Tzeachten c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1131, à l’appui de cet argument.

 

[48]           La Cour fait remarquer que dans les deux décisions susmentionnées, les demandes sous‑jacentes avaient trait à des droits autochtones garantis par la Constitution. Dans les deux décisions, le juge François Lemieux a estimé qu’il s’agissait d’une considération pertinente quant à la possibilité d’accorder une prorogation, particulièrement dans les cas où il semble que l’obligation de la Couronne de consulter est permanente mais varie selon les circonstances; voir Leighton, paragraphe 50, et Tzeachten, paragraphe 48.

 

[49]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans Stanfield c. Canada, 2005 CAF 107, au paragraphe 3, dans le cas d’une requête en prorogation de délai, l’importance qui doit être accordée à chaque facteur individuellement variera en fonction des circonstances de l’affaire. Malheureusement pour le demandeur, la Cour est d’avis que les circonstances en l’espèce ne sont aucunement comparables à celles des décisions Leighton ou Tzeachten. En termes simples, les deux décisions citées par le demandeur ont très peu d’analogie avec la présente affaire.

 

[50]           Comme elle l’a mentionné au début, la Cour peut s’aider du critère à quatre volets pour décider de la meilleure façon de rendre justice aux deux parties d’une affaire.  

 

[51]           En l’espèce, les avocats du demandeur ont fait un excellent travail pour ce qui est de présenter le plus favorablement possible le retard accusé par M. Zen et ils semblent avoir établi une cause d’action solide quant au fond ou à certains aspects du fond.

 

[52]            Cependant, le délai prévu pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire n’était pas censé viser uniquement les causes « faibles ». Comme l’a mentionné le juge Gilles Létourneau dans Berhad, précité, au paragraphe 60, ce délai de 30 jours n’est pas capricieux. Il permet aux décisions administratives d’acquérir leur caractère définitif et d’être exécutées sans délai.

 

[53]           Par conséquent, et après un examen attentif des circonstances de l’espèce, y compris la nature du droit en litige, la Cour conclut qu’il n’y a pas lieu d’accorder la prorogation. Même si le demandeur semble avoir une cause d’action solide, cela ne suffit pas en l’espèce pour faire pencher la balance de son côté.  

 

[54]            Vu que la Cour a rejeté la requête en prorogation de délai pour le dépôt de la présente demande, la demande doit également être rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

La requête en prorogation de délai pour le dépôt de la présente demande ainsi que la demande sont rejetées avec dépens.

 

     « Johanne Gauthier »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu, traductrice


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1506-06

 

INTITULÉ :                                       GIOVANNI ZEN

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 janvier 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Johanne Gauthier

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 mars 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Anderson

(604) 684-9151

 

POUR LE DEMANDEUR

Lisa McDonald

(604) 666-0107

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Farris Vaughan Wills & Murphy LLP

Vancouver (C.-B.)

 

Justice Canada

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 



[1] Voir la lettre du demandeur en date du 31 janvier 2008.

 

[2] Avant 1984, la société Pacific était propriétaire et exploitante d’une affinerie de métaux précieux en Colombie‑Britannique.

[3] Revenu Canada ne pouvait pas commencer le recouvrement avant que la cotisation soit établie à la suite du désistement.

[4] Voir le paragraphe 39 de l’affidavit de M. Moran ainsi que le paragraphe 4 de l’affidavit de Sylvia Jorger (déposé sur consentement à la suite de l’audience pour clarifier deux questions soulevées par la Cour), dans lesquels la date à laquelle les négociations ont pris fin est établie.

[5] À vrai dire, si aucune demande n’a été présentée, le demandeur n’aurait pas de cause défendable à la lumière de la modification apportée en 2005 au paragraphe 220(3.1) de la Loi (voir le paragraphe 24).

 

[6] Il existe des preuves selon lesquelles l’auteur de l’affidavit déposé pour le compte du demandeur, M. Moran, s’occupait d’affaires personnelles le 17 août 2006 (voir l’affidavit de l’assistante juridique Lisa Sessoms), mais ceci n’aurait pas dû empêcher le dépôt d’un avis de demande en vertu de l’article 301 des Règles des Cours fédérales.

[7] S’il croyait qu’aucune décision n’avait été prise, il aurait été à tout le moins raisonnable que le demandeur demande des précisions sur l’affaire sinon tente d’obtenir une décision réelle de la part de l’ARC ou du ministre en recourant à une ordonnance de mandamus au besoin.   

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