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Date : 20080317

Dossier : T-702-07

Référence : 2008 CF 356

Toronto (Ontario), le 17 mars 2008

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

MOHAMMAD ASLAM CHAUDHRY

demandeur

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Mohammad Aslam Chaudhry (le demandeur) interjette appel d’une ordonnance rendue par le protonotaire Aalto. Dans sa décision rendue le 11 juillet 2007, le protonotaire a rejeté la requête en jugement par défaut qui avait été présentée par le demandeur contre Sa Majesté la reine (la défenderesse), ainsi que l’ensemble de l’action du demandeur.

 

[2]               Le demandeur était employé par Service correctionnel Canada (le SCC) en qualité de stagiaire; il avait commencé à travailler le 17 février 2003. Il a d’abord travaillé à l’Établissement de Bath avant d’être transféré à l’Établissement de Millhaven. Par suite d’un rapport d’évaluation de rendement, Mme Susan Sly, chef intérimaire des services administratifs, a recommandé, le 6 février 2004, que l’on mette fin au stage du demandeur au plus tard le 16 février 2004, parce qu’il y avait un motif valable de renvoi.

 

[3]               Dans une note de service datée du 6 février 2004, M. Jim Marshall, directeur de l’Établissement de Millhaven, a avisé le demandeur que, pour un motif valable de renvoi, son stage prenait fin la journée même.

 

[4]               Le demandeur a par la suite déposé un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (la LRTFP), abrogée par la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, article 285, et l’affaire à été renvoyée à l’arbitrage. Une audience a été tenue en juin 2005, et une décision écrite a été rendue par l’arbitre de grief (Ian Mackenzie) le 13 juillet 2005, dans laquelle l’arbitre a examiné les allégations du demandeur, de même que la preuve déposée par le demandeur et l’employeur et leurs arguments. L’arbitre de grief a conclu qu’il n’avait pas la compétence pour statuer sur les plaintes et sur le grief, parce que le demandeur ne s’était pas déchargé du fardeau de prouver que son renvoi en cours de stage était [traduction] « une supercherie, un camouflage ou avait été effectué de mauvaise foi ».

 

[5]               Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief, lequel porte le numéro de dossier est le T-374-06. Dans une décision rendue le 13 avril 2007, la juge Simpson a rejeté la demande de contrôle judiciaire.

 

[6]               Le 26 avril 2007, le demandeur a présenté une déclaration, dans laquelle il allègue avoir été victime d’actes délictueux commis par Mme Susan Sly, M. Jim Stevenson et M. Jim Marshall  pendant son stage au sein de SCC. À Millhaven, Mme Sly occupait le poste de chef intérimaire des services administratifs, M. Stevenson, celui de directeur adjoint et M. Marshall, celui de directeur.

 

[7]               Selon le dossier de requête déposé par la défenderesse le 3 juillet 2007, elle a reçu signification de la déclaration le 27 avril 2007.

 

[8]               Dans une lettre datée du 31 mai 2007, l’avocate de la défenderesse a avisé le demandeur que sa déclaration soulevait les mêmes questions en litige que celles qui avaient été soulevées dans son grief présenté en vertu de la LRTFP, et elle a soutenu que les cours n’avaient pas compétence pour être saisies du type d’action intentée en l’espèce, fondant son argument sur l’arrêt Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146, rendu par la Cour suprême du Canada. De plus, l’avocate de la défenderesse a informé le demandeur que s’il se désistait volontairement de l’action à cette étape de l’instance, elle ne demanderait pas à ce que les dépens soient adjugés en sa faveur. Dans le cas contraire, la défenderesse demanderait par voie de requête la radiation de l’action.

 

[9]               Le demandeur ne s’est pas désisté de son action. Il a plutôt déposé un avis de requête en jugement par défaut le 20 juin 2007 en vertu des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, (les Règles). Le protonotaire a rejeté la requête au motif que la déclaration ne renfermait aucune cause d’action valable.

 

[10]           Le demandeur a déposé un avis de requête le 5 septembre 2007, interjetant appel de l’ordonnance du protonotaire Aalto. Il sollicitait une prorogation du délai d’appel prescrit, ainsi qu’une ordonnance annulant l’ordonnance rendue le 11 juillet 2007. Il soutient qu’il y a eu manquement aux Règles parce que l’ordonnance rendue le 11 juillet 2007 lui a été envoyée par la poste seulement le 21 août 2007, soit plus de 40 jours après qu’elle fut rendue, ce qui contreviendrait à l’article 395 des Règles.

 

[11]           Le demandeur allègue également que le protonotaire a commis une erreur en acceptant les observations écrites et le dossier de requête de la défenderesse après la clôture des actes de procédure, ce qui contreviendrait à l’alinéa 202a) des Règles.

 

[12]           Le demandeur soutient que le protonotaire n’aurait pas du tenir compte de l’affidavit de Mme Heather Graham qui faisait partie du dossier de requête déposé par la défenderesse. Il allègue que cela contrevient à l’article 82 des Règles qui interdit l’utilisation de l’affidavit d’un avocat.

 

[13]           Le critère applicable à un appel d’une décision d’un protonotaire a été examiné par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc. (2004), 30 C.P.R. (4th) 40 (C.A.F.), où elle a affirmé ce qui suit au paragraphe 19 :  

[...]

 

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a)         l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,

b)         l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

 

 

[14]           Dans la présente affaire, comme l’a souligné le demandeur, le protonotaire a rendu deux ordonnances : il a premièrement rejeté la requête en jugement par défaut et, deuxièmement, l’action dans son ensemble.

 

[15]           L’article 210 des Règles prévoit l’introduction de la requête en jugement par défaut. Le paragraphe 210(4) des Règles décrit comme suit le pouvoir dont dispose la Cour dans le cadre d’une telle requête :

(4) Sur réception de la requête visée au paragraphe (1), la Cour peut :

a) accorder le jugement demandé;

b) rejeter l’action;

c) ordonner que l’action soit instruite et que le demandeur présente sa preuve comme elle l’indique.

(4) On a motion under subsection (1), the Court may:

(a) grant judgment;

(b) dismiss the action; or

(c) order that the action proceed to trial and that the plaintiff prove its case in such a manner as the Court may direct.

 

 

[16]           Selon la décision Ragdoll Productions (UK) Ltd. c. Personnes inconnues, [2003] 2 C.F. 120, la preuve doit étayer la requête en jugement par défaut et la déclaration. En l’absence d’une telle preuve, le protonotaire peut, en vertu du paragraphe 210(4) des Règles, accueillir la requête, rejeter l’action ou ordonner que l’action soit instruite.

[17]           Une requête en jugement par défaut fait appel à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, et elle se limite aux allégations figurant dans la déclaration; voir Island Tug & Barge Ltd. c. Haedong Co. (2002), 217 F.T.R. 318.

 

[18]           Je ne constate aucune erreur dans la façon dont le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire dans la présente affaire. Il a rejeté la requête en jugement par défaut, et il a par la suite examiné le fondement de la demande du demandeur.

 

[19]           De même, je ne constate aucune erreur dans la façon dont le protonotaire a accepté la preuve et le dossier de requête déposés par la défenderesse. Contrairement aux observations du demandeur, le dépôt d’une requête n’est pas un acte de procédure au sens des Règles, et la défenderesse avait le droit de déposer un dossier de requête en réponse à celui du demandeur. L’expression « acte de procédure » est définie à l’article 2 des Règles :

 

« acte de procédure » Acte par lequel une instance est introduite, les prétentions des parties sont énoncées ou une réponse est donnée.

“pleading" means a document in a proceeding in which a claim is initiated, defined, defended or answered.

 

 

 

[20]            L’affidavit de Mme Graham, avocate, lequel faisait partie du dossier de requête déposé par la défenderesse, constitue effectivement un affidavit produit par un avocat. Cependant, l’article 82 des Règles n’empêche pas de manière absolue l’utilisation d’un tel affidavit. L’article 82 des Règles dispose ce qui suit :

 

82. Sauf avec l’autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit.

82. Except with leave of the Court, a solicitor shall not both depose to an affidavit and present argument to the Court based on that affidavit.

 

 

[21]           Le protonotaire n’a pas tiré de conclusion particulière au sujet de l’affidavit de Mme Graham, mais, de toute façon, ce n’est pas elle qui avait plaidé devant le protonotaire. En outre, son affidavit expose des faits relatifs aux instances antérieures engagées par le demandeur relativement à sa cessation d’emploi. Le dépôt de cet affidavit devant la Cour n’était en aucun cas illégitime.

 

[22]           L’aspect le plus important de la présente affaire est le rejet de l’action du demandeur par le protonotaire. Étant donné que l’ordonnance a de facto mis fin à l’action, l’appel interjeté contre l’ordonnance sera une procédure de novo. Autrement dit, la Cour se penchera sur le bien‑fondé de l’action du demandeur.

 

[23]           Dans l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, la Cour suprême du Canada a affirmé que, au Canada, le critère relatif à une requête en radiation d’acte de procédure est la question de savoir s’il est évident et manifeste que la demande n’a aucune cause d’action valable.

 

[24]           La présente déclaration concerne la cessation d’emploi du demandeur alors qu’il était en stage à SCC. En matière d’emploi dans la fonction publique, la défenderesse a le droit d’établir les conditions de travail, dont la catégorie des stagiaires. À l’époque où le demandeur était employé par SCC, les plaintes et l’arbitrage de griefs, de même que les droits et les réparations qui y sont associés, étaient régis par la LRTFP. Le demandeur a tenté de se prévaloir de la procédure relative aux griefs et à l’arbitrage, mais, après une audience, son grief a été rejeté pour des motifs relatifs à la compétence de l’arbitre. Comme je l’ai déjà souligné, cette décision a été confirmée par le rejet de la demande de contrôle judiciaire qui avait été présentée par le demandeur.

 

[25]           Le demandeur, à titre d’ancien employé de la défenderesse, n’a aucun droit absolu d’engager une action relative à son ancien emploi. C’est ce que la Cour suprême du Canada a clairement affirmé au paragraphe 2 de l’arrêt Vaughan :

Je suis d’accord avec l’appelant pour dire que le texte et le contexte de la LRTFP ne vont pas jusqu’à écarter explicitement la compétence des tribunaux, comme c’était le cas dans l’affaire Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929.  Bien que les tribunaux conservent une compétence résiduelle pour trancher les questions liées au secteur du travail qui découlent de l’art. 91 de la LRTFP et qui ne peuvent faire l’objet de l’arbitrage prévu à l’art. 92, je suis néanmoins d’avis qu’ils devraient généralement exercer leur pouvoir discrétionnaire pour refuser d’intervenir, sauf dans le cadre limité du contrôle judiciaire.  Les faits de la présente affaire, dans la mesure où l’on peut les établir, illustrent bien pourquoi il est souhaitable de faire preuve de retenue judiciaire dans ce domaine.  Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

 

[26]           Comme dans l’arrêt Vaughan, le demandeur tente de « déguiser » sa demande en action en responsabilité délictuelle; il espère ainsi éviter la question de la compétence de la Cour, laquelle aurait été soulevée s’il avait fondé sa demande seulement sur le renvoi dont il avait été l’objet lorsqu’il était stagiaire. Encore une fois, je cite l’arrêt Vaughan dans lequel le juge Binnie a affirmé ce qui suit, au paragraphe 11 :

 

Le 29 janvier 1999, l’appelant a intenté contre l’intimée une action pour négligence.  Il alléguait que l’intimée [traduction] « savait ou aurait dû savoir qu’une offre d’emploi raisonnable n’avait pas été présentée [à l’appelant] et que [l’appelant] était admissible aux PRA » (déclaration, par. 31-32).  C’est cette action pour négligence que l’employeuse intimée cherche à faire radier.  L’appelant s’est sans doute senti obligé, afin de contourner la LRTFP, de présenter son action de façon un peu artificielle comme une action en responsabilité délictuelle fondée sur la négligence.  Cependant, comme notre Juge en chef actuelle l’a écrit dans Weber, par. 49 : « [i]l faut s’attacher non pas à la qualité juridique du tort, mais aux faits qui donnent naissance au litige. »  En l’espèce, les faits découlent très clairement de la relation employeur‑employé.

 

 

[27]           Par conséquent, je conclus que l’action du demandeur n’a aucune chance raisonnable de succès, ce qui correspond au critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hunt. Le protonotaire n’a pas commis d’erreur en rejetant l’action du demandeur.


JUGEMENT

 

Par conséquent, l’appel est rejeté avec dépens à hauteur de 750,00 $, honoraires, débours et TPS compris.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-702-07

 

INTITULÉ :                                                   MOHAMMAD ASLAM CHAUDHRY c.
SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 17 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mohammad Aslam Chaudhry

 

POUR SON PROPRE COMPTE

Liz Tinker

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mohammad Aslam Chaudhry

 

POUR SON PROPRE COMPTE

John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

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