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Date : 20080317

Dossier : IMM-2643-07

Référence : 2008 CF 350

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE FRENETTE

 

 

ENTRE :

ENRIQUETA RAMOS TARAYAO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Enriqueta Ramos Tarayao (la demanderesse) sollicite, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2002, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision, rendue le 20 juin 2007, par laquelle une agente d’immigration (l’agente d’immigration) a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH), présentée au Canada, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi.

 


I. Le contexte

 

[2]               La demanderesse, citoyenne des Philippines, est entrée au Canada en octobre 2001 grâce au Programme concernant les aides familiaux résidants, une catégorie réglementaire. Cependant, étant donné qu’elle n’a pas travaillé en tant qu’aide familiale résidante pendant au moins deux ans au cours de la période de validité de trois ans de son visa, elle ne satisfaisait pas aux exigences d’obtention de visa de résidence permanente énumérées à l’alinéa 113(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). Elle a alors déposé une demande d’asile qui lui a été refusée. En décembre 2006, elle a présenté une demande CH sur laquelle repose le présent contrôle judiciaire.

 

[3]               La demanderesse est mère de trois enfants. L’aîné, un garçon, est citoyen des Philippines et vit là-bas avec ses grands-parents, bien que la demanderesse leur apporte un soutien financier. La demanderesse est aussi mère de deux fillettes, nées au Canada, qui sont donc citoyennes canadiennes. L’aînée est née en septembre 2003 et la cadette est née en novembre 2005. La demanderesse est la seule personne à pourvoir aux besoins de ces deux enfants.

 

[4]               La demanderesse vivait en union de fait au Canada. Cependant, son partenaire lui a fait subir de la violence verbale, physique et psychologique. Au début, la demanderesse avait peur de quitter son partenaire ou de porter plainte contre lui parce qu’elle craignait d’être expulsée si la police s’en mêlait. Après qu’elle eut enfin signalé les incidents à la police le 23 mars 2005, des accusations ont été portées contre son partenaire, lequel a ensuite plaidé coupable à deux chefs de voies de fait. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement d’un jour et à un an de probation. On lui a également interdit de communiquer avec la demanderesse ou de se trouver à proximité d’elle. Il n’a apporté aucun soutien aux enfants de la demanderesse et a refusé de reconnaître les deux plus jeunes enfants comme les siens.

 

[5]               La demanderesse travaille comme administratrice d’immeuble depuis mai 2006. Avec ce revenu, elle subvient à ses besoins et à ceux de ses enfants nées au Canada, et elle envoie de l’argent pour aider son fils aux Philippines. La demanderesse prétend que si elle est renvoyée aux Philippines, elle ne sera pas en mesure de gagner un revenu suffisant pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle affirme que les membres de sa famille qui vivent aux Philippines sont dans l’impossibilité de la soutenir et que les mères monoparentales dans ce pays sont particulièrement vulnérables en raison des atteintes portées aux droits de la personne, du taux élevé de la criminalité et des possibilités d’emploi limitées.

 

[6]               Le 20 juin 2007, l’agente d’immigration a rendu une décision rejetant la demande CH de la demanderesse. Dans les motifs à l’appui de la décision, l’agente d’immigration a souligné que la demanderesse n’avait pas d’autres liens familiaux au Canada que ses deux fillettes, et que son degré d’établissement au Canada n’était rien de plus que le degré normal auquel on pourrait s’attendre dans les circonstances.

 

[7]               L’agente d’immigration a également tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants :

[traduction] [La demanderesse] a un fils qui vit aux Philippines et deux enfants nées au Canada. L’avocat a fait valoir que l’intérêt supérieur des enfants nées au Canada serait servi si la mère demeurait au pays. Il a traité de la séparation des enfants d’avec leur mère si cette dernière décidait de les laisser au Canada et du préjudice que cela causerait à la famille. Je précise que les enfants conserveront leur citoyenneté canadienne peu importe où elles résideront. Je souligne que, puisque les enfants sont assez jeunes, elles ont trois ans et demi et un an et demi, le préjudice lié à leur départ vers un autre pays sera faible. Concernant la séparation des enfants d’avec leur mère, j’estime qu’il revient à la demanderesse de décider si elle veut laisser ses enfants au Canada. Bien que les enfants qui résident au Canada puissent bénéficier de meilleures chances sur les plans social et économique que s’ils résidaient aux Philippines, je dispose de peu d’éléments de preuve susceptibles de me montrer que ces enfants ne peuvent fréquenter l’école ou être admis aux Philippines.

 

[8]               En outre, l’agente d’immigration a traité des perspectives d’avenir de la demanderesse si elle était renvoyée :

[traduction] Je constate également que les autres membres de la famille de la demanderesse, notamment son père et sa mère, vivent aux Philippines. [La demanderesse] a occupé un poste à titre de coordonnatrice en assurance dans son pays pendant quelques années. Il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’avec les connaissances acquises au Canada, elle soit en mesure de trouver un emploi semblable aux Philippines.

 

Quant à la situation économique aux Philippines, je reconnais que les conditions sociales et économiques dans ce pays ne sont peut-être pas favorables, mais elles constituent un élément commun à la population dans son ensemble.

 

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

 

[9]               La demanderesse soutient que l’agente d’immigration a commis une erreur en omettant de bien évaluer l’intérêt supérieur des enfants. Elle allègue également que l’agente d’immigration a commis une erreur lorsqu’elle a examiné son degré d’établissement et d’intégration à la société canadienne. La Cour suprême du Canada a conclu dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, que la norme de contrôle applicable aux décisions relatives aux demandes CH est la décision raisonnable simpliciter.

 

III. L’analyse

 

A.         L’intérêt supérieur de l’enfant

[10]           La demanderesse soutient que l’agente d’immigration n’a pas été attentive, réceptive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants. Je ne suis pas d’accord. L’agente d’immigration a reconnu sans réserve le préjudice que causerait une séparation si les enfants demeuraient au Canada et a poursuivi en examinant le préjudice qu’elles seraient susceptibles de subir si elles accompagnaient leur mère aux Philippines. L’agente d’immigration n’a pas eu à analyser en détail le préjudice lié à la séparation, notamment en raison de la preuve limitée fournie par la demanderesse. L’agente d’immigration « est réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu'un enfant vivant au Canada sans son parent » (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 5).

 

[11]           L’agente d’immigration a bien mis l’accent sur les difficultés qu’éprouveraient les enfants si elles accompagnaient leur mère aux Philippines. À mon avis, l’agente d’immigration pouvait raisonnablement se fonder sur le jeune âge des enfants et conclure que des enfants d’âge préscolaire pourraient s’adapter sans trop de difficultés. La demanderesse n’a présenté aucune preuve contredisant cette conclusion, et rien notamment pour établir que les enfants ne seraient pas admis aux Philippines ou ne seraient pas en mesure de fréquenter l’école dans ce pays.

 

[12]           L’agente d’immigration a eu raison de reconnaître que la famille, y compris les enfants, subiraient des difficultés économiques et sociales aux Philippines. Cependant, compte tenu du témoignage même de la demanderesse, selon lequel elle avait travaillé comme coordonnatrice en assurance aux Philippines, il était raisonnable de conclure qu’elle serait en mesure de trouver un emploi dans ce pays. En outre, il était raisonnable que l’agente d’immigration tienne compte du fait que la famille élargie de la demanderesse (y compris ses parents qui s’occupaient déjà de son fils) vivait aux Philippines.

 

[13]           Il ne fait aucun doute que l’agente d’immigration a accepté qu’il y aurait un préjudice. La question était de savoir si le préjudice était suffisant pour justifier une exemption pour des considérations d’ordre humanitaire. Il est préférable de laisser cette appréciation de la preuve à l’agente d’immigration, et je ne vois aucune raison d’annuler la décision sur ce fondement.

 

B.         Le degré d’établissement et d’intégration de la demanderesse au Canada

[14]           L’agente d’immigration a conclu que [traduction] « le degré d’établissement au Canada n’était rien de plus que le degré normal auquel on pourrait s’attendre dans les circonstances », et que rien ne donnait à croire que la demanderesse subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si ces liens étaient rompus.

 

[15]           La demanderesse allègue que l’agente d’immigration n’a pas tenu compte des facteurs pertinents pour déterminer le degré d’établissement, comme l’a proposé le juge Pierre Blais dans la décision Jamrich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 29 Imm. L.R. (3d) 253, 2003 CFPI 804; voir également Raudales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 385. Le défendeur soutient que les critères habituels ont été appliqués en l’espèce.

 

[16]           À mon avis, les conclusions de l’agente ne renferment aucune erreur. Comme il a été signalé dans des décisions assez récentes comme Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 465, et Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413, l’existence d’un degré d’établissement n’est pas suffisant. L’agente d’immigration a tenu compte de la preuve fournie par la demanderesse et l’a soupesée. Que je sois ou non d’accord avec la décision, celle-ci est raisonnable et devrait donc être maintenue.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-2643-07

 

INTITULÉ :                                                               ENRIQUETA RAMOS TARAYAO 

                                                                                    c.                                                

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET L’IMMIGRATION  

                                                                                                              

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 11 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                              LE 17 MARS 2008     

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov                                                      POUR LA DEMANDERESSE

 

Amina Riaz                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates                                                POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)                                                          

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                          

 

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