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Date : 20080317

Dossier : T-1645-06

Référence : 2008 CF 349

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

 

ENTRE :

STEVEN COLWELL

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(PÊCHES ET OCÉANS CANADA)

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Steven Colwell a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), selon laquelle il aurait été victime de discrimination en raison d’une déficience. Un enquêteur a examiné la plainte et a recommandé à la Commission de la rejeter au motif que M. Colwell n’avait pas collaboré pleinement avec son employeur, le ministère des Pêches et des Océans (le MPO). La Commission a examiné le rapport de l’enquêteur, ainsi que les observations des parties en réponse au rapport, et a décidé d’accepter la recommandation de l’enquêteur.

 

[2]               M. Colwell allègue avoir été traité de façon injuste au motif que l’enquête sur laquelle s’est fondée la Commission était insuffisante. Il me demande d’annuler la décision de la Commission et de lui ordonner de réexaminer sa plainte. Je ne vois aucune raison d’annuler la décision et je dois, par conséquent, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I.        Question en litige

 

[3]                L’enquête dont a fait l’objet la plainte de M. Colwell était-elle suffisamment approfondie?

 

II.     Analyse

 

  1. Contexte factuel

[4]               M. Colwell a initialement été embauché en mai 2001 à titre de biologiste spécialiste de la gestion de l’habitat à Port Hardy, en Colombie-Britannique. Après quelques jours seulement, une collègue de travail a porté plainte contre lui alléguant qu’il l’avait harcelée sexuellement. Cette plainte a causé des troubles émotionnels graves à M. Colwell. Il a alors pris un congé de maladie. Selon son médecin, il pourrait probablement retourner au travail sous peu, mais on ne devait pas lui demander de travailler aux côtés de la femme ayant porté plainte contre lui. Le représentant syndical de M. Colwell a indiqué que les deux employés pouvaient travailler séparément si on autorisait la mutation de M. Colwell à Campbell River.

 

[5]               En août 2001, M. Colwell a avisé le MPO qu’il pourrait retourner au travail le 4 septembre 2001, mais pas à Port Hardy. Son superviseur l’a avisé qu’il devrait retourner travailler à Port Hardy. M. Colwell pourrait alors travailler séparément de la femme qui avait porté plainte contre lui en travaillant dans une autre zone de travail. M. Colwell n’est pas retourné au travail.

 

[6]               En juin 2002, le superviseur de M. Colwell l’a informé que la femme l’ayant accusé de harcèlement sexuel avait quitté son poste. On a invité M. Colwell à reprendre son poste et à travailler dans une zone située à une certaine distance des lieux où le harcèlement sexuel aurait eu lieu. Les discussions se sont poursuivies.

 

[7]               En février 2003, on a demandé à M. Colwell de se soumettre à une Évaluation de l’aptitude au travail (l’ÉAT). M. Colwell a refusé, soutenant que l’évaluation de son propre médecin devrait être suffisante. Par la suite, après que M. Colwell eut déposé un grief contre son employeur en raison de l’insistance de ce dernier à vouloir qu’il se soumette à une ÉAT, l’évaluation de son médecin a été acceptée. On a avisé M. Colwell qu’il pouvait retourner au travail le 9 juin 2003, mais il ne l’a pas fait.

 

[8]               On a demandé à M. Colwell de se présenter au travail à Port Hardy d’ici le 2 septembre 2003, sinon des mesures seraient prises en vue de mettre fin à son emploi. M. Colwell n’est pas retourné au travail. Cependant, il a accepté de se soumettre à l’ÉAT. En novembre 2003, un médecin de Santé Canada ayant procédé à l’ÉAT a convenu que M. Colwell ne devrait pas retourner travailler à Port Hardy. Le médecin a également apporté des spécifications supplémentaires portant sur le besoin de M. Colwell d’avoir facilement accès à des soins de santé convenables, son incapacité à faire des heures supplémentaires ou à voyager fréquemment, et la nécessité qu’il mène un mode de vie sain et évite le stress. Le médecin a aussi recommandé que M. Colwell se fasse offrir un autre poste si son poste actuel exigeait qu’il travaille à Port Hardy.

 

[9]               Après avoir reçu l’ÉAT, le MPO a entrepris de trouver un autre poste pour M. Colwell. Le MPO prétend que M. Colwell a refusé de façon déraisonnable de prendre en compte des options d’emploi convenables et a même refusé de permettre la distribution de son curriculum vitae à des employeurs éventuels. De plus, le MPO allègue que M. Colwell a fréquemment omis de répondre à son courrier et à ses appels téléphoniques. M. Colwell soutient qu’il lui était raisonnable de refuser de prendre en compte des postes de classification inférieure ou des postes temporaires. Il soutient aussi avoir simplement exigé que son curriculum vitae ne soit fourni qu’à l’égard d’options d’emploi sérieuses en remplacement de son poste actuel. Le demandeur n’est au courant d’aucune omission de sa part de répondre aux communications du MPO.

 

[10]           Quoi qu’il en soit, M. Colwell a déposé sa plainte contre le MPO en septembre 2004 au motif que la conduite du MPO constituait de la discrimination fondée sur une déficience, et que le MPO n’avait pas pris les mesures raisonnables en vue de répondre à ses besoins au travail. Les efforts en vue de trouver un poste convenable pour M. Colwell se sont poursuivis après qu’il eut déposé sa plainte auprès de la Commission. En 2005, le MPO a subi une réorganisation. Il a fermé son bureau principal à Port Hardy et a offert un poste à M. Colwell à Campbell River. M. Colwell a accepté l’offre et a commencé à travailler en janvier 2006.

 

2.      Rapport de l’enquêteur et décision de la Commission

 

[11]           L’enquêteur a préparé un rapport de dix pages décrivant en beaucoup de détails les événements résumés ci-dessus. Il a souligné que l’employé est tenu de faciliter les efforts raisonnables déployés par l’employeur en vue de répondre à ses besoins (se référant à l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970). L’enquêteur a conclu que M. Colwell [traduction] « n’avait pas collaboré pleinement avec le défendeur dans ses tentatives en vue d’assurer son retour au travail ». Chacune des parties a déposé des commentaires et des observations relativement aux constatations et à la conclusion de l’enquêteur.

 

[12]            Le 4 août 2006, la Commission a avisé M. Colwell qu’elle avait examiné le rapport de l’enquêteur et les réponses des parties, et qu’elle avait conclu que sa plainte devrait être rejetée. La Commission s’est fondée sur l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, qui exige de la Commission qu’elle rejette la plainte si « elle est convaincue […] que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié ».

 

 

 

 

3.      La plainte de M. Colwell a-t-elle fait l’objet d’une enquête approfondie?

[13]           M. Colwell soutient que le MPO avait l’obligation de répondre à ses besoins au travail jusqu’à s’imposer des contraintes excessives. Selon le demandeur, sa mutation à Campbell River en 2001 n’aurait pas imposé des contraintes excessives au MPO. Par conséquent, M. Colwell soutient qu’il n’était pas obligé de prendre en compte les autres postes proposés par le MPO, postes qui selon lui, étaient tous temporaires ou de classification inférieure. M. Colwell est d’avis que l’enquêteur n’a pas compris cet aspect fondamental de sa plainte et, par conséquent, qu’il ne l’a pas examiné de façon approfondie. Plus précisément, M. Colwell laisse entendre que l’enquêteur n’a pas évalué le caractère raisonnable du refus du MPO de lui permettre de travailler à Campbell River (jusqu’à la réorganisation en 2005). Il prétend que son obligation de collaborer avec le MPO ne s’imposait qu’au moment où le MPO lui ferait des offres raisonnables, ce qui ne s’est jamais produit selon lui.

 

[14]           Le MPO souligne que le plaignant est tenu de faciliter les efforts raisonnables déployés par l’employeur en vue de répondre à ses besoins au travail. Le MPO a suggéré que M. Colwell travaille dans d’autres locaux à Port Hardy dès 2001 et lui a par après offert un certain nombre d’autres postes. Il est vrai que certains d’entre eux étaient des postes par intérim, mais le MPO s’est engagé à maintenir le statut d’employé permanent de M. Colwell. Les postes par intérim seraient peut-être ultérieurement devenus des postes pour une période indéterminée et, quoi qu’il en soit, M. Colwell aurait conservé son salaire et son statut d’emploi. De plus, certains des postes offerts à M. Colwell étaient en fait pour une période indéterminée. Selon le MPO, l’accommodement recherché par M. Colwell, soit un poste équivalent à Campbell River, n’était pas approprié pour un certain nombre de raisons. Lorsque M. Colwell a initialement été embauché, il était important dans son rôle de biologiste spécialiste de la gestion de l’habitat qu’il soit présent au bureau principal du MPO à Port Hardy. Par après, il est devenu évident qu’on devait lui trouver un autre poste en raison de sa situation médicale et des exigences inhérentes du poste qu’il occupait. Le poste de M. Colwell exigeait des heures supplémentaires et des voyages fréquents, et causait un stress considérable, tous des facteurs que M. Colwell devait éviter selon ses évaluations médicales. Selon les observations du MPO, ces circonstances ont été analysées attentivement dans le rapport de l’enquêteur et, par conséquent, la prétention de M. Colwell selon laquelle le rapport était insuffisant ne peut pas être retenue.

 

[15]           À mon avis, il ressort clairement du rapport de l’enquêteur que ce dernier estimait que les accommodements proposés par le MPO étaient raisonnables et que l’obligation correspondante de M. Colwell de faciliter la mise en œuvre de ces propositions s’imposait. Il est aussi clair que M. Colwell ne s’était pas acquitté de cette obligation. L’enquêteur s’est penché sur les questions principales et a examiné attentivement les faits et le droit pertinents pour en arriver à sa recommandation. Je suis convaincu que le rapport était suffisamment approfondi et que la Commission n’a pas commis d’erreur en se fondant sur ce rapport. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire avec dépens.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.

 


Annexe

 

Loi canadienne sur les droits de la personne,  L.R.C. 1985, ch. H-6

 

Rapport

 

    44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

 

[…]

 

 

Idem

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

[…]

 

     b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(i)      soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(ii)    soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

Canadian Human Rights Act, R.S.C. 1985, c. H‑6

 

Report

 

    44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

 

 

 

Idem

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i)      that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii)    that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                T-1645-06

                                                           

 

INTITULÉ :                                                               STEVEN COLWELL

                                                                                    c.

                                                                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU

                                                                                    CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 16 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                               LE 17 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

 

    POUR LE DEMANDEUR

 

Marie Crowley

 

 

  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Whelchner Law Office

Ottawa (Ontario)

 

  POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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