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Date : 20080307

Dossier : T-161-07

Référence : 2008 CF 320

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 7 mars 2008

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

 

SANOFI-AVENTIS CANADA INC. ET

SCHERING CORPORATION

demanderesses

et

 

APOTEX INC.

défenderesse

ET ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse reconventionnelle

 

et

 

SANOFI-AVENTIS CANADA INC. ET

SCHERING CORPORATION

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH ET

RATIOPHARM INC.

défenderesses reconventionnelles

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Requête pour être exempté de la règle de l’engagement tacite)

I.  Introduction

 

  • [1] Apotex Inc. (Apotex) est la défenderesse et demanderesse reconventionnelle dans le dossier de la Cour no T-161-07 (l’action Ramipril). Apotex est également l’une des défenderesses et demanderesses reconventionnelles dans le dossier de la Cour no T-1548-06 (l’action Perindopril). Dans la présente requête, Apotex demande à être exemptée de l’application de la règle d’engagement tacite lui permettant d’utiliser dans l’action Perindopril certains documents présentés dans l’action Ramipril.

 

  • [2] Plus précisément, Apotex demande à être exemptée à l’égard des documents suivants (désignés collectivement les « documents Ramipril ») qu’elle a obtenus au cours du processus d’interrogatoire préalable dans l’action Ramipril :

 

  1. des carnets de laboratoire décrivant en détail la synthèse et les composés testés relativement au captopril par Schering Corporation avant la tenue de la 17e Conférence nationale sur la chimie thérapeutique à Troy, dans l’État de New York (les carnets antérieurs à la Conférence de Troy);

 

  1. les rapports semestriels de Schering Corporation concernant les travaux effectués à l’égard des inhibiteurs de l’ECA couvrant la période de l’action Perindopril (les « rapports semestriels »)

 

  1. des diapositives utilisées lors de la 17e Conférence nationale de chimie thérapeutique tenue à Troy, dans l’État de New York, par Merck, Sharp and Dohme qui a fait connaître le 18 juin 1980 [traduction] « un groupe de dérivés de la proline de carboxyalkyle qui étaient de puissants inhibiteurs de l’ECA non sulfhydryliques » (les « diapositives de Troy »);

 

  1. les accords de licence entre Schering Corporation et l’intimée Sanofi-Aventis Deutschland GmbH et les accords subséquents qui s’y rattachent (les « accords de licence »); et

 

  1. les transcriptions de l’interrogatoire préalable des Drs Elizabeth Smith et Bernard Neustadt (les transcriptions Ramipril) utilisées pour contester la crédibilité de la Dre Smith et de M. Anthony Creber lors du procès de l’action Perindopril.

 

  • [3] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’une exemption ne peut être accordée à Apotex et je rejette la requête, sauf en ce qui concerne les diapositives de Troy.

 

II.  Contexte

 

  • [4] Le contexte de la présente requête est quelque peu complexe, mais nécessaire pour comprendre les questions qui en découlent.

 

A.  La procédure de conflit menant au brevet 196 et au brevet 206

 

  • [5] Le 1er octobre 1981, ADIR, l’une des demanderesses dans l’action Perindopril, a présenté la demande de brevet canadien portant le numéro 387 093 (la demande 093). Au même moment environ, d’autres demanderesses ont présenté leurs propres demandes de brevets pour des composés se recoupant, y compris Schering Corporation (Schering) dans la demande canadienne portant le numéro 388 336 (la demande 336) et Hoechst Aktiengesellchaft (Hoechst AG – la société qui a précédé Sanofi-Aventis Deutschland GmbH (Sanofi Allemagne)) en ce qui concerne les demandes portant les numéros 384 787 (la demande 787) et 418 453 (la demande 453). Comme le prévoit la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, en vigueur à ce moment, le commissaire aux brevets (le commissaire) a placé certaines revendications de la demande 093 en conflit avec les revendications des autres demandes.

 

  • [6] Dans le cadre de la procédure de conflit, les parties ont déposé une preuve par affidavit devant le commissaire. Schering a déposé un affidavit de la Dre Elizabeth Smith (désormais rendu public), qui a documenté le travail fait par Schering en ce qui a trait à sa revendication de paternité antérieure de l’invention des demandes en conflit (l’affidavit de la Dre Smith). L’affidavit de la Dre Smith indiquait que le travail de Schering était divisé en deux grandes phases. Tout d’abord, à la fin des années 1970, Schering a tenté d’élaborer des composés antihypertenseurs qui étaient plus efficaces que le captopril. Puis, après le 18 juin 1980, Schering a tenté d’élaborer des composés antihypertenseurs qui étaient plus efficaces que ce qui est devenu plus tard connu sous le nom d’énalapril. L’affidavit de la Dre Smith indiquait également qu’entre ces deux phases, Merck, Sharp and Dohme (Merck) a communiqué, le 18 juin 1980, des renseignements concernant « un groupe de dérivés de la proline de carboxyalkyle qui étaient de puissants inhibiteurs de l’ECA non sulfhydryliques » à la 17e Conférence nationale de chimie thérapeutique à Troy dans l’État de New York (la « conférence de Troy »).

 

  • [7] Dans six décisions datées du 8 août 1996, le commissaire a rendu des décisions sur l’invention pour les demandes en conflit et a accordé certaines revendications à Schering, certaines à ADIR et certaines à Hoechst AG.

 

  • [8] Six procédures ont été amorcées à ce moment par voie d’actions devant la Cour fédérale, qui contestaient les décisions rendues par le commissaire quant aux droits des parties. Toutes ces procédures ont été regroupées sur ordonnance du juge Joyal datée du 27 mai 1997 sous le dossier de la Cour no T‑228‑97.

 

  • [9] Après la fin des communications préalables dans le contexte des actions regroupées, les parties ont convenu de régler par un accord établi dans un procès-verbal de règlement. Les parties ont sollicité auprès de la Cour, d’après le procès-verbal de règlement, une ordonnance de consentement. L’ordonnance qui a été rendue par le juge Nadon le 12 décembre 2000 prévoyait l’attribution des revendications indiquées dans les demandes concurrentes. Finalement, l’ordonnance a donné lieu, pour ADIR, à la délivrance du brevet canadien no 1 341 196 (le brevet 196). Cette ordonnance a aussi donné lieu à la délivrance du brevet canadien no 1 341 206 (le brevet 206) à Schering.

 

 B.  T-161-07 : l’action Ramipril

 

  • [10] Dans une déclaration datée du 26 janvier 2007, Schering, Sanofi-Aventis Canada (Sanofi Canada) et Sanofi Allemagne (collectivement, avec Sanofi Canada, Sanofi) ont intenté une action à l’égard d’Apotex Inc. en alléguant que cette dernière avait violé le brevet 206. Dans sa plaidoirie en réponse, Apotex Inc. a soulevé des questions qui portaient sur la procédure de conflit et sur l’attribution des brevets conformément à l’ordonnance du juge Nadon qui donnait effet au procès-verbal de règlement. Apotex allègue également que les demanderesses dans l’action Ramipril ont conclu un accord de règlement illégal avec ADIR, une des demanderesses dans l’action Perindopril, afin d’éliminer la concurrence dans le marché des inhibiteurs de l’ECA, en violation de l’article 45 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 (désigné par Apotex comme étant les « allégations de conspiration du règlement »).

 

C.  T-1548-06 : l’action Perindopril

 

  • [11] Dans une déclaration datée du 25 août 2006, Les Laboratoires Servier, ADIR, ORIL Industries, Servier Canada Inc., Servier Laboratories (Australie) Pty. Ltd. et Servier Laboratories Limited (collectivement désignées « Servier ») ont amorcé une action à l’égard d’Apotex et d’Apotex Pharmachem Inc. dans le dossier de la Cour no T‑1548‑06, alléguant qu’Apotex et Pharmachem avaient violé certaines revendications du brevet 196. Dans sa plaidoirie en réponse, Apotex a soulevé les mêmes allégations de conspiration à l’égard du règlement comme ce fut le cas dans l’action Ramipril, alléguant qu’ADIR a conclu un accord de règlement illégal avec Schering et les prédécesseurs de Sanofi Allemagne, afin d’éliminer la concurrence dans le marché des inhibiteurs de l’ECA, en violation de l’article 45 de la Loi sur la concurrence. Dans cette action, Apotex a également plaidé que c’est Schering, et non ADIR, qui est la première et véritable inventrice de l’objet de la demande 093.

 

D.  Les requêtes en jonction de Sanofi Allemagne et de Schering

 

  • [12] Dans un avis de requête daté du 17 août 2007, Sanofi Allemagne a demandé à être ajoutée en tant que défenderesse reconventionnelle à l’action Perindopril. Schering a présenté un avis de requête similaire le 12 novembre 2007. La Cour a rejeté les deux requêtes le 19 novembre 2007 (Les Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2007 CF 1210).

 

E.  Les interrogatoires préalables dans l’action Ramipril

 

  • [13] Les 6 et 7 décembre 2007, Apotex a tenu les interrogatoires préalables de M. Bernard Neustadt, un des inventeurs nommés du brevet 206, dans l’action Ramipril. Du 13 au 16, du 19 au 21, et le 27 novembre 2007, Apotex a tenu les interrogatoires préalables de la Dre Elizabeth Smith, également un des inventeurs nommés du brevet 206, dans l’action Ramipril. Pendant l’interrogatoire préalable de la Dre Smith, Schering a produit les diapositives de Troy.

 

F.  Le procès à venir dans l’action Perindopril

 

  • [14] La date du procès de l’action Perindopril approche à grands pas. Le procès, initialement prévu le 25 février, a maintenant été fixé au 5 mars 2008.

 

III.  Analyse

 

A.  L’engagement tacite de confidentialité

 

  • [15] L’engagement tacite de confidentialité empêche l’utilisation de l’information obtenue à l’interrogatoire préalable, sauf dans le contexte du litige aux fins duquel elle a été divulguée. La reconnaissance de la règle a été renforcée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lac d’amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., [2001] 2 R.C.S. 743. La règle a été explicitement et systématiquement reconnue par la Cour fédérale (voir, par exemple, la décision Canada v. ICHI Canada Ltd., [1992] 1 F.C. 571, au paragraphe 579 (T.D.); Merck et Co. v. Apotex Inc., [1997] C.F. no 1852, au paragraphe 27 (T.D.) (QL); Visx Inc. c. Nidek Co. (1998), 80 C.P.R. (3d) 437 (T.D.).

 

  • [16] La raison d’être de la règle a été succinctement énoncée par le juge Joyal dans la décision Merck, précitée, au paragraphe 18 :

Dans l’arrêt Goodman c. Rossi, la Cour d’appel de l’Ontario explique que la règle de l’engagement implicite repose sur deux fondements. Le principe se fonde sur la reconnaissance d’un droit général à la confidentialité des documents qui appartiennent à une personne. La communication constitue une atteinte à ce droit dans le cadre des procédures obligatoires du tribunal. Le corollaire nécessaire de ce principe est que cette atteinte ne doit pas être autorisée pour des fins autres que la recherche de la justice dans l’instance au cours de laquelle la communication est faite.

 

  • [17] En d’autres termes, la règle sert les intérêts de la justice de deux manières, en préservant le droit d’une partie au litige à la protection de sa vie privée et en encourageant les parties à faire une divulgation complète lors d’un interrogatoire préalable (voir aussi l’arrêt Lac d’Amiante, précité, au paragraphe 60; l’arrêt Goodman c. Rossi, [1995] O.J. No 1906, au paragraphe 36 (C.A.)).

 

B.  L’exemption de l’engagement tacite de confidentialité

 

  • [18] L’engagement tacite de confidentialité n’est toutefois pas absolu. Des limites à la règle ont été explicitement reconnues par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lac d’Amiante, précité, où elle a indiqué que les tribunaux conservent le pouvoir d’exempter les personnes de cette obligation lorsque cela sert les intérêts de la justice. Plus précisément, le critère a été formulé par le juge LeBel à titre d’exercice de pondération, lequel exige que le tribunal évalue le préjudice qui serait subi si une exemption n’était pas accordée à l’encontre de ce préjudice dans le cas où l’information recherchée devait être communiquée :

 

Ainsi, les tribunaux devront mesurer la gravité du préjudice pour les parties visées dans l’éventualité d’une suspension de la règle de confidentialité, ainsi que les avantages découlant de celle-ci. Dans les cas où le préjudice subi par la partie qui a communiqué l’information paraît peu significatif et où l’avantage qu’en retirera la partie adverse semble important, le tribunal sera justifié d’accorder l’autorisation d’utiliser l’information. Avant d’employer l’information, la partie concernée devra cependant présenter une demande à cette fin. Cette dernière précisera les buts de l’utilisation et les motifs qui la justifient et sera ensuite débattue contradictoirement. Le tribunal pèsera l’intérêt supérieur de la justice à l’utilisation de l’information dans les relations entre les parties, et le cas échéant, à l’égard des tiers, par rapport au droit de tenir l’information confidentielle. Des facteurs multiples qu’on ne saurait énumérer exhaustivement, seront alors pris en compte. La communication de parties ou de la totalité d’un interrogatoire ou des pièces produites à l’occasion de celui-ci pourra ainsi être acceptée, dans des cas où un intérêt important pour la justice ou les parties sera en jeu (l’arrêt Lac d’Amiante, précité, au paragraphe 76; voir également l’arrêt Goodman, précité, aux paragraphes 65 et 66).

 

  • [19] Le juge LeBel a signalé, cependant, que les tribunaux devraient éviter d’exercer leur pouvoir de dégager une partie de l’engagement tacite de façon trop routinière, ce qui compromettrait l’utilité, et éventuellement l’existence de la règle (l’arrêt Lac d’Amiante, précité, au paragraphe 76; voir aussi l’arrêt Goodman, précité, au paragraphe 64).

 

  • [20] Le critère d’exemption de l’application de la règle de l’engagement tacite a été également formulée par le juge Rothstein, tel était alors son titre, dans la décision Visx, précitée, au paragraphe 3. De l’avis du juge Rothstein, deux facteurs doivent être considérés pour accorder une exemption de l’application de la règle de l’engagement tacite : (i) l’existence de circonstances particulières et (ii) la pondération de l’injustice que subirait chaque partie par suite de l’octroi ou du refus de l’exemption. Ce critère a été suivi par deux causes de la Cour fédérale (la décision Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc., [2000] ACF n° 1793, au paragraphe 31 (T.D.) (QL); Letourneau c. Clearbrook Iron Works Ltd., 2003 CF 949). Cependant, après un examen approfondi, je ne crois pas que le critère de la décision Visx ajoute quoi que ce soit au critère établi dans l’arrêt Lac d’Amiante, précité. Plus particulièrement, ni Visx ni les affaires qui ont suivi n’établissent une nette distinction entre les facteurs qui doivent être examinés à l’étape des « circonstances particulières » et ceux qui doivent l’être à l’étape de l’intérêt de la justice. En conséquence, la Cour prendra en considération toutes les circonstances de l’espèce pour déterminer si les intérêts de la justice seront servis par l’octroi d’une exemption.

 

  • [21] La jurisprudence relative à la règle de l’engagement tacite de confidentialité relève un certain nombre de facteurs qui devraient être pris en considération pour déterminer si l’exemption devrait être accordée :

 

  • Les fins auxquelles la partie demande l’autorisation de présenter les documents communiqués. Par exemple, si l’exemption est demandée afin d’utiliser les documents dans une autre procédure ou si cette exemption est demandée à des fins commerciales non liées au litige (John B. Laskin, c.r., « The Implied Undertaking in Ontario » (1990) 11 Adv. Q. 298, aux pages 314-315 [Laskin]);

 

  • Dans le cas où l’exemption demandée est liée au litige, si les parties à l’instance pour laquelle l’interrogatoire préalable a eu lieu (la procédure initiale) sont identiques ou semblables aux parties à l’instance dans laquelle les documents seront utilisés (la procédure parallèle) (l’arrêt Gleadow v. Nomura Canada Inc., [1996] O.J. No. 668, au paragraphe 9 (A.C.S.));

  • Dans le cas où l’exemption demandée est liée au litige, si les questions ou le contexte factuel de la procédure initiale sont les mêmes que dans la procédure parallèle (l’arrêt Gleadow, précité, au paragraphe 10; la décision Merck & Co. c. Apotex Inc., 2004 CF 1723, au paragraphe 8 [Merck 2]; Laskin, à la page 315). Cependant, ce facteur seul ne garantit pas l’octroi d’une exemption (la décision Letourneau, précitée, au paragraphe 8);

 

  • Si les documents communiqués sont intrinsèquement confidentiels (Laskin, à la page 315);

 

  • Si les documents obtenus lors de l’interrogatoire préalable ont déjà été publics, mais ils ne le sont plus, et ce, sans faute de la part de la partie qui demande l’exemption (la décision Kirkbi AG, précitée, au paragraphe 31);

 

  • Dans le cas où l’exemption demandée est liée au litige, si la partie qui demande l’exemption dans la procédure initiale souhaite établir qu’un témoin a donné des versions incompatibles du même fait dans la procédure parallèle (l’arrêt Lac d’Amiante, précité, au paragraphe 77);

 

  • Dans le cas où l’exemption demandée est liée au litige, si la procédure initiale et la procédure parallèle sont protégées par des ordonnances de confidentialité (la décision Merck, précitée, au paragraphe 24);

 

  • Si l’octroi de l’exemption entraînera la diffusion de l’information à des parties autres que celles qui y ont déjà accès (la décision Merck 2, précitée, au paragraphe 8; Laskin, à la page 315);

 

  • Si un tiers est susceptible d’être engagé à l’encontre de la partie qui a communiqué l’information révélée au cours de l’interrogatoire préalable (Laskin, à la page 316);

 

  • Dans le cas où l’exemption demandée est liée au litige, si l’objectif de la procédure initiale peut être atteint dans le cadre de la procédure parallèle (la décision Goodman, précitée, au paragraphe 68);

 

  • Dans le cas où l’exemption demandée est liée au litige, si l’information demandée est autrement contraignable (la décision Merck, précitée, au paragraphe 27, la décision Merck 2, précitée, au paragraphe 8); et

 

  • Dans le cas où l’exemption demandée est liée au litige, si l’octroi de l’exemption vise des tiers (par exemple, si cela entraîne l’introduction d’une procédure légale contre ces tiers) (la décision Merck, précitée, au paragraphe 22; la décision Merck 2, précitée, au paragraphe 8).

 

C.  L’application des principes de la requête devant la Cour

 

  • [22] Appliquant ces principes aux faits qui m’ont été soumis, je conclus que les facteurs suivants sont favorables à l’octroi d’une exemption de l’application de la règle de l’engagement tacite eu égard aux documents Ramipril :

 

  • La question d’une conspiration illégale est commune aux deux actions;

  • L’action Perindopril est protégée par une ordonnance de confidentialité (la décision Merck, précitée, au paragraphe 24 ci-dessus);

  • Apotex n’utilisera pas les documents Ramipril pour introduire une procédure judiciaire contre un tiers (la décision Merck 2, précitée, au paragraphe 8);

 

  • Les documents Ramipril sont vraisemblablement plus pertinents dans l’action Perindopril; et

 

  • Les efforts d’Apotex pour localiser les diapositives de Troy dans la sphère publique n’ont pas abouti, même si les documents ont été antérieurement accessibles au public.

 

  • [23] En outre, je note que le préjudice éventuel que peuvent subir Sanofi et Schering est de nature générale et, bien qu’important, ce préjudice est présent chaque fois qu’une partie demande à être exemptée de l’application de la règle de l’engagement tacite de confidentialité lorsqu’il existe une procédure parallèle soulevant des questions semblables. Étant donné qu’Apotex ne demande pas de dommages-intérêts de la part de Sanofi ou de Schering dans l’action Perindopril, je ne puis admettre que l’avantage tactique éventuel qu’Apotex pourrait obtenir en raison de l’utilisation des documents Ramipril soit d’une nature particulièrement grave. En ce qui concerne les diapositives de Troy, je ne vois aucun préjudice de quelque nature que ce soit causé à Sanofi et Schering.

 

  • [24] Malgré ce qui précède, je conclus qu’une exemption ne peut être accordée à Apotex en ce qui concerne les documents Ramipril, autres que les diapositives de Troy. Même en supposant que tous ces documents sont pertinents, j’éprouve de nombreuses difficultés avec la requête d’Apotex. J’examinerai les facteurs qui militent contre l’octroi de l’exemption.

  • [25] Certaines des réponses évidentes à la demande d’Apotex vont comme suit :


 

  1. Le simple fait qu’Apotex a allégué une conspiration commune ne justifie pas l’octroi d’une exemption (la décision Letourneau, précitée, au paragraphe 8).

 

  1. Les parties nommées dans l’action Perindopril ne sont pas les mêmes que dans l’action Ramipril (l’arrêt Gleadow, précitée, au paragraphe 9).

 

  1. Apotex souligne l’ordonnance de confidentialité qui a été mise en place dans l’action Perindopril. Cependant, je tiens pour fait notoire que ces ordonnances ne sont pas rares dans les actions en brevets pharmaceutiques, et la présence d’une telle ordonnance en l’espèce ajoute, le cas échéant, peu de poids à l’argument d’Apotex en vue d’obtenir une exemption.

 

  • [26] L’incidence sur Servier, même si elle n’est pas partie à l’action Ramipril, doit également être considérée. À titre de demanderesse et de défenderesse reconventionnelle dans l’action Perindopril, il va de soi que Servier est une des « parties concernées » (l’arrêt Lac d’Amiante, précité, au paragraphe 76). Pour la présente requête, Apotex a sélectionné des groupes de documents à partir du processus d’interrogatoire au préalable dans l’action Ramipril. En tant que tiers, Servier n’est pas en mesure d’examiner la totalité du dossier d’interrogatoire préalable afin de déterminer s’il existe d’autres documents ou des renvois à la transcription qui pourraient l’aider à répondre aux documents Ramipril qui seraient maintenant accessibles dans l’action Perindopril. En cela, un préjudice grave est, selon moi, susceptible d’être causé à Servier. En réponse, Apotex affirme qu’elle a seulement « sélectionné » des groupes entiers de documents (par exemple, tous les rapports semestriels et tous les carnets antérieurs à la Conférence de Troy). Même en acceptant que ce soit vrai, je n’ai pas trouvé que cette explication était suffisante pour dissiper l’éventuel préjudice. Il y a peut-être d’autres documents en dehors de ces « groupes » définis qui pourraient aider Servier. Bien que Servier dispose peut-être d’outils pour réparer cet éventuel préjudice (même si aucun n’a été décrit), l’heure tardive de la présente requête exclut cette possibilité. Apotex ne m’a pas convaincue que Servier ne subirait aucun préjudice; en fait, je crois qu’il est plus que probable qu’au mieux, Servier soit défavorisée et qu’au pire, elle subisse un préjudice grave.

 

  • [27] En outre, l’importance de ce préjudice ou désavantage éventuel de Servier est accentuée, à mon avis, par le fait que d’autres moyens auraient pu être pris par Apotex pour obtenir les documents Ramipril. Sanofi et Schering ont mis en évidence au moins cinq manières différentes, y compris les méthodes formulées de façon explicite dans les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, selon lesquelles Apotex aurait pu obtenir les documents Ramipril tout en préservant l’engagement tacite de confidentialité. Brièvement, Apotex aurait pu :

 

  1. invoquer le paragraphe 233(1) des Règles des Cours fédérales pour obtenir les documents auprès d’un tiers;

 

  1. demander l’autorisation de procéder à l’interrogatoire préalable d’une personne qui n’est pas partie en vertu du paragraphe 238(1) des Règles des Cours fédérales;

 

  1. inclure Sanofi et Schering en tant que parties à sa demande reconventionnelle;

 

  1. consentir à ce que Schering et Sanofi soient constituées comme parties; ou

 

  1. poser des questions au Dr Michel Vincent sur la Conférence de Troy.

 

  • [28] Je reconnais les arguments d’Apotex que chacune de ces avenues pourrait poser problème. Néanmoins, on ne saurait être convaincu qu’Apotex n’a pas demandé l’information plus tôt en ayant recours à un ou à plusieurs des autres moyens qui auraient mis la question et les documents Ramipril (ou du moins certains d’entre eux) indéniablement de l’avant dans l’action Perindopril sans qu’il soit nécessaire de demander l’exemption extraordinaire de l’application de la règle de l’engagement tacite. Une partie ne devrait pas obtenir réparation pour son défaut d’avoir recours à d’autres façons évidentes de procéder (la décision Merck, précitée, au paragraphe 27).

 

  • [29] Le fait que l’action Perindopril a procédé à un rythme si rapide qu’Apotex n’est pas en mesure d’obtenir les documents Ramipril par d’autres moyens ne constitue pas non plus une excuse. La Cour a été appelée à trancher des questions relatives à l’action Ramipril depuis le dépôt de la requête en injonction en décembre 2006. À ce moment-là, les parties avaient été informées des dates en février 2008 auxquelles le procès pouvait être fixé. Avec le soutien de toutes les parties, la date du procès a été acceptée – avec un enthousiasme débordant de la part d’Apotex, si je me souviens bien. En aucun moment Apotex n’a demandé de fixer le procès à une date ultérieure. Il n’est tout simplement pas acceptable de la part d’Apotex d’utiliser le moment du procès comme excuse pour être exemptée de la règle de l’engagement tacite.

 

  • [30] Apotex soutient qu’elle a besoin des documents Ramipril pour poursuivre l’examen des questions liées à l’anticoncurrence et l’invention. Le problème que soulève cet argument est qu’Apotex a réussi, sans avoir accès aux documents Ramipril, à produire de nombreux rapports d’experts et à mener un important interrogatoire préalable. Bien qu’elle ait pu être désavantagée par le fait qu’elle n’avait pas à sa disposition les documents Ramipril, Apotex ne peut pas dire qu’on l’a empêchée de préparer ce qui semble être un dossier bien documenté sur les questions en litige. Bien que l’absence des documents Ramipril puisse présenter des difficultés à Apotex, je ne peux pas conclure que les documents Ramipril sont « nécessaires » au sens prévu par la jurisprudence (voir, par exemple, l’arrêt Lac d’Amiante, précité, au paragraphe 75).

  • [31] Enfin, il ne faut pas oublier que le « principe se fonde sur la reconnaissance d’un droit général à la confidentialité des documents » qui appartiennent aux personnes qui font l’objet d’un interrogatoire préalable (la décision Merck, précitée, au paragraphe 18). Ce droit ne devrait pas être facilement mis de côté au risque qu’il perde tout son sens.

 

  • [32] Bien que les motifs ci-dessus soient suffisants pour statuer sur la requête d’Apotex à l’égard de tous les documents Ramipril, autres que les diapositives de Troy, je note également les problèmes suivants en ce qui a trait à certains documents individuels :

 

  • Les accords de licence : Servier n’est pas partie aux accords de licence. Bien que les actes de procédure dans l’action Ramipril renvoient aux accords de licence, aucun renvoi ne figure dans les plaidoiries de l’action Perindopril. En conséquence, la question de la pertinence de ces documents particuliers demeure contestée, même si Apotex s’est donné beaucoup de mal pour démontrer que les accords de licence établissent la preuve d’un « commerce triangulaire » entre ADIR, Sanofi et Schering.

 

  • Les carnets antérieurs à la Conférence de Troy et les carnets semestriels : Apotex prétend que ces documents contiennent des renseignements qui ont été [traduction] « divulgués de façon générale ». Toutefois, « les documents et renseignements donnés sous la contrainte de la présente Cour sont confidentiels tant qu’ils ne sont pas versés au dossier public » (N.M. Paterson & Sons Ltd. c. Corp. de gestion de la voie maritime du Saint-Laurent, 2002 CFPI 1247, aux paragraphes 7 à 9). Apotex n’a présenté aucune preuve que ces documents font partie du dossier public. En effet, l’affidavit d’Andrew Lapierre indique au paragraphe 24 que la majeure partie des rapports semestriels présentés n’ont pas été divulgués au public.

 

  • Les transcriptions Ramipril : l’utilisation de documents ayant été révélés lors d’un interrogatoire préalable peut justifier une exemption de l’application de la règle de l’engagement tacite lorsqu’ils sont utilisés pour mettre en doute la crédibilité d’un témoin qui a déjà témoigné et que ce témoignage n’est pas conforme à une déclaration antérieure (l’arrêt Lac d’Amiante, précité, au paragraphe 77 citant la décision Wirth Ltd. c. Acadia Pipe & Supply Corp. (1991), 79 Alta. L.R. (2d) 345). En l’espèce, étant donné que ni la Dre Smith ni M. Creber n’ont témoigné encore, la requête d’Apotex est prématurée. Le cas échéant, la Cour accepterait d’instruire une autre demande d’exemption à l’engagement. De plus, si une partie se voit accorder l’exemption sur le fondement que les témoins peuvent se contredire dans un témoignage futur, l’exemption de la règle serait forcément accordée; la règle perdrait tout son sens. Je suis également d’accord que M. Creber, à titre d’avocat de Schering au cours de l’interrogatoire préalable du Dr Neustadt, a fait des déclarations concernant la position de son client. Il est difficile de savoir comment ces déclarations pourraient être utilisées pour contester la crédibilité de M. Creber si, en fait, il était appelé à témoigner.

 

  • [33] Les diapositives de Troy sont différentes de façon inhérente des autres documents Ramipril. Elles ne constituent pas des documents confidentiels. Les diapositives de Troy étaient accessibles à quiconque a assisté à la séance concernée lors de la Conférence de Troy. Il semble de plus qu’elles aient été diffusées par la suite. Étant donné que 28 années se sont écoulées depuis la conférence, il n’est pas surprenant qu’Apotex n’ait pas été en mesure de localiser les copies des diapositives auprès d’autres sources, en dépit des efforts qu’elle y a consacrés. Ni Sanofi ni Schering n’ont présenté d’observation quant au préjudice subi si l’exemption de l’application de la règle de l’engagement devait être accordée pour les diapositives de Troy. En conséquence, je suis disposée à accorder, dans la présente ordonnance, la demande d’exemption d’Apotex en ce qui a trait aux diapositives de Troy.

 

Conclusion

 

  • [34] En somme, sauf en ce qui concerne les diapositives de Troy, je ne peux conclure que l’intérêt de la justice dans l’information qu’on cherche à utiliser l’emporte sur les droits des parties d’assurer la confidentialité de l’information. Pour ces motifs, la requête sera rejetée dans tous les cas, sauf en ce qui concerne les diapositives de Troy. Étant donné que Sanofi et Schering ont obtenu presque entièrement gain de cause dans leur réponse à la requête d’Apotex, elles ont droit à leurs dépens, quelle que soit l’issue de la cause. Bien que Sanofi et Schering souhaitent obtenir des dépens élevés, je ne vois rien qui pourrait justifier quoi que ce soit d’autre que des dépens suivant le barème habituel.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

  1. Apotex se voit accorder l’exemption de l’application de la règle de l’engagement tacite en ce qui concerne les diapositives de Troy et peut utiliser ces diapositives dans l’action Perindopril (dossier de la Cour no T-1548-06);

 

  1. la requête pour être exempté de la règle de l’engagement tacite est rejetée en ce qui concerne tous les documents Ramipril; et

 

  1. les dépens sont adjugés à Sanofi et à Shering, quelle que soit l’issue de la cause.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-161-07

 

INTITULÉ :  SANOFI-AVENTIS CANADA INC. ET

SCHERING CORPORATION

demanderesses

et

 

APOTEX INC.

défenderesse

et

 

APOTEX INC.

demanderesse reconventionnelle

et

 

SANOFI-AVENTIS CANADA INC. ET

SCHERING CORPORATION

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH ET

RATIOPHARM INC.

défenderesses reconventionnelles

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 28 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :  LE 7 MARS 2008

 

COMPARUTIONS :

 

M. David Morrow

M. J. Sanderson Hamilton  POUR LES DEMANDERESSES/DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES SANOFI-AVENTIS CANADA INC.

  ET SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

 

M. Anthony Creber  POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE

M. Marc Richard  RECONVENTIONNELLE SCHERING CORPORATION

 

M. Andrew Brodkin  POUR LA DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE

M. Ben Hackett  RECONVENTIONNELLE APOTEX INC.

M. Miles Hastie

 

Mme Judith Robinson  POUR LA DEMANDERESSE

LES LABORATOIRES SERVIER DANS LE DOSSIER T-1548-06

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

SMART & BIGGAR  POUR LES DEMANDERESSES/DÉFENDERESSES

Toronto (Ontario)  RECONVENTIONNELLES SANOFI-AVENTIS CANADA

  ET SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

 

GOWLING LAFLEUR  POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE

HENDERSON LLP  RECONVENTIONNELLE SCHERING CORPORATION

Ottawa (Ontario)

 

GOODMANS LLP  POUR LA DÉFENDERESSE/DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)  RECONVENTIONNELLE APOTEX

 

OGILVY RENAULT S.E.N.C.R.L., s.r.l.  POUR LA DEMANDERESSE LES LABORATOIRES
Montréal (Québec)  SERVIER DANS LE DOSSIER T-1548-06

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