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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080306

Dossier : IMM-1092-07

Référence : 2008 CF 307

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2008

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

SUSHIL KISANA, SEEMA KISANA

et

SUBLEEN KISANA représentée à l’instance par son tuteur Sushil Kisana

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par une agente des visas à l'étranger afin de déterminer si la résidence permanente au Canada pouvait être accordée pour des motifs d'ordre humanitaire. Subleen Kisana et Lovleen Kisana sont les filles jumelles de Sushil Kisana et de son épouse, Seema Kisana. Les faits de la présente demande, qui concerne Subleen Kisana, sont sensiblement les mêmes que ceux du dossier IMM-1094-07 qui concerne Lovleen. Les deux affaires ont été entendues ensemble et les présents motifs de jugement traiteront des deux demandes. Un exemplaire en sera versé au second dossier.

 

[2]               Les demandeurs adultes n’étaient pas mariés quand les jumelles sont nées en Inde, en août 1991. Sushil Kisana a immigré avec ses parents au Canada en février 1993, en tant que personne à charge non mariée. Il a épousé Seema en Inde en janvier 1994 et a parrainé la demande de résidence permanente qu’elle a présentée. Elle a obtenu le droit d’établissement en avril 1999. Sushil et Seema ont à présent la citoyenneté canadienne. Ils ont tous deux nié avoir des enfants quand ils ont immigré au Canada.

 

[3]               La sœur de M. Kisana, qui est mariée au frère de Mme Kisana, s’occupent des jumelles depuis le départ de leur mère. La tante les élève réellement toute seule, car son mari vit et travaille dans une autre ville. La demande de parrainage présentée par les parents pour leurs filles en 2003 a échoué. Ils ont présenté une autre demande en 2005.

 

[4]               Les parties ne contestent pas que Subleen et Lovleen ne peuvent être considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial, susceptibles d’être parrainées par leurs parents canadiens, en vertu de l’alinéa 117(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) parce qu’elles n’ont pas été déclarées et considérées comme des enfants à charge lorsque leurs parents ont demandé à immigrer au Canada. Dans la demande de 2005, les parents ont aussi demandé qu’elle soit examinée à la lumière des circonstances d’ordre humanitaire. La demande a été transmise au bureau des visas en Inde.

 

[5]               Le 11 octobre 2006, les jumelles et leur tante ont été interrogées séparément à New Delhi dans leur langue maternelle, l’hindi. Comme en témoignent les notes informatisées de l’agente des visas (les notes du STIDI), qui ont été versées au dossier certifié du tribunal pour chaque dossier, l’agente a posé des questions sur les rapports des jumelles avec leurs parents – visites, appels téléphoniques, sur l’emploi des parents au Canada, les projets de ceux-ci pour leurs filles, la façon dont on subvenait aux besoins de celles-ci et sur leur relation avec leur tante. L’agente a noté que pour l’entretien, les jumelles avaient juste apporté leur certificat de naissance et leur passeport. Aucune autre preuve documentaire à l’appui n’a été présentée.

 

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[6]               Dans des lettres datées du 7 novembre 2006, l’agente a informé les demandeurs que leurs demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire avaient été refusées. Une explication distincte a été fournie pour chaque demande, mais les motifs de l’agente, comme l’indiquent les lettres et les notes du STIDI, se basent sur les trois entretiens et sont essentiellement identiques. Les motifs peuvent se résumer ainsi :

  1. les raisons invoquées par les demandeurs adultes pour expliquer pourquoi ils n’avaient pas déclaré leurs enfants dans leur propre demande de résidence étaient insuffisantes;
  2. les demandeurs adultes n’avaient pas fait d’efforts suffisants pour être réunis avec leurs enfants;
  3. les éléments de preuve d’échanges réguliers auxquels on pourrait s’attendre entre les parents et leurs enfants étaient insuffisants;
  4. les éléments de preuve de soutien financier des enfants par leurs parents étaient insuffisants;
  5. on n’avait pas suffisamment renseigné les filles sur le Canada, et les projets concernant leur avenir dans ce pays étaient insuffisants;
  6. les éléments de preuve au dossier et produits à l’audience ne font pas état, pour les filles, de difficultés ou de contraintes excessives causées par le fait de vivre avec leur tante en Inde.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               Les questions soulevées par les parties dans la présente instance et débattues à l’audience sont les suivantes :

1.                  les demandes présentées à l'étranger et fondées sur des motifs d'ordre humanitaire commandent-elles une plus grande retenue que les décisions rendues au Canada?

2.                  L’agente a-t-elle négligé d’être attentive ou sensible à l’intérêt supérieur des enfants?

3.                  L’agente a-t-elle omis de tenir compte de certains éléments de preuve ou a‑t‑elle tenu compte de facteurs non pertinents?

4.                  L’agente a-t-elle tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET AUTRES DISPOSITIONS PERTINENTES

 

[8]               L’article 25 prévoit le pouvoir de lever tout ou partie des obligations de la Loi et d’octroyer à un étranger le statut de résident permanent :

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger -- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché -- ou l'intérêt public le justifient.

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

[9]               L’alinéa 3(1)d) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

3. (1) En matière d'immigration, la présente loi a pour objet :

 

...

 

d) de veiller à la réunification des familles au Canada;

 

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

...

 

(d) to see that families are reunited in Canada;

                     

                     

[10]           Les principes exposés au chapitre 4 du Guide opérationnel de traitement des demandes à l’étranger, que publie le défendeur et qui porte sur les demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire et présentées à l’étranger, peuvent guider les agents d’immigration pour prendre des décisions en vertu de l’article 25. Certes ces lignes directrices n’ont pas force de loi et ne sont pas contraignantes, mais elles peuvent aider le tribunal à contrôler des décisions discrétionnaires : Legault c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. no 457, paragraphe 20.  

 

[11]           L’extrait ci-après figure au chapitre « Traitement des demandes comprenant des considérations d’ordre humanitaire […] » du Guide à titre d’éléments dont il faut tenir compte pour s’occuper de membres de la famille de fait qui ne relèvent pas de la catégorie du regroupement familial :

                    Éléments à prendre en considération :

 

-                 la question de savoir si la relation de dépendance est authentique et non créée à des fins d’immigration;

-                 le degré de dépendance;

-                 la stabilité de la relation;

-                 la durée de la relation;

-                 l’incidence d’une séparation;

-                 les besoins financiers et affectifs du demandeur relativement à l’unité familiale;

-                 la capacité et la volonté de la famille au Canada de fournir un soutien;

-                 les autres solutions qui s’offrent au demandeur, comme de la famille (époux, enfants, parents, fratrie, etc.) à l’extérieur du Canada qui a les capacités et la volonté de fournir un soutien;

-                 les preuves documentaires concernant la relation (p. ex., comptes de banque conjoints ou possession de biens immobiliers, possession conjointe d’autres propriétés, testaments, polices d’assurance, lettres provenant d’amis et de membres de la famille);

-                 tout autre facteur qui, de l’avis de l’agent, est pertinent à la décision CH.

 

 

ANALYSE

            Norme de contrôle applicable aux décisions ayant trait à des demandes présentées à l'étranger et fondées sur des motifs d'ordre humanitaire

 

[12]           Il est bien établi que la norme applicable aux décisions relatives à des motifs d’ordre humanitaire est de façon générale celle de la décision raisonnable : Baker c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39. Même si Baker porte sur une demande de résidence permanente présentée au Canada, il a été jugé que cette norme s’applique également aux demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire et présentées à l’étranger :  Nalbandian c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 1128, [2006] A.C.F. no 1416, paragraphe 12.

 

[13]           Sur des questions de fait, l’alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 prévoit que la Cour ne peut intervenir que si elle estime que l’office fédéral « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » : Mugesera c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CSC 40, [2005] A.C.S. no 39, paragraphe 38. Cette norme a été assimilée à celle de la décision manifestement déraisonnable : Assoc. canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c Aurora Importing & Distributing Ltd., (1997), 208 N.R. 329, [1997] A.C.F. no 115, paragraphes 6-7 (C.A.F.).

 

[14]           Le défendeur fait valoir que les demandes présentées à l’étranger et fondées sur des motifs d'ordre humanitaire devraient être assujetties à une norme plus accommodante que les demandes présentées au Canada, car une conclusion négative pour celles-ci est plus susceptible d’entraîner des perturbations que dans le cas des premières : Khairoodin c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 275, [1999] A.C.F. no 1256 et Za'rour c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2007 CF 1281, [2007] A.C.F. no 1647.

 

 

[15]           Je relève que dans Khairoodin comme dans Za'rour, la discussion de la norme applicable aux demandes présentées à l’étranger et fondées sur des motifs d'ordre humanitaire n’a pas été nécessaire pour trancher les questions en litige. Dans Khairoodin, le juge Marshall Rothstein, siégeant à titre de membre spécial de la Section de première instance de la Cour fédérale peu après la décision Baker, l’a formulée comme une question à approfondir. Le défendeur prétend toutefois que la proposition a été confirmée par le Cour d’appel fédérale dans Owusu c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2004 CAF 38, [2004] A.C.F. no 158, et à cet effet, cite à l’appui des déclarations des paragraphes 2 et 17 de Za'rour.

 

[16]           Les déclarations de mon collègue le juge Michel Shore dans Za’rour renvoient aux commentaires suivants dans Owusu, qui figurent au paragraphe 12 des motifs du juge John Evans :

Comme l'agente d'immigration n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande pour des raisons d'ordre humanitaire de M. Owusu, la Cour ne saurait intervenir. Dans une demande de contrôle judiciaire, il n'appartient pas à la Cour de substituer son opinion sur le bien-fondé d'une demande pour des motifs humanitaires à celle du décideur prévu par la loi, même si, au vu du dossier, la demande de statut de résident permanent de M. Owusu, présentée au pays, pour des motifs humanitaires, pourrait s'avérer bien fondée.

 

 

[17]           Les commentaires du juge Evans reflètent la jurisprudence de la Cour suprême du Canada à propos du rôle de la Cour quand elle applique la norme de la décision raisonnable dans les contrôles judiciaires. Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. La question n’est pas de savoir si le tribunal est arrivé au bon résultat : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, [1996] A.C.S. no 116 paragraphe 56; Law Society of New Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, paragraphes 48-56.

 

[18]           Dans Owusu, la Cour d’appel a confirmé le rejet de la demande, au motif que l’allégation que l’intérêt supérieur des enfants du demandeur n’avait pas été pris en compte n’était pas étayée par la preuve. Le juge Evans a souligné au nom de la Cour qu’il ne fallait pas interpréter la décision comme une confirmation de l'opinion du juge de première instance selon laquelle l'obligation de tenir compte de l'intérêt supérieur des enfants intervient lorsque les enfants en cause ne sont pas au Canada et n'y sont jamais venus. Selon la Cour d’appel, il faut attendre que les faits d’une autre affaire exigent que la question soit tranchée. En l’espèce, l’intérêt des enfants intervient clairement, puisque le litige porte sur leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

[19]           Je ne considère pas que l’arrêt Owusu laisse entendre que la norme de la décision raisonnable devrait commander plus de retenue quand la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire est présentée à l’étranger plutôt qu’au Canada. On s’explique mal comment la Cour pourrait appliquer un degré de retenue plus ou moins élevé selon le lieu de la décision, alors que le critère que la Cour suprême a mis au point pour la norme de contrôle est le point de savoir si les motifs fournis peuvent résister à un examen assez poussé. On peut présumer que la norme s’applique de façon égale aux décisions rendues au Canada et à celles rendues à l’étranger. Cela ne revient pas à dire cependant que les circonstances dans lesquelles les demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire sont présentées à l’étranger ne varieront pas en fonction de la situation locale. Ce que l’on peut attendre des agents d’immigration au Canada peut ne pas être raisonnable dans une mission à l’étranger.

 

            L’agente a-t-elle négligé d’être attentive ou sensible à l’intérêt supérieur des enfants?

 

[20]           Les demandeurs soutiennent que l’agente a analysé pour la forme l’intérêt supérieur des jumelles et qu’elle a mené l’entretien de façon à établir la preuve à invoquer pour rejeter la demande des adolescentes plutôt que pour les aider à présenter leur situation. Le fait qu’elles n’ont pas été interrogées sur ce qu’elles ressentent d’être séparées de leurs parents et le fait que l’agente n’a pas posé plus d’une question à chacune d’elles sur le Canada avant de trancher qu’elles connaissaient peu la situation du pays sont des exemples cités. Selon les demandeurs, la méthode de l’agente a été constamment négative, celle-ci montrant qu’elle voulait rejeter les jumelles plutôt que d’être ouverte et sensible à leur intérêt, comme il se devait pour l’analyse fût raisonnable : Baker, précité, paragraphe 75.

 

[21]           À propos de l’absence de preuve documentaire, les demandeurs font valoir que l’avis de convocation pour les entretiens précisait mal qu’elles devaient présenter des documents à l’appui de leur allégation de relation permanente avec leurs parents, comme des relevés téléphoniques ou des photographies. Le fait qu’elles ont répondu aux questions de l’agente qu’elles s’entretenaient régulièrement avec leurs parents par téléphone et que ceux-ci leur avaient rendu visite à plusieurs reprises aurait dû suffire, si tant est que leur crédibilité ne faisait pas problème.

 

[22]           Les demandeurs soulignent l’importance que l’énoncé des objets de la Loi accorde à la réunification des familles, et l’obligation de respecter l’intérêt supérieur des enfants, qui est reconnu dans les instruments internationaux dont le Canada est signataire, notamment la Convention relative aux droits de l’enfant et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils soulignent que l’exclusion prévue à l’alinéa 117(9)d) serait non conforme à ces instruments, n’eut été le fait que l’article 25 de la Loi en prévoit l’application de manière compatible : De Guzman c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CAF 436, [2005] A.C.F. no 2119, paragraphe 105. Même si l’intérêt des enfants peut ne pas être le seul facteur dont il faut tenir compte dans les affaires d’expulsion, en l’espèce, puisqu’il s’agit de la demande des enfants d’être réunies avec leurs parents, le facteur prépondérant devrait être la réunification de la famille.

 

[23]           La thèse du défendeur est que l’agente pouvait, d’après les renseignements dont elle disposait, décider que les enfants ne subiraient pas de contrainte excessive si elles demeuraient en Inde avec leur tante. Les preuves de relations et de communications fréquentes entre les demandeurs ne suffisent pas pour établir que le refus de leur demande entraînerait une contrainte excessive. Rien au dossier n’indique que l’agente a pris une décision hâtive ou qu’elle n’a pas été attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants en l’espèce ou qu’elle a été négative à leur égard. Il appartenait aux demandeurs de présenter toutes les preuves pertinentes, nécessaires pour établir le bien-fondé de leur demande, ce qu’ils n’ont pas fait.

 

[24]           L’analyse de la Cour doit partir du fait que les décisions rendues à l’égard de demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire sont de nature discrétionnaires et censées remédier à des difficultés excessives : Hawthorne c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) (C.A.), 2002 CAF 475, [2002] A.C.F. no 1687. Il incombe au demandeur de fournir à l’agent des visas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’une mesure exceptionnelle est justifiée : Owusu, précité. De surcroît, il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau les facteurs pertinents lorsqu’elle contrôle l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel : Suresh c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3.

 

[25]           Parmi les décisions récentes concernant des enfants non déclarés que leurs parents ont laissés, je cite Li c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 1292, [2006] A.C.F. no 1613; Sandhu c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2007 CF 156, [2007] A.C.F. no 204; Yue c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 717, [2006] A.C.F. no 914; David c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2007 CF 546, [2007] A.C.F. no 740.

 

[26]           Je conclus de ces jugements qu’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sera adéquate s’il peut être établi que l’agente a pris en compte tous les facteurs pertinents eu égard aux circonstances de l’espèce. Il n’appartient pas à la Cour de trancher si sa pondération de chaque facteur a été suffisante.  Les décisions des agents dans Li, Sandhu et Yue ont été confirmées pour ce motif. Dans David, l’agent n’avait pas fourni de motifs suffisants dans la communication des conclusions de fait sur les motifs d'ordre humanitaire pertinents.

 

[27]           En l’espèce, les notes du STIDI de l’agente rendent convenablement compte des entretiens menés et des motifs de sa conclusion que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour lever tout ou partie des obligations de la Loi. Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs que le compte rendu des entretiens laisse entendre que l’agente a travaillé de façon négative, en cherchant à rejeter les demandes. Selon le compte rendu, elle a mené le compte rendu avec professionnalisme. Elle a noté dans ses motifs les fausses déclarations des parents, mais a poursuivi en analysant, d’après les preuves dont elle disposait, la nature des rapports des jumelles avec leurs parents et leur tante, et leur vie en Inde. Je ne peux conclure qu’elle n’a pas pris en compte tous les facteurs pertinents.

 

[28]           L’agente n’avait pas à mener une analyse détaillée des réactions émotionnelles des jumelles à la séparation d’avec leurs parents. On peut présumer qu’elles voulaient être réunies avec eux au Canada. La question cependant était surtout de savoir si elles subissaient une contrainte excessive du fait de la séparation et de leur vie en Inde. N’ayant pas apporté de preuve suffisante de cette contrainte, les demandeurs ne peuvent ensuite se plaindre de ce que l’agente ne s’est pas suffisamment attardée pour combler le vide que leur omission a suscité.

 

     

L’agente a-t-elle omis de tenir compte de certains éléments de preuve ou a-t-elle tenu compte de facteurs non pertinents?

 

[29]           Les demandeurs prétendent que l’agente a omis d’apprécier des éléments de preuve fournis au cours des entretiens à propos de la fréquence et de l’objet des visites des parents en Inde, et qu’elle a accordé une importance démesurée aux fausses déclarations de ceux-ci.

 

[30]           Comme je l’ai indiqué précédemment, aucune preuve documentaire n’a été présentée à l’agente pour établir un rapport étroit permanent entre les jumelles et leurs parents. Lors des entretiens, elles ont parlé de rapports réguliers par téléphone et de visites périodiques, mais aucun relevé, en particulier téléphonique, n’a été proposé à l’appui. Les demandeurs prétendent qu’on leur avait laissé entendre que seuls les certificats de naissance étaient nécessaires, pour prouver la relation. Ceci ne semble pas cependant corroboré par les lettres de convocation à l’entretien ou par un courriel adressé à leurs conseils canadiens. Les lettres et le courriel précisent bien qu’elles devaient apporter une « preuve de communication avec le répondant ». L’agente n’a pas commis d’erreur en concluant que la preuve présentée était insuffisante.

 

[31]           Les demandeurs reconnaissent que la fausse déclaration est un facteur pertinent à prendre en compte à l’égard de l’intérêt public visé à l’article 25, mais soutiennent que les actes des parents ne devraient pas être retenus contre les jumelles. Ils allèguent en outre que le fait que le ministre et les fonctionnaires ont décidé de ne pas prendre de mesure d’exécution contre les parents est également pertinent.

 

[32]           Les fausses déclarations des parents soulèvent des questions d’intérêt public touchant l’intégrité du système d’immigration. Les enfants qui n’ont pas été déclarés ou qui n’ont pas fait l’objet d’un contrôle ont été expressément exclus de la catégorie du regroupement familial en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Comme l’a expliqué mon collègue le juge Michel Shore dans Za’rour, précitée au paragraphe 22, même s’il est vrai qu’une fausse déclaration ne fait pas obstacle à une décision favorable concernant une demande ultérieure fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, ces demandes ne sauraient toutes obtenir une dispense spéciale, en dépit de la séparation familiale et des difficultés qui en résultent puisque cela enlèverait toute signification au Règlement. Que des mesures exécutoires soient prises ou non me semble dénué de pertinence, en l’absence de preuve concernant l’exercice de la discrétion ministérielle.

 

[33]           Il est certes exact qu’en l’espèce, les jumelles n’ont pas fait de fausse déclaration qui aurait empêché de les inclure dans la catégorie du regroupement familial, mais le fait que les fausses déclarations ont été faites par leurs parents demeure pertinent pour décider de leurs demandes. L’agent n’a pas commis d’erreur en plaçant ceci dans le contexte de l’ensemble des preuves qui lui ont été présentées.

 

L’agente a-t-elle tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables?

 

[34]           L’argumentation des demandeurs à cet égard a trait aux conclusions de l’agent selon lesquelles les jumelles connaissaient peu le Canada et leurs parents ne les avaient pas correctement préparées pour leur arrivée. L’agente a fondé la première conclusion sur la brièveté de leurs réponses à des questions précises; elle n’a pas posé de question complémentaire pour déterminer ce qu’elles savaient d’autre. De même, en réponse à des questions sur les projets de leurs parents à leur égard, les jumelles ont seulement indiqué qu’elles allaient être scolarisées.

 

[35]           D’après les preuves dont elle a disposé, l’agente a raisonnablement conclu qu’elle se serait attendue à ce que les demandeurs adultes aient fait plus d’efforts pour informer les enfants de façon plus complète sur la vie au Canada. Je suis d’accord avec les demandeurs qu’il est peu probable que les parents aient eu des projets bien définis pour les jumelles, si ce n’est de les scolariser, mais ceci ne constitue une erreur assez importante pour annuler les conclusions de l’agente et renvoyer l’affaire pour réexamen.

 

 

CONCLUSION

 

[36]           Vu les questions soulevées par les demandeurs, force m’est de conclure que la décision de l’agente a été dans l’ensemble raisonnablement fondée sur les éléments qui lui ont été présentés.

 

[37]           Les parties ont sept jours à compter de la date du prononcé des présents motifs pour présenter les questions sur lesquelles elles demandent à la Cour de se prononcer à des fins de certification, avec des exemplaires à la partie adverse, puis trois jours ensuite pour y répondre avant le prononcé du jugement.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1092-07

 

INTITULÉ :                                      SUSHIL KISANA, SEEMA KISANA

                                                            et SUBLEEN KISANA représentée à l’instance par son tuteur Sushil Kisana

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 4 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           Le juge MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 6 mars 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LES DEMANDEURS

Gordon Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BARBARA JACKMAN

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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