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Date : 20080312

Dossier : T-830-05

Référence : 2008 CF 332

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 12 mars 2008

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

ENTRE :

ROBBINS & MYERS CANADA, LTD

demanderesse

 

et

 

TORQUE CONTROL SYSTEMS LTD et

ANDREW WRIGHT

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LE JUGE O’KEEFE

  • [1] Il s’agit d’une requête présentée par les défendeurs au titre de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en vue d’obtenir une ordonnance annulant l’ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 24 septembre 2007, dans laquelle il a conclu que le cabinet d’avocats de Ridout & Maybee S.E.N.C.R.L. (Ridout) n’était pas habilité à représenter les défendeurs dans la présente instance.


Résumé des faits

  • [2] Le brevet qui est en cause dans la procédure sous-jacente porte le titre [traduction] « Dispositif servant à faire remonter en tournant des trains de tubes d’un puits de pétrole » (le brevet 975). L’invention visée par le brevet 975 (l’invention) était initialement la propriété d’une société dénommée Alberta Basic Industries Ltd. (ABIL), dont les employés sont les auteurs de l’invention.

 

  • [3] ABIL a retenu les services de Peter Everitt (M. Everitt), alors au cabinet de Kvas Miller Everitt (Kvas Miller), pour préparer et déposer les demandes de brevet pour l’invention aux États-Unis et au Canada. Les demandes identifiaient trois employés d’ABIL comme inventeurs : M. Ring, M. Blundell et M. Wright.

 

  • [4] Le 24 janvier 2000, M. Everitt a déposé une demande au Canada pour l’invention. Cette demande a été modifiée quand M. Everitt a cessé de représenter ABIL. La demande a mené à la délivrance du brevet 975, revendiquant la priorité sur la demande aux États-Unis. Kvas Miller est demeuré l’agent et le représentant inscrit pour ABIL pour la demande de brevet 975 jusqu’au 24 avril 2001.

 

  • [5] Le 12 juin 2001, ABIL a attribué l’invention, y compris la demande de brevet 975, à Robbins & Myers Canada, Ltd (Robbins). Le brevet 975 a été délivré à Robbins le 14 décembre 2004.

 

  • [6] Robbins a déposé une demande introductive d’instance contre les défendeurs en mai 2005. Il était allégué dans la demande que les défendeurs avaient violé de multiples revendications du brevet 975.

 

  • [7] Le 27 mai 2005, M. Everitt s’est entretenu avec l’avocat de Robbins, pour l’informer que les services de Kvas Miller avaient été retenus pour défendre l’action pour les défendeurs et demander un prolongement des délais impartis pour déposer une défense. À ce moment, l’avocat de Robbins a été mis au courant que Kvas Miller avait auparavant représenté ABIL, mais l’avocat de Robbins n’a alors soulevé aucune objection. Les défendeurs ont déposé leur défense en juin 2005, dans laquelle il était indiqué que le cabinet Kvas Miller était inscrit au dossier au titre des avocats représentant les défendeurs.

 

  • [8] Le 16 mars 2006, l’avocat de Robbins s’est adressé par écrit à Kvas Miller pour demander que le cabinet se retire comme avocats en raison d’un [traduction] « conflit d’intérêts manifeste » émanant de son travail antérieur visant le brevet 975. Kvas Miller a refusé.

 

  • [9] En juin 2006 ou à peu près, Chris Kvas (M. Kvas) et M. Everitt se sont joints au cabinet d’avocats Ridout, lequel a aussi refusé de se retirer comme avocats des défendeurs.

 

  • [10] Curtis Ring (M. Ring), directeur technique d’ABIL de 1997 à 2001, a déclaré dans son affidavit que M. Everitt et son ancien cabinet, Kvas Miller, avaient reçu dans le secret des renseignements confidentiels et privilégiés se rapportant au brevet 975 et divulgués durant la préparation et le dépôt du brevet 975.

 

  • [11] Dans son affidavit, M. Ring a affirmé que durant ses conversations avec M. Everitt, il lui avait communiqué des renseignements confidentiels à propos de l’invention, dont certains n’ont pas été divulgués dans le texte du brevet 975. M. Ring ne se souvenait pas des détails de ses conversations avec M. Everitt, mais il affirme qu’en vertu de la pratique courante, ces conservations comportaient généralement des [traduction] « discussions sur des questions portant sur les caractéristiques innovantes de l’invention, et ses avantages sur les rotateurs précédents [...] ». De plus, M. Ring a affirmé qu’il y a eu [traduction] « des discussions confidentielles additionnelles sur les caractéristiques innovantes de l’invention, les antériorités, les autres versions de l’invention, la portée des revendications qui n’ont pas été intégrées dans le texte du brevet 975, et des explications sur la terminologie employée ».

 

  • [12] Andrew Wright (M. Wright) a travaillé chez ABIL comme directeur et représentant commercial de 1996 à 1999. Il n’était pas présent quand ont eu lieu les conversations entre M. Ring et M. Everitt à propos du brevet 975. M. Wright a toutefois été informé par M. Everitt qu’il (Everitt) ne détenait aucun renseignement confidentiel se rapportant à tout aspect du brevet 975 ou à l’invention décrite dans le brevet 975, et que tout renseignement qu’il avait reçu se trouvait dans les documents publiés par le Bureau des brevets. Cette information a été transmise à M. Wright dans un affidavit.

 

  • [13] M. Everitt a refusé de déposer son propre affidavit. M. Wright a affirmé que l’avocat des défendeurs n’a pas déposé d’affidavit, parce que la demanderesse a affirmé que le dépôt de cet affidavit empêcherait Ridout d’être partie à la requête pour que le cabinet Ridout cesse d’agir comme avocats des défendeurs.

 

Analyse et décision

  • [14] Norme de contrôle

  Dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 30 C.P.R. (4th) 40, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 17 à 19 :

Dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investment Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), la Cour énonce dans les termes suivants la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires :

 

Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C.A. Div.), le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits;

 

b) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal.

 

Si l’ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début. [Juge MacGuigan, aux pages 462 et 463; Renvoi omis.]

 

Le juge MacGuigan a ensuite expliqué, aux pages 464 et 465, que la question de savoir si une question est déterminante pour l’issue de l’affaire doit être tranchée sans égard à la réponse que le protonotaire y a donnée :

 

Il me semble qu’une décision qui peut ainsi être soit interlocutoire, soit définitive, selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour le règlement définitif de l’instance. Autrement dit, pour savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l’issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de « l’influence déterminante sur l’issue du principal » à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d’erreur de droit).

 

C’est probablement pourquoi, selon moi, il utilise les mots « [l’ordonnance] porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal », plutôt que « [l’ordonnance] a une influence déterminante sur l’issue du principal ». L’accent est mis sur le sujet des ordonnances et non sur leur effet. Dans un cas comme celui de l’espèce, la question à se poser est de savoir si les modifications proposées sont en soi déterminantes, qu’elles soient ou non autorisées. Si elles sont déterminantes, le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire de novo.

 

Afin d’éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu’il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l’occasion pour renverser l’ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d’abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l’issue de l’affaire. Ce n’est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J’énoncerais le critère comme suit :

 

Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal,

 

b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

 

Questions en litige

  • [15] Est-ce que les questions soulevées ont une influence déterminante sur l’issue du principal?

  La question en litige en l’espèce consiste à se demander si le retrait du cabinet Ridout des avocats inscrits au dossier pour les défendeurs est une question ayant une influence déterminante sur l’issue du principal. À mon avis, cette question n’est pas déterminante pour l’issue du principal. Aucun élément de preuve au dossier n’indique que le cabinet Ridout est le seul cabinet capable de fournir une défense pour les défendeurs.

 

  • [16] Est-ce que l’ordonnance du protonotaire reposait sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits?

  Pour avoir gain de cause, les défendeurs doivent démontrer que l’ordonnance du protonotaire Lafrenière était entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. J’examinerai maintenant les règles et les différentes erreurs commises par le protonotaire dans sa décision, selon les défendeurs.

 

  • [17] Règle sur les conflits d’intérêts

  Dans l’arrêt Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 34, la Cour suprême du Canada a affirmé au paragraphe 26 :

Ces décisions, parmi d’autres, traitent abondamment de l’origine et du fondement du secret professionnel de l’avocat, fermement établi depuis des siècles. Il reconnaît que la force du système de justice dépend d’une communication complète, libre et franche entre ceux qui ont besoin de conseils juridiques et ceux qui sont les plus aptes à les fournir. La société a confié aux avocats la tâche de défendre les intérêts de leurs clients avec la compétence et l’expertise propres à ceux qui ont une formation en droit. Ils sont les seuls à pouvoir s’acquitter efficacement de cette tâche, mais seulement dans la mesure où ceux qui comptent sur leurs conseils ont la possibilité de les consulter en toute confiance. Le rapport de confiance qui s’établit alors entre l’avocat et son client est une condition nécessaire et essentielle à l’administration efficace de la justice.

 

 

  • [18] Dans l’arrêt Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit à propos du conflit d’intérêts entraînant l’inhabilité :

Le critère à retenir

 

44  Quelle doit donc être la bonne approche? La norme de la “probabilité de préjudice” est-elle assez exigeante pour donner à la justice ce caractère apparent que le public exige d’elle? À mon sens, elle ne l’est pas; ce que confirment la jurisprudence que j’ai citée et le désir de la profession juridique d’avoir des règles strictes de déontologie, comme le démontre l’adoption du Code canadien de déontologie professionnelle. Le critère de la probabilité de préjudice correspond essentiellement à la norme de preuve en matière civile. Nous nous en tenons aux probabilités, tel est le fondement de l’arrêt Rakusen. Force m’est cependant de conclure que le public, et même les avocats et les juges, ont jugé cette norme insuffisante. L’utilisation de renseignements confidentiels est habituellement impossible à prouver. Comme le fait remarquer le lord juge Fletcher Moulton dans l’arrêt Rakusen, [traduction] “ce n’est pas possible de le prouver” (p. 841). J’ajouterais : “ou de le réfuter”. S’il en était autrement, le public se satisferait sans doute d’une preuve d’absence de préjudice. Mais comme c’est impossible à prouver, le critère retenu doit tendre à convaincre le public, c’est-à-dire une personne raisonnablement informée, qu’il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels. Voilà, à mon sens, la ligne directrice primordiale que doit suivre la Cour en répondant à la question : sommes-nous en présence d’un conflit d’intérêts de nature à rendre l’avocat inhabile à agir? Il faut souligner à cet égard que cette conclusion suppose que le client n’a pas acquiescé, mais qu’il s’oppose au mandat qui est à l’origine du conflit présumé.

 

45  D’ordinaire, ce type d’affaire soulève deux questions : premièrement, l’avocat a-t-il appris des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d’avocat à client, qui concernent l’objet du litige? Deuxièmement, y a-t-il un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du client?

 

46  Pour répondre à la première question, la cour doit résoudre un dilemme. Il peut en effet être nécessaire, pour examiner à fond la question, de révéler les renseignements confidentiels que l’on cherche justement à protéger. La requête perdrait alors tout sens. Les tribunaux américains ont résolu ce dilemme en adoptant le critère du “lien important”. L’établissement d’un “lien important” fait naître une présomption irréfragable selon laquelle l’avocat a appris des faits confidentiels. À mon avis, ce critère est trop rigide. Il peut arriver qu’il soit prouvé hors de tout doute raisonnable qu’aucun renseignement confidentiel pertinent en l’espèce n’a été divulgué; le requérant a pu, par exemple, reconnaître ce fait au cours de son contre-interrogatoire. Or, cette preuve serait inefficace au regard d’une présomption irréfragable. À mon avis, dès que le client a prouvé l’existence d’un lien antérieur dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l’avocat est suffisante, la Cour doit en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l’avocat convainc la Cour qu’aucun renseignement pertinent n’a été communiqué. C’est un fardeau de preuve dont il aura bien de la difficulté à s’acquitter. Non seulement la Cour doit être convaincue, au point qu’un membre du public raisonnablement informé serait persuadé qu’aucun renseignement de cette nature n’a été transmis, mais encore la preuve doit être faite sans que soient révélés les détails de la communication privilégiée. Néanmoins, je suis d’avis qu’il ne convient pas de priver de tout moyen d’action l’avocat qui veut s’acquitter de ce lourd fardeau.

 

47  Il s’agit en deuxième lieu de décider si un mauvais usage sera fait des renseignements confidentiels. Un avocat qui a appris des faits confidentiels pertinents ne peut pas agir contre son client ou son ancien client. Il sera automatiquement déclaré inhabile à agir. Peu importe qu’il donne l’assurance ou qu’il promette de ne pas utiliser les renseignements. L’avocat ne peut pas compartimenter son esprit de façon à trier les renseignements appris de son client et ceux obtenus d’autres sources. Au surplus, il risquerait de s’abstenir d’utiliser des renseignements obtenus licitement, par crainte de donner l’impression qu’ils proviennent du client. L’avocat serait ainsi empêché de bien représenter son nouveau client. Par surcroît, l’ancien client aurait le sentiment d’être désavantagé. Il ne pourrait s’empêcher de penser que les questions posées au cours du contre-interrogatoire au sujet de sa vie privée, par exemple, ont leur origine dans la relation antérieure.

 

Le protonotaire a bien énoncé le critère à appliquer dans sa décision, au paragraphe 17.

 

  • [19] Existence d’une relation avocat-client antérieure dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l’avocat est suffisante

  Les défendeurs ont affirmé que le protonotaire a commis une erreur en concluant qu’une relation avocat-client existait entre la demanderesse et l’avocat des défendeurs (M. Everitt). Les défendeurs ont énuméré les indices d’une relation avocat-client et affirmé qu’aucune relation avocat-client de ce type n’existait. Les défendeurs ont reconnu qu’il y avait une relation avocat-client entre M. Everitt et ABIL quand la demande relative au brevet 975 a été préparée, mais les défendeurs nient qu’il y ait eu ou qu’il y ait aujourd’hui une relation avocat-client entre M. Everitt et la demanderesse. Le protonotaire a avec raison souligné que ni Ridout ni M. Everitt n’a jamais eu de lien avec Robbins.

 

  • [20] Le protonotaire a affirmé au paragraphe 25 de sa décision :

Toutefois, avant de décider sur l’existence d’une relation antérieure existe [sic], le mot “client” doit être interprété comme [traduction] « toute personne ayant participé ou qui a été liée » au client dans le cadre d’une entreprise antérieure : UCB Sidac International Ltd. c. Lancaster Packaging Inc., (1993), 51 C.P.R. (3d) 449, 452 (Ont Ct GD) (Sidac). Cette interprétation élargie de la définition de « client » a été adoptée par le juge Barry Strayer dans Almecon Industries Ltd. c. Nutron Manufacturing Ltd. (1994), 55 C.P.R. (3d) 327, et ultérieurement confirmée par la Cour d’appel fédérale dans (1994), 57 C.P.R. (3d) 69.

 

  • [21] Dans UCB Sidac International Ltd. c. Lancaster Packaging Inc., (1993) 51 C.P.R. (3d) 449 (Ont. Ct. G.D.), la Cour a affirmé à la page 452 : [traduction]

[...] La deuxième est que la question centrale abordée dans le jugement n’était pas l’une des deux questions « typiques » soulignées, mais la question primordiale suivante : « sommes-nous en présence d’un conflit d’intérêts de nature à rendre l’avocat inhabile à agir? » (voir p. 267). Pour répondre à cette question, il faut se demander s’il existe une « relation antérieure » non seulement entre l’avocat et le client mais également entre l’avocat et « les personnes qui s’étaient engagées ou associées » avec le client dans une affaire antérieure « dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l’avocat est suffisante » pour justifier la révocation réclamée.

 

 

  • [22] En raison de cette jurisprudence, il faut regarder au-delà de la stricte relation avocat-client. En fait, le juge McDonald, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale dans Almecon Industries Ltd. c. Nutron Manufacturing Ltd., (1994) 57 C.P.R. (3d) 69, a affirmé à la page 88 : [traduction]

[...] Il est possible, dans les cas où une relation antérieure établit un lien manifeste avec l’embauche de l’avocat, de conclure que le critère Martin devrait être appliqué. [...]

 

 

 

  • [23] Essentiellement, le protonotaire Lafrenière a estimé que puisque ABIL avait attribué l’invention et la demande de brevet 975 à Robbins, cette dernière, à titre de cessionnaire des droits, « pouvait raisonnablement présumer que l’avocat de ABIL n’agirait pas à l’encontre de ses intérêts concernant la validité du brevet. [...] » En l’espèce, Ridout, à titre d’avocats représentant les défendeurs, a affirmé dans sa défense que le brevet 975 était invalide.

 

  • [24] À mon avis, la conclusion du protonotaire selon laquelle il existait une relation avocat-client antérieure entre M. Everitt et la demanderesse n’était pas entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

  • [25] Selon la prépondérance des probabilités, est-ce que des renseignements confidentiels pertinents ont vraisemblablement été communiqués à M. Everitt par M. Ring, au nom d’ABIL?

  Le protonotaire a conclu que des renseignements confidentiels pertinents ont vraisemblablement été communiqués à M. Everitt par M. Ring, durant les discussions portant sur le brevet 975. Bien qu’il n’ait pas été directement cité par le protonotaire, le juge Sopinka de la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit dans Succession MacDonald, précité, au paragraphe 46 (déjà cité mais reproduit ici pour plus de facilité) :

[...] À mon avis, dès que le client a prouvé l’existence d’un lien antérieur dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l’avocat est suffisante, la Cour doit en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l’avocat convainc la Cour qu’aucun renseignement pertinent n’a été communiqué. C’est un fardeau de preuve dont il aura bien de la difficulté à s’acquitter. Non seulement la Cour doit être convaincue, au point qu’un membre du public raisonnablement informé serait persuadé qu’aucun renseignement de cette nature n’a été transmis, mais encore la preuve doit être faite sans que soient révélés les détails de la communication privilégiée. Néanmoins, je suis d’avis qu’il ne convient pas de priver de tout moyen d’action l’avocat qui veut s’acquitter de ce lourd fardeau.

 

  • [26] En l’espèce, je suis d’accord avec la conclusion du protonotaire concernant l’existence d’une relation avocat-client antérieure dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l’avocat est suffisante. Par conséquent, la Cour doit inférer que des renseignements confidentiels ont été communiqués à M. Everitt, à moins que M. Everitt puisse convaincre la Cour que les renseignements communiqués ne pouvaient être pertinents. La preuve fournie par les défendeurs se trouvait dans l’affidavit Wright, mais M. Wright n’a pas eu une connaissance directe de la preuve. Il a été informé par M. Everitt que celui-ci n’avait révélé aucun renseignement confidentiel obtenu pendant qu’il travaillait sur les demandes relatives au brevet 975. Il s’agit d’une preuve par ouï-dire et, à ce titre, elle ne me convainc pas qu’aucun renseignement pertinent n’a été communiqué.

 

  • [27] De plus, comme l’a souligné le protonotaire, le témoin de la demanderesse, M. Ring, a témoigné qu’il avait partagé des renseignements confidentiels avec M. Everitt, même s’il ne pouvait se souvenir des détails.

 

  • [28] Est-ce que les renseignements confidentiels seront utilisés au détriment de l’ancien client?

  En ce qui concerne le second volet du critère, le juge Sopinka a affirmé dans Succession MacDonald, précité, au paragraphe 47 :

Il s’agit en deuxième lieu de décider si un mauvais usage sera fait des renseignements confidentiels. Un avocat qui a appris des faits confidentiels pertinents ne peut pas agir contre son client ou son ancien client. Il sera automatiquement déclaré inhabile à agir. Peu importe qu’il donne l’assurance ou qu’il promette de ne pas utiliser les renseignements. L’avocat ne peut pas compartimenter son esprit de façon à trier les renseignements appris de son client et ceux obtenus d’autres sources. Au surplus, il risquerait de s’abstenir d’utiliser des renseignements obtenus licitement, par crainte de donner l’impression qu’ils proviennent du client. L’avocat serait ainsi empêché de bien représenter son nouveau client. Par surcroît, l’ancien client aurait le sentiment d’être désavantagé. Il ne pourrait s’empêcher de penser que les questions posées au cours du contre-interrogatoire au sujet de sa vie privée, par exemple, ont leur origine dans la relation antérieure.

 

 

  • [29] Dans Succession MacDonald, précité, le juge Sopinka a poursuivi et abordé la jurisprudence portant sur les associés, aux paragraphes 49 et 50 :

En outre, je ne suis pas convaincu qu’un membre raisonnable du public conclurait nécessairement qu’il est probable que les renseignements confidentiels seront divulgués à tout coup en dépit des efforts concertés faits pour prévenir ce résultat. Pourtant, il y a fort à présumer que les avocats qui travaillent ensemble échangent des renseignements confidentiels. Pour trancher cette question, le tribunal doit donc tirer les conséquences de cette présomption, sauf s’il est persuadé, par des preuves claires et convaincantes, que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour veiller à ce que l’avocat en cause ne divulgue rien aux membres du cabinet qui agissent contre son ancien client. Parmi ces mesures raisonnables, on pourrait compter des mécanismes institutionnels comme les murailles de Chine et les cônes de silence. Ces concepts sont peu connus des tribunaux canadiens et même ne semblent pas avoir été adoptés par les organes directeurs de la profession. On peut s’attendre à ce que l’Association du barreau canadien qui a pris l’initiative par l’adoption en 1974 d’un Code de déontologie professionnelle, prenne encore l’initiative de déterminer si les dispositifs institutionnels sont efficaces et d’élaborer des normes en matière d’utilisation des dispositifs institutionnels qui seront uniformes au Canada. Bien que je ne sois pas prêt à dire qu’un tribunal ne devrait jamais considérer ces dispositifs comme la preuve d’une protection suffisante tant que les organes directeurs ne les auront pas approuvés et n’auront pas adopté des règles régissant leur fonctionnement, je ne puis envisager qu’un tribunal le fasse sauf dans des circonstances exceptionnelles. Par conséquent, dans la grande majorité des cas, il est improbable que les tribunaux admettent l’efficacité de ces dispositifs, tant que la profession, par l’entremise de son organe directeur, n’aura pas étudié la question et déterminé qu’il existe des garanties institutionnelles répondant à la nécessité de conserver la confiance dans l’intégrité de la profession. À cet égard, il convient de se rappeler que la profession d’avocat est une profession qui se régit elle-même. C’est à elle, et non aux tribunaux, que le législateur a confié la responsabilité d’élaborer des normes. Les tribunaux ont simplement un rôle de surveillance et leur compétence porte sur cet aspect de la déontologie uniquement en ce qui a trait aux procédures judiciaires. Toutefois, les organes directeurs se préoccupent de l’application des normes relatives aux conflits d’intérêt non seulement en ce qui concerne le contentieux mais dans d’autres domaines qui constituent la plus grande part de la pratique du droit. Par conséquent, il ne conviendrait pas de fermer l’ensemble de la pratique à l’organe directeur d’une profession autonome par l’imposition d’une norme inflexible et immuable dans l’exercice d’une compétence de surveillance à l’égard d’une partie de cette pratique.

 

A fortiori, les simples engagements et affirmations catégoriques contenus dans des affidavits ne sont pas acceptables. On peut s’attendre à les trouver dans toute affaire de cette nature qui est soumise aux tribunaux. Cela revient à une invitation de l’avocat à lui faire confiance. Le tribunal a alors la tâche ingrate de décider quels avocats sont dignes de confiance et lesquels ne le sont pas. De plus, même si les tribunaux estimaient que cette pratique est acceptable, il est peu probable que le public soit convaincu s’il n’a d’autres garanties que les renseignements confidentiels ne seront jamais utilisés. À cet égard, j’approuve les propos du juge Posner dans la décision Analytica, précitée, selon qui les affidavits des avocats, qui sont difficiles à vérifier objectivement, ne rassureront pas le public.

 

  • [30] En fonction de la jurisprudence qui précède, je suis d’avis que puisqu’il a été prouvé que M. Everitt a reçu des renseignements confidentiels, il n’est pas habilité à agir. Il ne peut simplement pas agir. La question plus vaste est de savoir si le cabinet Ridout est inhabile à agir parce qu’il pourrait faire un mauvais usage des renseignements confidentiels au détriment de la demanderesse. Je suis d’avis qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve montrant que toutes les mesures ont été prises par Ridout pour s’assurer que les renseignements confidentiels dans les mains de M. Everitt ne seront pas divulgués à M. Kvas ou à d’autres membres du cabinet Ridout. Tout ce dont disposait le protonotaire, étaient des éléments tenus pour véridiques sur la foi de renseignements qu’il n’existait plus de dossiers physiques ou informatiques chez Kvas Miller Everitt ou chez Ridout & Maybee S.E.N.C.R.L. Ces éléments de preuve ne traitent pas des connaissances personnelles de M. Everitt, qu’il pourrait communiquer à ses associés.

 

  • [31] Je suis d’avis qu’il y a un risque que ces renseignements confidentiels soient utilisés au détriment du client.

 

  • [32] À mon avis, ces deux normes établissent un équilibre entre la confidentialité des renseignements communiqués à un avocat, la confiance du public dans l’intégrité de la profession, et le maintien et le renforcement de l’administration de la justice. D’un autre côté, elles reflètent aussi la capacité qu’a un client de choisir l’avocat de son choix. Elles permettent à un avocat d’agir contre un ancien client « à la condition qu’un membre raisonnable du public au courant des faits en arriverait à la conclusion qu’aucun renseignement confidentiel n’a été divulgué sans autorisation ni n’est susceptible de l’être » (voir Succession MacDonald, précité, au paragraphe 51).

 

  • [33] Pour en arriver à la conclusion que les cabinets Everitt et Ridout sont tous deux inhabiles à agir pour les défendeurs en raison d’un conflit d’intérêts, je répéterai une partie du paragraphe 38 de la décision du protonotaire Lafrenière :

Une partie de la défense des défendeurs dans cette procédure consiste à contester la validité du brevet ‘975, pour lequel la demande a été préparée et déposée par le même avocat dont le cabinet cherche maintenant à faire invalider le brevet. Une personne raisonnablement informée ne pourrait pas, dans de telles circonstances, se convaincre qu’il n’y aurait eu aucun emploi inopportun de renseignements confidentiels communiqués dans le cadre de la relation avocat-client. [...]

 

 

 

  • [34] La décision du protonotaire sur ce point n’était pas manifestement erronée; le protonotaire n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits.

 

  • [35] Retard et renonciation alléguée

  Les défendeurs ont affirmé que le retard de la demanderesse à s’opposer au conflit d’intérêts allégué l’empêchait de faire valoir cet argument. Je conviens que le protonotaire Lafrenière n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits quand il a conclu que le délai d’opposition au conflit d’intérêts ne rectifie pas l’existence du conflit et que tout préjudice que les défendeurs auraient pu subir pouvait être réparé par une ordonnance sur les dépens. Dans Echerguard Products Ltd. c. Rocky’s of B.C. Leisure Ltd., (1993) 54 C.P.R. (3d) 545 (CAF), la Cour fédérale a affirmé à la page 553 :

L’intimé soutient que l’appel devrait être rejeté à cause du retard qu’il y a eu entre le moment où Me Sinnott est entré au service de Bereskin & Parr et le dépôt de l’objection officielle, en mai 1992. Je ne vois pas comment le conflit d’intérêts pourrait être éliminé du seul fait de ce retard. Il se peut très bien qu’un retard ou d’autres facteurs doivent être examinés pour déterminer les conditions auxquelles un tribunal ordonnera à un ou plusieurs avocats de cesser d’occuper, mais il s’agit là d’une question tout à fait distincte.

 

  • [36] Les défendeurs ont aussi affirmé que le protonotaire Lafrenière a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas renoncé à son droit de s’opposer au conflit d’intérêts. Le protonotaire a affirmé aux paragraphes 32 et 33 de sa décision :

Les défendeurs affirment qu’au début des procédures, Robbins avait expressément consenti à la représentation des défendeurs par leur avocat, et de ce fait a renoncé à tout droit dont il aurait pu jouir de contester la représentation des défendeurs par Ridout. Les défendeurs affirment aussi que puisque Robbins a tardé à présenter la présente motion, ils devraient être autorisés à se faire représenter par l’avocat de leur choix.

 

Le fait que l’avocat de Robbins n’a soulevé aucune opposition lorsqu’il a été informé que Kvas Miller représentait les défendeurs ne qualifie pas le renoncement au conflit d’intérêts. La question a été soulevée dans un cadre informel entre l’avocat des parties, suivant une demande de prolongation de délais. Il n’est pas clair si les répercussions des renseignements ont été pleinement comprises par l’avocat de Robbins à ce moment. Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu que Robbins ait accepté, et encore moins renoncé, au conflit d’intérêts [sic].

 

  • [37] Je suis d’avis que le protonotaire Lafrenière n’a pas commis une erreur flagrante, en ce sens qu’il n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits pour en arriver à sa conclusion.

 

  • [38] En conclusion, en ce qui concerne l’ensemble de son pouvoir discrétionnaire, je suis d’avis que le protonotaire Lafrenière n’a pas commis d’erreur flagrante, conformément à ce qui est mentionné ci-dessus au paragraphe 38; par conséquent, je ne vois aucune raison d’intervenir concernant l’ordonnance rendue.

 

  • [39] La requête des défendeurs doit par conséquent être rejetée et les dépens sont adjugés à la demanderesse.


 

ORDONNANCE

 

  • [40] LA COUR ORDONNE que la requête des défendeurs soit rejetée et que les dépens soient adjugés à la demanderesse.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-830-05

 

INTITULÉ :  ROBBINS & MYERS CANADA, LTD

 

  - et -

 

  TORQUE CONTROL SYSTEMS LTD et

  ANDREW WRIGHT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   Le 22 octobre 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  Le juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS:  Le 12 mars 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael D. Manson

Karen F. MacDonald

 

POUR LA DEMANDERESSE

Christopher J. Kvas

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ridout & Maybee S.E.N.C.R.L.

Mississauga (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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