Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080310

Dossier : T-566-07

Référence : 2008 CF 330

Toronto (Ontario), le 10 mars 2008

En présence de madame la protonotaire Milczynski

 

ENTRE :

NYCOMED GMBH et

NYCOMED CANADA INC.

 

demanderesses

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

GENPHARM INC.

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête présentée par la défenderesse, Genpharm Inc., qui sollicite le rejet de la demande présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) par les demanderesses (collectivement Nycomed). Genpharm sollicite le rejet de la demande pour deux motifs. Premièrement, en vertu de l’article 6(5)a) du Règlement, Genpharm soutient que les brevets canadiens numéros 2,092,694 (le brevet 694) et 2,089,748 (le brevet 748) avaient été inscrits à tort au registre des brevets relativement à la drogue PANTOLOC (comprimé entéro‑soluble de 40 mg), laquelle renferme le médicament pantoprazole sodique, au motif qu’aucun des brevets ne se rattache à l’avis de conformité (l’AC) à l’égard duquel ils ont été inscrits (l’AC 738). Deuxièmement, en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement, Genpharm soutient que la demande est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure, au motif que les brevets 694 et 748 sont invalides ou non contrefaits par son produit.

 

[2]               Il n’y a pas de désaccord réel entre les parties en ce qui concerne la charge de la preuve applicable. En ce qui concerne la requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)a) du Règlement, Genpharm doit prouver, selon la prépondérance de la preuve, que les deux brevets de Nycomed en question (les brevets 694 et 748) ne se rattachent pas à l’AC 738 et qu’ils ont été inscrits à tort au registre. La charge de la preuve applicable à la requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement est beaucoup plus lourde. Genpharm doit établir que la demande est si manifestement futile qu’elle n’a aucune chance de succès.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que Genpharm a établi que le brevet 694 a été inscrit à tort au registre des brevets. En ce qui concerne le brevet 748, je n’ai pas été convaincue qu’il a été inscrit à tort. Quant à la requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement, je ne peux conclure que Genpharm s’est acquittée de la lourde charge de la preuve qui lui incombait. Peu importe quel sera éventuellement le bien‑fondé des arguments de Nycomed concernant l’invalidité et la contrefaçon, ils ne peuvent, même s’ils sont faibles, être qualifiés maintenant de si « manifestement futiles » que la tenue d’une audience complète serait tout à fait inutile. Nycomed a seulement besoin d’établir qu’elle a une cause défendable pour que la Cour rejette cette partie de la requête.

 

[4]               J’ajouterais que, jusqu’à un certain point, Genpharm n’était pas justifiée de se fonder sur l’alinéa 6(5)b) du Règlement dans les circonstances : pour que la Cour rejette une demande présentée en vertu du Règlement et ne tienne pas d’audience, la personne qui se fonde sur cet alinéa doit lui présenter des arguments plus probants que celui d’être tout à fait certain du bien‑fondé de sa cause. En l’absence d’une preuve claire et convaincante selon laquelle la demande est frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure de la part du demandeur, la présentation d’une requête en vertu de l’alinéa 6(5)b) ne devrait pas être encouragée. Le Règlement prévoit déjà que les instances seront régies par une procédure sommaire et tranchée de façon expéditive. Ces instances ne devraient pas donner lieu à des requêtes sollicitant une réparation habituellement demandée dans des requêtes en jugement sommaire. Bien la Cour ait conclu que la mesure prévue à l’alinéa 6(5)b) peut être accordée lorsque le requérant a clairement et sans aucun doute établi qu’il ne pouvait y avoir de contrefaçon, ou que la règle de la chose jugée ou de la préclusion pour même question en litige s’appliquait, ces circonstances demeurent exceptionnelles.

 

Aperçu

a) Le pantoprazole

[5]               Le pantoprazole sodique est un ancien médicament qui a été mis en marché et vendu au Canada depuis le milieu des années 90. Il a été classé comme « inhibiteur de la pompe à protons », « IPP » ou inhibiteur de l’H+,K+-ATPase, lequel inhibe les sécrétions de sucs gastriques et d’acide dans l’estomac. Le brevet no 4,758,579 délivré aux États‑Unis, maintenant expiré, a révélé que le pantoprazole et ses sels sont utiles pour [traduction] « prévenir et traiter les maladies gastro‑intestinales telles que les ulcères gastriques et duodénaux ».

 

[6]               Pour être efficace en tant que IPP, le pantoprazole sodique pris oralement doit se rendre jusque dans l’intestin grêle. Cependant, avant d’y arriver, le pantoprazole doit passer dans le milieu acide de l’estomac. Étant donné que le pantoprazole sodique se dissout dans un milieu acide, il est administré sous une forme posologique qui le protège au moyen d’une couche extérieure connue sous le nom d’enrobage entéro‑soluble. L’enrobage entéro‑soluble peut résister aux sucs gastriques, mais il se dissout et libère le pantoprazole sodique dans l’intestin, où il peut alors faire effet.

 

[7]               Il a été expressément divulgué dans un dossier d’antériorité que des comprimés de pantoprazole sodique recouvert d’un enrobage entéro‑soluble (résistant à l’acide présent dans l’estomac) peuvent être utilisés comme traitement des ulcères gastriques et duodénaux, et les personnes versées dans l’art savent depuis 1988 que la bactérie H. pylori est un microorganisme lié aux ulcères gastriques et duodénaux.

 

[8]               Le pantoprazole sodique est l’ingrédient actif de PANTOLOC, lequel a été mis en marché et vendu au Canada par Nycomed. L’utilisation du PANTOLOC en tant que IPP pour la réduction de la sécrétion des sucs gastriques dans le traitement des ulcères gastriques et duodénaux a été approuvée par Santé Canada en 1996. Il n’y a aucun brevet inscrit au registre à l’égard de la présentation de drogue nouvelle (la PDN) initiale ou de l’AC correspondant.

 

b) Le régime réglementaire et l’AC 738

[9]               L’innovateur de drogues qui souhaite mettre en marché une nouvelle drogue au Canada doit déposer une PDN en application du Règlement sur les aliments et drogues. S’il souhaite modifier d’une façon ou d’une autre une drogue déjà existante à l’égard de laquelle un AC a été délivré, il doit déposer un supplément une présentation de drogue nouvelle (le SPDN) auprès du ministre de la Santé. Si le ministre approuve la modification en question, alors un nouvel AC est délivré, et cet AC devient l’acte en vertu duquel l’innovateur met sa drogue en marché.

 

[10]           Lors du dépôt de la PDN ou du SPDN, l’innovateur peut déposer une liste de brevets auprès du ministre. Les brevets de cette liste renferment une ou plusieurs revendications pour lesquelles l’innovateur cherche à se prévaloir des avantages du Règlement. Un fabricant de médicaments génériques qui nomme la drogue de l’innovateur comme produit de référence canadien dans sa présentation abrégée de drogue nouvelle (la PADN) doit alors traiter de tous les brevets qui se trouvent sur la liste des brevets pour le produit en question.

 

[11]           Pour qu’un brevet soit inscrit sur une liste à l’égard d’un AC, il doit renfermer des revendications qui le rattachent à l’AC.

 

[12]           En ce qui concerne le PANTOLOC, les brevets 694 et 748 ont été ajoutés au registre des brevets à l’égard de trois AC distincts. L’AC qui a résulté de la SPDN no 055738, soit l’AC 738, a approuvé une nouvelle indication pour l’utilisation du PANTOLOC; les « raisons du supplément » se lisent comme suit : « En combinaison avec les antibiotiques appropriés, éradication de l’infection à H. pylori associée à un ulcère duodénal actif. » L’AC 738 autorisait Nycomed à modifier la monographie de produit du PANTOLOC en vue d’y ajouter une nouvelle indication pour son utilisation en combinaison avec deux antibiotiques, la clarithromycine et soit l’amoxicilline, soit le métronidazole, pour le traitement des ulcères duodénaux causés par H. pylori :

             

Indications: [pour] le traitement des affections où une diminution de la sécrétion acide gastrique est nécessaire tels : l’ulcère duodénal, l’ulcère gastrique, l’oesophagite par reflux gastro‑oesophagien, l’ulcère duodénal associé à l’infection à Helicobacter pylori.

Le pantoprazole, en association avec la clarithromycine et soit l’amoxicilline ou le métronidazole, est indiqué pour le traitement de patients porteurs d’un ulcère duodénal évolutif associé à une infection à H. pylori. Les essais cliniques ont montré que l’association du pantoprazole et des antibiotiques appropriés réussit à éradiquer l’infection à H. pylori.

 

 

c) La procédure dans la présente affaire

[13]           Par lettre datée du 19 février 2007, Genpharm a signifié un avis d’allégation aux prédécesseurs de Nycomed en application de l’article 5 du Règlement relativement aux brevets 694 et 748, de même que pour les brevets canadiens no 2,109,697 (le brevet 697) et no 2,310,585 (le brevet 585). Les quatre brevets sont inscrits au registre à l’égard des comprimés de 40 mg de PANTOLOC .

 

[14]           Dans son avis d’allégation, Genpharm allègue qu’elle ne contreferait aucune revendication des brevets 694, 697, 748 et 585 concernant l’ingrédient médicinal, la formulation, la forme posologique ou l’utilisation de l’ingrédient médicinal en fabriquant, en construisant, en utilisant ou en vendant son produit. Elle soutient également que les brevets 694, 697 et 748 ne sont pas valides et que les brevets 694 et 748 ont été inscrits à tort au registre relativement aux comprimés entéro‑solubles de 40 mg PANTOLOC.

 

[15]           Le 5 avril 2007, en réponse à l’avis d’allégation et en vertu du Règlement, les prédécesseurs de Nycomed ont présenté la demande en cause, laquelle vise à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à Genpharm relativement aux comprimés de 40 mg de pantoprazole sodique. Cependant, la demande ne concernait que les allégations relatives aux brevets 694, 697 et 748.

 

[16]           Nycomed a par la suite déposé sa preuve concernant sa demande et ayant trait aux brevets 694 et 748 et confirmé qu’elle ne se fondait plus sur le brevet 697, ni sur aucun AC, sauf sur l’AC 738.

 

[17]           Par conséquent, Genpharm sollicite le rejet formel de la partie de la demande qui concerne le brevet 697, réparation qui lui sera accordée dans l’ordonnance qui suit.

 

[18]           Comme autre question préliminaire, Genpharm soutient également que la demande de Nycomed devrait être rejetée au motif que Nycomed n’a pas déposé de preuve dans le cadre de sa demande en vue d’établir que les brevets 694 et 748 avaient été inscrits à juste titre.

 

[19]           Je n’accepte pas cet argument. Dans la décision Ferring Inc. c. Canada (P.G.), 2007 CF 300, aux paragraphes 28, 31 et 32, la Cour a conclu qu’un fabricant de génériques qui conteste une inscription au registre doit le faire par requête fondée sur l’alinéa 6(5)a) du Règlement; par conséquent, l’AC ou la demande d’ordonnance d’interdiction n’est pas la procédure adéquate pour traiter de l’inscription :

Aucune disposition spécifique de l’article 5 ne prévoit que le fabricant du produit générique peut alléguer, dans l’avis qu’il envoie à l’innovateur, que le brevet n’aurait jamais dû être inscrit sur la liste de brevets ou que le fabricant du générique n’est aucunement tenu de traiter les brevets inscrits sur la liste.

[…]

Une fois la procédure engagée, par la voie d’un avis de demande adressée à la Cour et nommant le ministre et le fabricant du générique comme défendeurs, le fabricant du générique peut, en vertu de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC, présenter une requête en radiation de procédure au motif que le brevet allégué n’aurait jamais dû être inscrit sur la liste. C’est la première fois que le fabricant du générique a la possibilité de le faire. L’alinéa 6(5)b) autorise le fabricant du générique à présenter une requête en radiation pour abus de procédure ou pour d’autres motifs analogues.

Par conséquent, il semblerait que le fabricant du générique doive attendre qu’une procédure soit engagée avant de pouvoir lui-même soulever la question de savoir si le brevet devait au départ être inscrit sur la liste compte tenu des dispositions de l’article 4 du Règlement AC. Comme nous l’avons dit, la jurisprudence établit que le fabricant du générique ne peut forcer directement le ministre à supprimer un brevet de la liste de brevets ni se constituer intervenant dans une procédure reliée aux listes de brevets présentées par l’innovateur.

 

[20]           À la lumière de ce qui précède, l’argument de Genpharm sur cette autre question préliminaire doit être rejeté. Étant donné que l’article 5 du Règlement ne permet pas à Genpharm de soulever des questions relativement à l’admissibilité à l’inscription dans son avis d’allégation, elle ne peut reprocher à Nycomed de ne pas avoir déposé de preuve sur cette question dans sa demande.

 

Le critère et le droit applicables

[21]           En vertu des alinéas 6(5)a) et b), une demande présentée dans le cadre du Règlement peut être rejetée en tout ou en partie s’il est établi :

a)         que les brevets en cause ne sont pas admissibles à l’inscription au registre;

b)         qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement, à l’égard d’un ou plusieurs brevets, un abus de procédure.

 

[22]           La norme de preuve et la charge de la preuve relatives à l’alinéa 6(5)a) du Règlement ont récemment été établies par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ratiopharm c. Wyeth, 2007 CAF 264, au paragraphe 56 :

Les questions de fait de la requête doivent être décidées suivant la norme habituelle de preuve au civil, c'est‑à‑dire la prépondérance de la preuve. Quant à la charge de la preuve, elle pèse, conformément aussi à la règle habituelle, sur le requérant (le fabricant de génériques). Cependant, si l'intimé (l'innovateur) omet de produire des éléments de preuve pertinents dont il est seul à disposer, il peut se révéler possible d'en tirer une inférence défavorable pour lui.

 

 

[23]           Une requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement oblige le requérant à montrer que la demande est abusive; il se peut qu’il doive alors démontrer que la demande est « manifestement futile » et qu’il est « évident et manifeste » qu’elle n’a aucun fondement (Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2007 CAF 163, au paragraphe 36).

 

[24]           En ce qui concerne l’approche adéquate à adopter pour trancher la question de l’inscription pour l’application de l’alinéa 6(5)a) du Règlement, il doit y avoir un « lien » ou une correspondance entre « l’invention brevetée » décrite dans le brevet en question et l’avis de conformité à l’égard duquel le brevet à été inscrit au registre des brevets. Sans un tel « lien » ou une telle « correspondance », le brevet n’est pas admissible à l’inscription au registre des brevets (Wyeth c. Canada, 2007 CF 340).

 

[25]           Quant à la présente requête, Genpharm a déposé les affidavits d’un témoin des faits, Peter Eustache (agent des brevets principal de Genpharm) et de deux témoins experts, le Dr Peter Rue (expert‑conseil dans l’industrie pharmaceutique) et le Dr Michael Gould (médecin possédant une grande expérience en gastroentérologie). Tous trois ont été contre‑interrogés.

[26]           Nycomed a déposé des affidavits de quatre experts : Diane Azzarello (pharmacienne et expert‑conseil en pharmaceutique), M. Chuck Charkrapani (expert‑conseil en statistique), M. James W. McGinity (professeur en pharmacologie) et Dr Stephen Wolman (médecin spécialiste en gastroentérologie). Elle a également déposé l’affidavit de Mme Mina Rinne (assistante juridique). Les cinq témoins de Nycomed ont tous été contre‑interrogés.

 

[27]           L’interprétation des revendications pertinentes des brevets 694 et 748 doit suivre les principes du droit et se fonder au besoin sur les avis fournis par les experts concernant la façon dont une personne douée d’habiletés moyennes dans l’art interpréterait le brevet. La Cour doit interpréter les revendications du brevet selon leur objet, en tenant compte de l’ensemble du brevet à la date de publication pour déceler l’intention de l’inventeur. Le brevet doit être interprété par un esprit désireux de comprendre, qui tente de comprendre, et non recherche les difficultés ou l’échec. La Cour d’appel fédérale incite à la prudence dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2007), 60 C.P.R. 81 : la Cour doit être prudente envers les avis donnés dans un esprit « qui […] essaie […] de trouver une façon de contourner l’invention de l’inventeur ».

 

A.  L’ADMISSIBILITÉ À L’INSCRIPTION

Le brevet 694 a‑t‑il été inscrit à tort?

a)   « L’invention brevetée »

[28]           Comme je l’ai déjà mentionné, la Cour doit comparer le changement qui ressort du SPDN avec « l’invention brevetée » qui se trouve dans le brevet que l’on veut faire inscrire. La notion « d’invention brevetée » tire son origine du paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, qui définit la portée du pouvoir de réglementation du ministre, lequel est limité à la prise de règlements qui empêchent la contrefaçon de « l’invention brevetée ». En vertu de cette disposition, le ministre a pris le Règlement en vue d’empêcher la contrefaçon par les personnes qui se prévalent des exceptions relatives aux travaux préalables et à l’emmagasinage établies par les paragraphes 55.2(1) et 55.2(2) de la Loi sur les brevets; voir : Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533, paragraphe 52 (l’arrêt Biolyse).

 

[29]           Sans nier l’importance de la notion « d’invention brevetée » dans le Règlement, sa définition ne s’y trouve pas et la jurisprudence se révèle être d’une utilité limitée lorsque l’on doit définir la notion. Selon les arrêts Biolyse, Wyeth et AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 2 R.C.S. 560, « l’invention brevetée » doit renvoyer au nouvel avantage que l’on trouve dans le brevet, et elle n’a pas besoin de correspondre nécessairement aux revendications. Le juge Binnie l’a clairement établi au paragraphe 52 de l’arrêt Biolyse :

Premièrement, le règlement doit s’appliquer aux personnes qui utilisent l’« invention brevetée ».  Ainsi que la Cour l’a souligné dans l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902, 2004 CSC 34, l’invention brevetée ne correspond pas nécessairement aux revendications du brevet.  Dans cette affaire, cette distinction était cruciale pour la question de la réparation.  S’il est vrai que l’agriculteur, M. Schmeiser, avait utilisé le produit breveté (des graines de canola Roundup Ready), il n’avait tiré aucun avantage de l’invention brevetée (sa résistance à l’herbicide) parce qu’il n’avait pas pulvérisé de Roundup sur ses cultures.  La Cour a ainsi débouté Monsanto de sa prétention aux profits que Schmeiser avait tirés de sa récolte de canola :

 

Le problème est que, en ordonnant la remise des profits, le juge de première instance n’a fait état d’aucun lien de causalité entre l’invention et les profits que, selon lui, les appelants ont tirés de la culture de canola Roundup Ready.  D’après les faits constatés, les appelants n’ont réalisé aucun profit dû à l’invention. 

 

[30]           Le juge Binnie a appliqué l’arrêt Monsanto à l’affaire Biolyse et conclu que Bristol-Myers Squibb avait un brevet relatif à la formulation et à l’administration du médicament paclitaxel. Cependant, étant donné que Bristol-Myers Squibb n’avait ni inventé, ni découvert le paclitaxel en soi, il ne constituait pas une « invention brevetée ». Le même raisonnement a été appliqué dans l’arrêt Wyeth : le juge Hugues a déterminé quelle était « l’invention brevetée » en examinant le mémoire descriptif et les revendications du brevet et il a mis l’accent sur la solution proposée par l’inventeur à un problème qui existait et qui avait été soulevé dans un dossier d’antériorité.  

 

b)   L’invention brevetée décrite dans le brevet 694

[31]           Nycomed soutient que l’invention brevetée décrite dans le brevet 694 est l’utilisation du pantoprazole comme agent antimicrobien lorsqu’il est utilisé en combinaison avec d’autres agents antimicrobiens pour éliminer les ulcères causés par une infection à H. pylori. Cependant, à mon avis, ce n’est pas ce qui ressort du brevet 694.

 

[32]           Le brevet 694 est nommé : « Utilisation de dérivés de Pyridylmethylsulphinyl-1H-benzimidazole pour le traitement des maladies causées par Helicobacter bacteria. » La première page du mémoire descriptif établit la [traduction] « portée de l’application de l’invention », qui se présente comme suit :

[traduction]

L’invention constitue une nouvelle forme pharmaceutique  administrée oralement. La nouvelle forme pharmaceutique est employée dans le traitement de maladies de l’estomac ou de l’intestin causées par la bactérie Helicobacter.

 

[33]           La première page du mémoire descriptif établit également l’antériorité. Nycomed révèle que divers composés (de la même famille que le pantoprazole) sont reconnus pour leurs propriétés inhibitives relativement aux sécrétions de sucs gastriques et pour le traitement de maladies infectieuses, dont celles causées par Campylobacter pylori. Il y est souligné qu’étant donné que le pantoprazole possède une faible stabilité et qu’il se dégrade dans l’acide, il est nécessaire d’administrer ces ingrédients actifs sous une forme résistante aux sucs gastriques. On donne un exemple de solution pour régler ce problème : l’utilisation d’une formulation à enrobage entéro‑soluble.

 

[34]           Le mémoire descriptif révèle par la suite que les composés sont utiles dans le traitement contre diverses souches de bactérie Helicobacter, dont H. pylori, et qu’il est avantageux que les comprimés, les capsules ou les granules soient sous une forme qui permet une dissolution facile dans les sucs gastriques pour que le composé actif soit dissous dans l’estomac. Pour le double traitement de maladies gastriques qui résultent à la fois d’une augmentation de l’acidité gastrique et de dommage à l’estomac causé par H. pylori, le brevet révèle qu’il est avantageux que les composés soient administrés sous une forme à la fois résistante et non résistante aux sucs gastriques, et ce, dans une dose unique.

 

[35]           La découverte de l’invention est présentée à la page 5 :

[traduction]

Il a été découvert, étonnamment, que les composés de la formule I sont beaucoup plus actifs contre la bactérie Helicobacter dans un milieu acide que dans un milieu neutre et qu’il serait donc indiqué qu’ils ne soient pas administrés dans une forme résistante aux sucs gastriques, ce qui se démarque de ce qui était connu dans l’antériorité.

L’invention porte donc de préférence sur l’utilisation de composés de la formule I et de leurs sels pharmacologiquement tolérés pour la préparation de médicaments qui ne sont pas sous une fomulation résistante aux sucs gastriques et qui doivent être administrés par voie orale pour éliminer la bactérie Helicobacter.

 

[36]           Le brevet contient 31 revendications. Les revendications 1 et 2 nous renseignent sur l’utilisation du pantoprazole dans la préparation de médicaments à administration orale contre la bactérie Helicobacter. Les revendications 3 à 5 et 20 à 25 nous renseignent sur la [traduction] « formulation de la drogue » ou le [traduction] « traitement oral » dans diverses formes posologiques. Aucune utilisation n’est mentionnée. Les revendications 6 à 19 et 26 à 31 nous renseignent sur l’utilisation des [traduction]  « formes posologiques » ou [traduction] « composition pharmaceutique » thérapeutique d’élimination de la bactérie Helicobacter ou H. pylori. Dans le brevet, 22 revendications mentionnent expressément la bactérie Helicobacter ou H. pylori, et 28 revendications énoncent expressément que les composés doivent être sous une forme au moins en partie non résistante aux sucs gastriques.

 

[37]           Sur le fondement de ce qui précède, je définis l’invention brevetée décrite dans le brevet 694 comme étant une nouvelle utilisation du pantoprazole sodique, à savoir son utilisation en tant qu’antimicrobien dans le traitement de maladies de l’estomac et de l’intestin liées à la bactérie Helicobacter, l’ingrédient actif étant de préférence administré sous une forme qui n’est pas complètement résistante aux sucs gastriques.

 

[38]           Cette définition est conforme au témoignage du Dr Wolman, témoin de Nycomed, qui a affirmé dans son affidavit que le brevet 694 [traduction] « divulgue que le pantoprazole exerce une action directe contre la bactérie Helicobacter pylori et décrit la formulation qui convient le mieux à cette action directe ». Lors du contre‑interrogatoire, il a convenu que, à la lecture de l’ensemble du brevet, il viendrait à l’esprit d’une personne versée dans l’art qu’il ne serait pas approprié d’administrer les composés de la formule I, dont le pantoprazole, sous une forme résistante aux sucs gastriques.

 

[39]           Comme il est noté dans les affidavits des Drs Rue et Gould, le brevet 694 reconnaît que les composés en question sont anciens, qu’ils étaient connus pour leurs propriétés inhibitrices de sécrétion de sucs gastriques et qu’ils doivent être administrés sous une forme posologique orale qui est résistante aux sucs gastriques, telle une forme posologique entéro‑soluble.

 

Le changement qui ressort du SPDN et l’AC correspondant

[40]           L’invention brevetée ayant été définie, il est maintenant nécessaire de relever le changement qui ressort du SPDN et de l’AC correspondant à l’égard desquels le brevet 694 a été inscrit. Comme je l’ai établi précédemment, Nycomed a déposé le SPDN 055738 parce qu’elle voulait que la nouvelle indication du PANTOLOC soit approuvée. Le 10 mars 2000, le ministre de la Santé a délivré un AC concernant le SPDN, qui énonce que la « raison du supplément » est une « nouvelle indication », à savoir « en combinaison avec les antibiotiques appropriés, éradication de l’infection à H. pylori associée à un ulcère duodénal actif ». La [traduction] « classe thérapeutique » était un « inhibiteur de H+,K+-ATPase » ou IPP.

 

[41]           La monographie de produit du PANTOLOC a été modifiée pour qu’y soient ajoutées la nouvelle indication et la posologie relative à l’utilisation du pantoprazole en combinaison avec la clarithromycine et soit l’amoxicilline, soit le métronidazole.

 

Rattachement de l’invention brevetée à l’AC

[42]           Genpharm avance quatre motifs pour conclure que le brevet 694 ne se rattache pas au SPDN et à l’AC 738 correspondant :

i)                    Le brevet nous renseigne sur l’activité antimicrobienne alléguée du pantoprazole, alors que l’AC n’approuvait pas l’utilisation d’un agent antimicrobien parce qu’il est sans effet utilisé seul contre la bactérie H. pylori.

ii)                   L’invention brevetée nous renseigne sur l’utilisation du pantoprazole seul, alors que l’AC ne l’approuvait pas.

iii)                 Le brevet revendique l’utilisation d’une forme posologique constituée d’un enrobage partiellement ou non entéro‑soluble, alors que le PANTOLOC est une forme posologique constituée d’un enrobage entéro‑soluble.

iv)                 Le brevet porte sur un mode d’administration à action retardée plutôt que sur l’ingrédient médicinal pantoprazole sodique en soi ou son utilisation.

 

[43]           En raison de la conclusion que j’ai tirée – dans laquelle j’ai déterminé que l’invention brevetée décrite dans le brevet 694 est l’utilisation du pantoprazole seul pour éliminer la bactérie H. pylori – je conclus que le brevet 694 ne se rattache pas au SPDN à l’égard duquel il a été inscrit. L’AC 738 n’approuve pas l’utilisation du pantoprazole comme traitement direct contre la bactérie H. pylori.

 

[44]           L’AC a été délivré à l’égard d’une nouvelle indication, soit l’utilisation du pantoprazole  en tant que IPP en combinaison avec des antibiotiques particuliers. Lorsqu’il est utilisé en tant qu’IPP, le pantoprazole vise à réduire ou à éliminer les sécrétions d’acide gastrique. Cependant, « l’invention brevetée » décrite dans le brevet 694 concerne l’utilisation du pantoprazole sodique comme agent antimicrobien.

 

[45]           Nycomed soutient que le brevet 694 se rattache à l’AC parce que le brevet nous renseigne sur l’utilisation du pantoprazole pour l’élimination de l’infection à H. pylori liée aux ulcères duodénaux. Elle allègue que le brevet révèle que le pantoprazole peut être administré avec d’autres antibiotiques pour accentuer son effet antimicrobien [traduction] « à la façon d’un superadditif ».

 

[46]           Bien que je reconnaisse que le brevet puisse prévoir l’utilisation du pantoprazole en combinaison avec des antibiotiques, cela ne modifie pas ma conclusion selon laquelle « l’invention brevetée » concerne l’utilisation du pantoprazole en tant qu’agent antimicrobien. L’expert de Genpharm le confirme : l’affidavit du Dr Rue énonce qu’étant donné que le brevet revendique une formulation qui est à la fois résistante et non résistante aux sucs gastriques, [traduction] « la partie sans enrobage entéro‑soluble du comprimé doit donc être utilisée comme antibiotique, alors que la partie recouverte de l’enrobage entéro‑soluble est utilisée comme IPP ».

 

[47]           Ma conclusion sur ce point constitue un motif qui justifie que j’accueille en partie la requête de Genpharm. Cependant, je soulignerais que, en 2007, la monographie de produit du PANTOLOC énonçait encore que le pantoprazole utilisé seul était inefficace pour le traitement d’une infection à Helicobacter :

Le pantoprazole sodique seul n’a eu aucun effet sur l’infection à Helicobacter pylori, tandis que dans le cadre de traitements d’association avec des antibiotiques, le pantoprazole sodique a exercé un effet de potentialisation sur l’éradication de l’infection à Helicobacter pylori.

 

[48]           Étant donné les conclusions que j’ai tirées précédemment, il n’est pas nécessaire que j’examine les troisième et quatrième arguments de Genpharm concernant la forme posologique et l’allégation que le brevet porte sur un mode d’administration à action retardée plutôt que sur le médicament pantoprazole sodique en soi ou son utilisation.

 

Le brevet 748 a‑t‑il été inscrit à tort?

a) L’invention brevetée décrite dans le brevet 748

[49]           Le brevet 748 est nommé « [c]ompositions pharmaceutiques contenant du 5-difluoromethoxy-2-[(3,4-dimethoxy-2-pyridyl) methylsulfiny] benzimidazole et un agent anti‑helicobacter pour le traitement des troubles gastro‑intestinaux ». Le mémoire descriptif énonce l’avantage suivant :

[traduction]

La composition de la présente invention peut être utilisée dans une thérapie pour le traitement des maladies gastro‑intestinales causées ou exacerbées par une infection à Helicobacter et la sécrétion d’acide gastrique. Par exemple, elle peut être utilisée pour le traitement des ulcères gastriques et duodénaux et, en particulier, elle diminue le taux de récidive observé lorsqu’il y a eu traitement par le composé de la structure (I) (c’est-à-dire le pantoprazole) en monothérapie.

 

[50]           Le brevet renferme 49 revendications. Les revendications 1 à 14 et 17 à 30 concernent diverses variations de la composition pharmaceutique; 15 et 16, l’utilisation de la composition; 31 à 41, une combinaison de médicaments; 42 et 43, l’utilisation de la combinaison de médicament; 44 à 46, l’utilisation de la composition pharmaceutique ou de la combinaison de médicaments à des moments d’administration précis.

 

[51]           D’une façon générale, les parties conviennent de ce qui constitue « l’invention brevetée », à savoir la divulgation de compositions pharmaceutiques originales pour le traitement des maladies gastro‑intestinales causées ou exacerbées par la bactérie H. pylori et la sécrétion d’acide gastrique. Ces compositions comprennent le pantoprazole ou un sel pharmaceutiquement acceptable du pantoprazole et un agent antimicrobien inhibiteur de la bactérie Helicobacter (AAMIH).

 

[52]           Genpharm a énergiquement soutenu que la « composition pharmaceutique » revendiquée dans le brevet 748 se limitait aux compositions pharmaceutiques qui se présentent soit sous une forme posologique unique renfermant toutes les substances médicinales (la pilule), soit sous plusieurs formes posologiques qui renferment diverses substances médicinales empaquetées ensemble dans un même emballage de médicaments (l’emballage). Le Dr Rue a fait valoir cet argument lors de son témoignage où il a soutenu que le terme « composition pharmaceutique » serait interprété comme signifiant un médicament, soit une forme posologique unique.

 

[53]           À mon avis, Genpharm tente à tort ou sans raison valable de limiter l’étendue des revendications. Le brevet 748 mentionne que l’utilisation du pantoprazole et d’un AAMIH peut se faire dans le cadre d’une administration concomitante ou non. L’administration concomitante se définit comme étant l’administration du pantoprazole et de l’AAMIH pris l’un après l’autre dans un délai de 24 heures. L’administration non concomitante se définit comme étant l’administration des deux agents pris à plus de 24 heures l’un de l’autre.

 

[54]           Le brevet 748 révèle également que l’AAMIH et le pantoprazole peuvent être administrés séparément, dans une composition pharmaceutique standard, ou ensemble, dans une composition unique. Enfin, le brevet 748 définit comme suit ce qu’il faut entendre par « composition pharmaceutique » selon qu’il s’agit d’une « pilule » ou d’un « emballage de médicaments » :

[traduction]

Le terme « médicament », lorsqu’il est utilisé dans le présent brevet, se définit comme étant une composition comprenant un agent antimicrobien inhibiteur de la bactérie Helicobacter et le composé de la formule (I), ou un sel pharmaceutiquement acceptable du composé, ou un emballage de médicaments renfermant les deux ingrédients actifs sous une forme posologique déterminée.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[55]           Par conséquent, je conclus que « l’invention brevetée » englobe l’utilisation de la composition pharmaceutique de pantoprazole et d’un AAMIH ou plus, lorsque les éléments sont sous une forme posologique unique ou sous des formes posologiques séparées qui n’ont pas besoin d’être emballées ensemble et, tel qu’il est indiqué dans le brevet, qui peuvent être administrés de façon concomitante ou non, mais qui, dans tous les cas, lorsqu’ils sont utilisés en combinaison, produisent l’effet souhaité, à savoir le traitement de maladies gastro-intestinales causées par une infection à H. Pylori.

 

Le changement qui ressort du SPDN et l’AC correspondant

[56]           Comme je l’ai établi précédemment, l’AC délivré à l’égard du SPDN 055738 a approuvé la « nouvelle indication » du PANTOLOC : l’utilisation du pantoprazole en combinaison avec la clarithromycine et soit l’amoxicilline, soit le métronidazole, pour l’éradication de l’infection à H. pylori liée à un ulcère duodénal actif.

 

[57]           Contrairement au brevet 694, où il est allégué que le pantoprazole a un effet antimicrobien, le brevet 748 mentionne l’ancienne utilisation du pantoprazole en tant que IPP.

 

Rattachement de l’invention brevetée à l’AC

[58]           Genpharm avance trois motifs pour justifier le non‑rattachement du brevet 748 au SPDN visé par l’AC 738 :

i)                    L’ingrédient médicinal dans le PANTOLOC est le pantoprazole sodique, alors que l’invention brevetée nécessite absolument la combinaison de deux médicaments.

ii)                   La « composition pharmaceutique » revendiquée dans le brevet 748 est soit une pilule unique qui renferme deux ingrédients médicinaux, soit un emballage de médicaments qui renferme deux ingrédients médicinaux séparés, ce qui ne correspond donc pas à la forme posologique du PANTOLOC.

iii)                 Le brevet ne mentionne pas que l’utilisation de la clarithromycine est nécessaire et, par conséquent, il ne se rattache pas à l’AC qui a approuvé l’utilisation du PANTOLOC en combinaison avec la clarithromycine.

 

[59]           En ce qui concerne le premier argument, Genpharm soutient que le brevet 748 a été inscrit à tort au registre étant donné qu’il nous renseigne sur la combinaison du pantoprazole et d’un AAMIH, alors que l’AC n’approuve que l’utilisation du pantoprazole sodique seul. À l’appui de son argument, Genpharm se fonde sur l’arrêt Pfizer c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 310. Dans cette affaire, Pfizer a tenté d’inscrire un brevet qui revendiquait une composition pharmaceutique (dont l’ingrédient médicinal amlodipine, une des trois statines et un excipient) à l’égard du médicament Norvasc, qui avait seulement un ingrédient médicinal, l’amlodipine. 

 

[60]           Le juge de première instance a conclu qu’en vertu du paragraphe 4(2)a) du Règlement, un brevet ne peut être inscrit à l’égard d’un médicament qui contient un ingrédient médicinal que s’il renferme une revendication pour l’ingrédient médicinal même ou une revendication relative à l’utilisation de l’ingrédient médicinal. La juge Sharlow a confirmé la conclusion du juge de première instance, selon laquelle le brevet avait été inscrit à tort :

7     Je suis également d'accord avec le ministre pour dire que cette interprétation est conforme à l'objet du Règlement AC, qui est de prévenir la contrefaçon de brevets tout en permettant aux fabricants de drogues de tirer parti de l'exception relative à la fabrication anticipée que prévoit l'article 55.2 de la Loi sur les brevets. Il ne découlera jamais, du fait d'inclure le brevet 726 dans une liste de brevets à l'égard du Norvasc, de contrefaçon possible de ce brevet.

8     Il y a à cela deux raisons. Premièrement, aucune drogue ne pourrait contrefaire le brevet 726 à moins de contenir à la fois de l'amlodipine et une des statines spécifiées dans ses revendications. La lecture de celles‑ci commande cette conclusion.

9     Deuxièmement, si un fabricant de drogues souhaitait obtenir un avis de conformité pour une nouvelle drogue contenant à la fois de l'amlodipine et une statine (aggravant ainsi le risque de contrefaçon du brevet 726), le Règlement des aliments et drogues ne lui permettrait pas de déposer une présentation abrégée de drogue nouvelle citant le Norvasc comme produit de référence canadien. La raison en est que, par définition, une nouvelle drogue proposée contenant deux ingrédients médicinaux ne peut être considérée comme l'« équivalent pharmaceutique » d'une drogue contenant un seul de ces ingrédients.

 

[61]           Nycomed réplique que la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Pfizer était fondée sur le fait qu’un comprimé renfermant un seul ingrédient médicinal ne peut contrefaire une revendication relative à un brevet de combinaison. Dans la présente affaire, l’utilisation du pantoprazole sodique en combinaison avec l’un des trois antibiotiques mentionnés dans la monographie de produit du PANTOLOC pourrait potentiellement contrefaire le brevet de combinaison.

 

[62]           Je conviens avec Nycomed que l’affaire Pfizer est différente de l’espèce. Il n’y a aucune preuve qui montre que le ministre avait approuvé l’utilisation de Norvasc pour une quelconque indication dans laquelle plus d’un ingrédient médicinal aurait été utilisé en combinaison et, par conséquent, l’utilisation de Norvasc n’aurait jamais pu contrefaire le brevet. 

 

[63]           Les motifs de la juge Sharlow dans l’arrêt Wyeth nous donnent quelques indications, et ce, même si le contexte diffère. La demande d'inscription de brevet ne peut se fonder sur un SPDN que si le changement faisant l'objet du SPDN serait pertinent dans le cas de contrefaçon d'une revendication du brevet que l’on veut faire inscrire :

[24] Il a été statué dans Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (1999), 87 C.P.R. (3d) 271 (C.F.), conf. par (2001), 11 C.P.R. (4th) 538 (C.A.F.), que le SPDN est assimilable à la PDN pour l'application de l'article 4 du Règlement AC. La jurisprudence ultérieure a nuancé cette interprétation. Il est maintenant établi que la demande d'inscription de brevet ne peut se fonder sur un SPDN que si le changement faisant l'objet de ce dernier peut se révéler pertinent pour la contrefaçon hypothétique d'une revendication de brevet relevant du Règlement AC [la jurisprudence applicable est résumée aux paragraphes 14 à 22 de Hoffmann‑La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 335]. Étant donné les conditions temporelles auxquelles la demande d'inscription de brevet est soumise, on décide la question de savoir si un SPDN déterminé peut fonder l'inscription d'un brevet en fonction des changements qui en font l'objet, indépendamment de tout AC antérieur.

 

[64]           Ici, en raison du changement faisant l’objet du SPDN (c’est‑à‑dire que soit approuvée l’utilisation du PANTOLOC en combinaison avec la clarithromycine et soit l’amoxicilline, soit le métronidazole), l’utilisation du pantoprazole peut potentiellement contrefaire le brevet 748, qui révèle l’utilisation du pantoprazole administré en combinaison avec un AAMIH. Les témoins experts des deux parties ont reconnu que la clarithromycine, l’amoxicilline et le métronidazole sont des AAMIH et qu’un AAMIH, tel qu’il est défini dans le brevet, peut renfermer plus d’un antimicrobien. 

 

[65]           La seule raison d’être de l’AC était d’approuver l’utilisation du pantoprazole en combinaison avec des antibiotiques particuliers. Dans une lettre datée du 20 juillet 2007 envoyée à l’avocat de Nycomed, le ministre a fait connaître sa position quant à l’inscription de brevets relativement à une telle combinaison :

[traduction]

Comme il a été mentionné dans la lettre du 18 juin 2007, les brevets revendiquant l’utilisation d’un ingrédient médicinal en combinaison avec un ou plusieurs ingrédients médicinaux sont admissibles à l’inscription à l’égard de l’ingrédient médicinal si l’utilisation de cette combinaison se trouve dans la section « indication » de la monographie de produit de la drogue approuvée et si le brevet permet une administration séparée.

 

[66]           Je conviens que pour déterminer la relation entre l’invention brevetée et la présentation, la Cour peut tenir compte des indications établies dans la monographie de produit. Il n’est pas aussi clair de savoir s’il est approprié de tenir compte de la section des indications de la monographie de produit dans le cadre d’un argument relatif à l’inscription invoquant l’alinéa 4(2)b) du Règlement. Cependant, dans le cadre de la présente requête, je n’ai pas à exprimer mon accord ou mon désaccord avec le ministre quant à sa position sur la question.

 

[67]           Dans la présente affaire, la nouvelle indication approuve l’utilisation du PANTOLOC avec deux antimicrobiens. Par conséquent, il y a rattachement suffisant avec l’invention brevetée pour étayer l’inscription.

 

[68]           Le second argument de Genpharm est que la « composition pharmaceutique » revendiquée dans le brevet 748 est soit une pilule unique qui renferme deux ingrédients médicinaux, soit un emballage de médicaments qui renferme deux ingrédients médicinaux séparés, ce qui ne correspond donc pas à la forme posologique du PANTOLOC. J’ai déjà rejeté cet argument lorsque j’ai conclu que le brevet n’impose pas que les ingrédients médicinaux de la « composition pharmaceutique » se trouvent dans un seul médicament ou soient empaquetés ensemble dans un même emballage de médicaments.

 

[69]           Le troisième argument de Genpharm relatif à la validité de l’inscription du brevet 748 est que l’AC a précisément approuvé l’utilisation du PANTOLOC en combinaison avec la clarithromycine et soit l’amoxicilline, soit le métronidazole; cependant, le brevet ne fait pas état de l’utilisation de la clarithromycine comme étant un élément essentiel et il ne nous renseigne même pas sur son utilisation. En fait, le Dr Wolman, témoin de Nycomed, a affirmé que la clarithromycine n’était même pas en vente en 2000.

 

[70]           Nycomed, par contre, soutient que le brevet 748 ne se restreint pas à quelque antibiotique que ce soit et que, par conséquent, la clarithromycine est visée en tant qu’AAMIH. De plus, lors du contre‑interrogatoire, le Dr Gould a admis que la clarithromycine est un antibiotique et qu’elle est efficace pour éradiquer la bactérie H. pylori lorsqu’elle est utilisée en combinaison.

 

[71]           Je ne peux accepter que la clarithromycine doive être un élément essentiel du brevet pour que le brevet soit admissible à l’inscription. Un AAMIH est un élément essentiel. Comme je l’ai mentionné précédemment, le Règlement a été pris pour empêcher la contrefaçon de l’invention brevetée, et un brevet peut être admissible à l’inscription à l’égard d’un produit donné si l’utilisation de ce produit a le potentiel de contrefaire « l’invention brevetée ».    

 

[72]           Le brevet 748 oblige à l’utilisation d’un AAMIH, et ce, sans limiter la liste des antibiotiques qui ont pour effet d’éradiquer la bactérie H. pylori. Le brevet n’a pas besoin de mentionner tous les AAMIH. À l’époque, une personne versée dans l’art aurait su que la clarithromycine était un AAMIH et que, par conséquent, le brevet 748 pourrait potentiellement être contrefait par l’utilisation du PANTOLOC dans la nouvelle indication. Genpharm a tenté de montrer lors du contre‑interrogatoire du Dr Wolman que la clarithromycine n’était pas en vente à l’époque; cependant, que la clarithromycine ait été en vente ou non n’est pas pertinent quant à l’interprétation du brevet. Étant donné que la charge de la preuve quant à la présente question reposait sur Genpharm et que sa preuve n’établit pas qu’une personne versée dans l’art n’aurait pas su que la clarithromycine était un AAMIH, je rejetterai l’argument de Genpharm relativement la présente question.

 

[73]           En résumé, Genpharm n’a pas établi selon la prépondérance de la preuve que la nouvelle indication approuvée par l’AC ne se rattachait pas suffisamment à l’invention brevetée décrite dans le brevet 748 pour justifier la conclusion selon laquelle le brevet avait été inscrit à tort.

 

 

REQUÊTE EN RADIATION DE LA DEMANDE

[74]           À la lumière des conclusions précédentes, il n’est pas nécessaire de déterminer si, en ce qui concerne le brevet 694, la demande d’interdiction de Nycomed est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure.

 

[75]           Cependant, au cas où j’aurais commis une erreur en concluant que le brevet 694 avait été inscrit à tort au registre, je souligne que j’aurais été portée à rejeter la requête présentée par Genpharm en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement. De même, je vais rejeter la requête présentée par Genpharm en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement relativement au brevet 748.

 

[76]           Dans le cadre d’une requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement, la charge de la preuve qui incombe au requérant est très lourde, car il doit montrer que la demande d’interdiction est manifestement futile ou n’a manifestement aucune chance de succès (Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2007 CAF 163, paragraphe 36).

 

[77]           La norme de preuve est extrêmement exigeante et elle est conforme à l’intention sous‑jacente que les requêtes présentées en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement soient de nature sommaire et n’aient pas pour but de fournir à la seconde personne la première de deux occasions de faire valoir le bien‑fondé de sa cause. Les arguments de fond relatifs à la validité et à l’absence de contrefaçon des brevets contestés sont examinés de façon appropriée dans le cadre de la demande d’interdiction; de tels arguments sur le fond n’ont pas leur place dans le cadre d’une requête présentée en vertu de l’alinéa 6(5)b), sauf dans les cas les plus patents.

 

[78]           En l’espèce, il ne s’agit pas d’un cas patent de demande futile. Pendant les trois jours où les avocats des deux parties adverses ont présenté leurs observations, ils ont soulevé et soutenu de nombreux points de fait et de droit dont la plupart étaient très litigieux. L’interprétation des revendications a fait l’objet de chaudes discussions. Étant donné que l’interprétation des revendications doit précéder toute conclusion relative à la validité et à la contrefaçon, je conclus, sur ce seul fondement, que la position de Nycomed n’est pas manifestement futile. Je souligne que de nombreuses autres questions très litigieuses ont été discutées, dont l’applicabilité de la théorie de l’inhérence aux revendications relatives à l’utilisation d’un médicament et l’apparente contradiction dans la jurisprudence quant à l’incitation à la contrefaçon. De plus, les observations de Nycomed concernant la prédiction valable renvoient à des affidavits déposés par des experts dans le cadre de la demande et qui n’étaient pas experts en l’espèce. Dans l’ensemble, étant donné la norme de preuve à laquelle il faut satisfaire, je ne suis pas convaincue que la position de Nycomed quant à la validité et à la contrefaçon est si manifestement futile que la seule conclusion possible est que la demande n’a aucune chance de succès.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande d’interdiction est rejetée relativement aux brevets 694 et 697 ;

 

2.                  Le reste de la requête est rejetée ;

 

3.                  Les parties peuvent présenter des observations écrites d’une longueur maximale de trois pages dans les trente jours de la présente ordonnance, si elles ne peuvent pas s’entendre sur les dépens de la présente requête.

 

 

« Martha Milczynski »

Protonotaire

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-566-07

 

INTITULÉ :                                                   NYCOMED CANADA INC. et NYCOMED GMBH c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ et GENPHARM INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DES AUDIENCES :                        LES 8 ET 24 JANVIER ET LE 4 FÉVRIER

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LA PROTONOTAIRE Milczynski

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 10 MARS 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Neil R. Belmore

Lindsay Neidrauer

Laurent Massam

 

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

J. Bradley White

Marcus Klee

 

 

Aucune comparution

 

POUR LA DÉFENDERESSE (GENPHARM INC.)

 

POUR LE DÉFENDEUR (LE MINISTRE DE LA SANTÉ)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE (GENPHARM INC.)

 

POUR LE DÉFENDEUR (LE MINISTRE DE LA SANTÉ)

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.