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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080307

Dossier : IMM‑5441‑06

Référence : 2008 CF 326

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN

 

 

ENTRE :

VITALIY OPRYSK

OLEKSANDRA OPRYSK

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Vitaliy Oprysk (le demandeur) et Oleksandra Oprysk (la demanderesse) (ci‑après les demandeurs) sont Ukrainiens. Ils sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 15 septembre 2006, par laquelle celle‑ci a refusé la qualité de réfugiés au sens de la Convention et la qualité de personnes à protéger.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis arrivé à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

L’HISTORIQUE

 

[3]               Les demandeurs, mari et femme, revendiquent l’asile en invoquant les articles 96 et 97 de la LIPR. La Commission n’a pas contesté les affirmations des demandeurs, qu’elle a résumées dans sa décision.

 

[4]               Le demandeur avait été activiste politique et membre du parti Rukh depuis 1991. Il a participé à des campagnes électorales, assisté à des réunions et des rassemblements et il a milité en faveur de la plate‑forme pro‑démocratique du parti. À l’automne de 1999, des membres des services de sécurité l’ont interrogé sur le parti Rukh et ont saisi certains documents. La police fiscale l’a pressé plus tard de payer des pots‑de‑vin.

 

[5]               En septembre 2000, la police a mis fin à un rassemblement organisé par le parti Rukh à Lviv, auquel participait le demandeur. Le demandeur s’est retrouvé en détention. Il a été détenu toute la nuit et battu par la police. Il a été relâché le matin suivant, sans être accusé. Par la suite, avec d’autres activistes, il a publié et distribué un tract de protestation contre les procédés musclés de la police. Après cela, le demandeur et d’autres activistes du parti Rukh ont reçu des menaces par téléphone.

 

[6]               En juin 2001, cinq hommes se sont présentés au lieu de travail du demandeur, ils l’ont enfermé dans son garage et l’ont battu. Ils ont menacé de le tuer s’il continuait de participer à des activités politiques. Il a dû passer une semaine à l’hôpital pour se remettre de la raclée qu’il a reçue. Après l’agression, le demandeur a eu trop peur de poursuivre ses activités politiques. À l’automne de 2001, il a été battu par les Berkuts (la Force policière spéciale ukrainienne). Là encore, il s’est retrouvé à l’hôpital. Il est parti pour le Canada le 16 février 2002.

 

[7]               En décembre 2003, la demanderesse a elle aussi été battue par les services de sécurité et a nécessité des soins médicaux. Les services de sécurité ont continué de la harceler par téléphone et ont perquisitionné deux fois, au printemps de 2004, dans l’appartement de sa famille. Elle est partie pour le Canada le 4 août 2004.

 

[8]               Les demandeurs ont présenté leurs demandes d’asile le 20 septembre 2004.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[9]               La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Pour elle, les aspects déterminants des demandes d’asile étaient la question de savoir si, aux termes de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR, la situation avait évolué depuis que les demandeurs avaient quitté l’Ukraine, et la question de savoir si l’exception des raisons impérieuses dont parle le paragraphe 108(4) de la LIPR pouvait être invoquée.

 

[10]           La Commission a jugé que, même s’il existait une sérieuse possibilité de persécution à l’époque où le demandeur avait quitté l’Ukraine en 2002, la situation avait évolué. Elle a conclu que, même s’il se pouvait que le demandeur ait exercé ses activités politiques à une époque où un régime répressif était au pouvoir, ce n’était plus le cas. Le président Youchtchenko a remplacé le régime autoritaire du président Leonid Koutchma et s’est constamment engagé à combattre la corruption et à diriger un gouvernement plus transparent. La Commission a conclu, au vu de la preuve documentaire, que des changements notables avaient suivi la révolution Orange de 2004 qui a porté au pouvoir le président Youchtchenko. Elle a également conclu que le parti Rukh joue un rôle important au sein du bloc « Notre Ukraine » du président Youchtchenko. Elle est arrivée à la conclusion que le demandeur serait à même de reprendre ses anciennes activités politiques sans craindre d’être persécuté.

 

[11]           Tout en accordant au demandeur et à la demanderesse le bénéfice du doute en admettant qu’ils ont été battus par des membres de l’appareil de sécurité de l’État et que de tels actes sont répugnants, la Commission a exprimé l’avis que les actes en question n’atteignaient pas un niveau susceptible de déclencher l’exception des raisons impérieuses dont parle le paragraphe 108(4) de la LIPR. En outre, l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait éliminé à son retour en Ukraine ne concordait pas avec la preuve documentaire. Le demandeur a témoigné, devant la Commission, qu’il a subi une dépression nerveuse après son arrivée au Canada en 2002, qu’il a besoin quotidiennement de médicaments et qu’il souffre d’autres maux, mais la Commission a fait observer que le demandeur a aujourd’hui sa santé bien en main. Elle est également arrivée à la conclusion que, bien que les ennuis de santé du demandeur soient probablement le signe d’une grande tension, ils pouvaient être attribués à une diversité de causes sur lesquelles la Commission s’est refusée à conjecturer.

 

[12]           Se fondant sur l’ensemble de la preuve, la Commission a estimé que l’expérience tout entière du demandeur n’atteignait pas le « niveau d’atrocité » exigé pour que puisse être invoquée l’exception des raisons impérieuses. Elle a ajouté que la demande d’asile de la demanderesse était principalement fondée sur le témoignage produit par le demandeur.

 

Les dispositions législatives applicables

 

Perte de l’asile

 

 

Rejet

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

 

b) il recouvre volontairement sa nationalité;

 

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

 

 

 

Perte de l’asile

 

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

 

Effet de la décision

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

 

Exception

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

Cessation of Refugee Protection

 

Rejection

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

(b) the person has voluntarily reacquired their nationality;

 

(c) the person has acquired a new nationality and enjoys the protection of the country of that new nationality;

(d) the person has voluntarily become re‑established in the country that the person left or remained outside of and in respect of which the person claimed refugee protection in Canada; or

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

 

 

Cessation of refugee protection

 

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

Effect of decision

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

Exception

(4) Paragraph (1)(e)

does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

 

Les questions en litige

 

[13]           Les questions soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

a.       La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle a appliqué le mauvais critère pour savoir si la situation en Ukraine avait évolué depuis le départ des demandeurs?

b.   La Commission a‑t‑elle appliqué le mauvais critère quand elle a affirmé que la persécution antérieure n’avait pas donné lieu à des raisons impérieuses propres à conférer aux demandeurs le statut de réfugié?

c.       La Commission a‑t‑elle négligé d’observer les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas tenu compte des documents qu’elle avait devant elle?

d.      La Commission a‑t‑elle négligé d’observer les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale parce qu’elle a statué sur la demande d’asile de la demanderesse en se fondant sur la demande d’asile du demandeur?

 

La norme de contrôle

 

[14]           La norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission portant sur l’application de l’alinéa 108(1)e) et du paragraphe 108(4) de la LIPR, qui concernent respectivement l’évolution de la situation et l’existence de raisons impérieuses, a déjà été fixée dans des jugements de la Cour fédérale.

 

L’évolution de la situation

 

[15]           Dans l’arrêt Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 35, au paragraphe 2, la Cour d’appel fédérale écrivait que la question de savoir s’il y a eu évolution de la situation au sens de l’alinéa 108(1)e) de la LIPR n’est pas une question de droit, mais plutôt une question de fait. Elle doit donc être examinée au regard de la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

Les raisons impérieuses

 

[16]           Dans un jugement de 2004, Isacko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 890, au paragraphe 8, le juge Yvon Pinard, suivant une jurisprudence antérieure de la Cour, a affirmé que l’exception des raisons impérieuses dont parle le paragraphe 108(4) de la LIPR est une question de fait et qu’elle doit donc être examinée au regard de la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

Le déni de justice naturelle ou le  manquement à l’équité procédurale

 

[17]           Un déni de justice naturelle, ou un manquement à l’équité procédurale, sera examiné, dans une procédure de contrôle judiciaire, au regard de la norme de la décision correcte. Un déni ou manquement de cette nature aura pour effet l’annulation de la décision administrative contestée et son renvoi au tribunal administratif pour qu’il la réexamine (Athar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 177, paragraphe 7).

 

L’analyse

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle a appliqué le mauvais critère pour savoir s’il y avait eu évolution de la situation en Ukraine?

 

 

[18]           Selon les demandeurs, la Commission a interprété erronément le critère de la qualité de réfugié au sens de la Convention, en exigeant, avant de pouvoir admettre les demandes d’asile, soit « une mort virtuelle », soit « la preuve d’assassinats politiques » en Ukraine. Les demandeurs, invoquant l’arrêt Amayo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1982] 1 C.F. 520 (C.A.F.), au paragraphe 2, et l’arrêt Oyarzo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1982] 2 C.F. 779 (C.A.F.), au paragraphe 11, affirment qu’il n’est pas nécessaire d’avoir subi un préjudice physique pour être une victime de persécution.

 

[19]           Les demandeurs font valoir que la preuve documentaire soumise à la Commission attestait clairement l’existence d’une persécution politique bien après l’élection du président Youchtchenko. Ils ont renvoyé à des articles où il est écrit que c’est l’État lui‑même qui est à l’origine des violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales en Ukraine. Ils affirment également que, après que Victor Yanoukovych fut nommé premier ministre le 4 août 2006, les « signes de progrès », réels ou apparents, ont disparu car Yanoukovych partage le même style autoritaire que l’ancien président Koutchma. Les demandeurs, invoquant la décision Pacificador c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1462, au paragraphe 69, affirment que la Commission peut prendre en compte des preuves postérieures à l’audience. Ils prétendent que, en l’espèce, elle aurait dû, pour arriver à sa décision, tenir compte de la victoire électorale remportée par Yanoukovych en août 2006.

 

[20]           Selon le défendeur, la preuve documentaire démontre qu’il y a eu une nette amélioration en Ukraine depuis la révolution Orange. Les policiers sont, plus qu’auparavant, tenus de rendre des comptes, et les conditions carcérales se sont graduellement améliorées. Il n’a pas été fait état d’assassinats politiques ayant pu être commandités par le gouvernement ou ses représentants.

 

[21]           Invoquant l’arrêt Yusuf, précité, au paragraphe 2, le défendeur affirme que la Commission n’est nullement tenue de se demander si l’évolution de la situation dans un pays est importante, réelle ou durable. Il affirme également que les demandeurs ont passé sous silence les élections législatives de 2006 qui ont conduit à la nomination de Victor Yanoukovych au poste de premier ministre, un événement qui s’est produit durant l’audition des demandes d’asile. Les demandeurs n’ont pas non plus, quant à la nomination de Yanoukovych, présenté de conclusions postérieures à l’audience. Le défendeur souligne qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve (Meyer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 878, paragraphe 20).

 

[22]           La Commission a l’obligation d’apprécier la preuve qui atteste une évolution de la situation tout comme la preuve qui nie une telle évolution (Zdjelar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 828, paragraphe 18). Elle a bien pris acte des observations du demandeur sur la persécution à laquelle il serait exposé en cas de retour en Ukraine, ainsi que de ses observations sur la persécution constante dont sont victimes certains groupes au sein de la population, notamment les enseignants, les fonctionnaires et les journalistes. Elle a également reconnu la réalité de la corruption policière, surtout dans l’application du code de la route, mais elle a fait observer que de réelles mesures sont prises pour enrayer de tels abus. Tout en acceptant le témoignage du demandeur, qui affirmait qu’un de ses collègues avait été battu, la Commission a fait observer qu’il n’était pas établi que les activistes du parti Rukh présentant le même profil que le demandeur couraient actuellement un risque de persécution. Pour arriver à sa conclusion, la Commission a appliqué la directive donnée dans la décision Zdjelar, précitée, en appréciant à la fois la preuve qui attestait une évolution de la situation et la preuve qui niait une telle évolution.

 

[23]           Il est fautif pour les demandeurs d’invoquer la décision Pacificador, précitée, pour affirmer que la Commission aurait dû tenir compte de la victoire électorale d’août 2004 de Yanoukovych comme premier ministre. Yanoukovych était « le candidat choisi pour succéder au président Koutchma, l’ancien président corrompu et brutal de l’Ukraine », mais il convient de souligner que les demandes d’asile ont été instruites le 5 juillet 2006, que Yanoukovych est devenu premier ministre un mois plus tard, en août 2006, et que la Commission a rendu sa décision le 1er septembre 2006. Les événements sur lesquels les demandeurs voudraient se fonder se sont donc produits entre l’audition des demandes d’asile et la décision de la Commission. Dans la décision Pacificador, le demandeur avait produit après l’audience un affidavit qui se rapportait à des preuves déjà produites. Ici, les demandeurs n’ont pas, durant l’audience de la Commission, mentionné le processus électoral et l’éventualité d’une victoire de Yanoukovych, et n’y ont même pas fait allusion et ils n’ont pas non plus présenté de conclusions après l’audience. La décision Pacificador ne permet pas d’affirmer que des événements postérieurs à l’audience sur lesquels n’a pas été appelée l’attention de la Commission doivent être pris en compte par elle. En outre, la portée réelle de l’élection de Yanoukovych doit être établie par la preuve d’une évolution de la situation, et non d’après des conjectures.

 

[24]           Je suis d’avis qu’il était parfaitement raisonnable pour la Commission d’affirmer que la situation ayant cours en Ukraine a changé au point que, si le demandeur était renvoyé dans ce pays, il ne serait pas exposé à un risque sérieux de persécution en raison de ses activités politiques. Autrement dit, je souscris à la conclusion de la Commission selon laquelle les raisons qui ont conduit le demandeur à revendiquer l’asile ont cessé d’exister.

 

La Commission a‑t‑elle appliqué le mauvais critère quand elle a affirmé que la persécution antérieure n’avait pas donné lieu à des raisons impérieuses propres à conférer aux demandeurs le statut de réfugié?

 

[25]           Selon les demandeurs, puisque la Commission a qualifié de « répugnant » le fait pour les demandeurs d’avoir été détenus et battus, cela devrait suffire à déclencher l’exception des raisons impérieuses.

 

[26]           Le défendeur fait valoir que l’exception des raisons impérieuses dont il est question au paragraphe 108(4) de la LIPR signifie que les autorités canadiennes ont l’obligation de reconnaître, pour motifs d’ordre humanitaire, la qualité de réfugié à une catégorie restreinte de personnes qui ont « souffert d’une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu’ils n’auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution » (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 (C.A.F.), paragraphe 19).

 

[27]           Le défendeur affirme que, à la suite de la décision Obstoj, précitée, une persécution atroce et épouvantable a été définie dans la jurisprudence de la Cour comme une persécution « extrêmement féroce ou méchante », « choquante, désagréable » (Arguello‑Garcia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 635, paragraphe 12). C’est aux demandeurs qu’il appartient d’établir qu’il existe des raisons impérieuses de ne pas les renvoyer dans le pays où ils ont déjà subi une persécution (Yamba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 457 (C.A.F.), paragraphe 4).

 

[28]           Le défendeur affirme que la Commission doit apprécier le niveau d’atrocité et son effet sur l’état physique et mental des demandeurs d’asile et voir si telles mésaventures passées constituent des raisons impérieuses de ne pas renvoyer les demandeurs d’asile dans leur pays d’origine (Adjibi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 525, paragraphe 33). Il fait valoir que les demandeurs n’ont pas été torturés ni soumis à des formes extrêmes de violence mentale, ce qui est exigé pour que soit déclenchée l’application de l’exception du paragraphe 108(4) de la LIPR.

 

[29]           Quand la Commission affirme que la manière dont les demandeurs ont été traités est « répugnante », cela ne veut pas dire que la manière dont ils ont été traités a été « atroce et épouvantable ». Le mot « répugnant » est défini ainsi dans le Petit Robert : « détestable, exécrable, hideux; abject, ignoble ». Dans la décision Arguello‑Garcia, précitée, la Cour d’appel fédérale écrivait qu’une conduite jugée « atroce et épouvantable » faisait intervenir l’exception des raisons impérieuses dont parle le paragraphe 108(4) de la LIPR. Au paragraphe 12, elle faisait observer que les deux mots étaient définis ainsi dans le Concise Oxford Dictionary of Current English, 1990 :

« atroce » : 1. très mauvais ou désagréable; 2.extrêmement féroce ou méchant (cruauté atroce)

« épouvantable » : choquant, désagréable, mauvais

Manifestement, l’adjectif « répugnant » évoque une chose qui n’atteint pas le niveau d’une conduite « atroce et épouvantable ».

 

[30]           Dans la décision Arguello‑Garcia, les épreuves subies par le demandeur étaient d’une autre ampleur que celles qui sont alléguées en l’espèce par les demandeurs. Dans cette affaire, le frère et la famille du demandeur avaient été assassinés par la Garde nationale salvadorienne. La mère du demandeur avait été témoin de ces meurtres et était morte de commotion trois jours plus tard. Le demandeur avait été par inadvertance lié à la guérilla et avait été détenu par l’armée. Durant sa détention, il avait été torturé et avait subi des agressions sexuelles. Le demandeur avait également produit un rapport psychiatrique qui, selon la Cour d’appel fédérale, confirmait les effets psychologiques durables des graves persécutions subies auparavant par le demandeur. En l’espèce, la Commission n’avait pas devant elle un rapport psychologique ou autre document confirmant que les demandeurs avaient souffert de séquelles psychologiques par suite des épreuves qu’ils avaient subies en Ukraine. Le demandeur a bien produit la lettre d’un médecin, mais la lettre précisait qu’il souffrait d’hyperthyroïdie, d’hypertension et de fibrillation artérielle, et qu’il avait maintenant sa santé bien en main. La Commission a admis que ses ennuis de santé sont probablement le signe d’une grande tension, mais qu’ils pouvaient également être attribués à plusieurs causes.

 

[31]           Je ne crois pas qu’il était déraisonnable pour la Commission d’affirmer que les épreuves subies par le demandeur n’étaient pas suffisamment exceptionnelles pour entrer dans l’exception des raisons impérieuses.

 

La Commission a‑t‑elle négligé d’observer les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale parce qu’elle n’a pas tenu compte des documents qu’elle avait devant elle?

 

[32]           Selon les demandeurs, la Commission a commis une erreur parce qu’elle n’a pas vu, dans le document médical indiquant que la demanderesse avait été battue, une preuve confirmant que son statut d’activiste politique et de requérante d’asile était un statut autonome ayant sa propre justification. Les demandeurs, invoquant la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1425, au paragraphe 17, affirment que l’obligation de la Commission de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Le défendeur n’a présenté aucune conclusion sur ce point.

 

[33]           Dans l’exposé qu’elle a fait des mésaventures de la demanderesse, la Commission a bien fait état desdites mésaventures, séparément de celles du demandeur. Elle a admis que la demanderesse avait été battue et hospitalisée. Elle n’était pas tenue de faire état des certificats médicaux dans son exposé. En règle générale, la Commission n’a pas l’obligation de faire état explicitement de chacune des preuves produites, et elle sera présumée avoir examiné toutes les preuves avant d’en arriver à sa décision (Woolaston c. Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration, [1973] R.C.S. 102; Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). La Commission savait manifestement que la demanderesse revendiquait séparément le statut de réfugié.

 

La Commission a‑t‑elle négligé d’observer les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale parce qu’elle a statué sur la demande d’asile de la demanderesse en se fondant sur la demande d’asile du demandeur?

 

[34]           Selon les demandeurs, la Commission a manqué à son obligation d’examiner et analyser la demande d’asile de la demanderesse. Ils font valoir que, outre qu’elle a fui au Canada à une date différente, la demanderesse était victime de persécution aux mains des services de sécurité ukrainiens alors que son mari se trouvait au Canada. Ils affirment que la demanderesse était elle‑même activiste politique et qu’elle a été victime de persécution, et cela pas seulement parce qu’elle était mariée avec le demandeur. Ils prétendent que, à cause de cela, la seule phrase consacrée à la demande d’asile de la demanderesse dans les motifs de la Commission a privé la demanderesse de l’équité procédurale (dossier du Tribunal, volume 1/4, à la page 14). Le défendeur n’a présenté aucune observation sur ce point.

 

[35]           La Commission est tenue de joindre les demandes d’asile présentées par des conjoints, et ce, en application du paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228.

 

[36]           La Commission a bien fait état des épreuves qu’avait fait subir à la demanderesse l’appareil de sécurité ukrainien. Même si, selon les demandeurs, la mention qu’elle en a faite fut brève, la Commission lui a bien reconnu la qualité de victime présumée de persécution avant son départ de l’Ukraine. Les épreuves qu’elle a subies étaient suffisamment semblables à celles qu’a subies son mari, le demandeur, pour que la Commission lui applique à elle l’analyse qu’elle a faite de l’évolution de la situation au regard de la demande d’asile de son mari. En outre, il convient de souligner que, même si les demandeurs ont produit deux formulaires de renseignements personnels, ils n’ont produit qu’un seul exposé circonstancié relatant leurs mésaventures. Dans la décision Ramnauth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 233, au paragraphe 9, la Cour examinait les conditions que la Commission doit observer lorsqu’elle statue sur plusieurs demandes d’asile dans une décision unique. La question qu’il faut se poser est la suivante : « la jonction des demandes d’asile s’est‑elle traduite par une injustice à l’égard de l’une ou l’autre des demandes? » En l’espèce, la jonction des demandes d’asile n’a pas eu pour résultat que le témoignage de la demanderesse a été laissé de côté. Je souscris au raisonnement de la Commission selon lequel aucune preuve persuasive ayant pour effet d’établir une distinction entre la demande d’asile de la demanderesse et celle du demandeur, son mari, n’a été produite.

 

[37]           La Commission a estimé que les épreuves subies ainsi que le témoignage produit par le demandeur ne déclenchaient pas l’application de l’exception des raisons impérieuses dont parle le paragraphe 108(4) de la LIPR. Puisque la demanderesse n’a produit à l’audience devant la Commission aucun témoignage de nature à séparer nettement sa demande d’asile de celle du demandeur, et puisque le traitement infligé au demandeur par les services de sécurité ukrainiens fut plus rigoureux que le traitement infligé à la demanderesse, il n’y avait aucune obligation pour la Commission de faire pour la demanderesse une analyse additionnelle des raisons impérieuses. La demanderesse n’a pas été privée de l’équité procédurale.

 

[38]           Je suis d’avis qu’il n’y a eu aucun manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, que ce soit dans le traitement réservé par la Commission au témoignage de la demanderesse, ou dans le fait que la Commission a examiné sa demande d’asile en même temps que celle de son mari.

 

La conclusion

 

[39]           La conclusion de la Commission selon laquelle il y a eu évolution de la situation en Ukraine est raisonnable et n’a pas été réfutée par les demandeurs. C’est aux demandeurs qu’il appartenait d’établir que la situation en Ukraine qui avait été à l’origine de leur persécution existait toujours. Ils ne l’ont pas fait. La conclusion de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable.

 

[40]           La Commission a dûment examiné la preuve qui lui a été soumise quand elle a affirmé que les mauvais traitements infligés au demandeur, qui furent les plus rigoureux, étaient répugnants, sans pour autant atteindre le niveau exceptionnel exigé pour que puisse être invoquée l’exception des raisons impérieuses dont parle le paragraphe 108(4) de la LIPR. Les motifs de la Commission ne sont pas manifestement déraisonnables.

 

[41]           La Commission a bien tenu compte du témoignage de la demanderesse. Elle a fait état des épreuves qu’elle a subies en Ukraine, ainsi que de son départ d’Ukraine séparément de son mari. Elle a évoqué son cas dans son raisonnement, à la fois sur la question de l’évolution de la situation et sur la question des raisons impérieuses. Tout en reconnaissant que la demanderesse a été battue, la Commission n’a pas fait état de la preuve de nature médicale produite par la demanderesse. Elle n’était pas tenue de le faire. La Commission n’a pas privé la demanderesse de l’équité procédurale au regard de la preuve produite en son nom.

 

[42]           La Commission était légalement fondée à combiner les deux demandes d’asile. Les demandeurs ont présenté leurs demandes d’asile ensemble et la demanderesse a fait valoir sa demande d’asile parallèlement à celle de son mari. La Commission n’a pas négligé de souligner les propres épreuves subies par la demanderesse. Je ne vois aucun déni d’équité procédurale dans le fait que la Commission a joint les deux demandes d’asile.

 

[43]           La demande de contrôle judiciaire est irrecevable et je suis d’avis de la rejeter.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             IMM‑5441‑06

 

 

INTITULÉ :                                                            VITALIY OPRYSK ET AUTRE

                                                                                 c.

                                                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 31 OCTOBRE 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                   LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 7 MARS 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arthur I. Yallen                                                          POUR LES DEMANDEURS

 

Kareena R. Wilding                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yallen Associates

Avocats

Toronto (Ontario)                                                      POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

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