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Date : 20080307

Dossier : IMM-3291-07

Référence : 2008 CF 318

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LAGACÉ

 

ENTRE :

PRITHIPAL SINGH GORAYA

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, M. Prithipal Singh Goraya, sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 18 juillet 2007 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la SPR a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. L’autorisation de demander le contrôle judiciaire en l’espèce a été accordée par ordonnance le 22 novembre 2007.

 

 

Le contexte

[2]               Le demandeur, célibataire de 22 ans et citoyen de l’Inde, a vécu successivement à Delhi, à Mumbai et dans le Penjab avant de venir au Canada. Il est entré au pays à Vancouver le 8 août 2005 muni d’un visa de travail délivré à New Delhi, lequel expirait le 30 novembre 2005, et il a présenté une demande d’asile à Montréal le 1er septembre 2005.

 

[3]               Dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), le demandeur affirme que son père est actif en politique en tant que membre du parti sikh Akali qui est établi dans le Penjab, en Inde, et qu’il est le fondateur d’une organisation religieuse nommée Rohani Dewan Management. Cette organisation offre notamment un soutien spirituel et matériel aux jeunes sikhs. Le père du demandeur est également un homme d’affaires qui a déjà exploité une entreprise de transport qui avait des bureaux à Mumbai et dans le Penjab. Les activités politiques du père semblent avoir fait de lui une cible de la police et de certains partis politiques qui l’accusent de conspirer avec des militants sikhs.

 

[4]               De plus, le demandeur affirme que Narinder Singh, un cousin germain, a aussi été victime de harcèlement et même de torture par la police, de telle sorte que le père du demandeur s’est senti obligé de l’aider à fuir le pays en août 2003.

 

[5]               Le demandeur allègue que, un mois plus tard, la maison familiale à Mumbai a été prise d’assaut et que son père, son cousin Kulprit Singh et lui-même ont été arrêtés, détenus et torturés. Le demandeur s’est fait casser des dents. La police voulait des renseignements sur les allées et venues de Narinder Singh et sur les activités de militants sikhs. Relâchés après cinq jours de détention, ils ont par la suite été constamment victimes de harcèlement.

 

[6]               En avril 2005, le demandeur voyageait du Penjab vers Mumbai dans un camion de l’entreprise en compagnie de son cousin Kulprit Singh et d’un conducteur musulman lorsqu’ils ont été arrêtés à un poste de contrôle de la police, isolés et placés en détention, et leur camion fouillé. La police a affirmé avoir trouvé des armes et un sac d’explosifs dans le camion. Le demandeur a été interrogé et accusé de passer des armes à des militants de Mumbai et de conspirer en vue d’assassiner un politicien nationaliste hindou. Après avoir été détenu pendant trois jours au cours desquels il a été torturé, le demandeur a pu être libéré en donnant un pot‑de‑vin. Cependant, Kulprit Singh a été remis aux autorités du Penjab et il n’a plus été revu depuis son arrestation.

 

[7]               Après avoir été relâché, le demandeur, avec son père, a porté plainte relativement à la disparition de Kulprit Singh auprès d’un groupe local de défense des droits de la personne; cela s’est déroulé au début de mai 2005. On leur a demandé de recueillir des preuves et des documents. Par contre, entre‑temps, leur maison a de nouveau été prise d’assaut. Le demandeur n’y était pas, mais les policiers auraient dit à sa mère qu’ils savaient qu’il avait l’intention de déposer une plainte relativement à la disparition de Kulprit Singh, et qu’il [traduction] « ne serait pas épargné ».

 

[8]               Le demandeur et son père ont par la suite décidé de fuir l’Inde, mais le père n’a été en mesure d’obtenir un visa que pour son fils. Finalement, le demandeur a quitté l’Inde le 8 août 2005, et il est arrivé au Canada le jour même. Son père a continué d’être victime de harcèlement. Lors de l’audience du 25 janvier 2007, le demandeur a affirmé dans son témoignage que des policiers s’étaient présentés à plusieurs reprises à la maison familiale pour savoir où il était, car ils soupçonnaient qu’il était devenu membre d’un groupe de militants.

 

[9]               Le demandeur a notamment déposé la preuve qui suit à l’appui de son récit :

 

-   Une lettre datée du 11 août 2006 portant la signature et la mention Tanajirao Kadam –travailleur social et ayant comme en‑tête « Organisation internationale pour les droits de la personne et la réhabilitation », qui confirme que le demandeur a communiqué avec le bureau de cette organisation à Mumbai le 2 mai 2005 et a affirmé avoir été accusé de collaborer avec des militants et détenu illégalement;

 

-   Une lettre datée du 8 août 2006 rédigée par le Dr Dalbir Signh, qui confirme que le demandeur a été traité pour des douleurs aux dents et pour une enflure du 27 septembre au 2 octobre 2003;

 

-   Une lettre datée du 5 août 2006 rédigée par le Dr Girish K. Kulkarni, qui confirme que le demandeur a été traité pour des ecchymoses et des contusions du 23 septembre au 2 octobre 2003, et du 24 avril au 4 mai 2005;

 

[10]           Le dossier de la Commission renferme des notes du STIDI de l’Agence des services frontaliers du Canada qui révèlent que, peu de temps après son arrivée au Canada, le demandeur a été intercepté par la GRC en compagnie d’un certain Amarjit Chahal dans un camion qui était vraisemblablement parti de Vancouver en direction de Montréal. Selon ces notes, le demandeur et Chahal ont alors été soupçonnés par la GRC d’avoir déserté un navire commercial, et Chahal était ciblé par une alerte au terrorisme aux États‑Unis.

 

[11]           L’importance de cet incident pour la demande d’asile n’est pas évidente; il n’en a même pas été question dans la décision de la SPR. Néanmoins, le demandeur le mentionne maintenant comme argument à l’appui du contrôle judiciaire, et j’en fais état ci‑dessous.

 

LA DÉCISION DE LA SPR

[12]           La SPR a rejeté la demande du demandeur au motif que son témoignage n’était pas crédible. À ce sujet, la SPR a souligné ce qui suit :

 

-   Le demandeur a initialement mentionné que la police avait procédé à son arrestation le 4 mai 2005, alors qu’il a affirmé dans son témoignage que cela s’était produit le 2 mai 2005;

 

-   Le témoignage expliquant comment la police avait su qu’il avait l’intention de déposer une plainte pour violation des droits de la personne n’était que supposition;

 

-   Le fait que la police se donne la peine d’aller le chercher à la maison, pour ensuite repartir après avoir seulement réussi à parler à sa mère, sans faire plus d’effort pour le trouver, est invraisemblable;

 

-   Le 3 mai 2005, il aurait consulté un médecin; si c’est le cas, il n’y a aucune raison qu’il n’ait pas tenté de se procurer à ce moment‑là le dossier médical de cette visite en vue de déposer la plainte pour violation des droits de la personne;

 

-   Après avoir appris, au Canada, que la police interrogeait toujours sa mère et son frère au sujet de ses allées et venues, il a omis de modifier son FRP en conséquence;

 

-   La SPR se demande pourquoi la police n’est pas retournée à la maison familiale depuis février 2006 si elle s’intéresse toujours à ses allées et venues;

 

-   Les renseignements fournis par le demandeur au sujet de son père, c’est‑à‑dire son ignorance de l’endroit où il se trouvait à ce moment‑là et le fait qu’il se fasse parfois appeler Thikriwal du nom de son village d’origine plutôt que Goraya, sont invraisemblables. En outre, le demandeur n’a pas fourni de documents convaincants quant à l’engagement politique de son père dans le parti Akali; 

 

-   L’absence de précision dans son FPR au sujet de la torture dont il aurait été victime au cours de sa détention en 2003 mine sa crédibilité.

 

[13]           La SPR mentionne également dans sa décision que sa conclusion relative à la crédibilité rend inutile une analyse distincte de la demande au regard de l’article 97 de la LIPR.

 


Les dispositions légales

[14]           L’article 95 de la LIPR confère l’asile aux personnes qui sont des réfugiés au sens de la Convention; l’article 96 de la LIPR établit qui a qualité de réfugié au sens de la Convention et l’article 97 établit qui a qualité de personne à protéger. Le texte de ces articles se lit comme suit :

 

95. (1) L'asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas :

 

   a) sur constat qu'elle est, à la suite d'une

   demande de visa, un réfugié ou une personne

   en situation semblable, elle devient soit un

   résident permanent au titre du visa, soit un

   résident temporaire au titre d'un permis de

   séjour délivré en vue de sa protection;

 

   b) la Commission lui reconnaît la qualité de

   réfugié ou celle de personne à protéger;

 

 

   c) le ministre accorde la demande de

   protection, sauf si la personne est visée au

   paragraphe 112(3).

 

(2)  Est appelée personne protégée la personne à qui l'asile est conféré et dont la demande n'est pas ensuite réputée rejetée au titre des paragraphes 108(3), 109(3) ou 114(4).

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

   a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette

   crainte, ne veut se réclamer de la protection de

   chacun de ces pays;

 

   b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se

   trouve hors du pays dans lequel elle avait sa

   résidence habituelle, ne peut ni, du fait de

   cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

     a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de

     le croire, d’être soumise à la torture au sens    

     de l’article premier de la Convention contre

     la torture;

 

     b) soit à une menace à sa vie ou au risque de

     traitements ou peines cruels et inusités dans

     le cas suivant :

 

        (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se

        réclamer de la protection de ce pays,

 

 

        (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce

        pays alors que d’autres personnes

        originaires de ce pays ou qui s’y trouvent

        ne le sont généralement pas,

 

        (iii) la menace ou le risque ne résulte pas   

        de sanctions légitimes — sauf celles

         infligées au mépris des normes

         internationales — et inhérents à celles-ci

         ou occasionnés par elles,

 

        (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de

         l’incapacité du pays de fournir des soins

         médicaux ou de santé adéquats.

 

95. (1) Refugee protection is conferred on a person when

 

   (a) the person has been determined to be a 

   Convention refugee or a person in similar

   circumstances under a visa application and

   becomes a permanent resident under the visa

   or a temporary resident under a temporary

   resident permit for protection reasons;

 

   (b) the Board determines the person to be a

   Convention refugee or a person in need of

   protection; or

 

   (c) except in the case of a person described in

   subsection 112(3), the Minister allows an

   application for protection.

 

(2)  A protected person is a person on whom refugee protection is conferred under subsection (1), and whose claim or application has not subsequently been deemed to be rejected under subsection 108(3), 109(3) or 114(4).

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

   (a) is outside each of their countries of

   nationality and is unable or, by reason of that

   fear, unwilling to avail themself of the

   protection of each of those countries; or

 

   (b) not having a country of nationality, is

   outside the country of their former habitual

   residence and is unable or, by reason of that

   fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

     (a) to a danger, believed on substantial

     grounds to exist, of torture within the

     meaning of Article 1 of the Convention

     Against Torture; or

 

     (b) to a risk to their life or to a risk of cruel

     and unusual treatment or punishment if

 

 

        (i) the person is unable or, because of that

        risk, unwilling to avail themself of the

        protection of that country,

 

        (ii) the risk would be faced by the person in

        every part of that country and is not faced

        generally by other individuals in or from

        that country,

 

        (iii) the risk is not inherent or incidental to

         lawful sanctions, unless imposed in

        disregard of accepted international

         standards, and

 

 

        (iv) the risk is not caused by the inability of

        that country to provide adequate health or

        medical care.

 

 


LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]           La question principale que soulève la présente demande est de savoir si la conclusion défavorable tirée par la SPR relativement à la crédibilité constitue une erreur susceptible de contrôle. Le demandeur soutient que la SPR a rapporté incorrectement son témoignage dans la décision, ce qui l’a menée à conclure qu’il n’était pas crédible. Il souligne également que la SPR a omis d’expliquer pourquoi elle n’a pas accordé de valeur probante à la lettre du groupe de défense des droits de la personne, déposée en preuve, auprès duquel il s’était plaint et qui semble appuyer son récit.

 

[16]           Le demandeur allègue également qu’il appert que, selon les notes du STIDI déposées au dossier du tribunal, il soit un déserteur. Par conséquent, en raison des renseignements au dossier dont elle disposait, la SPR était tenue d’effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97 de la LIPR.

 

[17]           Enfin, le demandeur affirme que l’agent de protection des réfugiés (l’APR) a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale lors de l’audience parce qu’il l’a fréquemment interrompu, et cela a été fait d’une telle façon que son témoignage en a souffert. De plus, des notes prises par un agent d’immigration le 30 septembre 2005 sur lesquelles l’APR s’est fondé n’ont pas été traduites pour le demandeur même si son avocat l’a demandé.

 

[18]           Le défendeur conteste l’argument du demandeur selon lequel son témoignage n’a pas été correctement rapporté, et il maintient que les conclusions de la SPR sont bien fondées et tiennent compte de la preuve dont elle disposait. Il plaide également qu’en ce qui concerne les questions de fait, la Cour doit faire preuve d’une retenue telle qu’elle n’interviendra que si la décision de la SPR est manifestement déraisonnable.

 

[19]           Dans son mémoire supplémentaire, le défendeur allègue également que l’argument du demandeur au sujet de l’équité procédurale est sans fondement étant donné que les « interruptions » alléguées auraient dû être contestées par le demandeur ou son avocat lors de l’audience, et non après. En ce qui concerne la traduction orale des notes de l’agent, la transcription de l’audience ne donne aucun indice quant à savoir si une telle traduction a bel et bien eu lieu, et, en outre, la SPR n’était en aucun cas tenue de fournir une traduction en penjabi.  

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[20]           Il est de jurisprudence constante que les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité du témoignage d’un demandeur sont de nature factuelle et que la Cour devrait faire preuve de retenue et n’intervenir que si la décision est manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), paragraphe 4; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, paragraphe 38).

 

[21]           Néanmoins, cela étant dit, l’omission par la SPR de tenir compte d’une preuve importante peut constituer une violation de l’équité procédurale, et une telle violation est susceptible de contrôle comme s’il s’agissait d’une question de droit, et ce, indépendamment de l’analyse pragmatique et fonctionnelle (Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056).

 

[22]           L’omission de fournir des motifs qui permettraient à la Cour de suivre et de comprendre le raisonnement de la SPR peut également constituer le fondement d’un contrôle pour manquement à l’équité procédurale (Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2000] A.C.F. n1685).

 

ANALYSE

[23]           La Cour a des réserves au sujet de l’importance excessive accordée dans les conclusions de la SPR aux apparentes et douteuses incohérences relevées dans le témoignage du demandeur.  

 

[24]           La Cour remet particulièrement en question l’attention portée par la SPR sur l’apparente invraisemblance de la chronologie des faits relatés par le demandeur, du moment du dépôt de la plainte auprès de l’Organisation internationale pour les droits de la personne et la réhabilitation, du fait que la maison familiale ait été prise d’assaut par la suite et des efforts déployés pour réunir la preuve à l’appui de sa plainte.

 

[25]           Néanmoins, cela étant dit, compte tenu de la norme de contrôle applicable, tant que les conclusions factuelles de la SPR ne sont pas clairement irrationnelles, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve. Tel que l’a établi la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52, la décision manifestement déraisonnable est « de toute évidence non conforme à la raison ». Ce n’est certainement pas le cas en l’espèce.

 

[26]           Par contre, et cela est plus grave, la SPR n’a semble‑t‑il aucunement tenu compte dans ses motifs de la preuve corroborante déposée par le demandeur, soit la lettre du Dr Dalbir Singh qui confirme que le demandeur a été traité pour des blessures au visage, lesquelles rappellent la torture, et la lettre de l’Organisation internationale pour les droits de la personne et la réhabilitation qui confirme que le demandeur lui a demandé de l’aide et son intervention.

 

[27]           Il se peut bien que la SPR ait eu des doutes relativement à l’authenticité des documents ou à la véracité des renseignements qu’ils contenaient; mais, si c’était le cas, elle n’en a jamais fait mention en termes clairs. Il est donc impossible pour la Cour de savoir quelle est la force probante qui a été donnée à ces éléments de preuve ou de suivre le raisonnement de la SPR à l’égard de ces documents. La crédibilité du demandeur est une question importante en l’espèce. Pourquoi alors ne pas avoir tenu compte ou commenté d’importants éléments de preuve corroborants déposés par le demandeur? Ont-ils été considérés, acceptés, rejetés? D’aucune façon la Cour ne peut le savoir.

 

[28]           La présomption selon laquelle la SPR a tenu compte de toute la preuve dont elle disposait n’est pas assez forte pour l’emporter sur l’absence de commentaire relatif à une preuve qui, à première vue, étaye une conclusion différente de celle qui a en fait été tirée (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1ère inst.)). La Cour conclut que c’est le cas en l’espèce. Les motifs insuffisants de la SPR ne satisfont pas aux critères d’équité procédurale énoncés dans l’arrêt Via Rail, précité.

 

[29]           De même, étant donné que la SPR n’indique pas clairement dans ses motifs quels éléments, s’il y en a, du témoignage du demandeur elle juge crédibles, il est impossible d’évaluer la justesse de la décision de ne pas analyser la demande au regard de l’article 97 de la LIPR. Il est de jurisprudence constante qu’une conclusion défavorable relativement à la crédibilité tirée dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article 96 de la LIPR ne tranche pas nécessairement les questions soulevées par l’article 97 de la LIPR : Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1242; Kandiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 275; Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1540. Autrement dit, un demandeur peut ne pas être totalement crédible lors de son témoignage et malgré tout être exposé à une menace à sa vie ou à un risque de torture, dépendamment de la situation dans le pays et d’autres critères objectifs.

 

[30]           Dans la présente affaire, la SPR semble avoir accepté l’identité du demandeur : il est un Indien de religion sikhe qui a des liens à Mumbai et dans le Penjab. Dans les circonstances, la SPR était tenue d’examiner si le demandeur pouvait être exposé aux risques énumérés à l’article 97 de la LIPR, en se fondant sur les documents déposés par le demandeur au sujet de la répression des sikhs par la police dans le Penjab, ainsi que sur les propres documents de la SPR au sujet du pays d’origine.

 

[31]           Le demandeur soutient également que les renseignements renfermés dans les notes du STIDI, déposées au dossier, concernant son arrestation par la GRC, auraient dû être pris en considération par la SPR dans une analyse fondée sur l’article 97 de la LIPR. Mais la position du demandeur à ce sujet semble découler de la fausse impression que les notes du STIDI donnent à penser qu’il est un déserteur. Cependant, une lecture attentive révèle que ce n’est pas le cas. Les notes ne font qu’expliquer les circonstances dans lesquelles l’arrestation du demandeur a eu lieu. Elles ne font certainement pas partie de la demande d’asile initiale. Le demandeur était bien au fait des circonstances de son arrestation et a choisi de ne pas en faire mention dans sa demande d’asile. Par conséquent, la SPR n’avait pas à tenir compte des notes du STIDI dans son analyse.

 

[32]           Pour ces motifs, en considérant l’affaire dans son ensemble, la Cour conclut que les omissions de la SPR justifient amplement son intervention et que le contrôle judiciaire sera accueilli.

 

[33]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que le contrôle judiciaire soit accueilli. La décision de la Commission est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3291-07

 

INTITULÉ :                                                   PRITHIPAL SINGH GORAYA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 20 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 MARS 2008

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Michel Le Brun

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Evan Liosis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INCRITS AU DOSSIER :

 

 

Michel Le Brun

LaSalle (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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