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Date : 20080303

Dossier : T-1048-07

Référence : 2008 CF 281

Ottawa (Ontario), le 3 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC., ELI LILLY AND COMPANY,

 ELI LILLY COMPANY LIMITED et ELI LILLY SA

 

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

 

NOVOPHARM LIMITED

 

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction et contexte

[1]               La défenderesse Novopharm Inc. (Novopharm) interjette appel de la décision de la protonotaire Tabib datée du 15 novembre 2007, accordant en partie les mesures demandées par Novopharm dans une requête présentée en vertu de l’article 227 des Règles des Cours fédérales (1998) (les Règles) en vue d’obtenir un affidavit de documents plus complet de chacune des demanderesses et d’autres mesures corrélatives, notamment le contre-interrogatoire, avec l’autorisation de la Cour, des auteurs d’affidavit des demanderesses.

 

[2]               Novopharm fait valoir que la protonotaire Tabib a commis trois erreurs de droit et plusieurs erreurs de fait manifestes et dominantes qui nécessitent un examen de novo de la requête de Novopharm par la Cour. Les erreurs de droit alléguées sont les suivantes :

 

1)             Une première erreur consistant à entériner et adopter une approche fragmentée et partielle de la communication de la preuve dans le cadre des Règles, c’est-à-dire à permettre le déroulement des interrogatoires préalables oraux avant que Novopharm ait eu l’avantage d’une pleine communication des documents par le moyen de l’affidavit de documents prévu dans les Règles.

 

2)             Une deuxième erreur consistant à mal interpréter et à mal appliquer la jurisprudence sur le lancement d’une enquête tirant sa source dans l’arrêt Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique c. Peruvian Guano Co., (1882), 11 Q.B.D. 55 (C.A.). En particulier, si la protonotaire a donné une formulation correcte du critère, elle a fixé la barre à une hauteur inatteignable en exigeant de Novopharm qu’elle prouve le contenu et l’utilité de documents qui n’avaient pas été produits et n’avaient donc jamais été vus par Novopharm.

 

3)             Une troisième erreur relative au traitement de la pertinence et à sa conclusion qu’il relevait de son pouvoir discrétionnaire de déterminer si les documents pertinents devaient être produits avant l’interrogatoire préalable oral.

 

S’agissant des erreurs de fait de la protonotaire, Novopharm soutient qu’elle a tiré ses conclusions en l’absence de preuve. C’était notamment le cas de ses conclusions sur le point de savoir quels documents avaient été produits et de ses conclusions de fait portant que des catégories entières de documents ne pouvaient contenir de documents pertinents.

 

[3]               Les articles 222 à 233 des Règles traitent de la communication de documents sous l’intertitre « Examen et interrogatoire préalable ». Le paragraphe 222(2) des Règles contient une définition de la pertinence pour les besoins de l’établissement d’un affidavit de documents, tandis que l’article 227 prévoit les sanctions que peut prononcer la Cour lorsqu’elle est convaincue qu’un affidavit de documents est inexact ou insuffisant. L’article 223 des Règles oblige à produire dans les 30 jours suivant la clôture des actes de procédure un affidavit de documents donnant une liste de tous les documents pertinents. Ces trois dispositions sont reproduites ci-dessous.

 

Pertinence

 

222(2) Pour l’application des règles 223 à 232 et 295, un document d’une partie est pertinent si la partie entend l’invoquer ou si le document est susceptible d’être préjudiciable à sa cause ou d’appuyer la cause d’une autre partie.

 

Délai de signification de l’affidavit de documents

 

223. (1) Chaque partie signifie un affidavit de documents aux autres parties dans les 30 jours suivant la clôture des actes de procédure.

 

 

Contenu

 

(2) L’affidavit de documents est établi selon la formule 223 et contient :

 

a) des listes séparées et des descriptions de tous les documents pertinents :

 

[…]

 

Sanctions

 

227. La Cour peut, sur requête, si elle est convaincue qu’un affidavit de documents est inexact ou insuffisant, examiner tout document susceptible d’être pertinent et ordonner :

 

a) que l’auteur de l’affidavit soit contre‑interrogé;

 

b) qu’un affidavit exact ou complet soit signifié et déposé;

 

c) que les actes de procédure de la partie pour le compte de laquelle l’affidavit a été établi soient radiés en totalité ou en partie;

 

d) que la partie pour le compte de laquelle l’affidavit a été établi paie les dépens.

 

[Je souligne.]

 

Interpretation

 

222(2) For the purposes of rules 223 to 232 and 295, a document of a party is relevant if the party intends to rely on it or if the document tends to adversely affect the party’s case or to support another party’s case.

 

Time for service of affidavit of documents

 

223. (1) Every party shall serve an affidavit of documents on every other party within 30 days after the close of pleadings.

 

 

Contents

 

(2) An affidavit of documents shall be in Form 223 and shall contain

 

(a) separate lists and descriptions of all relevant documents that

 

 

Sanctions

 

227. On motion, where the Court is satisfied that an affidavit of documents is inaccurate or deficient, the Court may inspect any document that may be relevant and may order that

 

(a) the deponent of the affidavit be cross‑examined;

 

(b) an accurate or complete affidavit be served and filed;

 

(c) all or part of the pleadings of the party on behalf of whom the affidavit was made be struck out; or

 

(d) that the party on behalf of whom the affidavit was made pay costs.

 

[Emphasis mine.]

 

 

[4]               Le cœur de la décision de la protonotaire Tabib se trouve au paragraphe 22 de ses motifs, répertoriés sous la référence 2007 CF 1195 :

 

[22]      Je conclus donc que, aussi bien en fonction du critère large du « lancement d’une enquête » que sur la base d’une interprétation plus stricte du paragraphe 222(2) des Règles, Novopharm n’a pas droit à la communication de tous les documents en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Lilly qui ont trait aux faits plaidés, qu’ils puissent ou non aider directement ou indirectement sa cause. Novopharm n’a pas droit à la communication de tous les documents en la possession de Lilly pour examiner elle-même s’ils pourraient être utiles. À moins qu’elle puisse établir que le processus de contrôle de Lilly était inadéquat, Novopharm doit se contenter des déclarations sous serment figurant dans les affidavits de documents de Lilly, portant que l’auteur de l’affidavit a fait procéder avec diligence à une recherche dans les dossiers, a pris les renseignements appropriés et a communiqué, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, tous les documents qui sont susceptibles d’être préjudiciables à la cause de Lilly ou de faire avancer celle de Novopharm. [Non souligné dans l’original.]

 

[5]               Les avocats de Novopharm et de Lilly conviennent que la protonotaire Tabib a cerné correctement l’essence de la requête qui lui était présentée lorsqu’elle a écrit au paragraphe 4 de sa décision :

 

[4]        Tous les documents dont Novopharm allègue qu’ils existent et n’ont pas été produits ont trait en fin de compte à la question du profil d’effets secondaires de l’olanzapine. Tous les arguments de Novopharm sur la pertinence ou l’utilité de ces documents portaient que ces documents établiraient, dans un sens ou dans l’autre, ou seraient susceptibles de lancer une enquête qui permettrait d’établir, dans un sens ou dans l’autre :

 

a)         si l’olanzapine avait, à la date de priorité, à la date de dépôt ou à la date de délivrance du brevet, les avantages revendiqués dans le brevet;

 

b)         si, de façon objective à la date d’aujourd’hui, l’olanzapine présente en fait ces avantages;

 

c)         si, jusqu’à la délivrance du brevet, Lilly était au courant de faits touchant ces questions qu’elle a omis de divulguer à l’examinateur de brevets. [Non souligné dans l’original.]

 

[6]               Autrement dit, la protonotaire devait trancher une seule question, centrée sur les avantages ou les désavantages de l’olanzapine tels qu’ils sont revendiqués dans le brevet 113 et ne touchant pas aux nombreux autres motifs d’invalidité invoqués par Novopharm contre le brevet 113 dans la présente procédure.

 

[7]               Sur la question de la pertinence, l’avocat de Lilly devant la protonotaire a limité son opposition à la requête de Novopharm en production de documents additionnels en plaidant notamment que l’existence des avantages ou des désavantages revendiqués pour l’olanzapine dans le brevet 113 ne pouvait s’apprécier que sur la base de l’état des connaissances des personnes du métier, au plus tard à la date d’accessibilité, et que toute connaissance acquise après cette date ne pouvait aucunement être considérée par la Cour et n’était donc pas pertinente. Sur ce point, la protonotaire a décidé à l’encontre de Lilly, estimant ne pas pouvoir conclure qu’il était évident et manifeste que la position de Novopharm selon laquelle les avantages de l’olanzapine divulgués dans le brevet pouvaient s’apprécier à la date de l’instruction soient dénués de toute chance de succès. Lilly n’a pas attaqué en appel la décision de la protonotaire portant que les documents pertinents pouvaient comprendre des documents pertinents par rapport à l’existence en fait des avantages ou des désavantages selon l’état de la technique après la date d’accessibilité.

 

[8]               Les demanderesses ont intenté la présente action le 6 juin 2007, alléguant que Novopharm avait contrefait certaines revendications du brevet canadien n° 2,041,113 (le brevet 113) portant sur le médicament olanzapine commercialisé par Eli Lilly Canada Inc. (Lilly Canada) sous la marque nominative ZYPREXA sous forme de comprimés et sous d’autres formes. Dans sa défense et demande reconventionnelle, Novopharm plaide l’invalidité du brevet 113 pour divers motifs, dont l’inexistence des avantages revendiqués dans le brevet 113.

 

[9]               Les autres demanderesses sont Eli Lilly and Company Limited (Lilly U.K.), société du Royaume-Uni faisant partie du même groupe qu’Eli Lilly and Company (Lilly U.S.). Lilly U.K. est titulaire du brevet 113; elle fabrique et distribue les produits de ZYPREXA et les vend notamment à Lilly Canada. La demanderesse Eli Lilly SA (Lilly SA) est une société constituée selon les lois de la Suisse. Elle fabrique et distribue des produits pharmaceutiques, dont l’olanzapine qu’elle vend en vrac à Lilly U.K. Lilly U.S. a une licence de Lilly U.K. en vertu du brevet 113 pour la fabrication, la distribution et la vente de produits visés par ce brevet, notamment au Canada, qui lui confère le droit de permettre à d’autres sociétés de distribuer les produits au Canada. À cet égard, Lilly U.S. a consenti à la fabrication, à la distribution et à la vente au Canada des produits de ZYPREXA par Lilly Canada. Les demanderesses sont désignées collectivement comme Lilly.

 

[10]           La demande du brevet 113 a été déposée au Canada par Lilly le 24 avril 1991 et l’Office des brevets du Canada a délivré le brevet le 14 juillet 1998. Il s’agit d’un brevet de sélection, c’est‑à‑dire d’un brevet fondé sur une sélection de composés connexes procédant d’un composé original. Le composé revendiqué, l’olanzapine, est présenté comme utile dans le traitement de troubles du système nerveux central comme la schizophrénie, les maladies schizophréniformes, la manie aiguë et les troubles d’anxiété légère. Les demanderesses prétendent que l’olanzapine possède des propriétés antipsychotiques atypiques et un profil d’effets secondaires meilleur que celui des médicaments antipsychotiques utilisés antérieurement et qu’elle constitue un nouveau produit au sens de l’article 55.1 de la Loi sur les brevets.

 

[11]           Lilly Canada a participé à titre de première personne à deux procédures relatives à un avis de conformité devant la Cour portant sur le brevet 113. Le 27 avril 2007, ma collègue la juge Gauthier, dans une décision répertoriée sous la référence 2007 CF 455, a accordé à Lilly Canada une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité qui aurait permis à Apotex Inc. de commercialiser au Canada son produit d’olanzapine. Apotex avait allégué l’invalidité du brevet 113 fondée sur la sélection, l’antériorité, l’évidence et le double brevet. La juge Gauthier a conclu qu’aucune des allégations d’Apotex n’était justifiée.

 

[12]           Le 5 juin 2007, mon collègue le juge Hughes, dans une décision répertoriée sous la référence 2007 CF 596 et portant sur le même brevet, mais rattachée à un avis d’allégation de Novopharm, a refusé d’interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Novopharm pour son produit Novo-olanzapine. Le produit d’olanzapine de Novopharm est sur le marché depuis la délivrance de l’avis de conformité. Le juge Hughes a jugé le brevet 113 invalide pour un motif qui n’avait pas été invoqué par Apotex, la suffisance de la divulgation dans le brevet 113.

 

[13]           Les demanderesses allèguent que Novopharm a élaboré une version générique d’olanzapine et a déposé, en 2004 ou vers cette période, une présentation abrégée de drogue nouvelle (PDN) auprès du ministre de la Santé en vue d’obtenir un avis de conformité lui permettant de vendre sa version de l’olanzapine qui contrefait le brevet 113.

 

[14]           Novopharm a produit sa défense et demande reconventionnelle le 6 juillet 2007. Comme il a été indiqué, elle alléguait que le brevet 113 était invalide pour divers motifs, notamment le fait que ses avantages avaient été exagérés et ses effets secondaires minimisés, faisant état du fait que le ZYPREXA avait fait l’objet de poursuites en responsabilité du fait du produit aux États‑Unis, dans lesquelles la demande soutient que le ZYPREXA ne comporte pas les avantages prétendus de [traduction] « supériorité marquée » et d’un « meilleur profil d’effets secondaires », mais cause plutôt un certain nombre d’effets secondaires dangereux spécifiés.

 

[15]           Dès les premiers stades de l’action, sur requête des demanderesses, la protonotaire Tabib a ordonné, le 20 juin 2007, qu’elle soit une instance à gestion spéciale et, sous réserve de toute directive ou ordonnance du juge ou du protonotaire responsable de la gestion de l’instance, a fixé un échéancier pour les stades ultérieurs dans l’action. L’échéancier fixait des dates pour le dépôt et la signification de la défense et demande reconventionnelle de Novopharm, de la réponse et défense reconventionnelle des demanderesses et, en particulier, fixait le 14 septembre 2007 comme échéance pour la signification et le dépôt des affidavits de documents respectifs, chaque partie ayant la possibilité de signifier à l’autre une demande de production de documents dont elle pense qu’ils existent, qu’ils sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de l’autre partie et qu’ils auraient dû être mentionnés dans l’affidavit de documents de son adversaire, mais ne l’ont pas été, l’autre partie étant obligée de répondre à cette demande dans les vingt et un jours suivant la signification de la demande. Il était ordonné aux demanderesses de procéder à l’interrogatoire préalable d’un représentant de la défenderesse dans la semaine du 15 octobre 2007 pendant une journée. L’interrogatoire préalable des représentants des demanderesses était prévu pour le mois de novembre ou décembre 2007. Les demanderesses ont signifié leur affidavit de documents à la fin août 2007.

 

[16]           On a décrit à la Cour comme « nouvelle » la modalité de l’ordonnance initiale de gestion d’instance obligeant les parties à se demander l’une à l’autre la correction des insuffisances dans la communication des documents. Après que Lilly a signifié son affidavit de documents, les avocats de Novopharm ont signifié à Lilly deux demandes de production de documents additionnels, auxquelles les avocats de Lilly ont répondu positivement, en partie, ce qui a entraîné la production des éléments additionnels suivants :

 

·        La PDN présentée à Santé Canada par Lilly et la mise à disposition de la demande de drogue nouvelle (NDA, New Drug Application) présentée par Lilly à la FDA aux États-Unis. En particulier, la PDN de Lilly est un document de 90 000 pages (données des essais cliniques exclues) et comprenait des données sur 89 études sur animaux avec l’olanzapine et 50 études cliniques chez l’homme).

 

·        Les communications entre Lilly et son agent de brevets canadien.

 

·        La défense déposée par les demanderesses dans les procédures de responsabilité du fait du produit.

 

[17]           Non satisfaite de ces résultats, Novopharm a alors présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance contraignant les demanderesses à produire un affidavit de documents plus complet et comportant d’autres mesures corrélatives, requête qui a été instruite par la protonotaire le 15 octobre 2007.

 

 

II. La composition de l’affidavit de documents des demanderesses

[18]           Pour bien comprendre la requête de Novopharm visant à obtenir la production d’un affidavit de documents plus complet, il est essentiel de savoir comment Lilly a composé son affidavit de documents dans la présente action. La protonotaire Tabib avait plusieurs affidavits et contre‑interrogatoires sur ces affidavits des deux parties sur la question. Le principal affidavit de documents a été déposé conjointement par Lilly U.K. et Lilly U.S.

 

[19]           Cet affidavit conjoint était fondé sur les documents produits dans une procédure devant la District Court des États-Unis, engagée par Lilly en avril 2001; cette procédure était fondée sur le brevet américain no 5,229,382 (le brevet américain) délivré en 1993 et équivalant au brevet 113 et visait à interdire l’entrée sur le marché de produits d’olanzapine génériques qu’allaient fabriquer et commercialiser trois fabricants de produits génériques des États-Unis, Zenith Goldline Pharmaceuticals Inc. (Zenith), Dr. Reddy’s Laboratories Ltd. (Dr. Reddy) et Teva Pharmaceuticals U.S.A. Inc. (Teva) (l’action aux États-Unis). La validité du brevet américain de Lilly a été attaquée par les trois fabricants de produits génériques des États-Unis.

 

[20]           L’action aux États-Unis a été instruite au début de 2004, en moins d’un mois; le jugement a été rendu au printemps de 2005, donnant gain de cause à Lilly en confirmant la validité de son brevet américain. La décision a été confirmée par la Cour d’appel des États-Unis en 2006 et la Cour suprême des États-Unis a refusé récemment l’autorisation de pourvoi.

 

[21]           Dans l’action aux États-Unis, il y a eu trois niveaux de production de documents dans le cadre de la communication de la preuve :

 

·        La communication en vertu des actes de procédure axés sur la notification. Dans les actes de procédure axés sur la notification, les allégations, contrairement à ce qui se passe au Canada, ne limitent pas la portée de la communication de la preuve et ne sont pas confinées aux documents pertinents, parce que les parties peuvent demander des documents et procéder à des interrogatoires préalables sur des questions plus larges que celles qui sont définies dans les actes de procédure et ne sont pas astreintes au principe de la pertinence tel qu’il est formulé à l’article 222 des Règles. Dans l’action aux États-Unis, selon l’affidavit de Mark Feldstein, avocat américain agissant pour Lilly et responsable de la production des documents de Lilly dans l’action aux États-Unis, nous informe qu’il y a eu une communication de la preuve très large, au cours de laquelle les fabricants de produits génériques défendeurs ont cherché à obtenir de Lilly la communication d’un grand éventail de documents. Lilly a produit près d’un million de pages de documents en vertu des actes de procédure axés sur la notification. M. Feldstein nous informe que, si la règle canadienne sur la pertinence s’était appliquée à l’affidavit de documents dans l’action aux États-Unis, le volume de documents produits aurait été [traduction] « considérablement réduit ».

 

·        Le deuxième niveau de production de documents dans l’action aux États-Unis a été celui de la production en vertu de la liste unifiée en vue de l'instruction (la liste unifiée). Ce stade a entraîné la production de 522 documents de Lilly représentant 300 000 pages. La liste unifiée représente une compilation de tous les documents que l’une ou l’autre des parties à l’action aux États-Unis pourrait tenter d’invoquer lors de l’instruction. M. Feldstein dit qu’au moment de l’instruction, n’importe laquelle des parties aurait pu s’opposer à l’admissibilité des documents de la liste unifiée, notamment sur le fondement de l’absence de pertinence. Il a dit que Lilly U.S. avait effectivement déposé des objections avant l’instruction sur le fondement de l’absence de pertinence de certains documents de la liste unifiée qu’elle avait produits en réponse aux demandes de communication d’une vaste gamme de documents faites par la défense.

 

·        Le troisième niveau correspond aux documents de la liste de pièces admises en vue de l’instruction (liste de pièces admises). Cette liste se compose, comme sa désignation l’indique, des documents pour lesquels chacune des parties à l’action aux États-Unis a accepté qu’ils soient inscrits et cotés comme pièces lors de l’instruction.

 

[22]           David Stemerick est avocat interne chez Lilly U.S. Il a souscrit deux affidavits décrivant la façon dont Lilly U.S. a composé son affidavit de documents pour les besoins de l’action au Canada. Il a témoigné que la méthode adoptée par Lilly était de prendre pour point de départ la [traduction] « masse de documents » qu’on avait déjà produits dans l’action aux États-Unis vu que [traduction] « bon nombre des questions étaient identiques dans les actes de procédure des deux actions, par exemple l’antériorité, l’évidence, la fraude liée à l’étude sur chiens, etc. » Il poursuit en disant : [traduction] « Aux États-Unis, toutefois, le volume de documents produits était très considérable, même si, en fin de compte, presque tous les documents qui avaient été produits n’étaient utiles ni à l’une ni à l’autre des parties lors de l’instruction. »

 

[23]           Au paragraphe 8 de son affidavit en réponse souscrit en réponse à la requête de Novopharm en production d’un affidavit de documents plus complet, il a témoigné (dossier de requête des demanderesses, volume 1, page 305) :

 

[traduction]

8.         Étant donné que presque toute la masse des documents produits aux États‑Unis n’avaient pas été invoqués lors de l’instruction, il a été décidé que la meilleure méthode à suivre pour se conformer à l’article 222 des Règles des Cours fédérales serait de déterminer :

 

a)         quels documents chacune des demanderesses comptait invoquer parmi ceux qu’elle avait;

 

b)        quels documents parmi ceux qui avaient été produits aideraient à appuyer la cause de Novopharm ou à nuire à celle de Lilly.

 

 

[24]           Le 24 août 2007, dans la présente action, David Stemerick a été celui qui a souscrit l’affidavit conjoint de Lilly U.S. et Lilly U.K. Il a renvoyé à l’Annexe 1 de son affidavit, qui dit que les annexes A, B et C font état de tous les documents, ou liasses de documents, qui sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Lilly et à l’égard desquels aucun privilège de non‑communication n’est revendiqué. L’Annexe A contient les documents de Lilly faisant partie de la liste de pièces admises dans l’action aux États-Unis; l’Annexe B, coiffée de la mention « confidentiel », se compose de documents de la liste unifiée et l’Annexe C fait état de huit documents, soit une copie certifiée conforme du brevet 113, l’historique du dossier du brevet 113, trois contrats entre les sociétés du groupe Lilly, des échantillons de factures et des copies de deux décisions dans l’action aux États-Unis.

 

[25]           Dans son affidavit en réponse, M. Stemerick a témoigné que les documents de l’Annexe A de l’affidavit de documents de Lilly étaient des documents de Lilly qu’on avait inclus dans la liste de pièces admises dans l’idée que ces documents pourraient éventuellement aider Novopharm, soit pour établir sa preuve ou pour contester la preuve de Lilly ou nuire à la cause de Lilly. Aux paragraphes 11 à 15, il a poursuivi :

 

[traduction]

11.       Par mesure de précaution, il a été décidé d’aller au-delà des documents de l’Annexe A et d’inclure tous les documents provenant de Lilly qui figuraient sur la liste unifiée de pièces en vue de l’instruction des États-Unis. Ces documents ont été fournis à Novopharm dans l’Annexe B dans la mesure où ils ne faisaient pas partie de l’Annexe A. La liste unifiée de pièces en vue de l’instruction est un sous‑ensemble des documents produits dans le cadre de la communication de la preuve. Ce sous-ensemble était une compilation de tous les documents qu’une partie à la procédure aux États-Unis pourrait invoquer lors de l’instruction.

 

12.       Je pense que les Annexes A et B comprennent tous les documents qui peuvent être pertinents dans la présente procédure. Mon opinion à cet égard se fonde sur le fait que de nombreux avocats plaidants d’expérience, y compris des avocats représentant des sociétés qui sont liées à Novopharm, avaient examiné soigneusement tous les documents produits par Lilly et les documents produits par la défenderesse aux États-Unis et, sur le fondement des interrogatoires préalables oraux approfondis des témoins de Lilly dans la procédure aux États-Unis, avaient conclu que tous les documents qu’ils pourraient invoquer lors de l’instruction étaient inclus dans liste unifiée.

 

13.       On comprend aisément que les Annexes A et B ne comprennent pas tous les documents de la liste unifiée de pièces en vue de l’instruction aux États-Unis. Sont omis de l’Annexe B les documents qui ne proviennent pas de Lilly. Par exemple, alors que la liste unifiée en vue de l’instruction comprend des documents produits par Dr. Reddy’s, Lilly ne pouvait pas inclure et n’a pas inclus les documents de Dr. Reddy’s pour les raisons suivantes :

 

a)         il ne s’agit pas de documents de Lilly;

 

b)         la production de ces documents dans la présente affaire contreviendrait aux dispositions de l’ordonnance de confidentialité en vertu de laquelle ces documents ont été fournis à Lilly.

 

14.       En outre, un grand nombre des documents de la liste unifiée en vue de l’instruction sont des articles provenant de publications scientifiques accessibles au public, dont un certain nombre ont déjà été produits dans la procédure selon l’article 55.2 [la procédure relative à un avis de conformité opposant Lilly et Novopharm devant la Cour, déjà mentionnée]. Je suis informé par mon avocat canadien et je crois sincèrement qu’au Canada, l’état de la technique doit être expressément plaidé dans la défense. Je ne vois donc pas la nécessité pour Lilly de produire ces documents. Enfin, ainsi qu’il est discuté ci-dessous, les rapports d’expert établis pour l’action aux États-Unis ont également été omis.

 

15.       Certes, un volume très considérable de documents additionnels ont été produits dans la procédure aux États-Unis, mais je ne vois pas l’utilité de les produire au Canada compte tenu du fait que pas un seul de ces documents n’a suscité suffisamment d’intérêt pour être inclus par l’un des avocats américains dans la liste unifiée en vue de l’instruction. Donc, ils peuvent avoir trait à l’olanzapine, mais ils n’appuient pas la cause de Novopharm ni ne nuisent à la cause de Lilly. [Non souligné dans l’original.]

 

[26]           L’affidavit en réponse de M. Stemerick venait répondre en bonne partie à l’affidavit souscrit par Jeffrey Ward, avocat principal de Zenith dans l’action aux États-Unis. On avait demandé à ce dernier d’examiner l’affidavit de documents conjoint de Lilly U.S. et Lilly U.K., fourni par M. Stemerick, en vue d’apprécier si tous les documents pertinents par rapport aux actes de procédure en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Lilly avaient été identifiés et communiqués dans la présente action. Il a été d’avis que l’on n’avait pas identifié et communiqué tous ces documents. D’après ce que je comprends de l’affidavit de M. Ward, son opinion se fonde sur les caractéristiques suivantes de l’action aux États-Unis : 

 

·        Elle a été intentée en avril 2001 par la déclaration de Lilly U.S.; le stade de la communication de la preuve a commencé pour de bon en février 2002 et a duré 18 mois. L’instruction a débuté le 26 janvier 2004 et a pris fin en février 2004. La décision a été rendue au printemps 2005 et elle a été attaquée en appel;

 

·        Le brevet américain n° 5,229,382 (le brevet 382) a été délivré en 1993, tandis que le brevet canadien 113 a été délivré en 1998;

 

·        Les deux actions portent sur un bon nombre de questions communes, mais Novopharm a soulevé des questions additionnelles qui n’auraient pas pu être prises en compte dans la production de documents dans l’action aux États-Unis. En particulier, l’accent mis par Novopharm dans ses actes de procédure sur les avantages et les désavantages de l’olanzapine introduisait une différence importante dans la façon dont la question était soulevée à cause du moment du dépôt du brevet canadien et du fait que le brevet canadien avait été délivré beaucoup plus tard que le brevet américain;

 

·        M. Ward a donné des exemples d’insuffisances dans les documents produits par Lilly tenant à la différence des stratégies, au moment de l’action aux États-Unis et de l’action au Canada et au fait que l’action aux États-Unis a été instruite beaucoup plus tôt, de sorte que les listes en vue de l’instruction dans l’action aux États-Unis ont été établies vers la fin de 2003 et le début de 2004;

 

·        M. Ward n’a pas compris pourquoi Lilly U.S. n’avait pas fait état dans son Annexe 1B dans l’action au Canada de tous les documents de la liste unifiée étant donné que les parties dans l’action aux États-Unis les avaient considérés comme pertinents, en faisant observer que de nombreux rapports d’expert figuraient sur la liste unifiée et que, certains de ces experts devant comparaître dans l’action au Canada, la production de ces rapports d’expert était pertinente. Il a relevé le fait qu’un grand nombre de pages de documents ont été produites dans l’action aux États-Unis, alors qu’on n’a pas fait état de ces documents dans l’action au Canada. Il a dit que Lilly U.S. n’avait pas produit les données d’essais cliniques pertinentes, en mentionnant une étude de Lilly de 1997 [traduction] « L’innocuité de l’olanzapine » portant sur 2 500 dossiers de patients, données qui étaient importantes pour Novopharm étant donné que le brevet canadien était encore en cours d’instruction alors que le brevet américain avait été délivré. Il était d’avis que Novopharm, parce qu’elle avait plaidé que l’olanzapine ne possède pas les caractéristiques indiquées dans le brevet 113, fait qui était corroboré selon lui par les données contenues dans les bases de données cliniques et toxicologiques de Lilly, ce qui rendait pertinentes toutes les données des essais cliniques de Lilly sur les 2 500 patients.

 

[27]           Les conclusions de M. Ward étaient les suivantes :

 

[traduction]

43.     En somme, l’affaire Zenith et l’affaire à l’encontre de Novopharm ne sont pas identiques. L’affaire à l’encontre Novopharm soulève un bon nombre des mêmes questions, quoique de manières différentes, que l’affaire Zenith plaidée il y a bientôt quatre ans. La défense de Novopharm et les motifs d’invalidité semblent incorporer un bon nombre des motifs invoqués dans l’affaire Zenith mais soulèvent aussi de nouveaux motifs qui ne faisaient pas partie de l’affaire Zenith et qui exigeraient la communication d’autres documents.

 

44.     Même si l’affaire Zenith était un point de départ approprié pour la communication de la preuve dans la présente affaire, il est manifeste qu’Eli Lilly n’a pas produit tous les documents pertinents en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, ni même des listes de ces documents. Si Eli Lilly prétend ici n’avoir que 20 boîtes de documents pertinents, elle est à court d’environ 286 boîtes par comparaison aux documents produits dans l’affaire Zenith. Je pense que tous les documents produits dans l’affaire Zenith sont pertinents et auraient dû être produits dans l’affaire Novopharm.

 

45.     Enfin, les déclarations d’Eli Lilly portant qu’elle a produit les données cliniques brutes sur 2 500 patients sont, autant que je sache, inexactes. Je ne vois aucun document décrit dans l’un des affidavits fournis qui comprendrait ces données brutes. [Non souligné dans l’original.]

 

III. La décision de la protonotaire Tabib du 15 novembre 2007

[28]           La protonotaire Tabib, qui est responsable de la gestion de l’instance depuis le commencement, a rendu une décision mûrement réfléchie, approfondie et nuancée, que l’on peut résumer ainsi.

 

[29]           D’abord, après avoir noté que Novopharm avait présenté sa requête en vue d’obtenir un affidavit plus complet avant la tenue de tout interrogatoire préalable oral, elle a dit qu’ « il incombe à Novopharm d’établir que les documents sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Lilly, sont pertinents et n’ont pas été indiqués dans les affidavits de documents de Lilly ni produits par la suite en réponse à une demande de production que les parties devaient se faire l’une à l’autre selon une ordonnance antérieure de fixation de l’échéancier ». [Non souligné dans l’original.]

 

[30]           Elle a ensuite entrepris un long examen de la jurisprudence pour déterminer si la « pertinence », telle qu’elle a été définie récemment dans l’article 222 des Règles en 1998, pour les obligations de communication de documents de Lilly, était plus étroite que sous les règles antérieures qui avaient adopté le critère exposé par la Cour d’appel du Royaume-Uni dans l’arrêt Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique c. Peruvian Guano Co., (1882), 11 Q.B.D. 55. Dans cet arrêt, les mots [traduction] « un document qui a trait à tout point litigieux de l’action » avaient été interprétés comme comprenant tout document « lorsqu’il constitue une preuve à l’égard de ces points litigieux mais également lorsqu’on peut raisonnablement supposer qu’il contient des renseignements pouvant – et non devant – soit directement soit indirectement, permettre à la partie qui exige l’affidavit ou bien de plaider sa propre cause ou bien de nuire à celle de son adversaire », étant précisé « "soit directement soit indirectement" parce que […] un document peut, à proprement parler, contenir des renseignements pouvant permettre à la partie qui exige l’affidavit soit de plaider sa propre cause soit de nuire à celle de son adversaire s’il s’agit d’un document susceptible de la lancer dans une enquête et d’entraîner l’une ou l’autre de ces conséquences. » [Non souligné dans l’original.]

 

[31]           Elle a passé en revue la jurisprudence élaborée par le protonotaire Hargrave dans le cadre de l’article 222 nouveau des Règles. Celui-ci avait conclu en fin de compte que la mise en vigueur des nouvelles règles n’avait pas modifié le critère de l’arrêt Peruvian Guano en ce qui touche la portée de l’affidavit de documents. La protonotaire Tabib a remis à une autre fois de décider si elle serait venue à la même conclusion que le protonotaire Hargrave sur le point de savoir si le paragraphe 222(2) des Règles « réduit effectivement la portée de la définition de la pertinence énoncée dans Peruvian Guano, notamment en restreignant quelque peu le critère du “lancement d’une enquête” ».

 

[32]           Elle a souscrit à la position du protonotaire Hargrave que le concept de promotion de la cause de la partie adverse ou de la démolition de sa propre cause est central pour la pertinence, à la fois d’après le critère formulé dans l’arrêt Peruvian Guano et d’après la formulation du paragraphe 222(2) des Règles. Pour les besoins de la requête dont elle était saisie, elle a formulé le critère de la façon suivante :

 

À moins que la partie produisant l’affidavit compte invoquer un document lors de l’instruction, elle n’est pas obligée de le communiquer à moins [traduction] qu’« on p[uisse] raisonnablement supposer » que le document nuirait à sa propre cause, ferait avancer celle de son adversaire ou serait [traduction] « susceptible de la lancer dans une enquête et d’entraîner l’une ou l’autre de ces conséquences ».

 

[33]           Ainsi qu’il a été indiqué, la protonotaire Tabib a exprimé ses conclusions, qui ont été reproduites au paragraphe 4 ci-dessus. Au sujet de ce critère, l’avocat de Novopharm a pris la position que la protonotaire Tabib en avait donné une formulation correcte, mais qu’elle l’avait finalement appliqué de manière incorrecte. L’avocat de Lilly était d’avis que le volet « lancement d’une enquête » du critère avait été abandonné dans les nouvelles règles, mais il a dit que cela n’avait pas de conséquences pour la requête en cause et a accepté, pour les besoins de la présente affaire, que la protonotaire en avait donné une formulation correcte.

 

[34]           La protonotaire a dit ensuite que la question qui se posait était celle de savoir si la méthode de Lilly pour déterminer lesquels des documents compris dans une grande catégorie de documents doivent être communiqués était raisonnable et suffisante. Elle a décrit les trois niveaux de communication de la preuve déjà exposés dans les présents motifs et a noté que, selon la preuve par affidavit de Lilly, les auteurs des affidavits de Lilly, après avoir considéré les questions soulevées dans la procédure aux États-Unis et dans la présente procédure, ont jugé que tous les documents qui pouvaient avoir trait aux questions en litige dans la présente action avaient fait partie de la communication de la preuve initiale aux États-Unis et qu’on pouvait raisonnablement supposer que tous les documents susceptibles de nuire à la cause de Lilly ou d’aider celle d’un adversaire sur les mêmes questions avaient été choisis par les adversaires de Lilly et inclus dans la liste unifiée de pièces et dans la liste de pièces admises.

 

[35]           Elle a ensuite dit que la position de Novopharm était que, sur le plan du principe juridique, la communication de la preuve de Lilly devait comprendre tous les documents ayant trait aux questions plaidées, par conséquent tous les documents qui avaient été produits initialement aux États-Unis. Elle a relevé que Novopharm n’avait pas fait valoir, sinon par le moyen des catégories particulières traitées plus loin dans ses motifs, que le fondement sur lequel Lilly avait procédé était déraisonnable ou que l’application de cette méthode entraînait l’omission de documents pertinents. Elle était convaincue que, dans les circonstances de la présente affaire, les auteurs d’affidavit de Lilly n’avaient pas procédé de façon déraisonnable et, renvoyant à l’affidavit de M. Stemerick dans lequel il disait qu’il estimait qu’une recherche diligente avait déjà été effectuée pour les besoins de la procédure aux États-Unis, et qu’il avait pris des renseignements, qu’elle estimait à première vue raisonnables et appropriés, pour déterminer lesquels parmi ces documents correspondaient à la définition de la pertinence au paragraphe 222(2) des Règles, pour conclure : « Je ne vois rien à reprocher à cette façon de procéder en général. » [Non souligné dans l’original.]

 

[36]           Toutefois, elle a prévenu qu’il se pouvait que cette façon de procéder se soit révélée en pratique peu sûre ou insuffisante dans la mesure où elle aurait laissé échapper des documents pertinents et a dit que l’examen des documents qui seraient manquants, selon ce que prétend Novopharm, devrait indiquer si Lilly, malgré une méthode apparemment raisonnable de sélection des documents, avait laissé échapper des documents pertinents et devrait donc être obligée de procéder à une nouvelle appréciation de ses documents. Elle a ensuite entrepris l’examen des catégories particulières de documents qui, selon ce que prétendait Novopharm, étaient manquants. Ces catégories sont les suivantes :

 

·        Les documents relatifs aux essais cliniques;

 

·        Les notes et documents internes relatifs aux essais cliniques;

 

·        La correspondance entre Lilly et les autorités de la santé au Canada et aux États‑Unis;

 

·        Certains documents découlant des actions en responsabilité du fait du produit relatives à l’olanzapine dans lesquelles Lilly était défenderesse;

 

·        Les rapports d’expert provenant d’autres procédures;

 

·        Les éléments de l’état de la technique produits dans l’action aux États-Unis.

 

Puis, dans le reste de ses motifs, elle a procédé à l’examen de chacune de ces catégories. J’expose ses conclusions séparément pour chacune.

 

i) Les documents relatifs aux essais cliniques

[37]           Elle a jugé que ces documents sont pertinents et a dit que Lilly les avait identifiés et produits jusqu’à 2001. Au-delà de 2001, la protonotaire Tabib était convaincue qu’il existait des documents de ce type ayant probablement trait aux profils d’effets secondaires qui étaient susceptibles de faire avancer la position de Novopharm. Elle a ordonné leur production dans les termes suivants : « Lilly a l’obligation continue, et de toute façon cela lui sera expressément ordonné, d’examiner ses dossiers pour déterminer si des documents relatifs aux essais cliniques créés après 2001 existent et n’ont pas été communiqués et, le cas échéant, de les inclure dans un affidavit de documents plus complet. » [Non souligné dans l’original.]

 

ii) Les notes et documents internes relatifs aux essais cliniques

[38]           Sur la base de la preuve au dossier, elle était convaincue que les documents de ce type créés avant 2001 « auraient été inclus dans les documents produits initialement dans la procédure aux États-Unis et auraient donc été déjà examinés quant à leur pertinence et inclus le cas échéant dans les affidavits de documents de Lilly », mais non ceux qui avaient été créés après 2001. Elle était d’avis que « le seul fait en litige auquel des commentaires ou des communications internes postérieurs à 2001 pourraient avoir trait est l’existence ou l’inexistence objective des avantages divulgués ou revendiqués dans le brevet ». Elle a dit qu’il s’agissait « manifestement d’une question de fait scientifique objectif, à établir au moyen d’un témoignage d’expert sur la base des données que Lilly a communiquées ou communiquera ». Elle était d’avis que « [c]e que Lilly ou ses employés pensent ou estiment au sujet des conclusions à tirer des données est non pertinent et ne peut faire avancer la cause de Novopharm à moins que Lilly ait fait sur ces questions des déclarations officielles équivalant à des aveux », mais elle estimait que, ces documents constituant des communications internes entre des employés, « on ne peut raisonnablement supposer qu’ils comprennent des déclarations officielles ». Elle ne pouvait voir comment on peut raisonnablement supposer que des documents internes de Lilly formulant des commentaires sur les données des essais cliniques seraient susceptibles de lancer Novopharm dans une enquête qui pourrait faire avancer sa cause ou nuire à celle de Lilly. Elle était de cet avis parce que le dossier de requête de Novopharm n’indiquait pas comment cela se pourrait et que ces documents ramèneraient aux données de départ auxquelles ils ont trait; comme ces données avaient été ou seraient fournies, « on ne voit pas quel avantage pourrait offrir à Novopharm un document qui ne sert qu’à renvoyer à ces données ». Elle a ajouté : « Même si ces notes internes pouvaient être considérées comme strictement comprises dans la définition du paragraphe 222(2) des Règles parce qu’elles ramènent aux données des essais cliniques, j’exercerais mon pouvoir discrétionnaire de dispenser Lilly de les communiquer. » [Non souligné dans l’original.]

 

[39]           Toutefois, elle a noté que Novopharm soutenait que ces communications pourraient contenir des déclarations pouvant nuire à Lilly, par exemple, des déclarations reconnaissant que certains renseignements étaient connus de Lilly à l’époque de l’instruction de la demande de brevet, mais n’avaient pas été divulgués à l’examinateur de brevets. Elle a conclu : « De toute évidence, si des documents internes de Lilly contiennent de telles déclarations, ces documents sont pertinents et doivent être communiqués » et ordonné : « Elle [Lilly ] devrait donc, au titre de son obligation continue de communication de la preuve, se renseigner dans la mesure du raisonnable ou prendre des mesures raisonnables pour que les documents internes qui pourraient contenir de tels aveux compromettants soient examinés et communiqués, s’ils existent. » [Non souligné dans l’original.]

 

iii) La correspondance entre Lilly et les autorités de la santé

[40]           La correspondance entre Lilly et la Food and Drug Administration aux États-Unis ou Santé Canada est centrée sur des monographies de produit et des changements d’étiquetage pour y inclure des avertissements au sujet des effets secondaires de l’olanzapine. La preuve au dossier indiquait que ces documents avaient été communiqués pour la période antérieure à 2001, mais non pour la période postérieure à 2001.

 

[41]           La protonotaire n’a pas ordonné la communication de cette correspondance parce qu’elle était convaincue que cette catégorie de documents ne ferait pas avancer la cause de Novopharm, ni ne nuirait à celle de Lilly ni n’était susceptible de lancer une enquête ayant l’un ou l’autre de ces résultats parce que, d’après la preuve de Novopharm, « cette correspondance serait nettement fondée sur les données cliniques que Lilly a déjà communiquées ou communiquera et ne ferait que les interpréter ou les discuter. » Cela l’a amenée à dire : « On ne peut raisonnablement supposer que Lilly a admis, dans cette correspondance, d’autres effets secondaires négatifs que ceux qui sont visés par les avertissements sur les étiquettes et dans la monographie de produit accessibles au public. Encore ici, la seule information à laquelle on peut supposer que cette correspondance est susceptible de mener consiste dans les mêmes données et rapports cliniques qui ont été ou seront produits. » [Non souligné dans l’original.]

 

iv) Documents découlant des actions en responsabilité du fait du produit

[42]           Novopharm avait identifié huit documents que Lilly n’avait pas mentionnés dans ses affidavits de documents et qui proviennent d’actions en responsabilité du fait du produit intentées aux États-Unis contre Lilly relativement au Zyprexa. Ces documents étaient visés par des ordonnances de confidentialité aux États-Unis, mais ils avaient été communiqués clandestinement au New York Times et avaient été publiés sur Internet. Trois de ces documents sont postérieurs à 2001, tandis que les cinq autres sont antérieurs à la délivrance du brevet 113 en 1998

 

[43]           La protonotaire a ordonné la communication des documents antérieurs à 1998 (R à V), jugeant qu’ils contenaient des renseignements susceptibles de faire avancer la cause de Novopharm parce qu’ils pouvaient, directement ou indirectement, établir l’état de la connaissance par Lilly des effets secondaires avant la délivrance du brevet et elle a dit : « Le fait que cinq documents pertinents créés avant 2001 aient pu être identifiés par Novopharm indique que le processus adopté par Lilly pour rechercher et identifier les documents pertinents a pu ne pas être adéquat. Lilly sera tenue d’examiner ses documents pour garantir que tous les documents pertinents soient communiqués. » [Non souligné dans l’original.]

 

[44]           Elle a souligné le fait que les documents R à V étaient pertinents en raison des renseignements particuliers qu’ils contenaient. Elle a dit : « S’agissant du document R en particulier, on ne peut raisonnablement supposer que d’autres documents que l’on peut décrire comme appartenant à la même catégorie de documents (c’est-à-dire, la correspondance) contiennent nécessairement ce type de renseignements et il se peut qu’ils ne soient pas pertinents. » Elle a ajouté : « Novopharm n’a droit qu’à la communication des documents de cette catégorie qui sont pertinents; elle a le droit de savoir que Lilly a examiné ses documents pour identifier et communiquer tout document qui peut contenir des renseignements semblablement pertinents. Ainsi qu’il a été mentionné auparavant, Novopharm n’a pas droit d’obtenir la communication de la catégorie de documents tout entière pour s’assurer qu’on n’a pas laissé échapper de documents pertinents. »

 

[45]           La protonotaire n’a pas ordonné la production des documents cotés O, P et Q, postérieurs à la date de délivrance du brevet 113. Elle a dit : « Au mieux, ils traitent de ce que Lilly savait, à la date qu’ils portent, au sujet de certains effets secondaires du Zyprexa », puis a ajouté : « La connaissance subjective de Lilly après la délivrance du brevet n’est pas pertinente. » Elle a dit : « Dans la mesure où ces documents traitent de faits objectifs, ils ne peuvent mener qu’aux données qui y sont traitées, lesquelles ont été fournies ou le seront. » Elle a poursuivi : « En outre, ces documents concernent principalement les perceptions qu’ont d’autres personnes de cette question. Ils ne contiennent pas de renseignements sur ce que Lilly savait jusqu’à la date de délivrance du brevet, inclusivement, ou sur ce que Lilly peut avoir déclaré à l’examinateur de brevets. » Sur ce fondement, elle a conclu que ces documents ne pouvaient, directement ou indirectement, faire avancer la cause de Novopharm ou nuire à celle de Lilly et que, par conséquent, il n’y avait pas d’obligation d’en faire état dans l’affidavit de documents de Lilly.

 

v) Les rapports d’expert provenant d’autres procédures

[46]           La protonotaire Tabib n’a pas ordonné à Lilly de faire état dans son affidavit de documents des rapports d’expert établis pour les besoins d’autres procédures, au motif qu’ils n’étaient pas pertinents.

 

[47]           Elle a été d’avis que tout rapport de ce type devait avoir créé après la date de délivrance du brevet et ne traiterait que de ce qu’un tiers – l’expert indépendant en question – pense ou croit au sujet des questions en cause à la date où il a été créé et n’était donc pas pertinent. Elle a dit, toutefois, que, dans la mesure où un rapport traite de renseignements factuels pertinents, et pourrait donc mener à de tels renseignements, ce sont ces renseignements qui peuvent être pertinents et faire l’objet de la communication. Elle a dit : « Si ces renseignements sont en la possession, sous le contrôle ou sous la garde de Lilly, ils devraient avoir été déjà communiqués ou ils devraient être communiqués. »

 

vi) Les éléments de l’état de la technique produits dans l’action aux États-Unis

[48]           La protonotaire Tabib a dit que c’était « un principe élémentaire de droit que seuls les éléments de l’état de la technique qui sont expressément allégués dans les actes de procédure sont pertinents » et que, « par rapport aux allégations d’antériorité et d’évidence formulées par Novopharm, Lilly n’avait pas à communiquer de documents relatifs à l’état de la technique qu’elle a en sa possession, sous son contrôle ou sous sa garde à moins qu’elle compte les invoquer à l’instruction ou qu’ils soient expressément allégués dans les actes de procédure de Novopharm ». Elle a nuancé cette position en disant : « Toutefois, étant donné que les actes de procédure de Novopharm soulèvent comme question en litige l’inexistence objective des avantages revendiqués ou divulgués dans le brevet et l’absence objective d’utilité de l’invention, les documents – qu’il s’agisse de documents internes de Lilly ou de documents accessibles au public – en la possession de Lilly qui feraient avancer la cause de Novopharm sur cette question doivent être communiqués. »

 

[49]           Elle a conclu sur ce point que la preuve qu’on lui avait présentée établit que Lilly avait automatiquement exclu de la communication tous les documents publiés non créés par Lilly et non allégués expressément par Novopharm, sur le fondement qu’ils n’avaient pas été allégués et qu’ils constituaient donc des éléments de l’état de la technique non pertinents. Elle a jugé que Lilly avait omis de considérer si ces documents pourraient être utilisés pour soutenir la prétention de Novopharm que l’olanzapine ne présente pas en fait les avantages ou les effets prétendus. Elle a ordonné à Lilly d’effectuer un examen de ces documents et de communiquer ceux qui étaient susceptibles de faire avancer la cause de Novopharm ou de nuire à sa propre cause sur ces questions.

 

IV. Analyse et conclusions

a) La norme de contrôle

[50]           La norme de contrôle, en l’espèce, porte sur la déférence due par un juge de la Cour à l’endroit d’une protonotaire responsable de la gestion de l’instance dans un appel formé en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales (1998). À mon avis, deux degrés de déférence sont en cause ici : d’abord, la déférence habituelle à l’endroit des protonotaires et ensuite la déférence due à une protonotaire dans l’exercice de ses fonctions de gestion de l’instance.

 

[51]           La déférence normale due aux protonotaires a été définie par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, où le juge MacGuigan a écrit au paragraphe 95 :

 

Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a)    l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits,

 

b)    l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal. 

 

Si l’ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début.

 

 

[52]           L’ordre des deux volets du critère à été inversé par le juge Décary dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., (2003) 30 C.P.R. 4th 40, après une analyse de ce que le juge MacGuigan entendait par la formule « questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal »; le juge Décary a interprété la formule au sens de questions déterminantes pour la solution définitive de la cause principale (par exemple, une requête interlocutoire pour défaut de poursuivre). Dans l’arrêt Merck, précité, il a écrit au paragraphe 19 :

 

[19] Afin d’éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu’il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l’occasion pour renverser l’ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d’abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l’issue de l’affaire. Ce n’est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J’énoncerais le critère comme suit :

 

« Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a)         l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal,

 

b)         l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. »

  

[53]           Dans l’arrêt Merck, précité, le juge Décary a analysé le concept « ayant une influence déterminante sur l’issue du principal » dans le contexte de la question qu’il devait trancher, à savoir si le juge avait omis d’exercer de novo son pouvoir discrétionnaire pour décider si le protonotaire avait commis une erreur en autorisant une modification d’une défense. Il a dit au paragraphe 22 que le critère du caractère déterminant est « strict » et que « [l]’utilisation du terme "déterminant" est importante », décrivant la modification en cause comme une modification qui créait un nouveau moyen de défense, « s’éloignant considérablement » de la position qu’avait fait valoir jusque‑là la partie, qui toucherait le cœur d’une revendication et commanderait une preuve d’expert qui n’avait pas pu être prévue au stade de la communication de la preuve vu les actes de procédure, par opposition à des modifications courantes des actes de procédure.

 

[54]           Il est important de noter la mise en garde que le juge Décary a donnée dans cet arrêt : « Il serait imprudent d’essayer de leur donner une classification formelle. Il est de loin préférable de trancher cette question au cas par cas. »

 

[55]           Dans le contexte de la présente affaire, je considère que l’ordonnance de la protonotaire Tabib du 15 novembre 2007 sur la requête de Novopharm pour obtenir un affidavit de documents plus complet ne constitue pas une ordonnance ayant une influence déterminante sur la solution définitive de l’action, compte tenu des facteurs suivants : la nature procédurale de l’ordonnance – la production d’un affidavit de documents supplémentaire; la modalité particulière de sa première ordonnance de gestion de l’instance contraignant les parties à se présenter l’une à l’autre des demandes de production de documents additionnels, demandes auxquelles Lilly a donné une réponse positive en partie, ce qui a entraîné la production par Lilly d’un nombre substantiel de documents additionnels. Cette exigence visait à encourager la coopération des parties et à éviter les requêtes inutiles ou les retards; le moment de l’ordonnance – qui a pris effet avant l’interrogatoire préalable oral des demanderesses; sa portée – lorsque Novopharm a obtenu la production d’un nombre substantiel de documents additionnels, une obligation s’est imposée à Lilly d’effectuer des recherches additionnelles et de produire des documents additionnels, rattachée à son obligation continue de communication de la preuve dans le cadre des Règles.

 

[56]           Dans la décision Apotex Inc. c. Merck & Co. (2004), 33 C.P.R. (4th) 387, le juge Martineau est arrivé à une conclusion semblable dans des circonstances identiques, Apotex sollicitant d’un protonotaire responsable de la gestion de l’instance une ordonnance de production d’un affidavit de documents plus complet à l’encontre de la demanderesse Merck & Co. Cette conclusion n’a pas été modifiée en appel (Apotex Inc. c. Merck & Co. (2005), 38 C.P.R. (4th) 289). (Voir aussi la décision du juge Hugessen Bande de Sawridge c. Canada, 2001 CFPI 1089, refusant la demande d’un affidavit de documents plus complet présentée par la demanderesse.)

 

[57]           Par conséquent, la Cour n’examinera pas l’ordonnance de la protonotaire Tabib de novo. Novopharm doit démontrer que l’ordonnance de la protonotaire Tabib était entachée d’erreur flagrante, c’est-à-dire qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

[58]           Dans les circonstances de l’espèce, je suis d’avis qu’en sa qualité de responsable de la gestion de l’instance, la protonotaire a droit à un degré supplémentaire de déférence, comme l’a reconnu la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bande de Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346, où le juge Rothstein a dit, au paragraphe 11 : « Il faut donner au juge [ou au protonotaire] responsable une certaine latitude aux fins de la gestion de l’instance. La Cour n’intervient que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé. »

 

[59]           Je suis bien conscient de la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438. Dans cette affaire, une erreur de principe avait entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire du protonotaire : celui-ci n’avait pas examiné si les questions posées dans l’interrogatoire préalable étaient pertinentes. Le juge Strayer a statué que l’article 385 des Règles traitant de la portée de la gestion de l’instance n’autorisait pas un protonotaire à refuser à une partie le droit que lui confère la loi d’obtenir, dans un interrogatoire préalable, des réponses aux questions posées dans l’interrogatoire préalable qui sont pertinentes par rapport aux questions soulevées dans les actes de procédure, droit clairement prévu à l’article 240 des Règles. Le juge Strayer a dit que les termes généraux de lalinéa 385(1)a) ou de larticle 3 des Règles ne sont pas suffisants pour permettre de « passer outre à ce droit spécifique ». Pour les motifs exprimés ci-dessous, je ne pense pas que cet arrêt ait quelque application dans les circonstances de l’espèce.

 

b) L’ordonnance de la protonotaire était-elle discrétionnaire?

[60]           Dans ses observations écrites, l’avocat de Novopharm écrit, au paragraphe 51 :

[traduction]

51.       Bien que l’article 227, l’une des Règles en vertu desquelles la requête a été présentée à la protonotaire, soit formulé en apparence d’une manière qui donne à penser que la décision d’ordonner l’une des mesures prévues comporte un élément discrétionnaire, la « pertinence » ne relève pas d’un pouvoir discrétionnaire. Bon nombre des décisions prises par la protonotaire avaient trait à la pertinence de catégories de documents et n’étaient pas de nature discrétionnaire. De même, les décisions prises en l’absence de preuve sont des erreurs juridictionnelles et ne sont pas assujetties à la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires.

 

[61]           L’avocat de Novopharm semble accepter qu’à un niveau, la protonotaire a un pouvoir discrétionnaire pour décider s’il convient ou non, selon les circonstances de l’espèce, d’ordonner la production d’un affidavit de documents plus complet comme l’une des mesures prévues à l’article 227 des Règles. L’existence de ce pouvoir discrétionnaire est manifeste d’après la formulation de l’article 227 qui confère à la Cour le pouvoir de choisir entre des mesures de réparation lorsqu’elle est convaincue qu’un affidavit de documents est inexact ou insuffisant. En l’espèce, la protonotaire a ordonné à Lilly de fournir un affidavit de documents plus complet à l’égard de quelques catégories de documents pour lesquelles elle jugeait l’affidavit de documents insuffisant.

 

[62]           Le véritable grief de Novopharm est que la protonotaire n’a pas ordonné à Lilly de produire un affidavit de documents plus complet à l’égard des catégories de documents qu’elle a exclues, en particulier des catégories suivantes : la correspondance entre Lilly et les autorités de la santé, les commentaires ou les communications internes sur l’existence ou l’inexistence des avantages divulgués ou revendiqués dans le brevet à l’exception de déclarations officielles équivalant à des aveux ou des documents internes contenant des déclarations compromettantes pour Lilly, portant par exemple que certains renseignements étaient connus de Lilly au moment de l’instruction de la demande de brevet, mais n’avaient pas été communiqués à l’examinateur de brevets, et certains documents provenant des procédures en responsabilité du fait du produit.

 

[63]           Il existe une abondante jurisprudence, que j’accepte, en faveur de la position de base de l’avocat de Novopharm, soit que la communication dans un affidavit de documents relève de la pertinence et non d’un pouvoir discrétionnaire. L’article 222 prévoit expressément que « [l]’affidavit de documents est établi selon la formule 223 et contient des listes séparées et des descriptions de tous les documents pertinents… ». Le juge McNair, dans la décision Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. et al. (1988), 24 C.P.R. (3d) 66, a écrit :

 

En ce qui concerne les documents qui doivent être produits, le critère est simplement celui de la pertinence. Le critère de la pertinence ne peut donner lieu à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. C’est par l’application de la loi et non dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, que l’on détermine quels documents les parties ont le droit de consulter. La question de savoir quel document se rapporte vraiment aux questions en litige est tranchée selon le principe suivant : il doit s’agir d’un document dont on peut raisonnablement supposer qu’il contient des renseignements qui peuvent permettre directement ou indirectement à la partie qui en demande la production de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de son adversaire, ou qui sont susceptibles de la lancer dans une enquête qui pourra produire l’un ou l’autre de ces effets […] [Non souligné dans l’original.]

 

[64]           Cela ne signifie pas, toutefois, que la Cour n’a pas la compétence de ne pas forcer la production de documents pertinents dans certaines circonstances. Comme l’a dit le juge Hugessen dans la décision Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (2000) 8 C.P.R. (4th) 413 : « La Cour reste investie du pouvoir discrétionnaire de restreindre la portée de l’interrogatoire préalable… ». Dans cette affaire, le juge Hugessen a estimé que les documents en cause étaient peu pertinents. (Voir aussi l’arrêt Pharmacia S.p.A. c. Faulding (Canada) Inc. (1999) 3 C.P.R. (4th) 126, dans lequel la Cour d’appel fédérale a jugé : « Même si le droit d’interroger est vaste, notre Cour a déjà statué que le droit à la communication préalable comporte des limites; la Cour ne permettra pas que le processus de l’interrogatoire préalable serve à des fins de recherche à l’aveuglette. »

 

[65]           Dans la décision Reading & Bates, précitée, le juge McNair a aussi dit : 1) « Le tribunal ne devrait pas obliger la partie interrogée à répondre aux questions qui, bien qu’elles puissent être tenues pour pertinentes, ne sont pas du tout susceptibles de bénéficier de quelque manière que ce soit à la cause de la partie qui procède à l’interrogatoire » et 2) « Avant d’obliger une personne à répondre à une question à un interrogatoire préalable, le tribunal doit apprécier la probabilité de l’utilité de la réponse […] en comparaison du temps, du mal et des frais que nécessite son obtention, ainsi que de la difficulté que comporte son obtention ».

 

[66]           Pour clore sur ce point, je renvoie à la décision du juge Strayer dans Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438, précitée, où il a écrit ce qui suit relativement à une requête visant à obtenir une ordonnance contraignant à répondre à des questions posées dans un interrogatoire préalable :

 

La jurisprudence de la Cour sur la portée de linterrogatoire préalable est bien établie. On en trouve un résumé pratique dans la décision Reading & Bates Construction Co. et al c. Baker Energy Resources Corp. et al, (1988) 24 C.P.R. (3rd) 66 aux pages 70 à 72 (C.F. 1re inst.). La première considération est incontestablement la pertinence. Cependant, si un protonotaire ou un juge estime quune question est pertinente, il peut néanmoins refuser dordonner dy répondre si la réponse nest daucun secours à la position juridique de la partie qui interroge, sil faudrait beaucoup de temps, defforts et de dépenses pour obtenir une réponse vraisemblablement de peu de valeur ou encore si la question fait partie dune « recherche à laveuglette » de portée vague et étendue.

 

c) La protonotaire Tabib a-t-elle commis une erreur de droit?

 

[67]           Comme je l’ai noté, Novopharm invoque trois erreurs de droit, que j’examine ci-dessous. Avant de procéder à cet examen, il est important de lire la décision de la protonotaire dans son ensemble, et non à la loupe, en isolant une idée de-ci de-là.

 

1) La question de la communication de la preuve partielle

[68]           L’avocat de Novopharm soutient que la protonotaire a commis une erreur de droit en acceptant que la communication de documents partielle avant le commencement des interrogatoires préalables oraux constitue une pratique acceptable. Il rappelle sa conclusion portant que la méthode de recherche de documents de Lilly avait laissé échapper des documents pertinents. Selon lui, les paragraphes 11 et 61 de ses motifs reflètent sa position selon laquelle les griefs de Novopharm devraient être traités par des demandes informelles pendant l’interrogatoire préalable. Il fait valoir que bon nombre des documents sont très techniques et que l’avocat procédant à l’interrogatoire préalable aurait besoin de l’assistance d’experts.

 

[69]           Il est bien établi que la production de documents avant l’interrogatoire préalable et l’instruction constitue l’une de nos plus importantes procédures et que l’équité exige que chaque partie ait une communication complète des documents ainsi qu’un temps de préparation approprié avant la tenue de l’interrogatoire préalable (voir la décision Rhodia UK Ltd. c. Jarvis Imports (2000) Ltd., 2005 CF 1628, aux paragraphes 18 et 19; la juge Tremblay-Lamer conclut au paragraphe 48 que « la production de documents est considérée comme une importante pierre d’assise du processus d’interrogatoire préalable. En son absence, les demanderesses ne peuvent pas procéder à des interrogatoires préalables efficaces; elle a donc une influence déterminante sur l’issue de la présente affaire »).

 

[70]           Sur le fondement de cette jurisprudence, y compris la décision du protonotaire Hargrave Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd. et al. c. Naeini et al. (1998), 80 C.P.R. 3d 132, au paragraphe 23, si la position de la protonotaire Tabib était celle que suggère Novopharm, elle aurait commis une erreur de droit et sa décision serait entachée d’erreur flagrante.

 

[71]           Toutefois, selon la façon dont j’interprète sa décision, l’argumentation de l’avocat est dépourvue de fondement pour les raisons suivantes :

 

·        La protonotaire comptait que les documents dont elle avait ordonné la production dans sa décision soient produits pour le 15 décembre 2007, bien avant le commencement des interrogatoires préalables (voir les paragraphes 2 et 3 de son ordonnance).

 

·        Je n’interprète pas le paragraphe 11 de ses motifs comme entérinant la notion d’une communication des documents partielle avant l’interrogatoire préalable ou la solution des demandes informelles au cours de l’interrogatoire préalable oral.

 

2) La question de la mauvaise application du critère de la pertinence

[72]           L’avocat de Novopharm dit : [traduction] « [B]ien que les termes du paragraphe 222(2) des Règles semblent donner une définition de la pertinence, la règle définie dans l’arrêt Peruvian Guano s’applique devant la Cour fédérale et sert à appliquer le critère du "lancement de l’enquête" à la communication de la preuve. » Il poursuit : « [S]i un document contient des renseignements qui peuvent directement ou indirectement nuire à la cause de la partie qui communique le document, faire avancer la cause de la partie qui le reçoit ou qui sont susceptibles de la lancer une enquête et d’entraîner l’une ou l’autre de ces conséquences », dans ce cas il est pertinent et doit être produit.

 

[73]           Il expose ensuite l’erreur qu’aurait commise la protonotaire dans les termes suivants aux paragraphes 64 à 66 de son mémoire :

 

[traduction]

64.     Si la protonotaire a fini par concéder que ce critère s’applique, elle ne l’a pas appliqué correctement. Au paragraphe 19 de ses motifs, la protonotaire expose la façon dont le critère du « lancement d’une enquête » devrait s’appliquer. Elle dit : « Si un document peut seulement être interprété raisonnablement comme appuyant la cause de la partie procédant à la communication de la preuve, et qu’on ne peut démontrer qu’il peut mener à des renseignements que l’on peut raisonnablement supposer utiles à la partie adverse, il n’est pas nécessaire de faire état de son existence dans un affidavit de documents » [non souligné dans l’original]. Elle décrit l’incapacité de « démontrer » ces choses comme « précisément le genre de recherche à l’aveuglette que la jurisprudence de la Cour a constamment refusé de sanctionner ». Cette conclusion entre directement en conflit avec l’arrêt contraignant de la Cour d’appel fédérale Apotex Inc. c. Canada, précité, statuant que [traduction] « tous les documents pertinents doivent être inclus dans un affidavit de documents sans égard à la question de savoir si la partie qui dépose l’affidavit entend les invoquer ».

                        Apotex Inc. c. Canada, précité, au paragraphe 36

 

65.     Ainsi qu’il a été souligné, la protonotaire a été d’avis que la partie demandant la communication doit démontrer qu’un document qui n’a pas été produit serait susceptible de mener à des renseignements satisfaisant au critère du « lancement d’une enquête ». Les documents qui sont seulement « neutres », terme dont le sens n’apparaît pas clairement, ne sont catégoriquement pas pertinents selon la protonotaire. Elle explique au paragraphe 20 que la partie effectuant la communication est l’arbitre de la « pertinence » et de la « neutralité » et qu’il faut présumer qu’elle agit « de bonne foi ».

 

            66.     Cette conclusion est contradictoire. La partie qui demande la communication ne pourra jamais « démontrer » quoi que ce soit au sujet d’un document qu’elle n’a pas vu et ne pourra non plus démontrer qu’un document qu’elle n’a pas vu n’est pas « neutre ». La protonotaire n’a pas expliqué comment cela pourrait se faire. Selon la position de Novopharm, la formulation que donne la protonotaire du critère du « lancement d’une enquête » fixe la barre à une hauteur inatteignable, particulièrement dans un cas comme celui-ci où les documents dont on demande la communication sont hautement techniques et exigent l’examen par un expert pour qu’on puisse pleinement les apprécier et les comprendre.

 

 

[74]           Dans sa décision, la protonotaire Tabib a exposé le critère de la pertinence aux paragraphes 18 et 19 et l’a expliqué dans ses propres mots. Ces paragraphes sont ainsi conçus :

 

[18]     Toutefois, je souscris à la position prise par le protonotaire Hargrave dans la décision Seaspan, selon laquelle le concept de promotion de la cause de la partie adverse ou de la démolition de sa propre cause est central pour la pertinence, à la fois d’après le critère formulé dans l’arrêt Peruvian Guano et d’après la formulation stricte du paragraphe 222(2) des Règles. À moins que la partie produisant l’affidavit compte invoquer un document lors de l’instruction, elle n’est pas obligée de le communiquer à moins [traduction] qu’ « on p[uisse] raisonnablement supposer » que le document nuirait à sa propre cause, ferait avancer celle de son adversaire ou serait [traduction] « susceptible de la lancer dans une enquête et d’entraîner l’une ou l’autre de ces conséquences ».

 

[19]      Autrement dit, il ne suffit pas qu’un document ait trait simplement aux faits en litige. Si, par exemple, un document peut seulement être interprété raisonnablement comme appuyant la cause de la partie procédant à la communication de la preuve, et qu’on ne peut démontrer qu’il peut mener à des renseignements que l’on peut raisonnablement supposer utiles à la partie adverse, il n’est pas nécessaire de faire état de son existence dans un affidavit de documents. Un document qui est neutre et dont on peut seulement supposer raisonnablement qu’il est susceptible de mener à d’autres documents également neutres n’est pas pertinent pour les besoins d’un affidavit de documents. Et sur une requête visant à obtenir un affidavit de documents plus complet, il incombe à la partie requérante d’établir la possibilité raisonnable qu’un document puisse avoir ou soit susceptible d’entraîner l’une des conséquences souhaitées. Il ne suffit pas de dire qu’un document pourrait éventuellement mener à d’autres documents qui, bien que non pertinents eux-mêmes, pourraient ensuite éventuellement mener à des renseignements utilisables. C’est précisément le genre de recherche à l’aveuglette que la jurisprudence de la Cour a constamment refusé de sanctionner. Il ne s’agit pas de dire que la partie requérante doit établir que le document recherché mènera nécessairement à des renseignements utilisables : une probabilité raisonnable suffira, mais non une chance ténue.

 

[75]           Je suis convaincu que l’argument de Novopharm sur ce point est dépourvu de fondement lorsqu’on lit les motifs de la protonotaire en entier comme un ensemble. Un tel examen démontre qu’elle a appliqué le critère dont Novopharm dit qu’il est applicable en l’espèce tel qu’il est exposé au paragraphe 18 de ses motifs, critère fondé sur le paragraphe 222(2) des Règles et à l’utilisation duquel Lilly ne s’est pas opposée.

 

[76]           La protonotaire Tabib a appliqué le même critère lorsqu’elle a considéré chacune des catégories de documents proposées par Novopharm. Il me suffit de renvoyer aux paragraphes 37, 38, 41, 45, 48 et 49 de ses motifs.

 

[77]           Dans la mesure où l’exemple qu’elle a donné au paragraphe 19 de ses motifs s’écarte du critère exposé au paragraphe 222(2) des Règles, point sur lequel je ne suis pas obligé de me prononcer, il a été donné en obiter et n’a pas eu d’effet sur son application correcte du critère tel qu’elle l’avait formulé au paragraphe précédent.

 

[78]           Enfin, dans sa plaidoirie, l’avocat de Novopharm a dit que la protonotaire Tabib avait fixé la barre à une hauteur inatteignable en imposant à Novopharm l’obligation de démontrer qu’un document qui n’avait pas été produit satisfaisait au critère du lancement d’une enquête. Ce n’est pas le cas à mon avis. La lecture de la décision dans son entier montre qu’elle s’est concentrée sur l’idée « lorsqu’on peut supposer raisonnablement qu’un document peut contenir des renseignements pouvant, soit directement soit indirectement, permettre à la partie qui en demande la communication… ». Cette idée est une partie intégrante du critère de l’arrêt Peruvian Guano. La protonotaire a établi une équivalence entre cette idée et celle d’une « possibilité raisonnable qu’un document puisse avoir ou soit susceptible d’entraîner l’une des conséquences souhaitées ». Elle a statué qu’il ne suffisait pas de dire qu’un document pourrait éventuellement avoir cette conséquence. À mon avis, sa décision sur ce point était correcte.

 

3) La question de la pertinence relevant d’un pouvoir discrétionnaire

[79]           Il a déjà été question dans les présents motifs de la portée du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’exiger le dépôt d’un affidavit plus complet en vertu de l’article 227 des Règles ainsi que de son pouvoir discrétionnaire de dispenser de la production de documents pertinents. L’argumentation de Novopharm semble se concentrer sur la conclusion de la protonotaire relative à la pertinence des notes de service internes au sujet des essais cliniques et sur la déclaration au paragraphe 31 de ses motifs portant qu’elle « exercerai[t] [s]on pouvoir discrétionnaire de dispenser Lilly de […] communiquer » ces notes internes, « même si [elles] pouvaient être considérées comme strictement comprises dans la définition du paragraphe 222(2) des Règles parce qu’elles ramènent aux données des essais cliniques ». Selon moi, elle a exercé son pouvoir discrétionnaire résiduel de ne pas forcer la production de documents strictement pertinents lorsque cette production ne serait d’aucun secours pour Novopharm. À mon avis, il s’agit là d’un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire (voir le juge Strayer dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., précité, au paragraphe 66 des présents motifs).

 

[80]           S’agissant des erreurs de droit, je n’en trouve aucune sur le fondement des arguments présentés par Novopharm.

 

d) La protonotaire Tabib a-t-elle commis des erreurs de fait? 

[81]           La norme de contrôle sur ces questions en appel de la décision de la protonotaire veut que Novopharm, pour faire écarter une conclusion de fait, doive démontrer que l’erreur est manifeste et dominante.

 

[82]           Je conclus que Novopharm n’a pas satisfait à cette norme et j’en arrive à cette conclusion sur la base du mémoire des faits et du droit de Lilly aux paragraphes 79 à 89.

 

[83]           Pour ces motifs, la protonotaire Tabib n’a pas commis d’erreur flagrante en prononçant son ordonnance du 15 novembre 2007 et elle n’a pas non plus mal exercé un pouvoir discrétionnaire judiciaire.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que l’appel de la décision de la protonotaire Tabib du 15 novembre 2007 est rejeté avec dépens aux demanderesses quel que soit le sort de la cause, taxés selon les maximums de la fourchette de la colonne IV.

 

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                 T-1048-07

 

INTITULÉ :                                                                ELI LILLY CANADA INC. ET AL.

                                                                                     c.

                                                                                     NOVOPHARM LIMITED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                        Le 9 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                       Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT :
                                                Le 3 mars 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony G. Creber

 

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

(DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES)

 

Jonathan Stainsby

Neil Fineberg

POUR LA DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

(DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES)

 

Heenan Blaikie LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

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