Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20080307

Dossier : T-66-86A

Référence : 2008 CF 322

[Traduction française]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2008

 

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

LA BANDE DE SAWRIDGE

  demanderesse

– et –

 

  SA MAJESTÉ LA REINE

  défenderesse

 

  – et –

 

  Congrès des Peuples Autochtones,

  CONSEIL NATIONAL DES Autochtones DU CANADA (ALBERTA),

  NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

   et Association des femmes autochtones du Canada

 

intervenants

 

 

 

  Dossier : T-66-86-B

 

ENTRE :

 

 

  LA Première nation Tsuu T’Ina

 

  demanderesse

– et –

 

  SA MAJESTÉ LA REINE

  défenderesse

 

  – et –

 

  Congrès des Peuples Autochtones,

  CONSEIL NATIONAL DES Autochtones DU CANADA (ALBERTA),

  NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

   et Association des femmes autochtones du Canada

 

intervenants


Table des matières

INTRODUCTION  4

CONTEXTE GLOBAL  12

Situation générale  12

Question de procédure, non son bien-fondé  14

Différend procédural entre les parties  14

Procédure privilégiée par les demanderesses  20

Questions relatives à l’abus  23

Exposer et prouver leur cause  26

Question véritable en litige  27

Résumé  30

Délai et autres coNCESSIONS  35

explication avancée  42

Sans précédent  44

Incidence  49

Motifs d’APPEL  84

Crainte de partialité  84

Dessaisissement non nécessaire du juge de l’instance  85

Dossier volumineux  86

Questions de conduite  86

Questions de conduite et déroulement de l’instance  87

Problème véritable  135

Questions en suspens  147

 


 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

  • [1] Le 7 janvier 2008, les demanderesses ont informé la Cour que [traduction] « les demanderesses ne présenteront pas d’autres éléments de preuve à votre honneur et, par conséquent, elles mettent fin à leur cause ».

 

  • [2] Cette fin abrupte de l’exposé de leur cause par les demanderesses devant la Cour a été précédée d’un bref avis écrit signifié à la Couronne et aux autres parties, le 28 décembre 2007, dont une copie a été fournie à la Cour et porte la cote PL40.

 

  • [3] Dans leur avis, les demanderesses ont affirmé : [traduction] « après avoir pris en compte un nombre de facteurs, les demanderesses [...] sont parvenues à une décision au cours des deux derniers jours qu’elles souhaitent interjeter appel devant la Cour d’appel fédérale à ce stade ».

 

  • [4] L’avis PL40 a été signifié à la fin d’un ajournement de deux mois accordé à la demande des demanderesses, le 15 octobre 2007, dont elles ont dit avoir besoin pour préparer leur témoin expert à déposer à l’instance.

 

  • [5] L’avis a été signifié à la fin d’une année difficile, durant laquelle l’instance a été sérieusement perturbée et essentiellement retardée par une importante question procédurale, à savoir les tentatives des demanderesses de se soustraire aux décisions de la Cour et d’échapper aux conséquences. Les décisions et jugements de la Cour exposaient les conditions dans lesquelles toutes les parties peuvent convoquer de nouveaux témoins profanes et, en particulier, les exigences relatives aux résumés des témoignages anticipés et leur lien à la preuve dans le cadre du procès qui lie toutes les parties. Les exigences relatives au résumé des témoignages anticipés ont été imposées, le 26 mars 2004, par le juge Hugessen en qualité de juge responsable de la gestion de l’instance. De plus, dans divers jugements et décisions, la Cour a expliqué à toutes les parties le processus à suivre pour l’audition du témoignage des témoins profanes au procès et en a précisé l’importance.

 

  • [6] Les répercussions réelles sur l’instance de la non-conformité des demanderesses aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, et leur rejet de ces règles, sont devenues apparentes le 11 septembre 2007, lorsque la Cour s’est prononcée sur le refus des demanderesses de lui offrir de nouvelles assurances qu’elles se conformeraient à ses décisions au regard de la communication des résumés des témoignages anticipés, que la Cour avait rendues le 9 août 2007. En fait, les demanderesses avaient décidé de ne pas retenir ou convoquer de témoins profanes conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, de sorte que leurs témoins ont été radiés ou sont demeurés radiés suivant ma décision du 9 août 2007.

 

  • [7] La décision des demanderesses de mettre fin à leur cause et de procéder à un appel fait également suite à une longue période de préparatifs additionnels qui leur a été accordée avant le début du procès en janvier 2007. Durant cette période, nous avons donné aux demanderesses une autre occasion d’examiner les résumés des témoignages anticipés au regard des décisions et jugements de la Cour et de faire connaître en temps opportun tout problème qu’elles éprouveraient.

 

  • [8] Le délai supplémentaire accordé aux demanderesses pour se préparer au procès a fait suite à une période de gestion de l’instance de près de sept ans, sous la responsabilité du juge Hugessen, après que les actions ont été renvoyées par la Cour d’appel fédérale pour faire l’objet d’une nouvelle instruction en 1997.

 

  • [9] Donc, trois ans après la date initialement fixée du début de la nouvelle instruction en janvier 2005 – période au cours de laquelle les demanderesses ont eu amplement le temps de mettre de l’ordre dans leurs affaires afin que le procès se déroule efficacement et sans les graves différends procéduraux qui ont nui à l’instance par le passé – les demanderesses ont maintenant mis fin à leur cause parce qu’en apparence du moins, elles n’ont pas été autorisées par la Cour à conduire leur action d’une manière qui déroge aux décisions et jugements qu’elle a rendus concernant les résumés des témoignages anticipés et d’une manière qui est tout à fait contraire à leurs engagements et assurances auprès de la Cour et des autres parties, à savoir qu’elles acceptaient les règles régissant les résumés des témoignages anticipés et s’engageaient à procéder en se conformant à ces règles. Ayant bénéficié de délais prolongés pour se préparer au procès après avoir affirmé qu’elles comprenaient et acceptaient les règles régissant les résumés des témoignages anticipés, qui avaient été établies pour répondre aux exigences particulières de l’action, les demanderesses ont maintenant décidé de ne pas y donner suite, après qu’elles ont été sommées de tenir leurs engagements et de respecter les ordonnances et décisions de la Cour portant sur les résumés des témoignages anticipés.

 

  • [10] Les demanderesses affirment maintenant qu’elles conviennent avec la Couronne qu’à la suite de leur décision de mettre fin à leur cause, la Cour [traduction] « devrait rejeter la présente action en réponse à leur demande, car il est évident que vous ne disposez d’aucune preuve relativement à cette affaire ».

 

  • [11] Les demanderesses et la Couronne conviennent que les deux actions devraient être rejetées, car aucune preuve n’a été présentée à la Cour concernant l’une ou l’autre action et, par conséquent, la Couronne n’a aucune preuve à réfuter. En fait, il s’agit d’une issue bizarre à une instance difficile et irrégulière qui a été marquée par des incohérences, des dissimulations et des obstructions de la part des demanderesses.

 

  • [12] Les demanderesses affirment qu’elles ont décidé de mettre fin à leur cause à ce stade en raison des [traduction] « mesures sans précédent prises par la Cour ». Elles ont informé la Cour qu’elles comptent présenter des allégations de partialité appréhendée à la Cour d’appel fédérale.

 

  • [13] Elles ont cependant décidé de ne pas saisir le juge de l’instance de ces allégations et, en mettant soudainement fin à leur cause comme elles l’ont fait, elles n’ont pas offert à la Cour de justification ou d’explication convaincante de leur décision, si ce n’est une assertion vague et non corroborée que la Cour les a empêchées de [traduction] « produire une preuve pertinente, probatoire et corroborante », ce qui comporte « un effet préjudiciable sur leur capacité de prouver leur cause » et les a aussi « empêché d’exposer adéquatement leur cause », ce qui « conduira à un procès inéquitable ». Ainsi, les demanderesses ont invoqué comme un motif pour mettre fin à leur cause une position qui est incompatible avec la façon dont leurs témoins profanes ont été radiés et qui ne peut être ni corroborée ni évaluée objectivement par suite de leurs actes.

 

  • [14] La décision des demanderesses de mettre fin à leur cause à ce stade prive la Cour de moyens d’évaluer les effets de l’exclusion de leurs témoins profanes sur leur capacité d’exposer leur cause à la Cour, ce qui est encore plus troublant compte tenu de la décision prise par les demanderesses mêmes de ne pas retenir ou convoquer de témoins profanes, conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés qui lient toutes les parties. La Cour a clairement indiqué dans ses décisions que les demanderesses avaient toute liberté pour retenir et convoquer un ou tous leurs témoins profanes, à condition qu’elles confirment à la Cour qu’elles se conformeraient aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés. Ayant refusé de retenir ou de convoquer des témoins conformément à ces règles, elles avancent à ce stade que c’est la Cour qui les a empêchées de présenter leurs témoignages. Toutefois, comme le montre le dossier, les demanderesses auraient pu éviter la radiation de leurs témoins profanes si elles s’étaient conformées aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés.

 

  • [15] Ayant de nouveau montré qu’elles ont contrevenu aux exigences de communication des résumés des témoignages anticipés, qui lient toutes les parties voulant convoquer des témoins profanes, et ayant nié tout lien entre la communication des résumés et la preuve au procès, les demanderesses ont bénéficié d’une autre occasion de retenir et de convoquer leurs témoins profanes. Elles ont décidé de ne pas confirmer ou respecter les exigences de communication des résumés des témoignages anticipés qui ont été imposées par les décisions et jugements de la Cour, que les demanderesses ont elles-mêmes reconnues et utilisées à leur propre avantage et, par conséquent, il leur a été interdit de convoquer leurs témoins profanes.

 

  • [16] La Cour n’a pas empêché les demanderesses de convoquer un ou tous les témoins profanes qu’elles souhaitaient convoquer. Elle a simplement informé les demanderesses qu’elles ne pouvaient contourner ses décisions et jugements qui lient toutes les parties, puis malgré tout retenir et convoquer leurs témoins profanes.

 

  • [17] Indépendamment du fait que les demanderesses auraient pu éviter la radiation de leurs témoins profanes simplement en signifiant un avis de conformité aux directives de la Cour, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve qui lui permettrait d’évaluer de manière objective la raison pour laquelle les demanderesses ont décidé de mettre fin à leur cause à ce stade. Les demanderesses ont gravement perturbé le déroulement du procès par suite d’incohérences, de dissimulations et d’obstructions, à un tel point qu’il est impossible à la Cour d’accepter les raisons qu’elles avancent maintenant ou de s’y fier, ou encore de déterminer et d’apprécier les effets potentiels de l’exclusion de leurs témoins profanes sur la cause qu’elles souhaitaient présenter à la Cour.

 

  • [18] De toute évidence, la décision des demanderesses de mettre fin à leur cause à ce stade hâtif de l’instance, et le fait qu’elles ont informé la Cour des allégations de partialité qu’elles comptaient présenter à la Cour d’appel fédérale, témoignent de leur sentiment d’injustice et de leur intention ferme de mettre fin à la présente instance et de recommencer le tout. Toutefois, les demanderesses sont entièrement responsables des difficultés qu’elles éprouvent à ce stade de l’instance. Elles demandent une nouvelle instruction, alors qu’elles ont contrevenu aux ordonnances de la Cour qui les sommaient de produire des résumés des témoignages anticipés conformes aux normes et, en conséquence de cette contravention, elles sont maintenant soumises à des contraintes au procès qu’elles ne veulent pas accepter. Quoi qu’il en soit, elles sont entièrement responsables des problèmes qu’elles éprouvent actuellement et elles ont bénéficié de tout le temps voulu et des encouragements nécessaires pour que cela ne se produise pas. Elles essaient de jeter le blâme sur les autres parties pour leur propre contravention des décisions et jugements de la Cour et leur non-respect des engagements antérieurs qu’elles ont pris auprès de la Cour et des autres parties.

 

  • [19] En mettant fin à leur cause à ce stade, les demanderesses n’ont pas fourni d’explication de leur décision antérieure de ne pas retenir ou convoquer de témoins profanes, conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, et elles n’ont laissé à la Cour aucun moyen d’évaluer si de fait l’exclusion des témoins les avait privées « d’une preuve pertinente, probatoire et corroborante ». Cela est important car les demanderesses ont auparavant repoussé les tentatives de la Cour d’obtenir une information objective et pertinente qui lui aurait permis d’apprécier leur assertion que la Cour avait nui à leur capacité d’exposer adéquatement leur cause. De plus, les demanderesses ont enfreint la directive de la Cour les sommant de fournir une telle information.

 

  • [20] Par conséquent, la Cour n’a reçu, à ce stade de l’instance, aucune explication cohérente et pertinente et certes aucune justification corroborée sur lesquelles elle pourrait se fonder pour expliquer pourquoi les demanderesses ont décidé de faire radier leurs témoins profanes au lieu de les convoquer conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, ou encore comment interpréter leur dernière assertion que la radiation de leurs témoins entraîne l’exclusion d’une preuve pertinente, probatoire et corroborante, ce qui comporte des répercussions non négligeables sur la cause qu’elles veulent exposer à la Cour.

 

  • [21] Ce sont les demanderesses qui ont décidé de ne pas poursuivre leur cause. La Cour a rejeté une requête de la Couronne visant à rejeter l’action des demanderesses pour abus de procédure et a demandé aux demanderesses de procéder à la convocation de leurs témoins de manière non abusive, pour que la Cour puisse entendre sur le fond la cause qu’elles souhaitent exposer. La décision de ne pas procéder de la sorte revient uniquement aux demanderesses. Le 9 août 2007, la Cour a ordonné aux demanderesses de procéder comme suit :

[Traduction] 12.  À condition de convaincre la Cour de la conformité de leurs résumés des témoignages anticipés comme exigé, les demanderesses peuvent procéder à la convocation de leurs témoins ou clore leur preuve. De plus, elles doivent se conduire durant le reste du procès en conformité à l’ensemble des décisions, jugements, ordonnances et directives applicables de la Cour qui ont été faits jusqu’à présent et doivent renoncer à la conduite que la Cour a qualifiée d’abusive.

 

  • [22] Comme cette ordonnance le montre clairement, la Cour voulait retenir les témoignages des témoins profanes des demanderesses et entendre leurs autres témoins profanes. Tout ce que les demanderesses devaient faire, c’était de confirmer leur conformité aux exigences de communication des résumés des témoignages anticipés, de la façon demandée par la Cour, puis procéder à la convocation de leurs témoins.

  • [23] À la suite de cette ordonnance, les demanderesses ont choisi de ne pas offrir les assurances demandées par la Cour à propos de la conformité de leurs résumés des témoignages anticipés avec les décisions et jugements antérieurs de la Cour. Elles ont plutôt décidé de poursuivre leur conduite abusive durant le procès. En convainquant la Cour de leur conformité, les demanderesses auraient pu préserver l’ensemble des témoins qui ont comparu jusqu’ici et convoquer les autres témoins profanes qu’elles voulaient convoquer, conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés.

 

  • [24] La décision des demanderesses de ne pas retenir ou convoquer leurs témoins profanes conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, et leur décision subséquente de clore leur preuve et de demander à la Cour de rejeter leurs actions parce que je ne suis saisi d’aucune preuve me permettant de tirer une conclusion qui leur serait favorable, exige un contexte que les demanderesses n’ont pas défini.

CONTEXTE GLOBAL

 

  Situation générale

 

  • [25] Il est extrêmement important de définir pleinement le contexte dans lequel les demanderesses ont décidé de mettre fin à leur cause. Ce contexte révèle que la Cour n’a pas en fait simplement radié les témoins profanes des demanderesses comme elles l’allèguent présentement. La Cour a permis aux demanderesses de retenir et de convoquer tous leurs témoins profanes, mais en le faisant d’une manière non abusive et conforme aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, qui ont été établies dans la présente instance pour les témoins profanes de toutes les parties. Ces règles sont précisées dans les décisions et jugements de la Cour, que les demanderesses n’ont pas contestées de manière réussie. Les règles ont également été confirmées plus tôt dans les instances par les demanderesses elles-mêmes, et elles les ont utilisées au procès pour exclure du dossier le témoignage d’un autre témoin qu’elles voulaient radier. Malgré qu’elles aient auparavant confirmé et utilisé les règles régissant les résumés des témoignages anticipés, les demanderesses ont décidé de ne pas retenir ou convoquer leurs témoins profanes en conformité à ces règles.

 

  • [26] La position incohérente que les demanderesses ont adoptée concernant le recours aux résumés des témoignages anticipés au procès, leur défaut de se conformer aux exigences de communication et leur réfutation de tout lien entre la communication des résumés et la preuve au procès ont fait l’objet d’un grand nombre de requêtes, motifs, décisions et jugements durant la présente instance.

 

  • [27] Il n’est pas nécessaire de réitérer en l’espèce ces motifs, décisions et jugements qui font partie du dossier, qui révèle la raison pour laquelle et la manière dans laquelle les actions doivent être rejetées, comme en conviennent maintenant les demanderesses et la Couronne.

 

  • [28] Indépendamment du dossier, la décision des demanderesses de mettre fin à leur cause de cette manière à ce stade de l’instance jette un éclairage sur ce qui est survenu jusqu’à présent et situe les motifs, les décisions et les jugements antérieurs de la Cour dans un contexte qui, avant que les demanderesses décident d’abandonner leur cause, demeurait nébuleux.

Question de procédure, non son bien‑fondé

 

  • [29] Il importe également de ne pas perdre de vue que la décision des demanderesses d’abandonner leur cause à ce stade prive la Cour de la possibilité d’apprécier le bien-fondé de leurs revendications. Les points de désaccord entre les parties sont strictement procéduraux et il est nécessaire de donner des précisions sur ces points qui sont extrêmement restreints.

 

  • [30] Comme le montre l’ensemble du dossier, les demanderesses ont eu toute liberté pour convoquer n’importe quel témoin profane dont le témoignage était pertinent pour les plaidoiries et qu’elles souhaitaient convoquer. Elles n’ont pas démontré de manière convaincante que les exigences relatives aux résumés des témoignages anticipés étaient inexécutables ou qu’elles les ont empêchées de convoquer les témoins profanes dont elles avaient besoin pour exposer leur cause. Le différend véritable a résidé dans la fonction que devaient remplir les résumés des témoignages anticipés au procès lorsque les témoins profanes étaient convoqués.

 

  Différend procédural entre les parties 

 

  • [31] Les exigences relatives aux résumés des témoignages anticipés ont seulement eu deux répercussions sur la preuve au procès :

    1. Tout d’abord, pour assigner un nouveau témoin profane, les demanderesses et les autres parties doivent présenter un compte rendu synoptique du témoignage qu’il livrera en conformité aux exigences de communication établies par la Cour et acceptées par les demanderesses et les autres parties. Ces exigences de communication sont exposées dans plusieurs décisions de la Cour et les demanderesses les ont reconnues durant tout le procès. Elles ont soutenu et affirmé avoir satisfait à l’exigence préliminaire et elles ont produit un résumé du témoignage anticipé de chacun de leurs témoins profanes qui répond à l’ensemble des exigences de communication établies par la Cour. Pourtant, il est évident qu’il n’en est rien en réalité, malgré la « position » des demanderesses qu’elles ont satisfait aux exigences de communication. Pourtant, elles refusent d’expliquer ou d’indiquer en quoi elles ne se sont pas conformées à l’exigence préliminaire définie dans les décisions de la Cour, qu’elles avaient cependant reconnue auparavant. Les demanderesses ont contrevenu à plusieurs égards à l’exigence de communication, comme je l’ai précisé dans des décisions antérieures. Toutefois, même l’avocat des demanderesses a confirmé auprès de la Cour que ces dernières avaient produit des résumés des témoignages anticipés qui n’indiquaient pas la teneur des témoignages des témoins en conformité aux normes synoptiques. La Cour a demandé et a ordonné aux demanderesses d’expliquer la divergence entre leur « position » à propos de la conformité à l’exigence de communication et ce qu’a confirmé leur avocat, mais elles ont tout simplement refusé de répondre à la question. Il s’agit d’une incohérence flagrante dans le dossier, pour laquelle elles n’ont fourni aucune explication. Comme constaté dans les décisions et jugements antérieurs, la preuve la plus pertinente dont dispose la Cour à propos de la conformité des demanderesses à l’exigence de communication des résumés des témoignages anticipés est qu’elles n’ont pas satisfait à l’exigence préliminaire pour aucun de leurs témoins profanes. Malgré ce manquement, la Cour a clairement fait savoir aux demanderesses qu’elles pouvaient retenir n’importe quel témoin profane qu’elles ont convoqué auparavant et convoquer tous les autres témoins profanes de leur choix, à condition qu’elles produisent leurs résumés des témoignages anticipés en conformité aux normes synoptiques, de sorte que la Couronne puisse se préparer au procès de cette façon. En définitive, les demanderesses ont refusé de retenir leurs témoins ou de convoquer d’autres témoins à condition que leurs résumés des témoignages anticipés soient conformes aux normes de communication et précisent la teneur des témoignages, afin de permettre à la Couronne et aux intervenants de se préparer au procès et de préparer leurs contre‑interrogatoires. La position des demanderesses à ce sujet demeure tout à fait incohérente. Elles insistent pour dire qu’elles ont respecté les normes synoptiques de communication pour l’ensemble de leurs résumés des témoignages anticipés, mais n’ont pas confirmé la teneur des témoignages des témoins conformément aux normes. Elles soutiennent tout bonnement, malgré la preuve du contraire (y compris les renseignements que leur avocat a communiqués à la Cour), que la Cour doit accepter d’emblée une « position » qui est tout simplement intenable.

 

  1. En second lieu, la seule autre façon dont les résumés des témoignages anticipés sont pertinents pour la preuve au procès est dans le contexte des questions pièges par les deux parties. Les décisions de la Cour sur les pièges sont de nature purement factuelle, et les deux parties peuvent consulter le dossier dans son ensemble pour démontrer à la Cour si, d’un point de vue raisonnable et selon le sens commun, des pièges ont été tendus ou non. Les résumés des témoignages anticipés seront pertinents pour démontrer un piège allégué si, en conformité à l’exigence, des résumés sont produits pour tous les nouveaux témoins profanes convoqués. Les résumés visent à permettre à l’autre partie de se préparer au procès et d’éviter les pièges durant son déroulement qui l’empêcheraient de mener des contre‑interrogatoires efficaces. Les demanderesses ont été les premières à faire valoir et à appliquer ces principes dans le cas d’une témoin réelle en l’espèce. Cela s’est produit lors de l’audience de bene esse pour entendre Mme Florence Peshee (une témoin des intervenants), lorsque les demanderesses ont demandé la protection de la Cour contre un piège et se sont servi du résumé du témoignage anticipé de Mme Peshee pour démontrer qu’un piège avait été tendu. Ce faisant, elles ont affirmé fermement le principe général, qui est un élément inhérent et incontournable des règles régissant les résumés des témoignages anticipés qui ont été conçues pour répondre aux exigences particulières du présent recours : [traduction] « La question que doit trancher la Cour est la suivante : Est-ce que l’autre partie a été avisée des sujets dont vous traiteriez? [...] La réponse à cette question est guidée par la norme relative au résumé des témoignages anticipés. Il est donc important que les deux parties reçoivent un avis, le même genre d’avis ». Malgré la promotion et l’appui des demanderesses de la communication des résumés des témoignages anticipés afin d’éviter les pièges au procès, leur opposition catégorique à ce principe a par la suite été inscrite au dossier. À l’audition de la requête en annulation du procès, durant laquelle les demanderesses ont essayé de mettre fin au procès pour revenir à l’étape de la communication préalable, elles ont affirmé ne pas comprendre ou accepter l’utilisation des résumés des témoignages anticipés au procès pour exclure des témoignages. La seule façon dont les résumés des témoignages anticipés ont été utilisés au procès pour exclure des témoignages est, lorsque des objections pièges ont été soulevées à l’égard des témoignages, nous avons renvoyé à ces résumés pour que la Cour tranche, sur une question de fait, s’il y avait piège ou non.

 

  • [32] La Cour a clairement indiqué dans ses décisions que la communication des résumés des témoignages anticipés était pertinente pour déterminer l’existence de pièges, bien que ces résumés ne puissent servir de règle d’exclusion automatique de la preuve. Toutes les décisions relatives aux pièges ont été prises à la suite de chaque objection soulevée. Voilà ce que les demanderesses ont refusé d’accepter, même si la procédure utilisée par la Cour est une conséquence inhérente et inévitable des règles de communication des résumés des témoignages anticipés qui ont été fixées pour la présente instance. Tout compte fait, c’est l’exigence (le rapport entre la communication des résumés des témoignages anticipés et les pièges au procès) que les demanderesses ont contestée pour tous leurs témoins profanes. La Cour estime, et ce que montrera le dossier, que c’est le fondement du différend procédural entre les parties à ce stade du procès et ce qui a apparemment conduit à la récente décision des demanderesses de clore leur cause à ce stade, bien qu’il ne soit pas possible pour diverses raisons de dire s’il s’agit du véritable motif de leur décision car, par le passé, les demanderesses ont voulu mettre fin à l’instance et ont exprimé leur ambivalence à exposer leur cause devant la Cour fédérale. La Cour a fait savoir que si les demanderesses souhaitent retenir ou convoquer des témoins profanes, elles devaient le faire en conformité aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés. Les demanderesses ont montré qu’elles avaient enfreint ces règles et elles ont rejeté ces règles, et elles refusent de retenir ou de convoquer des témoins en s’y conformant. Voilà l’essentiel du différend portant sur les résumés des témoignages anticipés.

 

  • [33] Toutefois, cela n’épuise pas le sujet car, pour rejeter les règles régissant les résumés des témoignages anticipés et essayer d’invalider le lien entre la communication des résumés et les pièges au procès, les demanderesses ont adopté à maintes reprises une conduite abusive, que j’ai traitée dans des décisions et ordonnances antérieures. La décision qu’ont prise les demanderesses de clore leur cause à ce stade jette un peu plus de lumière sur cette conduite.

 

  • [34] Toutefois, de l’avis de la Cour, malgré qu’elle ait dû maintes fois traiter des questions d’abus de procédure, la principale question en litige entre les parties jusqu’ici est le rapport entre la communication des résumés des témoignages anticipés et les décisions sur les pièges au procès. Dans une enfilade de décisions et de jugements, la Cour a essayé d’obtenir des demanderesses qu’elles remplissent les exigences de communication énoncées dans ces décisions et jugements antérieurs et qu’elles reconnaissent le lien incontournable entre la communication des résumés des témoignages anticipés et les pièges au procès. Les demanderesses devaient aussi respecter leurs engagements et assurances à l’égard de la Cour et des autres parties qu’elles se conformeraient aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés. Les demanderesses voulaient procéder de la sorte et que les autres parties se conduisent de la même manière. La témoin profane des demanderesses a été exclue car, en fin de compte, celles-ci ont refusé de tenir leur engagement et ont posé des questions suggestives aux témoins, en contravention des ordonnances et décisions de la Cour. Elles ont aussi refusé l’occasion ultérieure que leur a offerte la Cour de retenir et de convoquer tous leurs témoins conformément aux exigences relatives aux résumés des témoignages anticipés. Ayant choisi d’exclure leurs témoins, maintenant les demanderesses mettent soudainement fin à leur cause, de sorte que de très sérieuses questions demeurent en suspens, notamment la raison pour laquelle elles ont pris une telle décision et ont mis fin à l’instance de façon si abrupte.

 

Procédure privilégiée par les demanderesses

 

  • [35] Durant mon mandat de juge de l’instance, les demanderesses ont vigoureusement tenté à deux reprises de mettre fin à l’instance pour revenir à l’étape de la communication préalable, afin d’échapper aux décisions et jugements rendus pendant de nombreuses années, tant par la Cour fédérale que par la Cour d’appel fédérale, qui leur ont été défavorables et qui ont restreint la façon de mener l’instance. Leur récent rejet des règles régissant les résumés des témoignages anticipés, entraînant l’exclusion de leurs témoins profanes, et leur décision subséquente de clore leur cause doivent être considérés dans le contexte de la procédure qu’elles privilégient.

 

  • [36] La requête en partialité que les demanderesses ont présentée en 2005 était une attaque contre la Cour fédérale à titre d’institution et la conduite des instances par les juges Hugessen et Russell.

 

  • [37] La requête en partialité des demanderesses renfermait une attaque personnelle contre mon rôle de juge de l’instance, dont je n’ai pas encore analysé toutes les conséquences. J’ai mis de côté ces conséquences, que je compte traiter à une date ultérieure, car elles menaçaient d’entraver l’instruction de l’instance et auraient porté atteinte aux droits des parties, y compris les demanderesses.

 

  • [38] J’ai conclu que la requête en partialité était tout à fait sans fondement et injustifiée, et j’ai adjugé des dépens majorés contre les demanderesses pour divers motifs, y compris le fait que les documents qu’elles ont soumis à l’appui de cette requête représentait une tentative « d’intimider la Cour et de subvertir le processus judiciaire lui‑même de façon à échapper aux conséquences des décisions et des ordonnances rendues contre elles ».

 

  • [39] Après avoir convoqué huit témoins profanes durant le procès, les demanderesses ont tenté de faire prononcer la nullité du procès, tentative qui était aussi sans fondement. Leur but, comme elles l’ont révélé par la suite, était de faire annuler le procès et de revenir à l’étape de la communication préalable. La tentative de faire annuler le procès était fondée sur une accusation indéfendable et injustifiée que la Cour, malgré ses propres déclarations contraires, avait eu recours aux résumés des témoignages anticipés des demanderesses comme un [traduction] « moyen de droit pour exclure la preuve pertinente admissible ». Lorsqu’il leur a été signalé qu’une telle assertion était tout à fait incompatible avec leur « position », à savoir qu’elles avaient produit des résumés des témoignages anticipés qui répondaient aux règles synoptiques de communication, les demanderesses n’ont pas nié l’incompatibilité. Elles ont tout simplement modifié leur position et ont accusé la Cour de vouloir exclure la preuve en appliquant une norme [traduction] « contraignante et explicite » à la communication des résumés des témoignages anticipés afin d’exclure leur preuve. La requête en annulation du procès était sans fondement, non seulement parce qu’elle renfermait des allégations non corroborées, qui étaient contraires au dossier, mais aussi parce que si les demanderesses avaient de fait produit des résumés des témoignages anticipés conformes à la norme, comme elles l’allèguent, il n’y aurait pas eu de problème lié à l’exclusion de la preuve au procès par suite d’un piège. Les demanderesses essayaient tout bonnement de blâmer les autres parties pour les problèmes qu’elles avaient elles-mêmes créés.

 

  • [40] Maintenant, après avoir donné une autre occasion aux demanderesses de retenir et de convoquer tous leurs témoins profanes, dans la mesure où elles se conforment à l’esprit et à l’objet des règles régissant les résumés des témoignages anticipés, comme elles ont auparavant assuré à la Cour et aux autres parties qu’elles le feraient, elles ont refusé de retenir et de convoquer des témoins en conformité aux règles et ont mis fin à leur cause afin d’obtenir une nouvelle instruction de leur action devant la Cour d’appel fédérale.

 

  • [41] Une chose est à tout le moins évidente dans la foulée de la tentative des demanderesses de faire annuler le procès et de leur décision subséquente de mettre fin à leur cause, c’est qu’elles ne souhaitent manifestement pas présenter à notre Cour la cause divulguée dans leurs résumés des témoignages anticipés en conformité aux normes. Pourtant, le 7 janvier 2005, c’est justement ce que les demanderesses s’étaient engagées à faire devant la Cour et les autres parties, et la divergence entre ces deux positions contraires n’a pas été expliquée à la Cour.

 

  • [42] Considérées dans le contexte global de la présente instance, les décisions cumulatives des demanderesses de ne pas satisfaire aux exigences de communication, de rejeter les règles régissant les résumés des témoignages anticipés et de clore leur cause donnent à penser qu’elles ne souhaitent plus exposer leur cause, comme elles ont assuré à la Cour et aux autres parties qu’elles le feraient, déclarant, le 7 janvier 2005, qu’elles procéderaient à la signification de leurs résumés des témoignages anticipés « selon le mode autorisé par la Cour » afin d’exposer leur cause.

 

Questions relatives à l’abus

 

  • [43] Les conclusions d’abus, bien qu’elles soient démontrées, et les événements qui ont fait suite à la requête en annulation du procès et ses conséquences, ne doivent pas laisser de doute sur le différend procédural véritable qui a, du moins en apparence, incité les demanderesses à clore leur cause à ce stade de l’instance.

 

  • [44] La conduite abusive des demanderesses durant le procès visait principalement à nier le lien entre les résumés des témoignages anticipés et la preuve au procès lorsqu’une objection piège est soulevée. Au moment de déposer la requête en annulation du procès, les demanderesses avaient évalué à fond les façons dont la communication des résumés des témoignages anticipés entrait en ligne de compte lorsqu’un piège était dressé. C’est pourquoi la requête en annulation du procès reposait sur un rejet catégorique de la pertinence de la communication des résumés des témoignages anticipés pour les conclusions de pièges au procès. Toutefois, abstraction faite de l’abus, les demanderesses n’ont pas adéquatement expliqué pourquoi il ne faut pas renvoyer aux résumés des témoignages anticipés lorsqu’un piège est dressé au cours du procès. Elles n’ont pas expliqué pourquoi ces résumés ne sont pas pertinents ou ne se rapportent pas aux questions pièges.

 

  • [45] Les demanderesses n’ont pas démontré – ni justifié sur une base juridique ou logique quelconque – qu’un piège ne peut servir de motif pour exclure la preuve pertinente. En fait, elles ont elles-mêmes dressé des pièges pour exclure la preuve pertinente, qu’elles ne voulaient pas voir verser au dossier. Leur position semble être plutôt qu’il n’y a aucun rapport entre les résumés des témoignages anticipés et la preuve au procès. Dans la présente instance, un rapport a été établi entre les résumés et la preuve au procès seulement lorsqu’une objection piège est soulevée, ce qui, comme les demanderesses l’ont elles-mêmes soutenu devant la Cour, constitue l’utilisation appropriée des résumés.

 

  • [46] Les demanderesses n’ont pas expliqué de manière satisfaisante en quoi les résumés des témoignages anticipés peuvent être dissociés de la preuve si la Cour conclu qu’un piège a été dressé. Comme la Cour l’a statué, en cas de piège, l’autre partie peut recourir à l’intégralité du dossier pour démontrer si un piège a véritablement été dressé ou non, car le dossier renferme les résumés des témoignages anticipés.

 

  • [47] Lorsque les demanderesses soutiennent qu’il n’y a aucun rapport entre les résumés des témoignages anticipés et l’exclusion de la preuve pertinente au procès, elles soutiennent en fait que lorsque la Couronne affirme l’existence d’un piège comme motif d’exclusion, elles peuvent renvoyer la Cour à l’intégralité du dossier pour démontrer l’absence de piège, alors que la Couronne ne peut renvoyer aux résumés des témoignages anticipés pour montrer l’existence d’un piège. Les demanderesses n’ont pas expliqué de manière convaincante en quoi un déséquilibre aussi paradoxal pouvait être justifié ou toléré dans la présente instance. Elles font valoir que l’ensemble de l’information versée au dossier permet de prévenir un piège, mais elles n’ont pas expliqué pourquoi les normes de communication des résumés des témoignages anticipés n’ont aucun rapport avec la question des pièges. En outre, la Cour leur a donné amplement la possibilité de renvoyer aux autres éléments du dossier pour démontrer qu’aucun piège n’avait été dressé, lorsqu’une objection particulière à un témoignage est soulevée pour cause de piège.

 

  • [48] Les demanderesses sont conscientes de la fausseté de leur position, bien qu’elles aient refusé de la rectifier. Elles ont plutôt cherché à contourner le problème en affirmant (sans cependant chercher à corroborer leur affirmation) que la Cour avait eu recours aux résumés des témoignages anticipés comme un [traduction] « moyen de droit pour exclure la preuve pertinente admissible », afin qu’elles n’aient pas « l’occasion d’exposer adéquatement leur cause ». D’ailleurs, lorsque la nature contradictoire de leur position leur a été signalée, les demanderesses ont porté une accusation injustifiée contre la Cour, à savoir qu’elle avait, d’une manière clandestine et non exposée dans ses décisions, appliqué une norme « contraignante et explicite » à la communication des résumés des témoignages anticipés pour « nuire » (terme remplacé par la suite par « compromettre ») à leur capacité d’exposer adéquatement leur cause. Parallèlement, leur avocat a révélé la cause véritable des problèmes qu’éprouvent les demanderesses lorsqu’il a confirmé, après avoir examiné leurs résumés des témoignages anticipés par rapport aux normes synoptiques fixées par la Cour, qu’il avait constaté une lacune dans la communication de la teneur des témoignages des témoins.

 

Exposer et prouver leur cause

 

  • [49] En aucun temps les demanderesses n’ont allégué ou démontré que les règles régissant les résumés des témoignages anticipés les avaient empêchées de prouver leur cause, et comme la Cour l’a signalé dans ses décisions et jugements antérieurs, elles n’ont pas expliqué ou justifié le rapport entre la présentation et la preuve de leur cause dans le contexte de la présente instance. En fait, selon les récentes allégations des demanderesses, les règles régissant les résumés des témoignages anticipés, et les conclusions tirées par la Cour en s’appuyant sur ces règles, auraient « compromis » leur capacité d’exposer adéquatement leur cause, ce qui est incompatible avec leurs assurances antérieures qu’elles avaient exposé leur cause dans leurs résumés des témoignages anticipés et qu’elles voulaient procéder de cette façon.

 

  • [50] Ces allégations injustifiées ont servi à masquer la fausseté sous-tendant le rejet par les demanderesses des règles régissant les résumés des témoignages anticipés (qui ont seulement été communiqués au procès) et leur défaut d’expliquer en quoi les résumés peuvent être dissociés des considérations relatives à l’existence de pièges au procès.

 

  • [51] Les demanderesses ont aussi adopté une conduite abusive, ainsi qualifiée par la Cour dans ses décisions et jugements antérieurs, pour masquer la fausseté de leur position et leur défaut d’expliquer ou de justifier comment ou pourquoi les résumés des témoignages anticipés peuvent être dissociés des questions pièges au procès.

 

Question véritable en litige

 

  • [52] Toutefois, abstraction faite de toutes les tactiques employées par les demanderesses, la question véritable demeure inexpliquée et non corroborée. Cette question est la non-conformité des demanderesses aux exigences de communication des résumés des témoignages anticipés, leur réfutation de tout lien entre la communication des résumés et les questions pièges au procès, et leur refus d’exposer leur cause (à la fois retenir les témoins déjà convoqués et convoquer d’autres témoins), conformément aux décisions et jugements antérieurs de la Cour qui ont fixé les règles régissant les résumés des témoignages anticipés.

 

  • [53] Il ne fait aucun doute que les demanderesses auraient pu poursuivre leur action et convoquer l’un ou l’autre de leurs témoins profanes en se conformant aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, qu’elles avaient déjà acceptées. En fait, voilà comment se passait les choses jusqu’à ce que les demanderesses, après avoir convoqué huit témoins profanes, se lèvent en Cour et réfutent « sans équivoque » tout rapport entre la communication des résumés des témoignages anticipés et la preuve au procès. Elles ont accusé la Cour d’exclure la preuve en usant de moyens non exposés dans ses décisions. Elles ont aussi révélé qu’elles avaient enfreint les décisions et jugements de la Cour portant sur la communication des résumés des témoignages anticipés, puis elles ont cherché à faire annuler le procès. Personne n’a demandé aux demanderesses de prendre des mesures aussi draconiennes. La Cour a refusé de déclarer la nullité du procès et a clairement fait savoir aux demanderesses qu’elles pouvaient encore retenir et convoquer leurs témoins profanes si elles le faisaient en conformité aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, mais elles ont refusé d’aller de l’avant de cette façon et ont maintenant mis fin à leur cause sans convoquer d’autres témoins.

 

  • [54] En 2004‑2005, les demanderesses ont assuré à la Cour et aux autres parties qu’elles avaient produit des résumés des témoignages anticipés qui étaient conformes aux normes de communication, qu’elles avaient exposé leur cause en se fondant sur les résumés et voulaient procéder de cette façon.

 

  • [55] En avril 2007, les demanderesses ont annoncé à la Cour qu’elles ne pouvaient exposer adéquatement leur cause en se fondant sur les résumés des témoignages anticipés, si elles étaient tenues de respecter les règles régissant ces résumés.

 

  • [56] Les résumés des témoignages anticipés des demanderesses n’ont pas changé entre 2004‑2005 et 2007, sauf que les parties portant sur les revendications générales d’autonomie gouvernementale ont été exclues, car la Cour avait conclu que ces revendications n’étaient pas comprises dans les plaidoiries. Donc, tout ce qui a changé, c’est que les revendications générales d’autonomie gouvernementale ont été supprimées à titre de motif d’action dans les actes de procédure. Les demanderesses n’ont pas indiqué que ce facteur était intervenu dans leur décision de rejeter les règles régissant les résumés des témoignages anticipés et de mettre fin à leur cause. En fait, elles ont confirmé, ce qui est consigné au dossier, que si la Cour appliquait les règles régissant les résumés, comme elle l’avait fait pour traiter la question des pièges, cela ne les empêcherait pas de prouver leur cause. Pourtant, elles ont refusé de retenir ou de convoquer des témoins profanes en conformité à ces règles.

 

  • [57] En septembre 2007, les demanderesses ont refusé de donner à nouveau les assurances de conformité ordonnées par la Cour et de retenir les témoins profanes qui avaient été convoqués ou de convoquer de nouveaux témoins profanes, conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés qui, comme elles l’ont affirmé en 2004‑2005, leur permettaient d’exposer leur cause comme elles le souhaitaient. La décision prise par les demanderesses en janvier 2008 de clore leur cause a rapidement fait suite à la décision de septembre 2007.

 

  • [58] Les demanderesses n’ont jamais expliqué en quoi ou pourquoi, si elles avaient voulu exposer la cause décrite dans les plaidoiries devant la Cour, elles en auraient été empêchées en raison des résumés des témoignages anticipés qui, comme elles l’ont assuré à la Cour et aux autres parties en 2004‑2005, leur avaient permis d’exposer leur cause comme elles le souhaitaient.

 

  • [59] En l’absence d’explication et en raison d’autres incohérences, obstacles et ambiguïtés mentionnés ailleurs, la Cour ne peut accepter les raisons avancées par les demanderesses pour expliquer ou justifier leur décision de clore leur cause à ce temps-ci.

 

Résumé

 

  • [60] Suivant ce que les demanderesses ont révélé ou affirmé à la Cour jusqu’à présent au sujet des résumés des témoignages anticipés et de leur rôle dans la présente instance et puisqu’elles ont refusé d’expliquer ou de préciser leur décision de mettre fin à leur cause à ce stade pour interjeter appel devant la Cour d’appel fédérale, la Cour est arrivée aux conclusions et constations suivantes :

    1. Les demanderesses ont contrevenu aux décisions et ordonnances de la Cour les sommant de produire des résumés des témoignages anticipés pour leurs témoins profanes conformément aux normes, et elles ont manqué à leur engagement envers la Cour et les autres parties qu’elles le feraient. Ces manquements s’ajoutent aux manquements antérieurs aux ordonnances et décisions de la Cour portant sur les résumés des témoignages anticipés.

 

  1. Les demanderesses ont rejeté les règles régissant les résumés des témoignages anticipés, aux termes desquelles elles étaient autorisées (malgré qu’elles aient contrevenu aux ordonnances de la Cour) de convoquer leurs témoins profanes. Ce rejet constitue un manquement à leur engagement antérieur envers la Cour et les autres parties de respecter les règles et [traduction] « d’exposer leur cause en signifiant les résumés des témoignages anticipés [...] selon le mode autorisé par la Cour pour la présentation de leur cause, et nous acceptons de procéder de la sorte ». La clôture de leur cause fait suite à leur affirmation, consignée au dossier, que [traduction] « catégoriquement [...] les demanderesses ne comprennent pas et n’acceptent pas l’utilisation des résumés des témoignages anticipés au procès [...] pour exclure la preuve pertinente et admissible produite par les deux parties » et que « l’acceptation de la norme relative à la communication préalable au procès des résumés des témoignages anticipés et les efforts des demanderesses de se conformer à cette norme [...] n’a aucun rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès ».

 

  1. Les demanderesses ont refusé de proposer des solutions pour remédier à leurs manquements afin de pouvoir procéder en se conformant aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés établies pour la présente instance, et ont entravé les tentatives de la Cour de trouver une solution pour qu’elles puissent retenir et convoquer leurs témoins profanes en conformité aux décisions et jugements de la Cour.

 

  1. Les demanderesses ont refusé toute autre concession de la Cour qui, malgré qu’elles n’aient pas respecté ses ordonnances et leurs propres engagements de se conformer aux exigences de communication des résumés des témoignages anticipés, les aurait autorisées à retenir les témoins déjà convoqués et à convoquer d’autres témoins profanes, au motif que l’information présentée dans un résumé de témoignage anticipé soit considérée comme une divulgation, conformément aux normes définies par la Cour pour que l’autre partie puisse se préparer au procès et préparer les contre‑interrogatoires.

 

  1. Malgré leur rejet des règles régissant les résumés des témoignages anticipés, les demanderesses ont affirmé qu’elles peuvent « prouver » leur cause si la Cour applique ces règles, comme elle les a appliquées pour tirer des conclusions relatives aux pièges.

 

  1. Selon les demanderesses, le seul effet qu’ont comporté les règles régissant les résumés des témoignages anticipés sur la présentation de leur cause est [traduction] « l’exclusion de la preuve pertinente qui a compromis leur capacité à exposer adéquatement leur cause ». Cette affirmation (« a compromis ») peut seulement s’appliquer aux huit témoins profanes qui ont déjà comparus, car la Cour n’a pas entendu les autres témoins, n’a pris aucune décision à propos du témoignage de témoins futurs, et la Couronne n’a soulevé aucune objection touchant le témoignage de témoins futurs. Donc, l’effet des règles régissant les résumés des témoignages anticipés sur les témoignages futurs de témoins profanes ainsi que des objections valables sur la capacité des demanderesses à exposer adéquatement leur cause (quoi que cela signifie) demeure inconnu et non corroboré.

 

  1. Les demanderesses ont refusé d’expliquer ou de justifier quelle « preuve pertinente » aurait été exclue et aurait compromis leur capacité d’exposer adéquatement leur cause, bien qu’elles puissent toujours « prouver » leur case. De plus, elles n’ont pas expliqué ni justifié le lien, dans le contexte de la présente instance, entre exposer et prouver leur cause. Si ce qu’elles entendent est qu’en raison des conclusions relatives aux pièges tirées par la Cour jusqu’à présent, certains éléments de preuve pertinents ont été exclus, elles n’ont pas (après qu’on le leur a demandé) expliqué ou justifié la prévue pertinente en cause ou son effet sur l’issue de l’instance, compte tenu de l’ensemble de la preuve supplémentaire que les demanderesses ont fait savoir à la Cour qu’elles comptaient produire.

 

  1. La décision des demanderesses de rejeter les règles régissant les résumés des témoignages anticipés et de ne pas procéder au procès en se conformant à ces règles a été prise sur la base d’une position inexpliquée et injustifiée que les règles ont « compromis leur capacité d’exposer adéquatement leur cause », alors qu’elles peuvent prouver leur cause suivant ces règles. Cette « position » inexpliquée et injustifiée est incompatible avec leur engagement antérieur de produire des résumés des témoignages anticipés conformes aux normes et avec leur assurance à la Cour et aux autres parties qu’elles avaient « exposé leur cause en signifiant des résumés des témoignages anticipés » et qu’elles voulaient « procéder de la sorte ».

 

  1. Les incompatibilités entre les différentes « positions » des demanderesses devant la Cour ont été portées à leur attention, mais elles ont refusé de les expliquer ou de les rectifier d’une façon acceptable. Voir, par exemple, mes efforts en ce sens au paragraphe 424 de mes motifs du 19 juin 2007.

 

 

  1. Si les demanderesses avaient produit des résumés des témoignages anticipés qui étaient conformes aux normes, de sorte qu’elles soient autorisées à exposer leur cause en janvier 2005 lorsqu’elles avaient assuré à la Cour et aux autres parties qu’elles voulaient procéder de cette façon, elles n’ont offert aucune explication ou justification du fait qu’en 2007‑2008, ces résumés les auraient empêchées de prouver leur cause ou de l’exposer adéquatement (quoi que cela puisse signifier) ou pourquoi si ces règles leur avaient permis, en janvier 2005, d’exposer leur cause comme elles le souhaitaient, alors la situation aurait changé en 2007‑2008 lorsqu’elles utilisaient les résumés et ont décidé de rejeter les règles les régissant et de clore leur cause. Les demanderesses ont refusé d’expliquer quel serait le sens ou l’effet du lien entre les normes de communication des résumés des témoignages anticipés et la preuve au procès, qu’elles réfutent maintenant « catégoriquement », concernant la présentation de leur cause à la Cour, si leur affirmation du 7 janvier 2005 était correcte.

 

  1. En mettant fin à leur cause à ce stade, les demanderesses ont présenté à la Cour deux positions contradictoires, sans préciser laquelle avait une réalité sous-jacente. En janvier 2005, elles ont assuré à la Cour qu’elles avaient exposé leur cause dans leurs résumés des témoignages anticipés et qu’elles voulaient procéder de cette façon. En 2007, elles ont fait savoir à la Cour que les règles régissant les résumés des témoignages anticipés compromettaient leur capacité à exposer adéquatement leur cause et qu’elles rejetaient « catégoriquement » ces règles.

 

  1. Les demanderesses devaient expliquer ces divergences (et d’autres encore). Elles ont refusé de présenter une explication acceptable et ont depuis mis fin à leur cause sans l’avoir fait.

 

DÉLAI ET AUTRES CONCESSIONS

 

  • [61] La décision des demanderesses de rejeter les règles régissant les résumés des témoignages anticipés et de clore leur cause doit aussi être considérée au regard des nombreux délais et d’autres concessions dont elles ont bénéficié pour qu’elles aient toute possibilité de présenter leur cause à la Cour.

 

  • [62] L’une de mes premières tâches en tant que juge de l’instance a été de trouver un moyen de remédier à la contravention des demanderesses à l’ordonnance préalable au procès rendue par le juge Hugessen le 26 mars 2004 et leur défaut de produire des résumés des témoignages anticipés avant l’échéance fixée dans l’ordonnance.

 

  • [63] La Couronne a demandé à la Cour de simplement radier les témoins profanes des demanderesses et d’instruire le procès en se fondant sur les autres éléments de preuve, y compris le dossier du premier procès. Dans leur réponse, les demanderesses ne se sont pas montrées conciliantes et n’ont pas proposé de « solution viable » aux problèmes liés au calendrier et à la conduite du procès, qui sont imputables à leur manquement. Comme elles l’ont fait par la suite, elles ont simplement insisté pour poursuivre l’instance, malgré leur non-respect des décisions de la Cour.

  • [64] La Cour a rejeté les approches des demanderesses et de la Couronne et a cherché à faire progresser l’instance en :

    1. établissant des normes synoptiques claires relatives à la communication des résumés des témoignages anticipés;

 

  1. accordant aux demanderesses le temps dont elles avaient besoin pour produire des résumés des témoignages anticipés des témoins profanes qu’elles voulaient convoquer, conformément aux normes.

 

  • [65] Les demanderesses ont par la suite confirmé à la Cour qu’elles avaient produit des résumés des témoignages anticipés qui étaient conformes à ses normes, et rien n’indique qu’elles aient été empêchées de produire des résumés qui répondent aux normes synoptiques fixées par la Cour concernant les témoins profanes qu’elles souhaitaient convoquer.

 

  • [66] L’audience de bene esse pour entendre Mme Florence Peshee en décembre 2004 a offert aux demanderesses l’occasion de constater l’utilité des résumés des témoignages anticipés pour parer aux pièges dressés au procès. Les demanderesses ont elles-mêmes appliqué le principe général qui relie les résumés des témoignages anticipés et la preuve au procès et ont obtenu l’exclusion d’éléments de preuve en invoquant un piège. Elles ont souligné qu’un avis approprié était essentiel et qu’il était important que les « deux parties » soient adéquatement avisées.

 

  • [67] L’audience Peshee est importante à un autre égard, car la Cour s’est efforcée de voir à ce que son déroulement, tant sur le plan des résumés des témoignages anticipés que de la preuve, soit acceptable à toutes les parties, y compris les demanderesses. La Cour a demandé à ces dernières de vérifier leurs résumés des témoignages anticipés pour relever tout problème à la lumière de ce qui avait été établi à l’audience Peshee, et d’en informer la Cour dans les meilleurs délais. Les demanderesses ont confirmé à la Cour qu’elles le feraient. Elles ont donc bénéficié d’une autre occasion de revoir leurs résumés et d’informer la Cour si elles constataient des problèmes.

 

  • [68] Après l’audience Peshee, les demanderesses ont confirmé à la Cour et aux autres parties qu’elles avaient exposé leur cause dans leurs résumés des témoignages anticipés, selon le mode déterminé par la Cour, et elles ont confirmé qu’elles voulaient procéder de la sorte.

 

  • [69] La première indication qu’a eue la Cour d’un problème possible lié aux résumés des témoignages anticipés est les allégations avancées par les demanderesses dans leur requête en partialité, déposée en 2005, qu’il y avait eu collusion entre la Cour et la Couronne pour faire en sorte que les demanderesses n’aient pas le temps requis pour produire leurs résumés. Toutefois, elles n’avaient pas rejeté à ce temps-là les règles régissant les résumés ou nié le lien entre la communication des résumés et la preuve au procès. À la lumière du dossier et de ce qu’il révèle, les allégations de collusion formulées par les demanderesses étaient sans fondement, c’est le moins qu’on puisse dire, et j’en ai longuement parlé ailleurs. Pourtant, elles sont très révélatrices à d’autres égards, qui ne sont pas à l’avantage des demanderesses :

 

  1. Les allégations révèlent qu’au moment où les demanderesses avaient assuré à la Cour et aux autres parties qu’elles avaient produit des résumés des témoignages anticipés en conformité aux normes de communication et voulaient procéder à la présentation de leur cause de cette façon, elles comptaient alors déposer une requête en partialité injustifiée, dans laquelle elles alléguaient, entre autres, qu’il y avait eu collusion entre la Cour et la Couronne pour qu’elles n’aient pas le temps de produire les résumés des témoignages anticipés dont elles avaient besoin.

 

  1. Les allégation révèlent que les demanderesses savaient déjà que leur engagement envers la Cour de produire des résumés des témoignages anticipés conformes aux normes était trompeur et qu’au lieu de s’adresser à la Cour, comme celle‑ci le leur avait demandé à l’audience Peshee, pour résoudre les problèmes en ce sens, elles ont décidé de blâmer la Cour pour avoir créé ces problèmes, dont elle ne pouvait d’ailleurs avoir connaissance à la lumière de l’engagement qu’elles avaient pris envers la Cour : « [les résumés des témoignages anticipés] répondent à toutes les exigences que vous avez fixées. De fait, ils vont au-delà et sont extrêmement détaillés ».

 

Donc, après coup, on voit que la requête en partialité révèle non seulement que les demanderesses étaient au courant des problèmes associés à la communication des résumés des témoignages anticipés, mais aussi que ces problèmes – particulièrement à la lumière de ce qui s’était passé à l’audience Peshee – pouvaient causer des difficultés au procès. Pourtant, au lieu de signaler ces problèmes à la Cour comme elles s’étaient engagées à le faire, elles ont manqué à leur engagement de se conformer aux normes de communication et aux règles, engagement qui est consigné au dossier.

 

  • [70] En me fondant sur ce que la requête en partialité a révélé à propos de la démarche des demanderesses dans la présente instance et de leur attitude envers la Cour, j’ai conclu que le processus judiciaire avait échoué et que les demanderesses contournaient simplement la procédure civile par des moyens abusifs et totalement inacceptables. Les demanderesses ont répondu à ce problème en nommant un nouvel avocat principal et, en juillet 2005, M. Molstad et son équipe de Parlee McLaws LLP sont entrés en scène.

 

  • [71] Les demanderesses ont alors demandé un long délai supplémentaire pour que leur nouvel avocat principal se familiarise avec l’ensemble du dossier. En dépit du fait que les avocats précédents (M. Healey et Mme Twinn) faisaient toujours partie de l’équipe et malgré l’opposition de la Couronne au délai demandé, la Cour a décidé que le procès commencerait en janvier 2007 pour accommoder les demanderesses.

 

  • [72] Le nouvel avocat des demanderesses a fait savoir que son examen porterait en partie sur les résumés des témoignages anticipés qu’elles avaient produits. Il a indiqué qu’il pourrait également déposer une requête relative au rôle et à l’utilisation des résumés des témoignages anticipés au procès. Il était donc évident qu’il s’agissait d’une question que les demanderesses avaient longuement et attentivement étudiée.

  • [73] Alors que le début du procès était imminent, la Cour a fixé une échéance pour le dépôt d’une telle requête, après quoi les demanderesses ont fait savoir qu’elles ne déposaient pas de requête visant les résumés des témoignages anticipés ainsi que leur rôle et leur utilisation au procès.

 

  • [74] Cette décision avait bien entendu été prise dans le contexte des événements antérieurs, à savoir que la Cour avait demandé aux demanderesses à l’audience Peshee de revoir leurs résumés des témoignages anticipés à la lumière de ce qui s’était passé à l’audience et de lui faire part rapidement de tout problème avant le procès.

 

  • [75] Mais après avoir obtenu un long délai pour revoir leurs résumés des témoignages anticipés et considérer les problèmes et les moyens de les résoudre, les demanderesses ont décidé de laisser les choses en leur état, et toutes les parties se sont présentées au procès dans ces conditions.

 

  • [76] Après avoir convoqué huit témoins, les demanderesses se sont levées et ont fait une tentative irrégulière, qui a abouti à la requête en annulation du procès. En faisant cette tentative, elles ont révélé à la Cour qu’elles n’avaient pas de fait produit de résumés des témoignages anticipés qui répondaient aux normes de communication et qu’elles réfutaient « catégoriquement » tout lien entre les résumés et la preuve au procès.

 

  • [77] Il importe cependant de signaler qu’elles ont essayé de défendre leur nouvelle position sur les résumés des témoignages anticipés comme si elles n’avaient jamais pris d’engagement devant la Cour concernant la conformité et le lien à la preuve au procès. Aucune explication convaincante de ces incohérences n’a été présentée, et la Cour a essuyé un refus obstructionniste de traiter la question, lorsqu’elle leur a demandé des précisions et des explications.

 

  • [78] Comme ces antécédents le démontrent, les demanderesses ont obtenu le long délai qu’elles avaient demandé pour produire les résumés des témoignages anticipés dont elles avaient besoin pour exposer leur cause à la Cour, après avoir confirmé à la Cour qu’elles l’avaient fait. Elles avaient obtenu un délai supplémentaire et des encouragements après l’audience Peshee pour revoir la situation entourant les résumés des témoignages anticipés et pour signaler tout problème à la Cour avant le procès. Elles n’ont aucune excuse valable pour toute lacune dans leurs résumés des témoignages anticipés et pour le fait que les parties amorcent le procès alors que persistent des problèmes rattachés aux résumés.

 

  • [79] Après avoir obtenu de nombreuses concessions quant aux délais et à leurs contraventions aux ordonnances de la Cour, les demanderesses ont maintenant rejeté les règles régissant les résumés des témoignages anticipés et mis fin à leur cause.

 

  • [80] Il va sans dire que tout problème lié aux résumés des témoignages anticipés aurait dû être réglé il y a longtemps (ce qui avait cependant été confirmé à la Cour). Il n’y avait rien qui empêchait les demanderesses de se conformer aux exigences de communication des résumés des témoignages anticipés selon le mode fixé, comme elles ont assuré l’avoir fait à la Cour. Si elles s’y étaient conformées, il n’y aurait aucun problème au procès causés par des pièges et aucune raison pour qu’elles critiquent et rejettent les règles régissant les résumés et, après que leurs critiques ont échoué, pour mettre fin à leur cause.

 

  • [81] Répétons que les demanderesses n’ont pas présenté à la Cour d’explication convaincante des problèmes qui sont survenus, compte tenu du délai et des occasions qu’elles ont obtenus, ce qui rend leurs raisons de clore leur cause tout à fait insatisfaisantes et discutables.

 

EXPLICATION AVANCÉE

 

  • [82] Les demanderesses ont invoqué la raison principale suivante pour mettre fin à leur cause à ce stade :

[Traduction] M. Molstad :  Donc, monsieur le juge, comme la Cour et toutes les parties à la présente instance le savent, les demanderesses ont récemment tenté d’interjeter appel de vos décisions et ordonnances des 11 septembre, 9 août et 19 juin 2007 auprès de la Cour d’appel fédérale.

 

À notre avis, l’effet de ces décisions est sans précédent, comme vous et les parties le savez, car elles ont exclu du dossier le témoignage de huit témoins qui ont comparu du 30 janvier au 25 avril 2007 et, bien entendu, parce qu’elles interdisent aux demanderesses de convoquer 17 autres témoins profanes. Nous croyons que la Cour et les parties reconnaissent que de nombreux témoins sont des aînés, dont l’histoire orale ne sera pas entendue par la Cour.

 

Monsieur le juge, nous ne saurions trop insister sur l’importance de l’histoire orale dans une affaire mettant en cause les titres et les droits autochtones et les droits issus de traités. Comme nous l’avons soutenu auparavant dans la réponse des demanderesses à la directive de la Cour du 31 octobre 2007, qui a été déposée le 14 novembre 2007, ces dernières avaient respectueusement observé à cette date que l’exclusion de l’intégralité des témoignages livrés par les témoins profanes et les aînés et l’ordonnance du 11 septembre 2007, leur interdisant de convoquer d’autres témoins profanes et aînés, les empêchaient de produire une preuve pertinente, probatoire et corroborante.

 

Cela, bien entendu, aura un effet préjudiciable sur la capacité des demanderesses de prouver leur cause. Nous soutenons aussi respectueusement que cela les empêchera d’exposer adéquatement leur cause et aura pour effet de rendre le procès inéquitable.

 

 

 

  • [83] Aux fins de clarification, je crois que la Cour doit préciser que les raisons avancées par les demanderesses pour mettre fin à leur cause à ce stade de l’instance ne concordent pas avec ce que la Cour comprend de ce qui s’est passé jusqu’à présent et ce que révèle le dossier.

 

  • [84] Les demanderesses soutiennent maintenant que la Cour doit accepter d’emblée ce qu’elles ont refusé d’expliquer ou de justifier, c’est‑à‑dire que la Cour a en quelque sorte compromis leur capacité à exposer adéquatement leur cause comme elles le souhaitaient. La Cour ne dispose d’aucun élément pour appuyer une telle position, que ce soit sous forme d’affirmations cohérentes au sujet du rôle et de l’utilisation des résumés des témoignages anticipés au procès ou de justification de l’incidence des décisions et jugements de la Cour sur la preuve pertinente, mais elle dispose de nombreux éléments démontrant qu’une telle position ne peut être acceptée sans explication et justification acceptables. La Cour n’a rien fait pour empêcher les demanderesses d’exposer la cause qu’elles ont assurée à la Cour qu’elles voulaient présenter en conformité aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés. Ce sont les demanderesses qui ont décidé de ne pas présenter leur cause en conformité à ces règles et qui y ont maintenant mis fin sans justifier leurs affirmations à propos de cette incidence. L’ordonnance de la Cour du 9 août 2007 sommait les demanderesses de faire ce qui suit : [traduction] « Sous réserve de convaincre la Cour de la conformité de leurs résumés des témoignages anticipés comme stipulé, les demanderesses peuvent convoquer leurs témoins [...] ».

 

  • [85] Les demanderesses omettent de dire que ce sont elles qui ont fait des efforts soutenus pour mettre fin au procès après avoir convoqué seulement huit témoins, ayant tenté de faire prononcer la nullité du procès en s’appuyant sur la prémisse fondamentale qu’il était injuste que leurs témoins soient seulement autorisés à dire ce que les demanderesses avaient assuré à la Couronne qu’ils diraient. Les demanderesses voulaient mettre fin au procès, mais elles n’avaient aucune raison valable pour justifier cette issue. Leur raison pour ce faire, du moins en apparence, était que leurs résumés des témoignages anticipés les empêchaient d’exposer leur cause comme elles l’entendaient. Lorsque la Cour a statué qu’il n’y avait aucun motif valable de clore l’instance, les demanderesses ont alors affirmé qu’elles ne retiendraient pas ou ne convoqueraient pas de témoins, conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés.

 

Sans précédent

 

  • [86] Il n’y avait aucune preuve devant la Cour que « l’effet de ces décisions est sans précédent ». Les demanderesses ont adopté une « position », sans tentative aucune de la justifier soit de façon factuelle ou sur la base d’un précédent ou principe de droit.

 

  • [87] S’il y avait un problème à ce que la Cour exclue des témoins, alors les demanderesses n’ont présenté aucun argument, principe ou jurisprudence dans leur réponse PL20. Les demanderesses avaient été informées de ce qui arriverait à leurs témoins si elles n’offraient pas d’assurance ou ne se conformaient pas, comme le leur demandait la Cour. Les demanderesses ont fait savoir à la Cour et aux autres parties qu’elles avaient [traduction] « répondu correctement aux questions soulevées par la Cour dans ses motifs corrélatifs à l’ordonnance du 9 août 2007 ». Donc, la seule question que les demanderesses ont soumise à la Cour, qu’elle a tranchée le 11 septembre 2007, était si elles avaient « répondu correctement », suivant leur affirmation du 28 août 2007 à cet effet.

 

  • [88] Les demanderesses ont clairement indiqué dans leur lettre du 28 août 2007 qu’elles acceptaient d’aller de l’avant en se conformant aux décisions et à l’ordonnance de la Cour du 9 août 2007, puisqu’elles ont fait savoir qu’elles étaient [traduction] « prêtes à convoquer leur prochain témoin profane à la reprise de l’instance le 4 septembre 2007 et nous demandons à la Cour de faire connaître sa directive à cet égard ».

 

  • [89] Si la Cour avait décidé qu’elles avaient « répondu correctement », les demanderesses étaient de toute évidence prêtes à procéder en conformité à la décision du 9 août 2007 et aux indications dans leur réponse PL20. Ayant présenté cette position à la Cour et ayant insisté sur le caractère adéquat de leur réponse, les demanderesses ne peuvent maintenant soutenir que ce qui s’est passé est « sans précédent ». Elles ont été avisées de ce qui se passerait et du caractère inadéquat de leur réponse et on leur a demandé de faire preuve de circonspection, mais elles ont choisi de ne pas présenter de réponse qui aurait convaincu « la Cour de la conformité de leurs résumés des témoignages anticipés ». Tout cela parce que les demanderesses ont décidé de maintenir les positions qu’elles avaient adoptées auparavant, c’est‑à‑dire tous leurs résumés des témoignages anticipés étaient conformes aux décisions et jugements de la Cour (même si la Cour avait conclu au contraire) et qu’elles ne [traduction] « comprenaient pas et n’acceptaient pas le recours aux résumés des témoignages anticipés au procès [...] pour exclure une preuve pertinente et admissible » et que « l’acceptation d’une norme relative à communication préalable au procès des résumés des témoignages anticipés et les efforts des demanderesses pour se conformer à cette norme n’ont [...] aucun rapport avec l’admissibilité de la preuve au procès ».

 

  • [90] Au lieu d’affirmer ouvertement qu’elles refusaient de donner une assurance de conformité, comme la Cour leur avait ordonné de le faire, les demanderesses ont présenté une similiréponse qui leur permettrait de retenir et de convoquer leurs témoins et, en même temps, de maintenir leurs positions antérieures. Voilà pourquoi elles ont affirmé, dans leur lettre du 28 août 2007, qu’elles avaient « répondu correctement ». Comme le contexte global le révèle, les demanderesses estiment qu’une réponse correcte est celle qui maintient leur rejet des règles régissant les résumés des témoignages anticipés et leur permet de retenir leurs témoins. Elles voulaient jouer sur les deux tableaux. Toutefois, le problème posé par une telle position est que le résultat est inévitable, dans la mesure où la Cour demande quelque chose d’entièrement différent. Ce que la Cour demandait, c’était la confirmation que les demanderesses avaient rempli les exigences de communication des résumés des témoignages anticipés, afin d’instruire les actions en conformité à ses décisions et jugements se rapportant aux résumés. Elles ont été informées de ce qui se passerait si elles ne fournissaient pas la confirmation demandée, et c’est le choix qu’elles ont fait.

 

  • [91] Les demanderesses semblent maintenant dire que ce qu’elles ont fait n’importe pas, ce qui a pourtant entraîné la radiation de leurs témoins, et que la Cour ne peut tout simplement pas radier de témoins. Toutefois, elles n’offrent aucune justification ou décision jurisprudentielle à l’appui de leur position. Comme les demanderesses l’ont clairement démontré, en l’absence de menace de sanctions extraordinaires, elles sont tout à fait prêtes à continuer de récuser et d’ignorer les décisions, les directives et les jugements de la Cour.

 

  • [92] De fait, il existe un précédent pour radier des témoins qui est très pertinent pour la présente instance et que les demanderesses connaissent bien. En 2004, la Cour a radié près de 150 témoins profanes que les demanderesses voulaient, à l’époque, convoquer au procès, car elles n’avaient pas produit de résumés des témoignages anticipés de ces témoins, conformément à l’ordonnance préliminaire du 26 mars 2004 rendue par le juge Hugessen. Les demanderesses n’ont pas interjeté appel de l’ordonnance de la Cour qui avait radié les témoins qu’elles proposaient et qui n’avaient pas encore livré leur témoignage. Mais la seule raison pour laquelle les huit témoins des demanderesses ont été autorisés à témoigner à l’instance était parce qu’elles avaient affirmé à la Cour et aux autres parties que les résumés des témoignages anticipés produits et signifiés pour ces témoins étaient conformes aux normes. Les demanderesses ne peuvent être autorisées à contrevenir aux ordonnances de la Cour, à convoquer des témoins sur la base de fausses déclarations, puis à retenir ces témoins après que la Cour a constaté des contraventions qui invalideraient leur convocation. Les demanderesses ont accusé la Cour d’avoir nui à leur capacité d’exposer adéquatement leur cause, puisqu’elle avait eu recours aux résumés des témoignages anticipés comme un « moyen de droit pour exclure la preuve pertinente admissible ». Cette affirmation est fausse, mais elle révèle que les demanderesses n’avaient pas, dans les résumés des témoignages anticipés des huit témoins déjà convoqués, communiqué l’information en conformité aux normes synoptiques, qu’elles veulent maintenant introduire en preuve afin d’exposer adéquatement leur cause. Elles ont confirmé leur propre contravention, qu’elles ont ensuite confirmée à nouveau d’autres façons. D’abord, les demanderesses ont eu amplement l’occasion de remédier à ces contraventions et fausses déclarations avant que les témoins soient radiés, et elles ont été pleinement informées des conséquences si elles ne confirmaient pas que leurs témoins avaient été convoqués conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés. L’issue qui a été présentée aux demanderesses était la conséquence inévitable qui s’est manifestée en 2004. C’était en fait le retour à la situation qui existait en 2004, lorsque les témoins des demanderesses ont été radiés après qu’elles avaient contrevenu à une ordonnance de la Cour portant sur les résumés des témoignages anticipés. Il ne faut pas oublier que la Cour instruit deux actions distinctes. Dans le dossier T-66-86A, la bande de Sawridge n’a pas convoqué de témoin, donc aucun de ses témoignages n’a été exclu. Concernant ses témoins profanes, nous sommes simplement revenus à la situation dans laquelle ils se trouvaient en 2004, lorsqu’ils ont été radiés la première fois en attendant que des résumés des témoignages anticipés conformes à la norme soient produits. La bande de Sawridge a affirmé dans sa réponse PL20 que tous ses résumés des témoignages anticipés seraient jugés non conformes. Donc, il s’ensuivait automatiquement un retour à la situation de 2004. C’est seulement la Première Nation Tsuu T’ina qui avait convoqué des témoins dans le dossier T‑66-86B et qui devait confirmer que la communication était conforme aux décisions et jugements de la Cour, de sorte que le dossier de preuve puisse demeurer intact.

 

  • [93] En ce qui concerne les témoins non convoqués, les demanderesses elles‑mêmes, dans leur réponse PL20, ont indiqué [traduction] « nous devons déterminer si nous convoquerons tous les témoins nommés ci-dessus ». Donc, tous les témoins futurs avaient été proposés seulement et avaient le même statut que les témoins radiés en 2004 par suite des ordonnances de la Cour, que les demanderesses n’ont pas contestées. Comme en 2004, les demanderesses ont eu l’occasion de convoquer les témoins pour lesquels elles avaient produit des résumés des témoignages anticipés qui répondaient aux normes synoptiques de communication. Mais après avoir informé la Cour que leurs résumés étaient conformes aux normes de communication, dès qu’elles ont réalisé qu’elles devaient démontrer la véracité de cette « position », elles ont fait savoir que tous les résumés des témoins futurs seraient jugés non conformes. Elles n’ont pas consenti à la concession de la Cour de traiter l’information communiquée en conformité aux normes en tant que communication conforme du témoignage que livrerait un témoin. Il serait tout à fait incohérent si les témoins radiés en 2004 pour une communication non conforme étaient convoqués au procès, en contravention des ordonnances et décisions de la Cour exigeant une communication conforme aux normes synoptiques. En radiant les témoins, la Cour agissait uniquement en conformité avec ses décisions et jugements antérieurs et selon un processus que les demanderesses avaient accepté depuis longtemps.

 

Incidence

 

  • [94] Les demanderesses affirment avoir été empêchées de « produire une preuve pertinente, probatoire et corroborante » :

Cela, bien entendu, aura un effet préjudiciable sur la capacité des demanderesses de prouver leur cause. Nous soutenons aussi respectueusement que cela empêchera les demanderesses d’exposer adéquatement leur cause et aura pour effet de rendre le procès inéquitable.

 

 

  • [95] Il ne fait aucun doute que les demanderesses auraient pu retenir leurs témoins profanes simplement en confirmant leur conformité aux exigences de communication des résumés des témoignages anticipés de la façon ordonnée par la Cour. Puisqu’il n’y a aucune raison ou excuse pour laquelle les demanderesses ont contrevenu à ces exigences ou n’ont pas présenté la confirmation ordonnée par la Cour, elles sont les seules responsables de la radiation d’une preuve quelconque.

 

  • [96] Les demanderesses ont confirmé, comme consigné au dossier, que les règles régissant les résumés des témoignages anticipés et les décisions de la Cour relatives aux pièges, qui renvoyaient à ces résumés, ne les empêcheraient pas de prouver leur cause. Elles ont rejeté ces règles au seul motif qu’elles « compromettent » leur capacité à exposer leur cause, bien qu’elles n’aient pas fourni d’explication de cette position ni de justification dans le présent contexte, et elles n’ont pas expliqué l’incompatibilité avec leur assurance antérieure qu’elles avaient exposé leur cause dans leurs résumés des témoignages anticipés en conformité aux règles et qu’elles souhaitaient procéder de cette façon.

 

  • [97] Donc, en définitive, les demanderesses ont décidé de ne pas fournir l’assurance de conformité ordonnée par la Cour et ont plutôt affirmé, sans explication et justification, que les règles régissant les résumés des témoignages anticipés compromettaient leur capacité à exposer leur cause, bien qu’elles ne les aient pas empêchées de prouver leur cause.

 

  • [98] Lorsque la Cour a demandé aux demanderesses, le 7 juillet 2007, d’expliquer pourquoi leurs résumés des témoignages anticipés n’étaient pas conformes et en quoi ils ne leur permettaient pas d’exposer adéquatement leur cause, elles ont refusé de fournir des explications et ont privé la Cour de la possibilité de déterminer si leur assertion était véridique et à quel degré.

 

  • [99] En refusant d’expliquer pleinement l’applicabilité de ce concept aux faits en l’espèce ou de justifier son impact sur leur capacité de prouver leur cause, les demanderesses ont délibérément privé la Cour de la possibilité d’apprécier l’incidence des règles régissant les résumés des témoignages anticipés et d’évaluer l’effet de ses décisions sur leur capacité à exposer leur cause devant la Cour. Elles ne peuvent donc en toute légitimité s’attendre à ce que la Cour accepte maintenant qu’il existe un motif précis pour leur décision de ne pas retenir ou convoquer leurs témoins profanes conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, puis de clore leur cause.

 

  • [100] En refusant de retenir ou de convoquer des témoins conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés et en mettant fin à leur cause, les demanderesses ont privé la Cour de tous moyens de déterminer si les règles ou la radiation de leurs témoins peuvent avoir ou auront une incidence sur leur capacité de prouver ou d’exposer leur cause. Elles répondent tout bonnement [traduction] « évidemment » cela aura un « effet préjudiciable » sur leur capacité de prouver leur cause et les empêchera de l’exposer adéquatement, quel que soit ce qu’elles entendent par là.

 

  • [101] Pourtant, il n’y a rien d’évident à cela. Les témoins profanes des demanderesses ont été exclus parce qu’elles refusaient de présenter leur preuve conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés. C’est le choix qu’elles ont fait. Ayant refusé de donner l’explication et l’information que demandait la Cour afin d’évaluer l’effet des règles régissant les résumés des témoignages anticipés et de ses décisions sur leur capacité à exposer leur cause, les demanderesses ont maintenant privé la Cour de la possibilité d’évaluer l’incidence de la radiation de leurs témoins profanes sur leur capacité de prouver ou d’exposer leur cause.

 

  • [102] Si les témoignages d’histoire orale exclus revêtent l’importance que les demanderesses leur attribuent présentement, il est alors invraisemblable qu’elles choisissent d’exclure leurs témoins dans une situation où, comme elles le disent, la conformité aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés leur aurait permis de prouver leur cause. Tout ce qu’elles devaient faire pour retenir ou convoquer leurs témoins profanes était de confirmer leur position et de donner une assurance de leur conformité à la Cour, comme elle le leur demandait. Les demanderesses n’ont pas expliqué pourquoi elles n’ont pas confirmé à la Cour leur « position », à savoir qu’elles avaient rempli les exigences de communication fixées par la Cour et dans la forme qu’elle avait prescrite, pour ensuite retenir et convoquer des témoins de cette façon. Elles n’ont pas expliqué pourquoi les règles régissant les résumés des témoignages anticipés, qui leur avaient permis de présenter leur cause comme elles le souhaitaient en 2004‑2005, avaient en quelque sorte nui à leur capacité d’exposer leur cause au procès en 2007.

 

  • [103] En ce qui concerne les huit témoins qui ont déjà été convoqués, l’offre d’une assurance de conformité aux décisions précédentes de la Cour aurait servi à maintenir intact le dossier de preuve dans sa forme à ce temps-là. Au lieu de maintenir intact le dossier, les demanderesses ont choisi de préserver leur « position », à savoir qu’il n’y avait pas de rapport entre les résumés des témoignages anticipés et la preuve au procès, ainsi que leur « position », de toute évidence intenable, qu’elles avaient produit des résumés conformes aux normes pour tous leurs témoins. Libre à elles de faire ce choix.

 

  • [104] Concernant les témoins qui devaient être convoqués à l’avenir mais qui ne l’ont pas été, encore une fois, il revenait entièrement aux demanderesses de faire ce choix. En l’espèce cependant, les demanderesses ont fait savoir à la Cour que tous leurs résumés des témoignages anticipés étaient conformes puis, dans leur réponse PL20, ont informé la Cour que [traduction] « suivant les décisions antérieures prises par la Cour durant le procès d’exclure des témoignages, nous croyons que la Cour jugera que les résumés des témoignages anticipés pour tous les témoins profanes futurs ne seront pas conformes ». Les demanderesses ont ajouté qu’elles avaient l’intention de convoquer divers témoins nommés, mais qu’elles [traduction] « se demandaient si elles devaient convoquer tous les témoins nommés ci-haut ». Il n’y avait donc aucune indication claire de l’identité des témoins, ou de leur nombre, que les demanderesses comptaient convoquer, ni s’ils seraient convoqués en conformité aux ordonnances de la Cour relatives aux résumés des témoignages anticipés.

  • [105] L’assertion dans la réponse PL20 que la Cour jugerait les résumés des témoignages anticipés non conformes a confirmé l’avis signifié auparavant par M. Molstad à la Cour que les demanderesses avaient produit des résumés qui n’étaient pas conformes aux normes synoptiques de communication. Toutefois, le paragraphe 8 de l’ordonnance de la Cour du 9 août 2007 ne demandait pas aux demanderesses de confirmer leur manquement pour ensuite pouvoir convoquer leurs témoins. Il était indiqué au paragraphe 8, que les témoins devraient être convoqués suivant l’engagement des demanderesses de se conformer aux règles de communication des résumés des témoignages anticipés :

[Traduction] 8.  Tous les autres témoins profanes que les demanderesses sont présentement autorisées à convoquer sont radiés et ne seront pas convoqués à moins et jusqu’à ce que les demanderesses démontrent, à la satisfaction de la Cour avant leur convocation, que les résumés des témoignages anticipés de ces témoins divulguent la teneur de leur témoignage, conformément aux normes fixées par la Cour.

 

  • [106] Pour satisfaire à cette exigence, tout ce que les demanderesses devaient faire, c’était confirmer l’exactitude de leur assertion que tous leurs résumés des témoignages anticipés étaient conformes aux normes, c’est-à-dire selon la définition de la Cour (et non comme l’entendaient les demanderesses). Donc, dès qu’il était apparent aux yeux des demanderesses que la Cour examinerait à l’avenir leurs résumés des témoignages anticipés pour s’assurer qu’elles avaient rempli leur engagement en matière de conformité, elles ont fait savoir à la Cour que si elle procédait à cet examen, elle conclurait que tous les résumés n’étaient pas conformes. Les demanderesses n’ont pas expliqué pourquoi la Cour conclurait que les résumés laissaient à désirer, si l’on suppose que leur « position » sur la conformité était correcte.

 

  • [107] Mais ce qui est encore plus important, c’est que le paragraphe 8 ne demandait pas de reconnaître la non‑conformité, mais de donner un avis des témoins qui seraient convoqués selon le mode conforme. La conformité pouvait être atteinte de deux façons. D’abord, les résumés des témoignages anticipés seraient jugés conformes puisque, lorsqu’ils avaient été produits initialement, ils précisaient la teneur des témoignages en conformité aux normes (les demanderesses ont confirmé qu’aucun de leurs résumés ne le faisait). Deuxièmement, les résumés seraient jugés conformes (comme l’avait avait autorisé la Cour pour permettre aux demanderesses de convoquer leurs témoins profanes) puisque leur contenu serait considéré comme une divulgation conforme aux normes fixées, de sorte que la Couronne puisse se préparer et mener les contre-interrogatoires. Les demanderesses n’ont pas confirmé leur conformité à l’un ou l’autre égard. Elles ont plutôt confirmé leur non‑conformité et ont ajouté ce qui suit :

[Traduction] Nous reconnaissons cependant que les règles en matière de preuve de la Cour lient les demanderesses, et le résumé du témoignage anticipé de chaque témoin constitue donc la divulgation du témoignage qu’il livrera.

 

  • [108] Ce faisant, les demanderesses n’ont pas pris la main que leur tendait la Cour. Elles ont plutôt réitéré leur interprétation erronée des décisions de la Cour, sur laquelle elles s’étaient fondées pour leur requête en annulation du procès. Si la Cour devait accepter cela comme une attestation de la conformité au paragraphe 8, elle devrait aussi accepter l’interprétation erronée des demanderesses de ses décisions antérieures, selon laquelle la Cour avait utilisé les résumés des témoignages anticipés comme une norme de preuve pour limiter [traduction] « la teneur des témoignages autorisés des témoins ». La Cour a porté ce problème à l’attention des demanderesses dans leur réponse, mais n’a reçu aucune assurance ou clarification.

 

  • [109] La « teneur autorisée des témoignages » n’est pas limitée par l’information communiquée dans le résumé du témoignage anticipé d’un témoin particulier. Les résumés n’entrent en ligne de compte que lorsque l’autre partie soulève une objection en raison d’un piège. Même lorsqu’une telle objection est soulevée, les demanderesses peuvent renvoyer la Cour à n’importe quelle partie du dossier pour montrer qu’un piège véritable ne peut raisonnablement avoir été dressé.

 

  • [110] Par conséquent, en faisant une telle assertion, les demanderesses ont refusé l’aide offerte par la Cour et ont plutôt réitéré leur accusation injustifiée portée contre la Cour, à savoir qu’elle avait utilisé les résumés des témoignages anticipés en tant que règle d’exclusion pour limiter ce qu’un témoin « serait autorisé à témoigner ».

 

  • [111] La Cour a statué qu’un témoin peut témoigner sur tout ce qui est pertinent pour les plaidoiries. Si un piège n’est pas dressé, il importe peu que le résumé du témoignage anticipé de ce témoin y fasse allusion ou non.

 

  • [112] La Cour n’accepte pas qu’une telle assertion constitue la réponse qu’elle avait demandée au paragraphe 8 de sa directive.

 

  • [113] Il n’y a pas d’erreur possible quant à l’intention des demanderesses car, durant la conférence téléphonique du 4 septembre 2007 qui a précédé l’audience, la Cour a justement porté ce problème à l’attention des demanderesses. Tout d’abord, la Cour leur a fait savoir que leur réponse au paragraphe 8 n’était pas satisfaisante.

[Traduction] Je tiens à préciser que la réponse écrite ne correspond pas avec celle qui était attendue au paragraphe 8. Les demanderesses doivent lire le paragraphe 8 attentivement et décider si elles peuvent se conformer à la directive, car si elles convoquent des témoins sans suivre le mode précisé, elles peuvent s’attendre à d’autres sanctions financières.

 

  • [114] Durant cette conférence téléphonique, la Couronne a aussi dit aux demanderesses : [traduction] « nous estimons que les paragraphes 7 et 8 ne sont pas conformes à votre ordonnance ».

 

  • [115] La Cour a ensuite informé les demanderesses de certaines préoccupations préliminaires découlant de leur réponse au paragraphe 8 et leur a indiqué le mode à suivre pour convoquer d’autres témoins à l’avenir et qu’elles devaient démontrer en quoi chaque résumé d’un témoignage anticipé était conforme. La Cour a ensuite donné les précisions suivantes :

[Traduction] Voici la deuxième déclaration préliminaire significative faite par les demanderesses (cité textuellement) :

 

« Nous reconnaissons cependant que les règles en matière de preuve de la Cour lient les demanderesses, et le résumé du témoignage anticipé de chaque témoin constitue donc la divulgation du témoignage qu’il livrera. »

 

De toute évidence, ce n’est pas ce sur quoi porte le paragraphe 8. Ce qu’un témoin est autorisé à dire dans son témoignage est fonction d’un grand nombre de facteurs que la Cour a précisé dans ses décisions et sera déterminé en fonction de chaque objection soulevée.

 

Par contre, le paragraphe 8 précise qu’avant que les demanderesses puissent convoquer d’autres témoins à l’avenir, en raison de leur réponse insatisfaisante pour aider la Cour à démêler les contradictions passées, elles devront démontrer que le résumé du témoignage anticipé d’un témoin particulier est conforme aux ordonnances antérieures de la Cour relatives aux normes et à l’engagement – il ne s’agit pas d’options facultatives – que les demanderesses ont confirmé dans leurs engagements et assurances antérieurs auprès de la Cour qu’il y avait conformité.

 

Donc, j’imagine – je m’attendais à ce que les demanderesses produisent des résumés des témoignages anticipés attendus et démontrent en quoi ils sont conformes aux normes et aux assurances données, dont nous examinerons maintenant quelques exemples afin de ne pas rester dans les généralités. J’anticipe que les demanderesses essaieront de me montrer comment chaque résumé divulgue ce qu’un témoin compte dire, conformément aux normes synoptiques établies par la Cour.

 

 

  • [116] Donc, répétons que les demanderesses ont été pleinement informées des lacunes dans leur réponse. La Cour leur a aussi fait savoir (bien que de façon préliminaire seulement) que leur réponse était insuffisante et qu’elles devaient faire preuve de prudence. La Cour s’attendait à ce qu’elles convoquent leurs témoins afin de pouvoir les qualifier conformément aux décisions et jugements antérieurs de la Cour portant sur la conformité des résumés des témoignages anticipés.

 

  • [117] Pourtant, les demanderesses n’ont tenu compte d’aucune de ces directives. Elles ont refusé la main qui leur était tendue et, encore une fois, elles ont voulu jouer sur les deux tableaux. Elles voulaient convoquer de nouveaux témoins en sachant que leurs résumés des témoignages anticipés étaient lacunaires, mais sans cependant modifier leur opposition catégorique aux règles régissant les résumés ou sans accepter que l’information présentée dans un résumé donné, en conformité aux règles de communication, serait utilisée par la Couronne pour se préparer à mener les contre-interrogatoires.

  • [118] C’est ce qu’ont choisi les demanderesses. Elles ont reçu suffisamment d’avertissement et d’encouragement pour procéder en conformité aux règles et pour comprendre ce qui clochait dans leur réponse PL20.

 

  • [119] Durant toute la période, les demanderesses pouvaient librement retenir les témoins convoqués et convoquer tous les autres témoins qui auraient aidé leur cause, si elles se conformaient aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés. Mais elles ont choisi de rejeter ces règles, et les conséquences inévitables leur ont été expliquées à l’avance. Ayant reçu énormément d’aide et un préavis suffisant pour remédier à leur réponse PL20 inadéquate, sans mentionner les avertissements de la Cour de faire preuve de prudence, les demanderesses n’ont donné aucune indication qu’elles entendaient se conformer et présenter une réponse qui aurait offert à la Cour l’assurance de leur conformité, comme elle l’avait ordonné. En fait, elles ont maintenu leur opposition catégorique aux règles régissant les résumés et leur position qu’elles procéderaient en contravention des décisions et jugements de la Cour – sans mentionner de leurs propres engagements – comme elles l’avaient fait pour convoquer leurs témoins profanes.

 

  • [120] Concernant tout témoin futur, la Cour ne dispose d’aucune preuve que leur témoignage aurait été pertinent ou admissible à un égard quelconque, et il n’existait aucune preuve que la Couronne aurait contesté le témoignage de futurs témoins. La Cour avait clairement indiqué dans ses décisions qu’elle prendrait seulement en considération les objections sur une base individuelle et qu’elle ne prononcerait pas d’exclusion générale en fonction des résumés des témoignages anticipés.

 

  • [121] Il importe de se rappeler que l’issue de la requête en annulation du procès n’a eu aucune incidence sur la capacité des demanderesses d’exposer leur cause. Elles se sont vu imposer des sanctions pécuniaires par suite de leur conduite abusive, mais la Cour a fait savoir qu’elle voulait entendre l’affaire sur le fond et leur avait simplement demandé de respecter les règles. Le respect des règles n’aurait eu aucun effet sur la capacité des demanderesses d’exposer adéquatement ou de prouver leur cause, si leur « position » quant à la conformité des résumés des témoignages anticipés avait été correcte. La Cour leur a simplement demandé de confirmer leur position de manière à préserver tous les témoins convoqués et à convoquer à l’avenir les témoins qu’elles souhaitaient convoquer. Les demanderesses ont vu leurs témoins radiés parce qu’elles ont refusé de fournir une confirmation, selon le mode demandé par la Cour, de leur position quant à la conformité, comme le demandait la Cour, afin de dissiper les ambiguïtés entourant leur « position ». Lorsque la Cour a imposé les conditions 6, 7 et 8 dans son ordonnance du 9 août 2007, elle l’a fait après avoir obtenu l’engagement des demanderesses que tous leurs résumés des témoignages anticipés seraient conformes. Ces conditions ne visaient pas à tromper les demanderesses. Il s’agissait plutôt d’une réponse à l’engagement que les demanderesses avaient pris envers la Cour, qui leur avait simplement demandé de confirmer leur « position » d’une manière acceptable à la Cour. Les demanderesses n’ont pas été appelées à porter un nouveau fardeau accablant. Essentiellement, le paragraphe 7 demandait aux demanderesses de confirmer que si elles avaient respecté les normes synoptiques de la communication des résumés des témoignages anticipés (comme elles s’étaient engagées à le faire envers la Cour), alors l’information communiquée en conformité à ces normes serait la teneur du témoignage d’un témoin aux fins de la préparation et des contre-interrogatoires de la Couronne. De même, le paragraphe 8 visait essentiellement à faire sorte que l’ensemble des résumés des témoignages anticipés respecte les normes synoptiques (comme les demanderesses l’ont confirmé), alors elles n’auraient eu aucune difficulté à le démontrer à la Cour lorsque chaque témoin comparaîtrait. L’avis et les assurances de conformité demandés par la Cour visaient simplement à ce que les demanderesses confirment ou démontrent leur propre « position » touchant la communication conforme des résumés des témoignages anticipés. Quoi qu’il en soit, les demanderesses n’ont pas accepté de confirmer ou de démontrer leur « position », même après avoir été informées des conséquences si elles refusaient de présenter à la Cour ce qu’elle avait demandé. De fait, elles ont contredit leur propre position et ont affirmé : [traduction] « Nous nous attendons à ce que les résumés des témoignages anticipés pour les prochains témoins profanes seront jugés non conformes par la Cour ». De plus, elles n’ont pas fourni l’avis demandé.

 

  • [122] La réponse PL20 des demanderesses était révélatrice de l’approche équivoque qu’elles ont adoptée devant la Cour. Les demanderesses n’ont pas tenu compte du paragraphe 7 de son ordonnance du 9 août 2007 et n’ont pas hésité à affirmer qu’elles s’attendaient à ce que [traduction] « les résumés des témoignages anticipés de futurs témoins profanes seront jugés non conformes par la Cour ». Pourtant, au paragraphe 26 de leur récente réponse aux requêtes en dépens majorés déposés par la Couronne et les intervenants, les demanderesses renvoient à l’échange suivant :

[Traduction] LA COUR :  Oui, d’après ce que vous dites, je tiens seulement à clarifier un point, monsieur Molstad. Dans vos observations écrites, vous mentionnez deux normes : la norme synoptique, à laquelle vous dites que vous vous êtes conformé et, faute d’une expression plus juste, la norme globale explicite. Lorsque vous mentionnez la norme synoptique, est-ce que vous entendez celle que la Cour a fixée en 2004? Vous dites que ce sont les normes auxquelles vous vous êtes conformé?

 

M. MOLSTAD :  Oui.

 

LA COUR :  D’accord. Il ne s’agit pas d’une norme synoptique distincte qui à votre avis aurait dû être appliquée. Vous dites que vous vous êtes conformé aux normes fixées par la Cour?

 

M. MOLSTAD :  Oui, c’est exact.

 

LA COUR :  Merci, monsieur Molstad.

 

Transcription du 24 juillet 2007, 78 : 13 – 79 : 7 [onglet 21]

 

Toute personne raisonnable lisant cet échange aurait compris que les demanderesses confirmaient que leurs résumés des témoignages anticipés répondaient aux normes synoptiques de communication fixées par la Cour en 2004. S’il en était ainsi, alors les demanderesses n’éprouveraient aucun problème à « exposer adéquatement leur cause », car la Couronne ne pourrait maintenir une objection pour cause de piège. Donc, les demanderesses n’auraient eu aucun problème à fournir les assurances demandées dans l’ordonnance de la Cour du 9 août 2007. De plus, si ce que ce passage révèle est vrai, alors pourquoi M. Molstad a-t-il confirmé à la Cour que certains résumés des témoignages anticipés ne précisaient pas la teneur des témoignages des témoins en conformité aux normes synoptiques? Et si c’est ce que les demanderesses entendent par la conformité aux normes synoptiques, pourquoi ont-elles tenté de mettre de l’avant le concept de « meilleurs efforts »? Aucune explication plausible de ces incohérences et de certaines préoccupations fondamentales n’a été fournie. La position que les demanderesses ont adoptée devant la Cour sur ces questions est équivoque et vague.

 

  • [123] Les demanderesses ne semblent avoir aucune réticence à affirmer qu’elles se sont conformées aux normes synoptiques et, simultanément, que la Cour jugera que leurs résumés des témoignages anticipés ne sont pas conformes à ces normes.

 

  • [124] Cela est inacceptable. Les demanderesses ont tout bonnement insisté pour procéder malgré les incohérences et ambiguïtés fondamentales au dossier. Elles veulent jouer sur les deux tableaux.

 

  • [125] Bien que les demanderesses soulignent l’importance de la preuve historique orale qui a été exclue en clôturant leur cause à ce stade, elles n’ont pas expliqué à la Cour pourquoi elles refusaient de confirmer la conformité des résumés des témoignages anticipés et de convoquer les témoins en conformité à leur « position ». Rien ne les empêchait de retenir et de convoquer leurs témoins profanes suivant leur « position » sur la conformité, à condition qu’elles confirment cette position de la façon ordonnée par la Cour. Elles n’ont mentionné aucune confusion à propos de ce que la Cour leur avait ordonné de faire. Elles ont tout simplement refusé de confirmer ou de démontrer la conformité selon le mode demandé par la Cour ou de n’importe quel autre mode. L’absence d’explication signifie qu’il ne peut y avoir de cohérence à leur assertion qu’elles mettent fin à leur cause parce que la Cour les a empêchées de présenter la preuve comme elles l’entendaient.

 

  • [126] La « position » continue des demanderesses, malgré toute la preuve du contraire, à savoir que tous leurs résumés des témoignages anticipés répondaient aux normes synoptiques de communication établies par la Cour, confirme l’exigence préliminaire qu’elles doivent produire un résumé qui satisfait aux normes synoptiques pour chaque témoin qu’elles convoquent. La fausseté de cette « position » tient au fait que si l’exigence préliminaire est satisfaite, alors le lien entre les normes de communication et la preuve au procès ne soulève aucune difficulté. De fait, si l’exigence préliminaire est satisfaite, alors les demanderesses ne peuvent être astreintes à présenter la preuve au procès suivant les façons qu’elles allèguent. Elles ne peuvent avoir été « empêchées » ou leur capacité à exposer adéquatement leur cause, encore moins à prouver leur cause, ne peut avoir été « compromise ». Mais encore une fois, au lieu de renoncer à cette fausseté lorsqu’elle leur a été signalée, elles ont tout simplement insisté pour que la Cour les autorise à jouer sur les deux tableaux. Elles insistent pour dire qu’elles ont satisfait aux normes synoptiques de communication mais, en même temps, elles soutiennent que leur capacité à exposer leur cause a été compromise, puisque la Cour a exclu les témoignages qui n’ont pas été communiqués en conformité à ces normes. Les demanderesses sont conscientes de cette fausseté, car dès qu’elle leur a été signalée, elles ont modifié leur position et ont accusé la Cour d’avoir appliqué une norme « contraignante et explicite » dans ses conclusions relatives au piège afin d’exclure les témoignages. Il s’agit d’une accusation grave que la Cour ne déclarait pas et dissimulait des faits dans ses décisions afin d’exclure la preuve pertinente, ce qui a été contesté dans la récente requête en adjudication des dépens déposée par la Couronne et les intervenants. Il est pourtant révélateur que la démarche des demanderesses à l’égard de ces actions, afin d’éviter de reconnaître la fausseté de leur « position », consiste tout simplement à accuser la Cour de détours clandestins et masqués, sans toutefois essayer de corroborer leur accusation. Même à présent, elles ont mis fin à leur cause sans avoir fourni d’explication de leur accusation injustifiée, et elles s’attendent que leurs assertions concernant les répercussions soient acceptées comme « évidentes ».

 

  • [127] Somme toute, les demanderesses ont tout simplement refusé de mener les présentes actions selon les règles régissant les résumés des témoignages anticipés, qu’elles avaient pourtant confirmées et utilisées auparavant à leur avantage au procès. Elles ont même choisi de faire radier leurs témoins profanes au lieu de les retenir ou convoquer en conformité aux règles. Voilà une conséquence que la Cour les avait encouragées à éviter en proposant une façon de contourner le problème et en leur demandant de faire preuve de circonspection dans leur réponse à son ordonnance du 9 août 2007. Mais tout cela a été en vain. Les demanderesses ont choisi de continuer à contrevenir aux normes de communication et à rejeter les règles régissant les résumés des témoignages anticipés, même si au lieu de mettre au clair leur choix, elles ont déclaré que leur réponse PL20 « avait répondu correctement aux questions soulevées par la Cour dans ses motifs corrélatifs à l’ordonnance du 9 août 2007 ».

 

  • [128] Bien entendu, une réponse correcte ne correspond pas nécessairement à celle demandée ou ordonnée par la Cour. Dans ce contexte, cela semble signifier une réponse qui préserve la position des demanderesses sur la conformité de la communication et leur rejet de tout lien entre les résumés des témoignages anticipés et la preuve au procès.

 

  • [129] Mais ce qui ressort clairement, c’est que la réponse PL20 des demanderesses n’a pas fourni la confirmation et les assurances que la Cour avait ordonnées aux demanderesses de fournir afin de pouvoir retenir et convoquer leurs témoins profanes.

 

  • [130] En fin de compte, les demanderesses ont choisi de faire radier leurs témoins au lieu d’accepter les règles régissant les résumés des témoignages anticipés. Libre à elles de faire ce choix, mais il fait toute la lumière sur leur décision de clore leur cause sans convoquer d’autres témoins. Les demanderesses ont à leur disposition une vaste gamme d’éléments de preuve, qu’elles refusent maintenant de présenter, notamment les extraits des transcriptions de la communication préalable à la première instruction des présentes actions, les extraits des transcriptions de la communication préalable à la nouvelle instruction, les témoignages d’experts et la preuve de la première instruction de la présente instance.

 

  • [131] Suivant de près leur décision de bafouer les règles régissant les résumés des témoignages anticipés pour leurs témoins profanes, les demanderesses ont maintenant décidé de mettre fin à leur cause et d’abandonner la présente instance, si les règles régissant les résumés doivent être appliquées à leurs témoins profanes. Cette décision est problématique pour diverses raisons, et non la moindre est qu’elles avaient donné une assurance à la Cour et aux autres parties qu’elles acceptaient les règles régissant les résumés et voulaient procéder de la sorte. En l’absence d’explication et de justification complètes et cohérentes, les raisons qu’elles ont exposées devant la Cour pour clore leur cause demeurent non convaincantes et non confirmées.

 

 

  • [132] Les demanderesses ont tenté à diverses reprises d’échapper aux conséquences des décisions de la Cour relatives aux résumés des témoignages anticipés et de rétracter leurs positions antérieures devant la Cour. Les plus importantes sont la requête en partialité et la requête en annulation du procès. Elles en sont maintenant à un point où au lieu de poursuivre l’instance en respectant leurs engagements antérieurs, elles ont mis fin à l’instance afin de demander une nouvelle instruction devant la Cour d’appel.

 

  • [133] Lorsqu’on analyse l’ensemble du contexte, il est évident que les demanderesses ont conclu qu’elles ne souhaitaient pas procéder en se conformant aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés et en respectant leurs engagements et assurances faits auparavant devant la Cour, à savoir qu’elles avaient confirmé ces règles et voulaient procéder de cette façon. Cela signifie également que les raisons qu’elles mettent maintenant de l’avant pour clore leur cause ne peuvent être acceptées par la Cour en l’absence d’explication et de justification cohérentes.

 

  • [134] La capacité des demanderesses de prouver leur cause, ou même leur intérêt à le faire, soulève des préoccupations depuis à tout le moins la requête en annulation du procès déposée en avril 2007, lorsqu’elles ont allégué que les décisions de la Cour relatives au piège [traduction] « avaient privé les demanderesses de la possibilité d’exposer adéquatement leur cause ». Lorsqu’elles ont présenté leur réponse PL20, les demanderesses ont fait savoir que l’exclusion de la preuve pertinente par suite des décisions de la Cour avait [traduction] « compromis leur capacité à exposer adéquatement leur cause ».

 

  • [135] Maintenant, en mettant fin à leur cause, elles affirment que l’exclusion de leurs témoins profanes [traduction] « aura un effet préjudiciable sur leur capacité de prouver leur cause » et, en outre, qu’elle « les empêchera d’exposer adéquatement leur cause ».

 

  • [136] Il ne faut pas oublier que ce sont les demanderesses qui ont soulevé en premier les questions de l’incidence devant la Cour, lorsqu’elles se sont plaintes que ses décisions, fondées sur les règles régissant les résumés des témoignages anticipés, compromettaient en quelque sorte leur capacité d’exposer leur cause devant la Cour. Mais lorsque la Cour leur a demandé d’expliquer des incohérences et de démonter ou de justifier les positions qu’elles avaient adoptées sur ces questions, elles ont tout simplement refusé de coopérer et ont de fait défié une directive spécifique de la Cour les sommant de lui présenter les renseignements dont elle avait besoin pour évaluer leurs assertions à propos de l’incidence des décisions de la Cour sur la preuve et leur capacité d’exposer leur cause. Les assertions des demanderesses à propos de l’incidence ne peuvent être acceptées tacitement puisqu’elles n’ont pas présenté d’explications après avoir été sommées de le faire et avoir fait obstacle aux tentatives de Cour d’évaluer cette incidence.

 

  • [137] En mettant fin à leur cause, les demanderesses n’ont toujours pas fait ce que la Cour leur avait demandé de faire à cet égard et ont choisi de ne pas corriger les incohérences et de maintenir leurs assertions et positions, qu’elles ne sont pas prêtes à justifier de quelque façon que ce soit.

 

  • [138] Il n’y a rien devant notre Cour pour justifier ou vérifier l’une ou l’autre position que les demanderesses ont adoptée relativement à l’incidence des décisions de la Cour que ce soit sur leur capacité de prouver ou d’exposer leur cause. En fait, en clôturant leur cause à ce temps‑ci, les demanderesses évitent tout bonnement de fournir des explications relatives à l’incidence, que la Cour leur avait demandées auparavant. Sans avoir la possibilité d’évaluer objectivement la récente décision des demanderesses de clore leur cause, j’estime que cette décision est en outre compatible avec les autres objectifs que les demanderesses ont mentionnés à l’occasion (par exemple, leur souhait d’éviter les conséquences des décisions et jugements de la Cour, comme le démontrent la requête en partialité et la requête en annulation du procès, et de recommencer sans les contraintes découlant de ces décisions et jugements) et avec les questions de preuve restrictives qu’elles ont citées à titre de justification.

 

  • [139] En l’absence d’explication satisfaisante des incohérences et de l’obstruction qui ont caractérisé la position des demanderesses sur les résumés des témoignages anticipés, et sans un compte rendu de l’effet du témoignage des témoins profanes sur leur capacité de prouver ou d’exposer leur cause, compte tenu des divers éléments de preuve que les demanderesses prévoyaient présenter à la Cour, comme elles l’en avaient informée, la Cour ne dispose que d’une autre « position » non justifiée sur l’incidence, qu’elles ont adoptée pour justifier l’abandon de leur cause à ce stade et pour demander une nouvelle instruction, malgré les nombreuses prorogations de délai et autres concessions qu’elles ont obtenues afin d’éviter les genres de problèmes posés en l’espèce.

 

  • [140] En définitive, tout ce qui reste à la Cour est une autre « position » inexpliquée et injustifiée en l’espèce, où les incohérences les demanderesses et l’absence de justification ont causé un important problème procédural et où la Cour a été obligée de leur ordonner de renoncer à une telle conduite et a adjugé des dépens majorés contre elles pour les inciter à le faire. C’est du pareil au même.

 

  • [141] Les demanderesses ont clairement fait savoir que lorsqu’elles revendiquent une « position » devant la Cour, il se peut que cette position ne puisse être nécessairement conciliée avec le dossier ou leurs autres positions. Quelques exemples pertinents pour la question des résumés des témoignages anticipés illustreront les difficultés que cela a causées à la Cour dans son évaluation de leur dernière décision de clore leur cause et des raisons avancées pour ce faire.

    1. L’avocat des demanderesses (M. Healey, corroboré par Mme Twinn) a déclaré sous serment comme témoin pour les demanderesses que le juge de l’instance avait eu « des apartés avec la Couronne en vue de la mise au rôle d’une requête sommaire présentée par les demanderesses, dans le but de faire obstacle à l’allégation principale des demanderesses dans la présente instance [...] », et qu’il y avait en quelque sorte eu collusion entre le juge de l’instance et la Couronne pour que les demanderesses n’aient pas le temps voulu pour achever leurs résumés des témoignages anticipés : « il exerçait de la pression sur nous et en avait conscience, et il savait que vous et les avocats adverses exerciez de la pression sur nous ».

 

La vérification des faits au dossier confirme que les demanderesses ont obtenu le délai qu’elles avaient demandé pour achever leurs résumés des témoignages anticipés et elles ont été extrêmement vexées lorsque Mme Eberts de l’Association des femmes autochtones du Canada a fait savoir qu’elle avait besoin de plus de temps pour achever ses résumés. Les demanderesses ont insisté pour maintenir l’échéance du 14 décembre 2004.

 

L’explication avancée pour cette grave divergence était qu’elle était accidentelle et involontaire.

 

  1. En 2004, les demanderesses ont assuré à la Cour et aux autres parties que leurs résumés des témoignages anticipés « répondent à toutes les exigences, monsieur le juge, que vous avez fixées. De fait, ils vont au-delà et sont extrêmement détaillés ».

 

Au procès en 2007, l’avocat des demanderesses a confirmé à la Cour que certains de leurs résumés des témoignages anticipés qu’il avait examinés présentaient [traduction] « certainement des lacunes dans la teneur des témoignages des témoins » par rapport aux normes synoptiques.

 

Aucune explication n’a été donnée pour cette incohérence, même après qu’elle a été portée à l’attention des demanderesses.

 

  1. À l’audience de bene esse pour entendre Mme Florence Peshee en décembre 2004, les demanderesses ont instamment demandé à la Cour de préciser la démarche à suivre par les « deux parties » concernant les témoignages au procès en cas de piège et elles ont obtenu l’appui de la Cour. La Cour devait trancher la question suivante : [traduction] « Est-ce que l’autre partie a reçu un avis du sujet dont vous traiteriez? », et la réponse à cette question était « guidée par la norme relative aux résumés des témoignages anticipés. Il est donc important que les deux parties reçoivent un avis, le même genre d’avis ».

 

Au procès en 2007, les demanderesses ont fait savoir qu’elles rejetaient « catégoriquement » cette position. Selon leur nouvelle position, elles ne [traduction] « comprenaient pas [...] et n’acceptaient pas l’utilisation des résumés des témoignages anticipés au procès pour exclure la preuve pertinente admissible », ajoutant que « l’application d’une norme aux résumés des témoignages anticipés dans la communication préalable au procès [...] n’a aucune incidence sur l’admissibilité de la preuve au procès ».

 

L’explication avancée était qu’à l’audience Peshee, la Cour se penchait uniquement sur l’exclusion de la preuve historique orale présentée par un témoin des intervenants, mais non communiquée au préalable, et les observations générales des demanderesses visaient seulement M. Faulds qui, ce jour-là, représentait la Non‑Status Indian Association of Alberta (NSIAA).

 

Cette interprétation révisionniste ne peut être conciliée avec le sens syntactique du langage clair utilisé ce jour-là. De plus, aucune explication n’a été donnée de la raison pour laquelle les demanderesses ne « comprenaient » pas le lien.

  1. En janvier 2005, les demanderesses ont assuré à la Cour et aux autres parties que leur travail allait bon train en suivant les règles régissant les résumés des témoignages anticipés. Elles « avaient présenté leur cause en signifiant des résumés des témoignages anticipés » et qu’elles voulaient « procéder ainsi et que nos vis-à-vis s’y conforment également ».

 

Au procès en 2007, les demanderesses ont rejeté les règles régissant les résumés des témoignages anticipés, ont fait savoir qu’elles avaient contrevenu aux exigences de communication et ont affirmé que si elles étaient tenues de respecter ces règles, elles ne pourraient « exposer adéquatement leur cause ».

 

Aucune explication n’a été fournie à propos de ce revirement.

 

  1. Au procès en 2007, les demanderesses ont adopté la « position » que tous leurs résumés des témoignages anticipés étaient conformes aux exigences de communication exposées dans les décisions et jugements de la Cour. Toutefois, en même temps, leur avocat avait informé la Cour qu’il avait examiné les résumés des témoignages anticipés par rapport aux normes synoptiques de communication et a confirmé que certains n’étaient certainement pas conformes, car ils ne précisaient pas la teneur des témoignages, contrairement aux normes.

 

Aucune explication de cette divergence n’a été fournie, même après que la Cour a spécifiquement ordonné aux demanderesses de le faire.

 

Les demanderesses ont également démontré par d’autres moyens que leurs résumés des témoignages anticipés ne respectaient pas les normes synoptiques. Elles ont adopté une « position » devant la Cour selon laquelle tous leurs résumés des témoignages anticipés étaient conformes aux normes de communication qu’elle avait établies mais, dès que la Cour a fait savoir qu’elle examinerait les résumés pour déterminer s’ils étaient conformes, les demanderesses ont affirmé que si elle le faisait, elle « jugerait que les résumés des témoignages anticipés de futurs témoins profanes ne sont pas conformes ».

 

  1. Au procès en 2007, les demanderesses ont accusé la Cour d’avoir recours aux résumés des témoignages anticipés comme un « moyen de droit pour exclure la preuve pertinente admissible ».

 

Le dossier montre clairement que la Cour a affirmé que [traduction] « les résumés des témoignages anticipés ne sont pas en soi un moyen de droit pour exclure la preuve » et la Cour ne les a certes pas utilisés à cette fin.

 

Les demanderesses n’ont pas essayé d’expliquer leurs accusations ou de les corroborer à l’aider du dossier. Leur accusation est sans plus une négation sans fondement de ce que la Cour dit avoir fait et de ce qu’elle a fait réellement.

 

  1. Les demanderesses ont accusé la Cour d’avoir appliqué, durant le procès, des normes « contraignantes et explicites » à la communication des résumés des témoignages anticipés afin d’exclure leur preuve.

 

Aucune tentative n’a été faite pour corroborer cette accusation à partir du dossier et demeure une accusation non étayée que la Cour aurait fait quelque chose sans l’avoir divulguée, ce qui est tout à fait contraire au dossier qui montre ce que la Cour a fait dans ses décisions relatives aux pièges.

 

  1. Les demanderesses ont affirmé au procès que lorsqu’elles ont indiqué avoir satisfait aux normes synoptiques relatives à la communication des résumés des témoignages anticipés, elles entendaient qu’elles les avaient communiqués en conformité aux normes fixées par la Cour en 2004.

 

Les demanderesses ont aussi affirmé la position suivante au procès : [traduction] « leur obligation consistait à présenter des résumés des témoignages des témoins en s’efforçant de leur mieux à les préparer en conformité à la norme et qu’elles s’étaient acquittées de cette obligation ». Selon les demanderesses, cela signifie que si un résumé ne communiquait pas l’intégralité du témoignage, elles ont tout de même respecté les normes synoptiques établies par la Cour.

 

Par conséquent, la Cour ne peut savoir ce que veulent dire les demanderesses lorsqu’elles affirment à tout moment avoir respecté les normes synoptiques. Leur réponse PL20 laisse supposer que ce qu’elles veulent dire c’est qu’elles ont fait de leur mieux et qu’elles ne peuvent pas être tenues responsables des lacunes de communication qui font entorse aux normes synoptiques, ce que la Cour a nettement déclaré irrecevable. Toutefois, dans le passage auquel j’ai renvoyé plus tôt au paragraphe 122 des présents motifs, les demanderesses veulent assurer à la Cour qu’elles font référence à ce qu’entend la Cour par la conformité aux normes synoptiques et qu’elles ne font pas allusion à « une norme synoptique distincte qui à [leur] avis aurait dû être appliquée ». En raison de ces incohérences, la Cour est privée d’un moyen de savoir ce qu’entendent de fait les demanderesses au sujet de cette question cruciale.

 

  • [142] Cette lamentable suite d’incohérences, de tergiversations et de positions non étayées qui sont incompatibles avec la transcription me porte à conclure qu’il y a quelque chose de tellement vicié avec les résumés des témoignages anticipés des demanderesses qu’elles ne peuvent présenter leur cause comme elles le souhaitent maintenant, à moins que leurs résumés soient tout à fait dissociés des décisions relatives au piège au procès. C’est pourquoi, après avoir convoqué huit témoins, elles veulent mettre fin au procès en le faisant déclarer nul afin de pouvoir recommencer. C’est aussi pourquoi elles ont accepté que leurs témoins profanes soient radiés au lieu de les convoquer conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés. La Cour leur a offert une autre occasion de retenir et de convoquer tous leurs témoins profanes, mais elles ont refusé parce qu’elles ne veulent pas procéder s’il n’y avait pas de lien entre les résumés et les témoignages au procès. Cela explique leur réponse PL20 et leur décision qui a suivi presque immédiatement de clore leur cause.

 

  • [143] Le degré d’incohérence et d’ambiguïté manifeste dans la conduite des demanderesses ne signifie pas qu’elles ont été traitées injustement. Elles ont obtenu tout le temps qu’elles ont demandé et tout encouragement pour éviter les problèmes liés aux résumés des témoignages anticipés inadéquats. Comme elles l’ont montré, les demanderesses veulent depuis un certain temps mettre fin au procès afin de pouvoir recommencer sans les contraintes qui leur ont été imposées après avoir déposé leurs résumés des témoignages anticipés. Elles ont maintenant décidé que la seule façon de le faire était de clore leur cause et d’obtenir une nouvelle instruction. Mais elles sont les seules responsables de la situation difficile dans laquelle elles se trouvent. Elles ont rédigé les résumés des témoignages anticipés. Elles ont assuré à la Cour et aux autres parties qu’elles avaient respecté les normes de communication et qu’elles voulaient poursuivre de cette façon. Elles ont décidé de ne pas faire part à la Cour en temps opportun de problèmes liés à la communication des résumés avant le début du procès.

 

  • [144] Les demanderesses ont fait obstacle aux efforts de la Cour de cerner la cause du problème. Cette obstruction, et la suite d’incohérences et de tergiversations associées, signifie que la Cour ne peut accepter la justification mise de l’avant à ce temps‑ci par les demanderesses pour clore leur cause, sans cependant expliquer les incohérences, justifier les allégations relatives à l’incidence et rendre compte de ce qui s’est passé dans cette affaire pour que les demanderesses invoquent les résumés des témoignages anticipés comme motif pour clore leur cause.

 

 

  • [145] Les suppositions normales ne sont pas utiles dans ce contexte. Les plaideurs n’essaient pas normalement, après avoir convoqué huit témoins, de mettre fin au procès au motif qu’ils ne peuvent exposer adéquatement leur cause parce que leurs témoins ne sont autorisés à témoigner que de la façon dont les plaideurs ont assuré à l’autre partie qu’ils le feraient. Normalement, les plaideurs ne choisissent pas de faire radier leurs témoins profanes après avoir rejeté les règles régissant les résumés des témoignages anticipés, selon lesquelles ils doivent uniquement confirmer une « position » sur la conformité qu’ils ont adoptée devant la Cour. De plus, l’acceptation de ces règles n’empêcherait pas, d’après les demanderesses en l’espèce, de prouver leur cause. Dans le cours normal, les plaideurs se conforment aux directives de la Cour visant à lui présenter des faits et de l’information dont elle a besoin pour évaluer l’incidence de ses décisions. De plus, normalement, il n’existe pas de dossier d’une première instance ou de documentation volumineuse ni d’autre preuve que les demanderesses entendent produire, comme elles en ont informé la Cour, en plus de nouveaux témoins profanes qui n’ont pas témoigné au premier procès.

 

  • [146] Les demanderesses ne peuvent tout simplement pas retenir des faits et des renseignements pertinents, dont la Cour a besoin pour effectuer sa propre évaluation. Elles ne peuvent pas non plus s’attendre à ce que la Cour accepte leur « position » pour expliquer la clôture de leur cause et les conséquences que les décisions de la Cour ont eues sur leur capacité d’exposer leur cause.

 

  • [147] Mis à part le fait que les témoins profanes ont été exclus à la suite de la décision des demanderesses, en mettant fin à leur cause à ce stade, elles ont maintenant privé la Cour de la possibilité d’évaluer l’incidence des règles régissant les résumés des témoignages anticipés ou de l’exclusion des témoins sur la capacité des demanderesses de prouver ou d’exposer leur cause, compte tenu de l’ensemble des autres témoins qu’elles ont retenus et ceux qu’elles souhaitaient convoquer. Elles ont mis fin à leur cause en faisant une assertion qu’elles n’ont aucunement justifiée et dans un contexte où leur conduite incohérente et obstructionniste visait à prévenir toute évaluation objective véritable de la Cour.

 

  • [148] Elles déclarent un « effet préjudiciable », mais sans fournir à la Cour de moyen d’évaluer ce que cette expression signifie dans le contexte de l’instance. Selon l’expérience antérieure relative aux « positions » adoptées par les demanderesses, il se peut que la signification d’une telle expression ne puisse aller de soi.

 

  • [149] Même les demanderesses ont souligné l’impossibilité de déterminer l’incidence que peut comporter l’exclusion de leurs témoins profanes sans une instruction complète et sans que la Cour entende tous les autres témoins qu’elles souhaitaient convoquer. Après avoir exclu leurs témoins profanes, la Cour a demandé aux demanderesses de présenter une évaluation des répercussions et, dans leur réponse du 14 novembre 2007, elles ont notamment indiqué ce qui suit :

[Traduction] En réponse à la directive, les demanderesses soumettent respectueusement ce qui suit :

 

  1. La réponse des demanderesses est présentée sous la contrainte de la directive de la Cour et il ne faut pas y voir leur reconnaissance d’une question appropriée à poser par un juge d’instance. Les demanderesses ne renoncent pas à leur droit, et de fait conservent leur droit, de mettre en doute le caractère approprié de la question qui leur a été posée dans un appel futur de la présente instance.

 

  1. La position des demanderesses est que l’exclusion de l’ensemble des témoignages livrés par les témoins profanes et les aînés et l’ordonnance du 11 septembre 2007 leur interdisant de convoquer d’autres témoins profanes et aînés à l’avenir les empêcheront de produire une preuve pertinente, probatoire et corroborante. Cela comportera un effet préjudiciable sur la capacité des demanderesses de prouver leur cause et les empêchera d’exposer adéquatement leur cause, ce qui donnera lieu à un procès inéquitable.

 

  1. Les demanderesses n’admettent pas qu’elles ne peuvent prouver leur cause. Il faut cependant souligner que la preuve à l’appui de leur cause dépendra, entre autres, de la preuve qui sera autorisée durant le reste du procès et le poids qui lui sera accordé par le juge de l’instance.

 

  1. À ce stade, les demanderesses n’ont aucun moyen de déterminer la preuve qui sera autorisée ou exclue durant le reste du procès ni comment le juge de l’instance évaluera ultimement la preuve qui y sera présentée.

 

  1. Les demanderesses continueront de s’efforcer de leur mieux de produire une preuve pertinente et probatoire relative à la question en litige et, à la conclusion de leur cause, il se peut que le juge de l’instance dispose d’une preuve suffisante pour leur accorder la réparation qu’elles demandent.

 

[soulignement ajouté]

 

 

  • [150] Si les demanderesses n’ont aucun moyen d’évaluer ces questions, alors la Cour n’en a pas non plus. Autrement dit, la signification de l’« effet préjudiciable » demeure inconnue et ne peut être corroborée sans une instruction complète et une audition de l’ensemble de la preuve. Il n’existe aucun moyen d’évaluer l’incidence de l’exclusion des témoins profanes jusqu’à ce que le reste de la preuve soit instruite. Lorsqu’elles ont mis fin à leur cause le 7 janvier 2008, les demanderesses n’ont pas fourni d’autres renseignements à la Cour qui lui auraient permis d’évaluer les questions d’incidence. Après avoir choisi de ne pas convoquer leurs témoins profanes conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, les demanderesses ont tout simplement abandonné les actions à un moment et d’une façon qui empêche la Cour d’évaluer les répercussions. Elles jettent le blâme pour l’exclusion de la preuve sur la Cour, mais celle‑ci ne l’a exclue qu’en application des règles régissant les résumés des témoignages anticipés (qui, comme les demanderesses l’avaient assuré à la Cour, leur permettraient d’exposer leur cause). Ce sont les demanderesses qui ont décidé de procéder à ces actions en conformité aux règles qui leur permettraient d’exposer leur cause à la Cour et de la façon dont elles voulaient procéder, comme elles l’ont affirmé auparavant à la Cour.

 

  • [151] Il importe de se rappeler que la Cour instruisait deux actions distinctes. Les seuls témoins qu’on convoqués les demanderesses se rapportaient au dossier T-66-86B. Aucun témoin n’a été convoqué relativement au dossier T-66-86A. Il est donc impossible de savoir, par exemple, si les règles régissant les résumés des témoignages anticipés avaient été appliquées, les autres témoins auraient‑ils eu des renseignements ou des faits à communiquer ou quelque chose à contribuer en l’absence des règles. Dans leur réponse PL20, les demanderesses ont indiqué ce qui suit à la Cour au sujet de tous leurs futurs témoins profanes :

[Traduction] Les demanderesses se demandent également si elles doivent convoquer ou non tous les témoins nommés ci‑dessus. Rien n’a encore été décidé à ce sujet.

 

Donc il est impossible de savoir quels autres témoins profanes auraient été convoqués ou leur nombre. La question demeurait à l’étude. Il est impossible d’évaluer l’incidence des témoignages qu’auraient livrés ces témoins sur la capacité des demanderesses de prouver ou d’exposer leur cause, compte tenu de l’ensemble du dossier de preuve.

 

  • [152] En outre, dans leur réponse PL20, les demanderesses ont aussi informé la Cour de ce qui suit :

[Traduction] Les demanderesses réservent aussi le droit de demander l’autorisation de la Cour de convoquer des témoins profanes en réplique ou d’assigner à témoigner un témoin d’une partie opposée. Elles peuvent aussi demander l’autorisation de la Cour de présenter une preuve sur des événements récents ou une preuve récemment mise au jour qui n’avait pas été communiquée dans un résumé de témoignage anticipé.

 

  • [153] En d’autres mots, les demanderesses ont reconnu que les règles régissant les résumés des témoignages anticipés n’excluaient pas d’autres éléments de preuve pertinents qui n’avaient pas été communiqués dans les résumés lorsqu’ils ont initialement été produits.

 

  • [154] Il est impossible de faire la lumière sur l’incidence de ces faits et la signification de la dernière position des demanderesses quant à l’« effet préjudiciable » sans une instruction complète et sans que la Cour entende l’ensemble de la preuve que les demanderesses ont déclaré, comme consigné au dossier, qu’elles comptaient présenter. Les raisons avancées par les demanderesses pour clore leur cause à ce stade ne peuvent être corroborées à partir du dossier et elles n’ont pas été expliquées dans le contexte des incohérences et obstructions qui a précédé la décision de clore leur cause.

  • [155] Il importe cependant de souligner que les demanderesses ont seulement été empêchées de retenir ou de convoquer les témoins profanes après avoir contrevenu aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés. Les demanderesses auraient pu conserver tous les témoins convoqués et la preuve produite si elles avaient simplement confirmé leur « position » sur la conformité, selon le mode ordonné par la Cour. Elles auraient pu convoquer tous les autres témoins si elles avaient simplement donné avis qu’ils témoigneraient comme indiqué dans leurs résumés des témoignages anticipés, qui avaient été communiqués en conformité aux normes synoptiques et si elles avaient précisé la teneur des témoignages afin que « l’autre partie » puisse les examiner et se préparer.

 

  • [156] Aucune explication complète n’a été donnée et il n’existe aucun moyen objectif indépendant qui permettrait à la Cour d’évaluer l’incidence de l’exclusion des témoins profanes des demanderesses sur leur capacité à lui exposer leur cause. Les demanderesses ont adopté trop de positions incohérentes et n’ont pas présenté à la Cour les faits et les explications dont elle a besoin pour évaluer leur dernière assertion. J’ai essayé de concilier toutes ces incohérences et j’ai demandé aux demanderesses de fournir de l’information et des explications pour que je puisse évaluer la réalité sous‑jacente, mais elles ont refusé de collaborer. À la suite de la décision des demanderesses d’abandonner les présentes actions, il est maintenant impossible d’effectuer une évaluation factuelle. Les demanderesses ne peuvent dire que la Cour les a privées de la « possibilité » de retenir ou de convoquer des témoins profanes. La Cour leur a simplement fait savoir que pour convoquer leurs témoins profanes, elles devaient le faire conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, qui ont été énoncées dans les décisions et jugements de la Cour et qu’elles ont confirmées et utilisées à leur avantage. Les demanderesses ont refusé de convoquer leurs témoins profanes selon ce mode.

 

  • [157] Dans leur souci de se soustraire à la compétence de la Cour et d’interjeter appel alors qu’elles ont tout bonnement refusé d’expliquer des incohérences répétées et qu’elles ont retenu de l’information et des explications qui étaient essentielles pour évaluer leurs différentes positions incompatibles sur les résumés des témoignages anticipés, les demanderesses se sont aussi privées d’un moyen d’établir une justification crédible et vérifiable de la clôture de leur cause à ce stade.

 

MOTIFS D’APPEL

 

  Crainte de partialité

 

  • [158] Les motifs d’appel des demanderesses ne concernent pas notre Cour. Cependant, en mettant fin à leur cause à ce stade, diverses déclarations des demanderesses sont consignées au dossier auxquelles je dois répondre pour éviter un malentendu au sujet de la position de la Cour. En fait, la décision des demanderesses de clore leur cause et de procéder à un appel réintroduit dans la présente instance des questions qui, je l’espérais, perdraient de leur importance à mesure que l’instance progressait et que la Cour entendait tous les témoins auxquels les demanderesses souhaitaient faire appel. Cela est maintenant impossible.

 

  • [159] L’avocat des demanderesses m’a informé que celles-ci ont l’intention d’en appeler [traduction] « de nombreuses décisions prises depuis votre nomination comme juge de l’instance ». J’ai été nommé juge de l’instance en 2004, mais je ne sais pas ce que les demanderesses entendent par « décisions » dans ce contexte. Toutefois, j’ai également appris que :

[Traduction] Les motifs d’appel comprendront une allégation que la conduite de votre honneur, depuis votre nomination de juge de l’instance, engendrerait une crainte raisonnable de partialité chez un observateur raisonnable et averti.

 

  • [160] On ne m’a pas informé de ce qu’englobait le terme « conduite », mais il semblerait que les demanderesses présenteront des allégations qui remontent jusqu’au moment de ma « nomination comme juge de l’instance ». Cette période comporte un volumineux dossier renfermant de nombreux jugements et décisions, dont certains ont déjà été portés en appel. Quoi qu’il en soit, cela soulève des questions et des problèmes laissés en suspens, qui seront à nouveau mis au jour et que je dois maintenant traiter, alors que j’espérais le faire après ma décision au sujet du bien‑fondé des présentes actions.

 

Dessaisissement non nécessaire du juge de l’instance

 

  • [161] La décision des demanderesses de fonder leur appel sur le motif de crainte de partialité, au lieu de me faire part de leurs allégations, constitue un choix tactique conscient. Durant la période où elles étaient mécontentes et ont déposé la requête en annulation du procès, les demanderesses ont fait allusion à des allégations de partialité potentielle. À des fins de planification, je leur ai demandé si elles me présenteraient ces allégations. Après avoir considéré la question, les demanderesses m’ont informé qu’elles ne souhaitent pas me présenter les allégations, mais réservaient leur droit de les soulever en appel.

 

  • [162] Autrement dit, les demanderesses ont pris une décision tactique délibérée de ne pas informer le juge de l’instance des motifs de leurs allégations de partialité et ne lui ont pas donné l’occasion d’analyser ces motifs et d’y répondre.

 

  • [163] La décision de ne pas présenter les allégations de partialité au juge de l’instance, mais de les porter plutôt en appel, est problématique dans n’importe quelle instance, mais particulièrement dans le contexte des présentes actions.

 

Dossier volumineux

 

  • [164] Ces instances durent depuis de nombreuses années, et même durant la courte période depuis ma nomination de juge de l’instance, un dossier volumineux a été constitué sur une période de trois ans. La connaissance de l’ensemble du dossier et des difficultés procédurales particulières survenues dans les présentes actions est essentielle pour démêler pleinement les allégations de partialité. Pourtant, ce n’est pas l’unique difficulté qui résulte de la décision des demanderesses de procéder à un appel comme elles l’ont fait.

 

Questions de conduite

 

  • [165] Les présentes instances, depuis le début de mon instruction, ont parfois été extrêmement vexantes et difficiles. En plus de tout ce qui s’est passé, des questions de conduite ont été soulevées par l’avocat des demanderesses, que la Cour a dû trancher et dont certaines sont en suspens. Ces questions étaient si graves, comme je l’ai conclu lors de la requête en partialité introduite par les demanderesses, qu’elles ont compromis toute la procédure judiciaire. Les demanderesses ont trouvé une manière d’aller de l’avant en nommant un nouvel avocat principal, et la Cour a pris une décision délibérée de différer le traitement des questions de conduite afin de protéger les droits des parties et d’entendre les actions sur le fond. Toutefois, les questions de conduite mises en veilleuse devaient être tranchées après que je statue sur le fond. Bien que les demanderesses aient nommé un nouvel avocat principal, leurs deux anciens avocats, qui étaient en cause dans les questions de conduite, font toujours partie de l’équipe juridique des demanderesses, et il n’y a aucun doute qu’ils prendront part à l’appel des présentes actions que les demanderesses comptent interjeter, comme elles en ont informé la Cour. Maintenant que la crainte de partialité a été réintroduite dans la présente instance sous forme d’appel, j’estime être obligé d’indiquer en quoi les questions de conduite ont continué de nuire au procès et pourquoi elles doivent nécessairement être réintroduites dans l’instance à ce stade d’une manière à la fois fort pertinente et problématique.

 

Questions de conduite et déroulement de l’instance

 

  • [166] L’animosité personnelle résultant de la requête en partialité dont M. Healey, en particulier, a fait preuve à l’égard de la Cour par le passé ne peut être passée sous silence, même si un nouvel avocat principal a été nommé. Je n’ai aucune plainte à formuler au sujet de la conduite de l’équipe de premier rang des demanderesses, composée de MM. Molstad, Whitling, Poretti et Sharko, mais ils ont dû s’en remettre à M. Healey et à Mme Twinn pour certains aspects essentiels de leur exposé. La décision des demanderesses de mener à nouveau une attaque contre ma conduite, depuis ma nomination de juge de l’instance, signifie forcément que l’animosité personnelle passée ne peut être occultée, car M. Healey et Mme Twinn sont les avocats qui étaient chargés des actions jusqu’à ce que M. Molstad et son équipe de Parlee McLaws LLP soient nommés. Ils sont aussi les avocats qui dirigeaient les actions lorsque la Cour a ordonné aux demanderesses de produire des résumés des témoignages anticipés qui répondaient aux normes de communication qu’elle avait fixées. En outre, ce sont les avocats qui ont assuré à la Cour, au nom des demanderesses, que cela avait été fait.

 

  • [167] La mesure dans laquelle M. Molstad s’est fié à M. Healey pour comprendre et interpréter les événements passés, auxquels étaient mêlés M. Healey et Mme Twinn, a été démontrée de façon déconcertante à la Cour durant l’instruction de la requête en annulation du procès, lorsque M. Molstad, à titre d’auxiliaire de la justice, a présenté à la Cour le compte rendu de M. Healey de ce qui s’était passé à l’audience Peshee, au lieu d’appeler M. Healey à témoigner.

 

  • [168] Le désaccord à propos des événements survenus à l’audience Peshee, et ce que M. Healey affirme maintenant ce qu’il voulait dire au nom des demanderesses à cette audience, revêt une importance significative pour la position globale des demanderesses quant au rôle et à l’utilisation des résumés des témoignages anticipés au procès. Les demanderesses ont à maintes reprises plaidé la signification et l’importance de l’audience Peshee. Mais M. Molstad, l’actuel avocat principal des demanderesses, a révélé de manière très révélatrice à la fois sur qui et sur quoi il se fonde pour son interprétation actuelle des intentions des demanderesses à l’audience Peshee. Mes observations ne se veulent pas une critique de M. Molstad ou de sa démarche au regard de ces questions. De fait, M. Healey est le seul membre de l’équipe juridique des demanderesses qui peut fournir cette information. J’ai dû traiter, dans mes motifs du 19 juin 2007, les problèmes que cela a causé relativement à la requête en annulation du procès :

 

L’audience Peshee

 

[Traduction] 97.  Bien que j’aie rendu des décisions claires à l’effet contraire, les demanderesses continuent d’insister pour dire que :

 

  1. L’audience Peshee n’a pas confirmé que les résumés des témoignages anticipés entreront en ligne de compte au procès pour trancher les questions de surprise et de piège à l’égard des témoins de toutes les parties.

  2. L’’audience Peshee portait uniquement sur la preuve des intervenants et ne s’applique pas à la preuve au procès des demanderesses.

  3. L’audience Peshee porte uniquement sur le recours aux résumés des témoignages anticipés par un intervenant afin d’exclure la preuve historique orale.

  4. M. Healey n’a pas indiqué que son interprétation des résumés des témoignages anticipés entrerait en ligne de compte pour évaluer les questions de surprise et de piège à l’égard des témoins de toutes les parties.

 

  1. Comme je l’ai statué auparavant, aucune de ces positions n’est raisonnablement défendable. Les ordonnances pertinentes de la Cour rendues à propos des résumés des témoignages anticipés ne peuvent les étayer, le contexte de l’audience Peshee dans son ensemble ne peut les étayer, pas plus que les propos formulés de vive voix à l’audience.

 

  1. D’une part, la Cour est saisie (par l’entremise de M. Molstad en qualité d’auxiliaire de la justice et sans preuve à l’appui) du compte rendu actuel de M. Healey de ce qu’il a signifié et compris à l’audience Peshee. D’autre part, la Cour doit s’en remettre à ce qu’elle a compris des autres parties à l’audience, à la transcription, aux propos exprimés de vive voix par M. Healey à cette date et, en même temps, à ce que j’y ai vu et entendu. Compte tenu de la preuve, je ne crois pas qu’il soit déraisonnable que la Cour ne puisse considérer comme convaincante la position actuelle des demanderesses sur aucun de ces points. Simplement, il ne servirait à rien si M. Healey reconnaissait les préoccupations de M. Faulds et exprimait à voix haute ses inquiétudes à propos de « détails » et de « latitude », s’il ne comprenait pas et ne laissait pas entendre que les résumés des témoignages anticipés des demanderesses seraient finalement examinés attentivement, tout comme l’ont été les résumés de Mme Peshee à l’audience de bene esse. Pour la même raison, il n’y aurait aucune utilité à tenir les propos suivants :

 

Lorsque je me suis levé la première fois, j’ai constaté une certaine divergence par rapport à la déclaration, si je puis m’exprimer ainsi, où j’ai indiqué, eh bien, un avocat doit avoir une certaine latitude, mais il ne peut cependant soulever de nouvelles questions.

 

L’aspect crucial – quelle est la question que doit trancher la Cour? La voici : L’autre partie a‑t‑elle reçu un avis des sujets que vous traiteriez? Voilà la question ultime, à mon avis. Et voici la réponse à cette question : la réponse est guidée par la norme régissant les résumés des témoignages anticipés.

 

Il est donc important que les deux parties reçoivent un avis, le même genre d’avis.

 

 

  1. M. Healey présente maintenant l’explication suivante (mais seulement par l’entremise de M. Molstad et non sous serment) :

 

  1. Lorsqu’il a mentionné l’avocat et les nouvelles questions, il faisait référence à M. Faulds.

  2. Lorsqu’il a mentionné de « nouvelles questions », il faisait référence à l’histoire orale.

  3. La norme régissant les résumés des témoignages anticipés renvoyait à l’obligation de présenter une synthèse du témoignage du témoin dans un résumé du témoignage anticipé.

 

  1. Donc M. Healey semble vouloir dire, mais sans l’avoir consigné dans un affidavit, que ce qu’il veut dire dans ce passage est qu’il parle seulement de M. Faulds, de l’histoire orale et des demanderesses.

 

  1. Pourtant, cela n’explique pas pourquoi seulement M. Faulds a besoin de latitude et pourquoi lui seul ne peut soulever de nouvelles questions; ni pourquoi la question que doit trancher la Cour à propos de M. Faulds et de l’histoire orale serait différente si la Cour devait se prononcer sur une objection piège soulevée par la Couronne ou toute autre partie. En outre, si par l’« autre partie » on entend exclusivement les demanderesses, alors on peut soutenir que seules ces dernières doivent être avisées conformément aux normes pour éviter un piège, et que cela n’a aucune importance dans le cas de la Couronne et des autres parties. Si l’« autre partie » désigne uniquement les demanderesses, qui sont les « deux parties » à la ligne 11? M. Healey semble vouloir dire que seulement M. Faulds et les demanderesses doivent être avisés en conformité aux normes, mais non la Couronne et les autres parties. Je constate, par exemple, que lorsque j’ai demandé à M. Molstad ce que M. Healey voulait dire par « avocat », il a retenu le sens évident du mot et a dit : « Je peux seulement présumer qu’il renvoie à tous les avocats ». Et voilà bien entendu la seule interprétation raisonnable de ce mot dans ce contexte.

 

  1. Rien n’empêche évidemment un avocat d’exprimer des rationalisations après le fait de ce qui a été dit antérieurement, mais je ne crois pas que les demanderesses seraient surprises si la Cour ne peut les retenir à titre d’arguments convaincants, s’ils sont inconciliables avec le sens évident et les indicateurs contextuels dans le dossier et les autres éléments de preuve dont dispose la Cour.

 

  1. J’estime que le dossier devrait montrer que M. Healey était présent en cour et était disponible pour aider l’avocat actuel des demanderesses à répondre aux questions dont, de toute évidence, elles n’ont pas de connaissance immédiate.

 

  1. L’avis de la Cour au sujet de l’audience Peshee n’est pas circonscrit par ce seul extrait. J’ai clairement exposé mon avis complet dans mes décisions jusqu’à présent. Je mentionne ce seul aspect afin de montrer que la position des demanderesses n’est pas corroborée par le dossier, même à un niveau syntactique de base.

 

  1. Il ne faut pas non plus supposer que la Cour estime qu’il est nécessaire que les demanderesses consentent à l’utilisation des résumés des témoignages anticipés au procès ou comprennent leur utilisation. Cette utilisation est dictée par les ordonnances de la Cour, et constitue leur issue logique, car elles fixent les exigences relatives aux résumés des témoignages anticipés et les normes s’appliquant aux résumés. Il serait insensé d’exiger des résumés des témoignages anticipés et d’instaurer des normes si elles ne peuvent être appliquées durant le procès lorsqu’un piège est dressé. La seule raison pour laquelle je fais référence à l’audience Peshee à ce propos, c’est pour montrer que les assertions actuelles des demanderesses ne sont pas conciliables avec le dossier, à savoir qu’elles n’anticipaient pas que les résumés des témoignages anticipés seraient utilisés comme ils l’ont été à l’instance.

 

  • [169] Donc, M. Healey et Mme Twinn ont été mêlés activement à la question principale en litige concernant le rôle et de l’utilisation des résumés des témoignages anticipés au procès. Non seulement ils secondent l’équipe de premier rang actuelle des demanderesses, mais M. Healey consigne au dossier, par l’intermédiaire de Molstad comme auxiliaire de la justice, son compte rendu de ce qu’il voulait dire à l’audience Peshee lorsqu’il a utilisé certains termes. Pourtant, M. Healey et Mme Twinn ne se sont pas rendus disponibles pour un contre-interrogatoire. Il est certes évident que les demanderesses comptent énormément sur M. Healey et Mme Twinn pour comprendre ce que signifiaient les propos exprimés et les positions prises devant la Cour avant de nommer le nouvel avocat principal.

 

  • [170] Pourtant, M. Healey et Mme Twinn ont été sévèrement réprimandés par la Cour pour leur conduite à l’audition de la requête en partialité, dont ils sont de fait les ordonnateurs. Ils ont fait les déclarations principales sous serment et ont rédigé les documents associés. Comme avocats, ils ont témoigné pour s’attaquer à la Cour fédérale en général et au juge de l’instance en particulier. M. Shibley, qui a comparu au nom des demanderesses pour plaider la requête en partialité, a informé la Cour qu’il n’avait pas lu le dossier, mais qu’il s’était fié à M. Healey et à Mme Twinn pour comprendre ce qui s’était passé. La Cour doit toujours se prononcer sur la conduite de M. Healey et de Mme Twinn en qualité d’auxiliaires de la justice dans l’audition de la requête en partialité. Pourtant, les demanderesses ont eu recours à M. Healey pour préciser les intentions à l’audience Peshee, et elles ont fait consigner au dossier son compte rendu sur lequel notre Cour et toute autre cour doit se fonder. Les demanderesses ont allégué une crainte de partialité à l’endroit du juge de l’instance pour sa conduite depuis sa nomination. C’est sans compter l’audience Peshee, car les événements et les témoignages à cette audience seront très importants pour l’appel interjeté par les demanderesses, puisque c’est à cette audience qu’elles ont préconisé l’utilisation des résumés des témoignages anticipés pour se protéger contre les pièges. De plus, ces résumés et la façon dont ils ont initialement été produits sont au cœur du différend procédural opposant les demanderesses et la Couronne qui a fait achopper le procès.

 

  • [171] Dans le différend portant sur les résumés des témoignages anticipés, les demanderesses doivent s’en remettre à M. Healey, comme elles l’ont montré à la Cour, car M. Molstad et son équipe n’étaient pas présents lorsque les résumés ont été rédigés, l’importante assurance de conformité a été donnée, et les décisions à l’audience Peshee ont été rendues en faveur des demanderesses. M. Healey n’a pas été interrogé sous serment à propos de ses assertions sur ces questions. De plus, la conduite de M. Healey est soumise à un examen rigoureux, non seulement en raison de l’animosité personnelle dont il a fait preuve envers la Cour à l’audition de la requête en partialité, mais aussi parce qu’il a dirigé les actions dans son rôle d’avocat principal des demanderesses, lorsque les questions au cœur du différend procédural entre les parties et la position actuelle des demanderesses ont initialement été soumises à la Cour. C’est M. Healey, avec l’appui de Mme Twinn, qui a assuré à la Cour que les résumés des témoignages anticipés produits par les demanderesses répondaient aux normes de communication (et certains même les excédaient). C’est M. Healey qui a mis de l’avant, à l’audience Peshee, la thèse que les normes régissant les résumés des témoignages anticipés servaient à guider les avis à signifier et les pièges au procès. Il a aussi affirmé à la Cour et aux autres parties que les demanderesses souhaitaient exposer leur cause de la façon dont elle était présentée dans leurs résumés des témoignages anticipés. Donc M. Healey et Mme Twinn y sont pour une large part dans les engagements et les positions qui ont entaché les présentes actions et qui ont incité les demanderesses à clore leur cause sans convoquer d’autres témoins. La décision des demanderesses de clore leur cause à ce stade de l’instance signifie manifestement que l’ensemble complet d’éléments de preuve dont elles disposent ne peut être mis à profit et ne peut servir à remettre en contexte les difficultés associées à la controverse entourant les résumés des témoignages anticipés, de sorte que la conduite de M. Healey et de Mme Twinn, ainsi que l’approbation tacite des demanderesses de cette conduite, soit maintenant déterminante pour l’analyse des événements survenus jusqu’ici au procès et de ce qui a amené les demanderesses à clore leur cause comme elles l’ont fait.

 

  • [172] Les demanderesses ont choisi de ne pas demander à la Cour de se prononcer sur le fond de leur cause, mais y ont plutôt mis fin pour interjeter appel pour un motif procédural extrêmement vexatoire, qui concerne essentiellement la conduite de M. Healey et de Mme Twinn et les attitudes des demanderesses à l’égard de cette conduite. Voilà pourquoi j’estime qu’il faut faire un retour sur mes conclusions relatives à la requête en partialité et qu’il faut en tenir compte dans tout appel des causes d’action ou dans toute considération de ce qui a mené à la clôture du procès. J’expose ci‑après certaines de mes conclusions :

 

121. Pour mettre les choses en contexte et pour avoir une juste perspective au sujet de la présente requête, il y a lieu d’examiner quelles conséquences pourrait avoir l’octroi par la Cour de la mesure de redressement sollicitée par les demanderesses.

 

122. La conséquence minimale, si le juge Russell devait se récuser, serait de ramener l’instance, tout au moins, à l’étape de l’ordonnance préparatoire du 26 mars 2004 du juge Hugessen. Cela voudrait dire que les parties seraient toujours confrontées aux questions de portée et de pertinence soulevées par la Couronne, et qu’il serait loisible aux demanderesses de débattre de nouveau de questions comme les modifications aux actes de procédure, les résumés de témoignage anticipé et le rôle des intervenants au procès.

 

123. Comme conséquence maximale (les demanderesses allèguent la crainte raisonnable de partialité de la part du juge Hugessen et de la Cour fédérale), accorder la mesure de redressement ramènerait l’instance au stade où elle en était après la décision de 1997 de la Cour d’appel fédérale. En d’autres termes, toutes les avenues seraient possibles et les parties devraient emprunter de nouveau la voie tortueuse faite de la confrontation au sujet des actes de procédure, de la preuve, des interrogatoires préalables et, en fait, de tout ce qui a pu se produire depuis 1997.

 

124. Ces conséquences ne devraient pas nous arrêter s’il existait bel et bien une crainte raisonnable de partialité, mais elles incitent la Cour à faire preuve d’une extrême prudence avant de faire se produire un résultat aussi dévastateur pour toutes les parties au présent litige.

 

LA DOCUMENTATION DES DEMANDERESSES

 

125. La Cour est fortement préoccupée par les documents de base réunis par Mme Twinn et M. Healey, avocats des demanderesses, aux fins de la présente requête. La Cour a fait part de ces préoccupations à M. Shibley, qui plaidait en faveur des demanderesses à l’audience relative à la requête, à Edmonton. Le problème fondamental, c’est que la documentation des demanderesses ne renferme aucune preuve objective ou fiable pouvant aider la Cour à apprécier les très graves accusations portées dans le cadre de la présente requête. La preuve des demanderesses, pour l’essentiel, ne consiste guère davantage qu’en des opinions subjectives, souvent fondées sur de fausses hypothèses et des renseignements inexacts au sujet du déroulement de l’instance à ce jour. La documentation est autoréférente. En bout de ligne, on n’a rien de plus que des avocats soumettant à la Cour des prétentions, à l’appui desquelles ils présentent des affidavits fondés eux‑mêmes sur des opinions.

 

126. La Cour ne peut s’appuyer sur aucune véritable preuve indépendante, sauf ce qu’elle peut elle‑même trouver au dossier.

 

127. Le malaise de la Cour à cet égard s’est accentué lorsque Mme Eberts, avocate de l’Association des femmes autochtones du Canada, lui a fait remarquer avec force détails les circonvolutions de structure dans la documentation des demanderesses et lui a signalé l’entremêlement de la preuve et de l’argumentation et la confusion qui en résultait. Il y a tant de renvois croisés, entre les affidavits ainsi qu’entre les affidavits et l’exposé des arguments et d’autres documents, qu’il est difficile d’établir qui donne son opinion sur quoi, et où se termine la preuve et commence l’argumentation.

 

128. Ces préoccupations ne sont pas simplement d’ordre technique. L’essentiel des prétentions des demanderesses se trouve dans les affidavits qu’elles ont déposés et dans leurs observations écrites. Ces documents ont été réunis par Mme Twinn et M. Healey et les personnes sous leur supervision.

 

129. Mme Twinn est membre d’une des bandes demanderesses. Elle est l’avocate commise au dossier dans la présente instance. Elle est témoin dans le cadre de la présente requête, en plus de compter parmi les avocats qui ont établi la plaidoirie écrite.

 

130. M. Healey est l’avocat principal dans la présente instance. C’est le témoin et l’ordonnateur principal de la présente requête. De concert avec Mme Twinn, il a réuni la plaidoirie écrite dont la Cour est saisie. Le comportement de M. Healey, en outre, ainsi que la réaction de la Cour face à ce comportement constituent un élément important de l’objet même de la présente requête.

 

131. Lorsqu’on s’interroge sur les conséquences de l’octroi de la mesure de redressement demandée, la Cour ne peut faire abstraction de ces questions au motif qu’elles seraient purement techniques. Ce n’est pas sans raison que les avocats ne devraient pas à la fois témoigner et présenter une argumentation fondée sur leur témoignage. Les problèmes qui en découlent inévitablement sont plus que manifestes dans les documents déposés par les demanderesses dans le cadre de la présente requête : la preuve et l’argumentation se confondent, le contexte nécessaire est laissé dans l’ombre et les interprétations données sont biaisées et fortement subjectives. La preuve présentée à l’appui de la présente requête n’est souvent que le reflet de l’état d’esprit subjectif de M. Healey et de Mme Twinn. Ce n’est pas là un fondement satisfaisant pour l’examen par la Cour d’une requête pour crainte de partialité.

 

132. Le fait que M. Shibley présente l’exposé oral à l’audience ne vient pas écarter non plus ces préoccupations. M. Shibley a admis de bonne grâce que Mme Twinn et M. Healey avaient réuni la plaidoirie écrite, qu’il n’a pas connaissance de l’ensemble du dossier et que ce qu’il présentait à la Cour reposait pour grande part sur les efforts de M. Healey et Mme Twinn. M. Shibley a fait sienne leur argumentation écrite (sous réserve de nombreuses exceptions, toutefois, dont je traiterai par la suite), qu’il a adaptée, bien qu’il ait tenté magistralement dans son exposé oral d’en éviter les excès et déformations. De fait, ce sont Mme Twinn et M. Healey qui ont établi l’argumentation, et M. Shibley a tenté de la mettre en meilleur ordre et d’aider la Cour à en comprendre les éléments complexes. M. Shibley n’a pas passé le dossier en revue à nouveau ni n’a fait part à la Cour de sa propre appréciation objective. Il a simplement tenté de présenter de meilleure manière l’argumentation de M. Healey et de Mme Twinn, qui s’appuie sur leurs propres affidavits.

 

133. Lorsque la Cour a fait part de ces préoccupations à M. Shibley, il a dit que ce qui importait c’était le dossier de la Cour, et que je devrais y concentrer mon attention. Quoique j’estime comme lui que la Cour doit examiner avec soin ses propres décisions ainsi que les transcriptions, je ne crois pas que cela mette fin au problème.

 

134. C’est aux demanderesses qu’il incombe de faire la preuve à la Cour de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Une part importante de l’argumentation et de la preuve des demanderesses consiste en une interprétation hautement subjective et sélective de la part de Mme Twinn et de M. Healey, qui agissent en de bien trop nombreuses qualités, au goût de la Cour, dans le cadre de la présente requête. Qui plus est, même les témoins profanes proposés par les demanderesses sont totalement dépendants de Mme Twinn et M. Healey quant à leur interprétation des conséquences des ordonnances et actions de la Cour, et ils ont signé des affidavits qu’avaient établis pour eux M. Healey ou Mme Twinn, ou encore une personne supervisée par eux deux ou l’un d’eux.

 

135. M. Shibley a mis la Cour en garde de ne pas s’appuyer sur des « questions techniques », lui conseillant de s’attaquer plutôt aux véritables questions en litige aux présentes. J’estime, toutefois, qu’une preuve fiable et une argumentation objective ne constituent pas de simples questions techniques. C’est là plutôt le principe vital qui anime la Cour, et le seul fondement possible de ses décisions.

 

136. De fait, l’article 82 des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit qu’un avocat ne peut pas, sauf avec l’autorisation de la Cour, à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit. Il est vrai que M. Shibley a semblé plaider la cause à l’audience, mais il a alors dit simplement présenter les arguments de Mme Twinn et M. Healey qu’il avait adaptés à son mode de présentation. Il a également fait sien l’exposé des arguments établi par Mme Twinn et M. Healey. Essentiellement, par conséquent, Mme Twinn et M. Healey ont fourni l’argumentation aux fins de la présente requête, argumentation se fondant sur leurs propres affidavits ou ceux de tiers qu’ils ont établis et dont la teneur découle presque totalement de ce qu’ils ont dit à ces tiers. En l’espèce, on n’a jamais demandé d’autorisation à la Cour pour ce qui a été déposé, et une telle autorisation n’a certes pas été donnée. J’ai fait savoir très clairement dans le passé aux avocats des demanderesses – d’ailleurs à toutes les parties – que toute pratique et procédure non conforme aux Règles de la Cour fédérale (1998) était inacceptable. Dans le cadre de la requête des demanderesses en vue de la modification des actes de procédure, que j’ai instruite en juin 2004, les avocats des demanderesses ont produit un affidavit signé par l’un d’eux, bien que le juge Hugessen ait dans le passé critiqué le recours à une telle pratique. Dans mes motifs du 29 juin 2004 traitant des modifications proposées, j’ai donné la directive suivante (paragraphes 22 et 23) :

 

La bande demande l’autorisation de la Cour de déposer l’affidavit de son avocat. Toutefois, comme il ressort clairement des réponses de la Couronne et de la NSIAA, certaines des modifications proposées par la bande sont hautement litigieuses et, en toute objectivité, je crois que l’avocat de la bande aurait dû tenir compte de ce fait.

 

Au vu de l’historique de ce dossier et du long chemin qui reste à parcourir, je crois qu’il est préférable d’indiquer clairement à toutes les parties que les pratiques et procédures qui ne sont pas conformes aux Règles de la Cour fédérale (1998) ne sont pas acceptables. En conséquence. L’affidavit de l’avocat de la bande n’est pas acceptable et ne peut servir de fondement à la requête de la bande, dans la mesure où il traite de questions qui ne sont pas simplement de nature technique et non litigieuses.

 

137. Je ne crois donc pas que les demanderesses seront trop surprises d’apprendre que la Cour demeurera fidèle à cet avertissement et refusera de recevoir les affidavits de Mme Twinn et de M. Healey et les parties de la plaidoirie adoptées comme preuve et intégrées à ces affidavits. Les questions dont la Cour est saisie dans la présente requête sont hautement litigieuses et les affidavits de Mme Twinn et de M. Healey ne sont le reflet pour grande part que de leurs propres sentiments et opinions à l’égard de questions de comportement et de procédure qui les concernent de très près. Cela ne constitue pas, à mon avis, un fondement acceptable sur le plan de la preuve dans le cadre d’une requête tendant à démontrer la partialité (appréhendée ou non) de juges particuliers, voire de la Cour fédérale même. La Cour doit dire à tout le moins qu’il faut considérer cette preuve comme très peu fiable et donc peu probante, même si c’est M. Shibley qui a présenté l’exposé oral.

 

138. Il y a une certaine ironie dans le présent problème qui place la Cour en position très difficile. Il s’agit en effet d’une requête où l’on allègue notamment que le juge de première instance, le juge Russell, a utilisé deux poids deux mesures à l’égard de documents produits par les demanderesses, d’une part, et de documents produits par la Couronne et les intervenants, d’autre part. On a allégué que le juge Russell avait favorisé à ce titre la Couronne et les intervenants. Malgré cela, dans une requête où octroyer intégralement la mesure de redressement demandée aurait tout simplement des conséquences dévastatrices à l’égard des droits des autres parties et du difficile travail accompli à ce jour par l’ensemble des parties, on semble s’attendre d’une certaine manière à ce que la Cour ferme les yeux sur les problèmes occasionnés, sur les plans de la preuve et de la procédure, par la documentation de la demanderesse et tranche d’une autre manière quelconque la question en litige.

 

139. La Cour ne peut pas, bien sûr, faire cela. Elle est impartiale, et ne peut donc tout simplement intervenir pour corriger les lacunes des demanderesses dans la présentation de la présente requête et le déroulement de la procédure. C’est aux demanderesses qu’il incombe de prouver l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, ainsi que de fournir à la Cour les documents dont elle a besoin pour examiner l’allégation extrêmement sérieuse qu’elles font dans la présente requête.

 

140. Si la Cour avait suspendu l’application des règles de preuve et de procédure en faveur de la Couronne et des intervenants pour une question aussi importante que celle visée par la présente requête, je n’ai aucun doute que les demanderesses auraient cité cela comme un clair exemple de crainte raisonnable de partialité de la part de la Cour.

 

141. Je suis par conséquent d’avis que la Cour doit considérer comme non admissibles les affidavits de Mme Twinn et de M. Healey ainsi que la preuve tirée de l’exposé des arguments qu’ils y intègrent. En outre, dans la mesure où les témoins profanes ne font que relater les opinions et les faits que leur ont communiqués Mme Twinn et M. Healey, ces témoignages constituent des ouï‑dire et des opinions et sont par conséquent non admissibles.

 

142. Cela étant dit, bien qu’il faille à la Cour signaler ces problèmes et en arriver à cette conclusion, personne (et je suis persuadé que cela comprend la Couronne et les intervenants) ne souhaite le rejet de la présente requête pour de seules questions de preuve et de procédure. Si la Cour agissait de la sorte, l’instance continuerait d’être stagnante et il deviendrait beaucoup moins probable d’en arriver à l’étape du procès dans un proche avenir. Je crois au contraire que toutes les parties estiment nécessaire, à ce stade, une mise au point nécessaire d’une manière ou d’une autre.

 

143. J’ai donc l’intention d’aborder l’exposé oral de M. Shibley et l’argumentation écrite de Mme Twinn et M. Healey figurant dans l’exposé des arguments des demanderesses en me référant directement au dossier de la Cour, tout en ayant présent à l’esprit le fait, toutefois, que ces observations sont fortement entachées par les problèmes que j’ai tout juste mentionnés. Ce que la Cour fera véritablement ici, en fait, c’est procéder à son propre examen du dossier en tenant compte des préoccupations exprimées par les demanderesses. La Cour ne peut pas dire que les demanderesses se sont acquittées du fardeau que la loi leur impose pour une requête de cette nature, et le fait que la Cour aille plus avant dans ses motifs ne doit pas être interprété comme voulant dire qu’elle admet les documents déposés ni qu’elle a choisi de faire abstraction des problèmes de preuve tout juste mentionnés.

 

[...]

 

LE DROIT

 

156. Je voudrais toutefois souligner deux points soulevés par Mme Eberts dans son mémoire et donner des précisions à leur sujet. Premièrement, un postulat sur lequel repose notre système juridique c’est qu’il y a lieu de présumer l’impartialité des juges. Il n’en découle pas que les avocats doivent hésiter à contester des décisions ou le comportement de juges lorsque les circonstances le justifient, ou être intimidés face à une telle possibilité. Notre système présume l’impartialité des juges, mais son bon fonctionnement requiert également que des avocats francs et intrépides sonnent l’alarme lorsqu’ils croient que le processus est entaché par une crainte raisonnable de partialité. Tout cela dépend pour une grande part du discernement et de la bonne foi des avocats. Un système de freins et contrepoids devrait garantir que des demandes ne sont présentées à cet égard que lorsque les circonstances le justifient. Si, toutefois, la Cour estime que les allégations faites sont inopportunes, elle doit tout aussi franchement signaler ce qu’elle considère être des abus, de la mauvaise foi ou un manque de responsabilité de la part des avocats. Le rôle tant du juge que des avocats requiert d’eux une grande franchise à l’égard de questions qui peuvent s’avérer quelque peu délicates. À mon avis, toutefois, le caractère équitable et l’intégrité de notre système judiciaire exigent qu’on ne joue pas les timides lorsqu’on traite les demandes relatives à la crainte raisonnable de partialité. Ces demandes touchent au cœur même de l’administration de la justice et minent la confiance du public en l’impartialité et l’intégrité du système judiciaire. Les allégations sont faciles à faire, mais plus difficiles à retirer. On doit en traiter de manière ferme et ouverte.

 

157. Deuxièmement, je crois qu’on n’insistera jamais assez pour dire que l’examen nécessité par une allégation de crainte raisonnable de partialité doit porter précisément sur les faits de l’espèce. Le contexte général de chaque situation et les circonstances particulières en cause sont de la plus haute importance. C’est la raison pour laquelle, selon moi, la Cour doit faire attention de ne pas relever le résultat dans une affaire et présumer, parce qu’on semble y aborder un certain point particulier, que cela peut servir pour le traitement de la demande en son entier. En effet, les faits varient à l’infini, l’assemblage particulier des faits visés doit être examiné avec soin et l’ensemble du dossier doit être pris en compte afin de pouvoir établir quel est l’effet cumulatif de toute transgression ou irrégularité alléguée.

 

[...]

 

LA PLAIDOIRIE DES DEMANDERESSES

 

160. Le ton de la plaidoirie des demanderesses différait beaucoup du ton de leurs observations écrites et l’accent n’y était nettement pas mis sur les mêmes choses. M. Shibley a beaucoup aidé la Cour en procédant à une nouvelle évaluation de la présente impasse. Il a en outre déployé des efforts soutenus pour dégager l’essentiel des préoccupations soulevées par les demanderesses et pour extrapoler ces préoccupations des exagérations contenues dans leur documentation et formulées de manière alambiquée.

 

161. Cependant, malgré ces tentatives de clarification, la plaidoirie ressemblait en plusieurs points à l’approche adoptée par les demanderesses dans leurs observations écrites : on n’a pas examiné l’ensemble du contexte ni tout le dossier et l’on a utilisé de façon très sélective et partielle certaines pièces au dossier en négligeant complètement de mentionner d’autres faits importants. Cette approche s’explique par le fait qu’au bout du compte, la plaidoirie reposait entièrement sur les observations écrites quant à son fondement et à ses références.

 

162. Dans une demande où le contexte est fondamental, une telle approche n’est guère utile à la Cour. Comme je l’ai indiqué plus tôt, M. Shibley s’est montré exemplaire en reconnaissant sans ambages ne pas connaître l’ensemble du dossier et dépendre de Mme Twinn et de M. Healey pour le guider.

 

163. C’est aux demanderesses qu’il incombe de prouver une crainte raisonnable de partialité. Si celles‑ci choisissent de ne pas tenir compte du contexte dans son intégralité, elles auront beaucoup de mal à convaincre la Cour qu’elles ont suivi la jurisprudence et satisfait au critère de la personne raisonnable.

 

[…]

 

LA RÉPRIMANDE

 

471. J’ai convenu avec M. Shibley que la présente requête n’était pas le moment approprié pour examiner les plaintes portées par les avocats adverses à l’endroit de M. Healey et, pour ce motif, je désire que mes propos sur le sujet demeurent aussi neutres que possible. Cela étant dit, les demanderesses ont elles‑mêmes mis de l’avant la question du comportement de leur avocat, et la Cour doit donc se pencher sur celle‑ci dans la mesure où elle a trait à la crainte raisonnable de partialité dont la Cour a été saisie et où elle a une incidence sur l’intégrité de la présente procédure judiciaire.

 

472. M. Shibley soulève deux points importants sur lesquels la Cour doit s’attarder. L’un d’eux c’est ce que M. Shibley nomme « problème unilatéral ». Une fois encore, M. Shibley ne tient pas compte du dossier dans son ensemble. Les directives générales de la Cour en matière de comportement étaient adressées aux avocats. Même dans ses motifs du 6 décembre 2004 (paragraphe 68), la Cour adressait ses commentaires « aux avocats ».

 

473. Cela ne veut cependant pas dire que tous les avocats ont eu un comportement inacceptable, et le dossier permet de constater quand un avocat en particulier a eu un comportement déplacé. Lorsqu’à l’avenir toute question de comportement deviendra objet de litige, c’est l’ensemble du dossier qu’il faudra examiner et non pas quoi que ce soit qui aura pu être dit pendant l’audience relative à la présente requête où tous les intéressés se sont conduits avec la plus parfaite courtoisie.

 

474. Des observations visent en particulier M. Healey dans les motifs du 6 décembre 2004 parce que la Cour estimait qu’à cette occasion son comportement était inacceptable. La Cour n’avait rien à redire du comportement des avocats adverses parce qu’ils ne se sont pas départis de leur professionnalisme et n’ont pas laissé leurs sentiments nuire au processus judiciaire ni dégénérer, devant la Cour, en une attaque personnelle contre M. Healey, malgré qu’ils se soient fortement opposés à ce qu’il avait dit.

 

475. Le second point d’importance, c’est l’assertion de M. Shibley portant que [traduction] « on ne semble pas s’être longuement penché sur le fondement probatoire ».

 

476. Or, la raison pour laquelle la Cour a estimé nécessaire de réprimander M. Healey ressort clairement des motifs du 6 décembre 2004 (paragraphe 35) : « Le litige n’a pas progressé et la Cour a consacré une partie du temps qui lui est précieux à régler des questions qui, après examen, se sont clairement avérées avoir force de chose jugée ».

 

477. La Cour a estimé avoir été induite en erreur quant à l’une des principales questions en litige dans le cadre de la requête, soit celle de la chose jugée ou res judicata. Face à l’allégation voulant que les intervenants aient induit la Cour en erreur sur cette question, la Cour a fait droit à une argumentation que les avocats des demanderesses n’auraient pas dû être autorisés à faire valoir parce qu’il s’agissait de questions « qui avaient déjà fait l’objet d’arguments qu’elle avait entendus à satiété » et sur lesquelles la Cour « ainsi que la Cour d’appel fédérale » s’étaient déjà prononcées.

 

478. L’objet de cet aspect de la réprimande, c’était que la Cour n’appréciait pas d’avoir à entendre des arguments sur des questions ayant force de chose jugée. Et cette conclusion est étayée par les motifs et dans la documentation présentée par les avocats dans le cadre de la requête.

 

479. Le second aspect de la réprimande avait trait aux attaques personnelles, ou ad hominem, de M. Healey à l’encontre des avocats des parties adverses. En d’autres termes, M. Healey a placé les choses sur un plan trop personnel.

 

480. Tout au long de l’audience des 18 et 19 novembre 2004, M. Healey a recouru fréquemment, et pas uniquement quant à une question litigieuse, à des expressions telles que [traduction] « fausse déclaration », « ils sont mal intentionnés », « ils sont prêts à dire n’importe quoi », « induire en erreur », « déclaration tout à fait inexacte », « mal intentionné », « tricherie », « prétention on ne peut plus ridicule », « faux » et « c’est tout simplement inventé ». Le juge Russell, dans ses motifs, n’a pas relevé chacun des recours à ces expressions. Le fondement probatoire de la réprimande, c’est tout ce que la Cour a entendu et qui figure dans la transcription. L’impression d’ensemble que M. Healey a communiqué, c’est que les intervenants étaient malhonnêtes et qu’ils s’efforçaient de duper la Cour sur des questions liées à leur rôle et à leur qualité en l’instance. Ce dont j’ai convenu avec les intervenants, après avoir entendu l’argumentation, c’est que des ordonnances antérieures de la Cour avaient abondamment traité de la question de leur rôle et qu’il n’y avait donc pas lieu de la débattre tout de bon à nouveau.

 

481. Le juge Russell n’a pas décelé une telle animosité de la part des intervenants lorsqu’ils commentaient les arguments de M. Healey, ni n’en a fait état, même si M. Healey faisait à nouveau valoir des questions qui étaient res judicata.

 

482. Il s’agit de ne pas oublier qu’aux paragraphes 34 et 35 des motifs, la Cour se penche tout particulièrement sur la question de la res judicata. Comme il ressort clairement des motifs, M. Healey a soutenu que la Cour d’appel fédérale avait enjoint de faire certaines choses, et le juge Russell a conclu que la Cour d’appel n’avait rien ordonné de tel. Les demanderesses ont cité hors contexte des passages de la décision de la Cour d’appel fédérale, puis ont prétendu que les intervenants avaient induit la Cour fédérale en erreur et qu’ils étaient mal intentionnés.

 

483. La preuve étayant les remarques de la Cour provient donc de décisions antérieures de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale auxquelles on renvoie dans les motifs. La Cour déclare (au paragraphe 34) avoir examiné les allégations faites par M. Healey (notamment celles, défavorables, visant M. Donaldson et M. Faulds) puis conclut que les intervenants n’étaient pas mal intentionnés ni n’avaient induit la Cour en erreur. Si M. Healey n’est pas d’accord avec cette conclusion, il lui est loisible d’en appeler à la Cour d’appel fédérale. Des interprétations divergentes ne devraient pas donner lieu à des attaques sans merci où l’on met en doute l’honnêteté même des avocats adverses. C’est pour cela qu’il y a eu réprimande. Des avocats peuvent être dans l’erreur (et je ne dis pas que tel était le cas en l’espèce) sans être malhonnêtes. J’ai d’ailleurs pu constater, lors du contre‑interrogatoire de M. Healey dans la présente requête, alors que M. Kindrake lui a remis en mémoire certaines déclarations inexactes qu’il avait faites à la Cour, à quel point il pouvait se montrer indulgent envers lui‑même. À ce qu’il disait, ces inexactitudes étaient de simples « erreurs ».

 

484. Selon moi, la personne raisonnable considérerait la réprimande comme une tentative faite pour préserver le décorum en salle d’audience dans une situation où, en raison de la mésentente régnant entre les avocats, l’un d’eux a recouru à des attaques ad hominem pour détourner l’attention de la Cour de la question de fond alors en jeu, soit celle de savoir si le rôle des intervenants était ou non res judicata. Tout comme les motifs permettent de le constater, toute la preuve pertinente a alors été prise en compte. La mesure prise était modérée et justifiée; je ne crois pas qu’une personne raisonnable et bien informée croirait que cela autorise une crainte raisonnable de partialité à l’endroit de M. Healey non plus que des demanderesses.

 

[…]

 

LA PLAIDOIRIE ÉCRITE DES DEMANDERESSES

 

496. Après avoir fait son exposé oral, M. Shibley a dit approuver la plaidoirie écrite des demanderesses et y souscrire, exception faite de deux importantes allégations auxquelles je vais bientôt revenir.

 

497. Ce n’est pas M. Shibley qui a rédigé la plaidoirie écrite des demanderesses et, à ce que je sache, celui‑ci a eu peu à voir, ou même rien du tout, dans l’établissement de cette plaidoirie. La plaidoirie écrite porte la signature de Mme Twinn et de M. Healey, et ce dernier a déclaré lors de son contre‑interrogatoire que tous deux (ainsi que les personnes supervisées par eux) en étaient les auteurs. M. Healey est le principal auteur de la plaidoirie écrite.

 

498. Les deux allégations auxquelles M. Shibley n’a pas donné son aval sont d’importance. La première est énoncée à l’alinéa a)(xv) de l’avis de requête et à l’alinéa 5j) de l’exposé des arguments des demanderesses. Elle porte que le juge Russell a eu des apartés avec des représentants de la Couronne, en vue de faire échec au dessein des demanderesses de produire une preuve sur la question de l’autonomie gouvernementale.

 

499. Il y a de clairs indices d’une profonde hostilité à l’endroit de la Cour et de sa procédure. Les avocats des demanderesses ont sans cesse allégué, jusqu’à la tenue de l’audience, que le juge Russell avait eu [traduction] « des apartés avec la Couronne en vue de la mise au rôle d’une requête sommaire présentée par les demanderesses, dans le but de faire obstacle à l’allégation principale des demanderesses dans la présente instance, qui consiste à faire valoir leur droit à l’autonomie gouvernementale [...] C’est par inadvertance que la Couronne a permis aux demanderesses d’avoir connaissance de ces conversations [...] Le juge Russell n’a pas informé les demanderesses de ces discussions, ou de leur teneur, au moment où elles ont eu lieu non plus que dans les jours qui ont suivi [...] Le juge Russell ne l’a mentionné que lorsque les demanderesses ont soulevé la question devant lui une semaine plus tard. »

 

500. Ces allégations sont horrifiantes, et c’est là le but visé par les demanderesses. Cela nous fait imaginer le juge Russell décrochant le téléphone et complotant avec M. Kimmis en vue de faire échec à la revendication d’autonomie gouvernementale des demanderesses.

 

501. Ce qui s’est produit, en fait, c’est que la date fixée pour le dépôt de documents de la Couronne tombait un samedi et qu’elle a communiqué avec le greffe de la Cour pour savoir ce qu’il lui fallait faire. Le greffe a appliqué la règle usuelle dans de tels cas, qui consiste à permettre le dépôt le premier jour ouvrable suivant. Le greffe a alors vérifié auprès du juge Russell si cela posait problème de suivre la procédure habituelle. De la sorte, les demanderesses affirment‑elles, le juge Russell a eu [traduction] « a des apartés avec la Couronne [...] ».

 

502. Les demanderesses devaient être informées sans délai qu’elles recevraient les documents en cause le lundi plutôt que le samedi et, dès que le juge Russell a eu vent des préoccupations des avocats des demanderesses, un document leur expliquant la situation en détail leur a été transmis immédiatement. L’allégation a néanmoins été faite. Qui plus est, les avocats des demanderesses ont attesté sous serment de sa véracité.

 

503. On peut ainsi constater qu’en cette occasion M. Healey et Mme Twinn ont perdu toute mesure et toute objectivité pour mettre en cause l’intégrité du juge de première instance sur un plan personnel. La preuve ne me permet toutefois pas d’établir avec certitude l’importance du rôle de Mme Twinn dans cette démarche.

 

504. La sagesse a heureusement prévalu, et M. Shibley a retiré cette allégation à l’audience. Le simple fait qu’elle ait été faite n’échapperait toutefois pas à notre personne raisonnable.

 

505. La présence de cette allégation dans l’avis de requête et l’exposé des arguments, alors même que des explications précises avaient été fournies sans délai, met en lumière les problèmes de taille qu’occasionne à la Cour la documentation des demanderesses. Cela fait également ressortir pourquoi l’argumentation (écrite ou orale) ne devrait pas être présentée par une personne qui, comme Mme Twinn, est membre de la bande, avocate inscrite au dossier et témoin ou qui, comme M. Healey, est l’avocat principal, agit comme témoin et est touché sur le plan personnel par nombre des questions soulevées en l’espèce.

 

506. Le deuxième élément important qu’on a retiré pose un problème encore plus sérieux à la Cour. Après qu’il eut fait son exposé oral, où il a dit approuver la plaidoirie écrite des demanderesses et y souscrire, M. Shibley a été renvoyé par la Cour à la phrase suivante du paragraphe 3 de cette plaidoirie :

 

[Traduction] Elles [les demanderesses] ne demandent pas à la Cour de conclure en une partialité réelle. Des éléments de preuve permettent toutefois d’étayer une telle conclusion.

 

507. On ne dévoile jamais à la Cour cette preuve de l’existence d’une partialité réelle, bien que l’argumentation soit truffée d’allégations de partialité réelle plutôt qu’appréhendée. M. Shibley n’en assure pas moins la Cour que la présente requête a pour fondement la crainte appréhendée de partialité.

 

508. Une allégation non prouvée de partialité réelle n’est rien de plus qu’une insulte. Et alléguer de la sorte la partialité réelle dans le cadre d’une requête censée porter sur la partialité appréhendée n’est pas pertinent et constitue, ainsi, une insulte gratuite.

 

509. Il faut dire en faveur de M. Shibley qu’il a retiré l’allégation énoncée au paragraphe 3 dès que la Cour l’a portée à son attention, et je ne crois pas un instant qu’en donnant son aval à la plaidoirie écrite des demanderesses, M. Shibley entendait souscrire à cette allégation.

 

510. Je partage également l’avis de M. Shibley selon lequel il n’y a pas lieu, dans le cadre de la présente requête, de se pencher sur les plaintes portées par la Couronne ou les intervenants au sujet du comportement des avocats des demanderesses. Il faut faire une exception, bien sûr, lorsque ce comportement est invoqué expressément par les demanderesses elles‑mêmes, auquel cas la Cour est ainsi tenue d’en traiter, et lorsque la documentation elle‑même fait état de questions de comportement que la Cour ne peut pas passer sous silence.

 

511. Malgré le retrait effectué à l’audience, toutefois, le recours à une allégation de partialité réelle donne lieu à la même préoccupation générale que celle déjà exprimée par la Cour au sujet des documents établis par les avocats des demanderesses, et où ces derniers avaient renoncé dans leurs propos à toute objectivité et à tout sens de la mesure. D’ailleurs, les allégations de partialité réelle sont si profondément ancrées et entrelacées tout au long de l’exposé des arguments ainsi que du témoignage de M. Healey que le retrait d’une phrase au paragraphe 3 ne réglera pas à lui seul le problème.

 

512. L’exposé des arguments des demanderesses est une litanie d’allégations qui s’étend sur près de 100 pages. Il est malaisé de décoder ces allégations et les demanderesses n’ont offert aucune assistance à l’audience pour aider la Cour à y parvenir. La Cour doit se débrouiller seule pour tirer quelque chose de citations et d’accusations sans contexte, d’interprétations tendancieuses et hautement subjectives, de tentatives faites pour débattre à nouveau des positions intenables et d’un grand nombre de propos qu’on ne saurait qualifier que d’insinuations.

 

513. Il résulte d’une telle méthode, en bout de ligne, que la Cour et les autres parties doivent s’astreindre à établir le contexte d’ensemble permettant à la personne raisonnable d’apprécier les arguments des demanderesses selon une juste perspective. Or, la Cour ne saurait oublier qu’il incombe aux demanderesses de prouver la crainte raisonnable de partialité, et qu’il ne lui revient pas à elle ni aux autres parties d’essayer de rendre clair ce qu’obscurcit la documentation des demanderesses. Les allégations de partialité (réelle ou appréhendée) sont faciles à porter mais plus difficiles à faire se dissiper. Elles touchent au cœur même de notre système de justice et minent la confiance du public en l’intégrité de l’appareil judiciaire. C’est là pourquoi il ne faut pas faire de telles allégations de manière irresponsable et avant qu’on ait apprécié objectivement le dossier, la documentation ainsi que la position des avocats de qui elles émanent. La formulation irresponsable de telles allégations entraîne l’aliénation et la désaffection à l’endroit du système de justice en son entier.

 

514. On a accordé beaucoup de temps aux demanderesses pour qu’elles se préparent en vue de la présente requête et établissent leur documentation. Elles ont obtenu des prorogations de délai lorsqu’elles en ont demandé. Il y a eu suspension de toutes les autres affaires pendantes pour que les demanderesses puissent se concentrer sur la présente requête. M. Donaldson, qui représente la NSIAA, l’un des intervenants en l’espèce, est même allé jusqu’à aider les demanderesses et la Cour à réunir et mettre en ordre deux volumes de transcriptions, d’ordonnances préparatoires et de directives, qui sont essentiels pour bien comprendre tout le contexte où s’inscrit la présente demande. Malgré tout l’appui ainsi accordé aux demanderesses, le résultat obtenu en bout de ligne est confus et parfois même tout simplement déconcertant.

 

515. Le premier problème auquel la Cour est confrontée consiste à établir ce qu’est véritablement l’exposé des arguments des demanderesses et de quelle manière il peut être utilisé. Dans leurs affidavits, Mme Twinn et M. Healey ont adopté ce document comme preuve, du moins des parties du document. M. Shibley n’a pas été d’une aide très précieuse pour la Cour à ce sujet :

 

 

[Traduction] Quoi qu’il en soit, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un factum au sens courant; c’est une argumentation écrite que j’ai trouvée utile, comme il en sera aussi pour vous j’espère. On ne peut pas dire le contraire, c’est plus exhaustif que de coutume. (Transcription, vol. 2, page 28 : 8‑13)

 

516. La Cour est donc laissée à elle‑même pour interpréter cette « argumentation écrite ». Le commentaire suivant de M. Shibley a toutefois fortement déconcerté la Cour :

 

[Traduction] J’ai lu le document plus d’une fois, et même à quelques reprises. Je vous soumets d’ailleurs avec respect que la lecture en est très utile, M. le juge. C’est approfondi, tout comme parfois la reproduction de la transcription. Le document m’a été utile parce que je n’ai pas eu à lire la transcription, ni à en sortir les volumes. [Non souligné dans l’original.] (Transcription, vol. 2, page 32 : 3‑10)

 

517. La Cour ne peut que dire qu’il n’est guère réconfortant d’apprendre que M. Shibley n’a pas lu la transcription puisque, s’il l’avait fait, il aurait pu se rendre compte que les allégations et assertions figurant dans l’exposé des arguments sont difficiles à concilier avec ce qui figure véritablement au dossier.

 

518. M. Shibley déclare à la Cour dans son résumé que [traduction] « l’ensemble du dossier doit être pris en compte afin de pouvoir établir quel est l’effet cumulatif de toute transgression ou irrégularité ». Après avoir passé des semaines à faire précisément cela, je regrette sincèrement que les demanderesses n’aient pas suivi leur propre conseil.

 

[…]

 

556. M. Shibley a demandé que les critiques formulées par les avocats adverses visant le comportement de M. Healey en l’instance ne soient pas considérés l’élément central dans la présente requête; j’ai abondé dans son sens de manière générale. Toutefois, faire totalement abstraction du comportement de M. Healey, ce serait faire abstraction d’un élément fondamental de sa propre argumentation, puisque lui‑même invoque sans détour ce comportement devant la Cour et convie la Cour à le prendre en compte à l’appui de ses allégations de crainte raisonnable de partialité. Il fait voir aussi très clairement au paragraphe 20 précité que la présente requête comporte une importante composante personnelle, ce dont j’examinerai les conséquences par la suite.

 

[…]

 

559. Mis à part les allégations précises faites contre les juges Hugessen et Russell, ainsi, qu’est‑ce que les demanderesses ont bien pu soumettre à la Cour aux fins d’un examen par la personne raisonnable? Elles ont présenté des citations elliptiques hors contexte, des interprétations tendancieuses – pour bonne part sans aucune pertinence –, des citations d’une autre teneur que celle que lui prêtent les demanderesses, du ouï‑dire et des insinuations.

 

560. Rien de tout cela ne donnerait, à la personne raisonnable, lieu de croire qu’il est raisonnable de craindre en l’existence de partialité au sein de la Cour fédérale. Pour ce qui est des doutes des demanderesses de pouvoir obtenir une audience impartiale devant la Cour fédérale et de ce que je crois comprendre être leur sentiment d’« aliénation » par rapport aux processus de la Cour, je crois que les arguments avancés dans leur plaidoirie écrite n’aident en rien à les rassurer. Bien au contraire, en fait, ce sont de tels arguments qui me semblent renforcer et exacerber le sentiment d’aliénation.

 

561. Malgré toute cette toile de fond, il ressort clairement dans la documentation quelles craintes réelles les demanderesses nourrissent au sujet de la Cour fédérale. Le chef Roland Twinn est ainsi allé droit au but, avec une sincérité exemplaire, lorsqu’on l’a contre‑interrogé relativement à son affidavit dans la présente requête :

 

Q.  Bien. L’une des autres mesures de redressement sollicitées dans la présente affaire, c’est la possibilité d’un transfert à la Cour provinciale (le paragraphe 4 de votre affidavit). De quelle cour s’agit‑il alors?

 

R.  De la Cour du Banc de la Reine.

 

Q.  Songez‑vous à un juge de la Cour du Banc de la Reine en particulier?

 

R.  Non, à aucun juge en particulier.

 

Q.  Pouvez‑vous me dire pourquoi, selon vous, la Cour du Banc de la Reine serait plus susceptible que la Cour fédérale d’être équitable dans votre affaire?

 

R.  Selon moi, la Cour provinciale a rendu davantage de décisions favorables aux Premières nations.

 

(Contre‑interrogatoire de Roland Twinn, page 11 : 10‑23)

 

562. On ne peut reprocher au chef Twinn de désirer un juge qui verra les choses du même œil que lui et lui accordera la mesure de redressement qu’il souhaite. C’est là son rôle et c’est ce que veulent tous les demandeurs. Il n’y a toutefois pas lieu à une crainte raisonnable de partialité lorsque, comme en l’espèce, un juge a un autre point de vue que les demanderesses quant à une décision particulière en matière de procédure. Les décisions défavorables aux demanderesses sur des questions de procédure ne donnent pas lieu non plus, en soi, à une crainte raisonnable de partialité. En demandant à la Cour d’avoir leur mot à dire dans le choix du juge qui instruira la présente action (même après modification à l’audience en une recommandation en ce sens, de ma part, au juge en chef de la Cour fédérale), les demanderesses sont clairement intéressées à trouver quelqu’un qui sera mieux disposé envers leur affaire que ne l’est, selon elles, le juge Russell. Le problème c’est que, dans Samson, la Cour d’appel – en qui les demanderesses semblent avoir confiance – s’est opposée à un tel procédé :

 

À notre avis, les appelants sollicitent ici le retrait du juge Teitelbaum à titre de juge de première instance et ils cherchent à ce qu’il soit remplacé par un juge qui leur convient, qui présiderait deux procès reconnus comme importants. Cette façon de choisir le juge de première instance ne correspond pas à la pratique de cette cour. Nous ne tenons aucunement à l’encourager.

 

[…]

 

577. Dans les 65 pages restantes du mémoire des demanderesses, on retrouve une attaque, parfois au vitriol, visant le rôle joué par le juge Russell depuis sa nomination comme juge d’instance en 2004.

 

578. On tente pour bonne part de ramener devant la Cour d’anciens arguments qu’elle a déjà rejetés dans ses décisions. Ce qu’on sous‑entend, c’est que la Cour s’est tellement fourvoyée que toute personne raisonnable craindrait qu’elle a été partiale.

 

579. Des citations sont présentées hors contexte, ou on ne fournit tout simplement pas l’essentiel du contexte dont aurait besoin une personne raisonnable pour juger des allégations. On recourt parfois à des citations elliptiques. On fait aussi des assertions non corroborées qui sont tout bonnement inexactes. Les avocats des demanderesses ont choisi en des endroits divers du dossier certains mots et extraits pour en faire un assemblage révisionniste de ce qui s’est produit.

 

580. Il faudrait à la Cour fournir un effort colossal pour tenter de citer au long les passages pertinents du dossier afin de rendre le contexte d’ensemble où s’inscrivent les positions avancées par les demanderesses. Dans le cadre d’une requête relative à la crainte de partialité, où tout est affaire de contexte, les avocats des demanderesses ont réussi à se dépenser sans réserve pour relater avec très peu d’objectivité le fil des faits. Comme je l’ai déjà mentionné, cela semble inévitable comme conséquence lorsque les avocats s’octroient autant de rôles à la fois. Il ne peut plus alors y avoir d’objectivité ni de sens de la mesure.

 

581. Par contre, les allégations faites sont si graves (certaines allant jusqu’à la partialité réelle) que la Cour doit s’efforcer de comprendre la documentation. Faute d’un tel exercice, on pourrait penser que qui ne dit mot consent, et les nations demanderesses pourraient croire que la Cour ne se soucie guère de ces questions et ne plus avoir confiance en l’intégrité du processus.

 

[…]

 

593. Il est impossible pour la Cour de traiter séparément dans les présents motifs de chaque allégation et de chaque citation qui figure dans l’exposé des arguments des demanderesses.

 

594. La Cour a essayé de se « débrouiller » au mieux, mais les problèmes sur les plans de la preuve et du raisonnement qui entachent la documentation rendent fortement sujettes à caution les positions avancées; même si l’exposé des arguments était acceptable quant à la forme, d’ailleurs, il serait très difficile pour la personne raisonnable d’accorder une véritable force probante aux allégations qu’il renferme.

 

595. À un égard, toutefois, la documentation des demanderesses a une très forte valeur probante qui n’échapperait pas à la personne raisonnable.

 

596. Les problèmes que la Cour a tenté de régler depuis qu’on a renvoyé à nouveau procès la présente affaire en 1997 sont moins liés aux questions sous‑jacentes en litige qu’à la procédure et au comportement des avocats. À ce titre, la documentation fournie constitue une preuve pour la personne raisonnable qui doit comprendre quels sont et continuent d’être certains de ces problèmes.

 

597. Ce que l’exposé des arguments permet facilement de constater, en outre, c’est l’insistance démontrée par les avocats des demanderesses pour débattre de nouveau des questions déjà tranchées et constituant donc une res judicata. Ce problème était au cœur même de la décision du 6 décembre 2004 de la Cour, qui portait sur le rôle des intervenants. Et dans le cadre de la présente requête relative à une crainte de partialité, par exemple, nous voyons les avocats des demanderesses en revenir encore aux questions liées aux résumés de témoignage anticipé, en vue de démontrer que la décision de la Cour était manifestement erronée, de sorte que la personne raisonnable craindrait qu’il y ait eu partialité. C’est toutefois là une décision dont les demanderesses (que n’effraie pourtant pas la perspective de porter en appel des décisions de la Cour) n’ont pas interjeté appel. En regard de cette décision, de plus, les avocats des demanderesses ont dit à la Cour que leurs clientes étaient d’accord avec les normes qu’elle avait établies et, d’après des lettres de Mme Twinn, les demanderesses ont de fait achevé d’établir des résumés de témoignage anticipé conformes à ces normes.

 

598. Les juges ne sont pas infaillibles. Il peut leur arriver de faire des erreurs. La Cour d’appel fédérale est là pour corriger de telles erreurs. Si les demanderesses désapprouvent une décision de la Cour fédérale, ils peuvent la porter en appel. Alléguer la crainte de partialité après l’expiration du délai d’appel, c’est tout simplement une façon d’éviter la Cour d’appel fédérale et d’essayer de faire de nouveau valoir la question en litige, à partir de zéro, devant un nouveau juge de première instance.

 

599. On peut également constater dans ces documents à quel point peuvent être inutiles des citations elliptiques. J’ai déjà donné un exemple flagrant de recours à ce procédé au paragraphe 15 de l’exposé des arguments des demanderesses, mais ce n’est pas là le seul exemple disponible.

 

600. Il y a aussi eu constamment dans le cadre de la présente requête, bien sûr, une tendance généralisée à présenter des citations de manière sélective, à sortir de leur contexte des éléments du dossier et à recourir à des insinuations et à des commentaires révisionnistes.

 

601. Des citations elliptiques, des insinuations et des commentaires révisionnistes ne constituent ni une preuve ni une argumentation. Ils ne contribuent en rien à la solution du litige.

 

602. Lorsqu’on a affaire à une requête unique, de tels procédés peuvent sembler ne pas être un obstacle majeur. Dans le cadre toutefois d’un long différend (qui a pris naissance en 1986, pour lequel il y a eu renvoi à nouveau procès depuis déjà 1997 et à l’égard duquel le procès semble devoir durer longtemps), de tels procédés constituent un problème majeur parce qu’ils sont un frein à la bonne administration de la justice. L’ensemble des documents produits par les demanderesses pour la présente requête manquent d’objectivité et d’impartialité, ainsi que de crédibilité, laquelle repose sur ces deux premiers attributs. On tente d’y discréditer le plus possible les personnes prises pour cible et, pour cette raison, ces documents ne peuvent servir de fondement valable pour le jugement d’une personne raisonnable bien informée et qui a examiné la question en profondeur.

 

603. Je crois que la personne raisonnable prendrait en compte ces facteurs additionnels pour apprécier certains des commentaires sévères que les juges Hugessen et Russell ont estimé devoir formuler pour faire obstacle à des comportements, des pratiques et des arguments qui, selon eux, n’aidaient pas à en arriver au procès.

 

604. C’est avec une certaine réticence que j’aborde ici ces questions en raison de l’atmosphère déjà trop lourde qui prévaut dans la présente affaire, mais la nature des allégations portées dans le cadre de la présente requête oblige la Cour à en traiter. M. Healey, en outre, l’avocat des demanderesses, a choisi de mettre directement en cause son propre comportement. Il est aussi nécessaire de dire clairement, enfin, que ces pratiques, ces excès et cette verbosité contestables tout étalés dans la documentation obligent les avocats adverses et la Cour à consacrer beaucoup de temps pour les corriger et freinent considérablement le progrès de l’instance. Cela devra manifestement être pris en compte au moment de l’adjudication des dépens.

 

[…]

 

LES QUESTIONS RELATIVES AU COMPORTEMENT

 

621. Bien qu’elle ait comme sentiment général que le moment n’est pas opportun pour aborder de front les questions de comportement, la Cour n’en est pas moins confrontée à un problème. Après examen en profondeur de la documentation présentée dans le cadre de la présente requête, en effet, un important problème se pose qu’on ne peut passer sous silence. Il est maintenant temps que la Cour s’exprime bien franchement, et cela est, comme je l’ai déjà dit, absolument essentiel, selon moi, dans le présent type de requête pour éviter que, tout simplement comme si cela allait de soi, on fasse valoir la partialité (appréhendée ou non). On ne compte plus les avertissements dans la jurisprudence selon lesquels il ne faut pas porter à la légère une allégation de partialité (appréhendée ou non), et ne le faire que si une preuve suffisante permet de l’étayer. La raison en est que de telles allégations touchent au cœur même de l’administration de la justice et minent la confiance du public en l’impartialité et l’intégrité du système judiciaire. Sur le plan personnel, dire qu’un juge a de la sorte violé son serment professionnel, c’est bien sûr lui adresser la critique la plus sévère qui soit. Comme on a pu le constater dans le cadre de la présente requête, de telles allégations sont faciles à faire mais plus difficiles à réfuter.

 

622. Après avoir confronté au dossier l’argumentation écrite et orale des avocats des demanderesses, j’en suis venu à certaines conclusions profondément troublantes qu’il m’est nécessaire de maintenant aborder, en fonction de ce dont j’ai été saisi.

 

623. M. Healey est l’ordonnateur de la présente requête. Son affidavit est le principal élément de preuve présenté à l’encontre des juges Hugessen et Russell, et il est l’auteur de l’exposé des arguments où sont précisées les plaintes des demanderesses à l’endroit de la Cour et des juges concernés. Il a établi les affidavits des témoins profanes, qui prennent la forme de formules stéréotypées, de nature identique, et qui ne sont guère plus que des répétitions d’opinions qu’il a lui‑même exprimées. Ces témoins ne sont pas des observateurs objectifs de la situation qui peuvent traiter des questions substantielles que M. Healey et Mme Twinn n’ont pas fait passer à travers leur filtre. Cette dernière déclare d’ailleurs avoir lu l’affidavit de Philip Healey et être d’accord avec sa teneur. En bout de ligne, donc, tout a pour source M. Healey.

 

624. M. Healey a dit clairement, pour ce qui est du juge Russell, que ce dernier l’a toujours traité avec la courtoisie requise lorsqu’il comparaissait devant la Cour. Il a également dit ne pas croire que le juge Russell avait agi ou s’était exprimé d’une quelconque manière pouvant laisser croire en de l’animosité personnelle à son endroit ou en de la partialité contre lui dans ses fonctions d’avocat.

 

625. Le fondement de sa plainte c’est que, selon lui, le juge Russell a une prédisposition défavorable à ses clients quant à la question de l’autonomie gouvernementale, et aussi qu’il n’aime pas le « ton » adopté par la Cour dans certaines de ses décisions. On peut présumer qu’il n’a pas à se plaindre de la Cour lorsque ses décisions sont en accord avec les positions qu’il a défendues quoique, même alors, il semble laisser entendre qu’il n’y a pareil accord que lorsque la jurisprudence est tellement bien établie que la Cour ne peut suivre son penchant naturel et favoriser la Couronne. Ce qu’il n’aime vraiment pas, toutefois, c’est le « ton » exprimé dans certains des motifs où la Cour a rejeté ses arguments.

 

626. Il me semble manifeste après examen de la documentation que M. Healey n’aime pas se faire dire que des arguments soumis par lui à la Cour sont insoutenables. Il n’aime pas se faire dire qu’il ne doit pas tirer profit de la violation par ses clients d’une ordonnance préparatoire pour faire abstraction des droits des autres parties. Il n’aime pas se faire dire que la Cour juge inacceptables ses attaques ad hominem contre les avocats adverses. Il n’aime pas se faire dire, enfin, que la Cour n’apprécie guère qu’il débatte de nouveau devant elle de questions qu’elle estime clairement constituer des res judicata.

 

627. Bien sûr, s’il est en désaccord quant aux décisions de la Cour, il peut conseiller à ses clients d’interjeter appel. Dans le cadre de la présente requête, toutefois, on s’attaque de manière indirecte à plusieurs décisions dont on n’a pas fait appel, en invoquant plutôt comme recours la crainte appréhendée, parfois même réelle, de partialité.

 

628. Selon la documentation soumise dans le cadre de la présente requête, M. Healey, plutôt que d’apporter remède aux sujets de préoccupation signalés par la Cour et de faire appel de certaines décisions, a choisi de mettre en question l’impartialité de divers juges de la Cour fédérale, et ce, parfois sur un plan personnel.

 

629. Dans son témoignage et son exposé des arguments, M. Healey recourt à des propos et à des méthodes laissant voir qu’il tente de mettre en doute l’intégrité du juge de première instance tout particulièrement, et cela ne peut être effacé par le retrait de la simple allégation selon laquelle le juge Russell a eu [traduction] « des apartés avec la Couronne [...] ». La documentation est profondément empreinte d’attaques personnelles, ce qui en explique les excès, les interprétations tendancieuses et les inexactitudes. Il n’est pas possible de se tromper sur ce qu’on laisse entendre : [traduction] « il exerçait de la pression sur nous et en avait conscience, et il savait que vous et les avocats adverses exerciez de la pression sur nous ». Il ne peut y avoir de doute non plus sur la personne que M. Healey croit défendre : [traduction] « jamais il n’a été traité de cette manière ni ses arguments décrits comme ils l’ont été ».

 

630. Le message transmis dans la documentation est on ne peut plus clair : non seulement M. Healey considère‑t‑il la présente instance comme une bataille personnelle l’opposant aux avocats adverses, mais il estime aussi être en situation d’affrontement personnel avec la Cour.

 

631. Un tel esprit de confrontation et l’empressement à mettre en doute d’une manière personnelle l’intégrité de juges nommément désignés n’ont pas leur place dans une cour de justice. Ils n’y ont pas leur place parce que cela fait obstacle à l’administration juste et efficace de la justice et menace directement les droits de toutes les parties concernées. La Cour doit s’assurer que ce qu’un avocat en est venu à considérer comme son conflit personnel ne porte pas atteinte aux droits de toutes les parties. Ce qui ressort clairement de la documentation, selon moi, c’est la mise en échec du processus judiciaire. Dans la présente requête, M. Healey ne s’acquitte pas de manière détachée de ses devoirs envers la Cour, et son comportement n’est pas empreint de l’objectivité requise par notre système accusatoire.

 

632. Les demanderesses et la Couronne en sont venues à un stade en l’instance où une question d’importance extrême doit être tranchée avant que le procès débute : dans quelle mesure la question de l’autonomie gouvernementale est‑elle soulevée dans les actes de procédure? La réponse à cette question aura une incidence directe sur la préparation en vue du procès et sur la nature de la preuve que chacune des parties décidera de présenter.

 

633. La présente requête fait obstacle au règlement de l’impasse par la Cour. Il est extrêmement injuste pour toutes les parties que des décisions sur d’importantes questions soient reportées parce que M. Healey n’aime pas le « ton » parfois employé par la Cour, à moins, bien entendu, que ce ton ne constitue la preuve d’un type quelconque de partialité à l’endroit des demanderesses. L’examen du dossier m’a convaincu que, eu égard au critère du point de vue de la personne raisonnable, absolument aucun motif ne permet de croire que la Cour n’est pas pleinement consciente des droits des demanderesses ou qu’elle n’a pas veillé à les protéger, et ce, alors que le comportement de M. Healey était parfois inconséquent voire même extrêmement décourageant. Ce « ton » n’a pas mis en péril les droits respectifs des parties; de fait, il compte parmi les tentatives menées par la Cour pour s’assurer qu’un conflit personnel ne porte pas atteinte à ces droits.

 

634. M. Healey semble aussi croire qu’il peut faire changer d’avis le juge Russell et le faire se ranger à ses arguments s’il allègue la crainte de partialité dans un avis d’appel. En d’autres termes, alors qu’en un premier temps le juge Russell a été manipulé par la Couronne et les intervenants de manière à ce qu’il exclue des éléments de preuve pertinents aux fins de la demande des demanderesses, on pourrait ensuite faire en sorte qu’il se range du côté des demanderesses et soit équitable pour une fois.

 

635. On met ainsi directement en question l’intégrité d’un juge et le respect par lui de son serment professionnel. De telles opinions ne sont pas particulièrement agréables à entendre, il va sans dire, mais ce n’est pas là mon véritable sujet de préoccupation.

 

636. Ce que cela révèle à la Cour à ce stade – et c’est là mon sujet de préoccupation – c’est qu’un comportement que la Cour a tenté de corriger comme étape préalable à un long procès ne sera pas en fait corrigé, et que M. Healey demeure impénitent et tout disposé à affronter la Cour d’une manière personnelle plutôt que de suivre les procédures et directives énoncées dans les décisions de la Cour.

 

637. Je ne crois pas que les droits des parties puissent être pleinement protégés si l’on mène l’instance sur un tel plan. Il faut prendre en compte, tout d’abord, l’énorme gaspillage de ressources ainsi occasionné, qu’on peut compenser en partie, mais pas entièrement, au moyen des dépens. Il faut aussi tenir compte du fait qu’un affrontement inutile se produit si un avocat se met à juger acceptables les attaques personnelles visant les avocats adverses et la mise en question de l’intégrité du juge de première instance. Et il y a enfin le fait, bien sûr, qu’on fait beaucoup de tort aux parties lorsqu’on perd de vue leurs droits, et lorsque la Cour est entraînée malgré elle à trancher des questions dont elle ne devrait pas être saisie, en plus d’être déviée de sa route par des attaques personnelles.

 

638. La présentation impeccable de la plaidoirie par M. Shibley à l’audience ne peut faire oublier les véritables problèmes qui entachent la présente instance. Comme je l’ai déjà dit à ce moment‑là, M. Shibley a davantage aidé la Cour qu’il en a conscience. En effet, quoiqu’il ne connaissait pas le dossier et qu’il dépendait de Mme Twinn et de M. Healey pour son argumentation et son interprétation des faits, il a fait se rappeler à la Cour à quel point un avocat peut se montrer efficace et coopératif, même lorsque les autres parties sont considérées être des adversaires, dans le contexte d’une requête à forte charge contentieuse.

 

639. J’ai dit à l’audience que quelque chose de constructif devait, dans l’intérêt des parties, se dégager de la présente requête. Je ne puis me récuser puisque, selon moi, il est clairement établi en droit que j’ai l’obligation de ne pas me désister dans pareilles circonstances. En même temps, toutefois, je ne vois pas comment la présente instance peut aller de l’avant si l’on abandonne toute objectivité et tout détachement et si on laisse les attaques personnelles prendre tout le terrain.

 

640. J’aurai besoin des conseils de tous les avocats sur cette question. J’espérais pouvoir éviter une telle conclusion et que le problème se réglerait de lui‑même. Toutefois, l’examen attentif de la documentation qu’on m’a présentée dans le cadre de la présente requête m’a convaincu que fermer les yeux sur le problème n’était pas la façon la plus appropriée de protéger les droits de toutes les parties et de garantir que le procès sur le fond soit équitable et que son déroulement soit efficace.

 

  • [173] En mettant fin à leur cause à ce stade, les demanderesses ont affirmé ce qui suit à propos de la conduite de M. Healey et de Mme Twinn :

[Traduction] [N]ous soutenons que la question de la conduite des avocats a été réglée et nous tenons à vous rappeler, monsieur le juge, la conférence téléphonique que nous avons eue avec vous.

 

Rien ne pourrait être plus contraire au contenu du dossier actuel. Les questions soulevées par la conduite des avocats n’ont pas été traitées. Par surcroît, toutes les conclusions de la Cour relatives à la requête en partialité qui concernent l’intention qu’avaient les demanderesses en déposant cette requête demeurent en place et n’ont pas été contestées.

 

  • [174] Donc, en mettant fin à leur cause à ce stade et en interjetant appel, les demanderesses soutiennent que la conduite du juge de l’instance depuis sa nomination sera maintenant soumise à la considération de la Cour d’appel fédérale, mais la question de la conduite des avocats des demanderesses qui, comme mentionnée ci-haut, « a été réglée » et est en quelque sorte chose du passé. Les demanderesses semblent vouloir dire que non seulement il ne faut tenir compte de la conduite passée de leurs avocats et de leurs responsabilités à l’égard des excès associés à la requête en partialité, mais que le juge de l’instance ne sera pas saisi des récentes allégations de partialité appréhendée. Les demanderesses demandent une immunité les exemptant du contrôle pour le rôle que leurs avocats, qui ont toujours agi en leur nom, ont joué relativement aux questions qui sont au cœur de leur décision de clore leur cause à ce stade. En tant que juge de l’instance, j’estime qu’il est impossible d’accorder une telle immunité si l’on veut comprendre les questions en litige dans leur contexte global. La décision de mettre fin à leur cause à ce stade et d’interjeter appel signifie que la question controversée liée aux résumés des témoignages anticipés sera soumise à un examen rigoureux, et la conduite de M. Healey et de Mme Twinn constitue l’aspect central de la question associée aux résumés. Ainsi, la requête en partialité est révélatrice de la démarche des demanderesses dans l’instance. Cette conduite est étroitement liée à la question principale, du moins en apparence, pour laquelle les demanderesses ont mis fin à leur cause.

 

  • [175] Suivant la façon dont cette question a été laissée en suspens, M. Molstad a donné l’explication suivante, au nom des demanderesses et de M. Healey et Mme Twinn, durant la conférence téléphonique du 27 juillet 2006 :

[Traduction] M. MOLSTAD : Merci beaucoup, monsieur le juge. La présente déclaration vise à répondre à certaines remarques de la Cour dans les motifs du 3 mai 2005 à propos de la requête portant sur la partialité appréhendée et les motifs du 3 mai 2006 relatifs aux dépens.

 

M. Healey et Mme Twinn, répondant tous deux en qualité d’auxiliaires de la justice et d’avocats retenus par les demanderesses, souhaitent présenter à la Cour une explication et une clarification que la Cour estimait nécessaires.

 

Les arguments déposés à l’appui de la demande de récusation visant votre honneur n’auraient pas dû renfermer de langage laissant supposer que les demanderesses alléguaient l’existence de partialité véritable de la part de la Cour. Bien que l’intention de M. Healey et de Mme Twinn ait été que la réparation demandée, conjointement avec leurs assurances dans l’argument à l’effet contraire, empêcherait qu’une telle conclusion soit tirée, ils tiennent à s’excuser sincèrement de tout langage pouvant se prêter à une telle interprétation.

 

Mme Twinn et M. Healey se sont efforcés durant la préparation du mémoire d’assurer la conformité et la compatibilité avec la phrase introductive du mémoire, qui se lisait comme suit (citation textuelle) :

 

« La question soulevée porte sur une crainte de partialité. »

 

  Malgré les meilleurs efforts déployés, y compris l’examen du mémoire par un avocat indépendant expérimenté et d’autres conseillers juridiques, certains termes pouvant être jugés offensants ont été laissés par inadvertance.

 

  À l’audition de la requête en crainte de partialité, M. Shibley, au nom des demanderesses, a immédiatement et catégoriquement confirmé que la requête dont était saisie la Cour soulevait une crainte raisonnable de partialité, et non une partialité réelle.

 

  Mme Twinn et M. Healey regrettent tout préjudice ou toute offense qui peut avoir résulté de termes laissant croire à une partialité réelle de la part de la Cour et tiennent à s’en excuser. En qualité d’auxiliaires de la justice, ils souhaitent assurer à la Cour qu’ils n’avaient nullement l’intention d’alléguer autre chose qu’une crainte raisonnable de partialité.

 

  M. Healey et Mme Twinn tiennent aussi à préciser, en tant qu’auxiliaires de la justice, qu’ils n’ont jamais sciemment fait de fausses déclarations de quelque genre que ce soit à la Cour, ils n’ont pas cherché à induire la Cour en erreur quant aux faits ou au droit, n’ont jamais voulu intimider la Cour ou détourner son attention du fond de l’affaire, et n’ont jamais intentionnellement cherché à contourner les jugements rendus en l’espèce qui n’ont pas été portés en appel. Ils regrettent s’ils ont laissé subsister de l’ambiguïté qui a permis de tirer pareille conclusion, puisqu’une telle conclusion serait contraire à leurs intentions.

 

  Les demanderesses se sont volontiers présentées à la Cour fédérale du Canada pour trancher des questions qui revêtent une grande importance sociale et culturelle pour elles, croyant au système de justice. Mme Twinn et M. Healey ne voulaient pas faire quoi que ce soit, et cela n’était certes pas leur intention, pour compromettre la procédure dans laquelle leurs clients ont placé leur confiance.

 

  Les valeurs culturelles de Mme Twinn coïncident avec sa responsabilité professionnelle de créer une ambiance paisible, favorable et respectueuse dans laquelle la présente instance peut aller de l’avant, objectif auquel tendent M. Healey et, de fait, tous les avocats actuels des demanderesses.

 

  Mme Twinn et M. Healey souhaitent sincèrement que leur déclaration soit acceptée à titre de preuve de leur bonne foi et de leur engagement à l’égard du système de justice et de l’intérêt supérieur de leurs clients.

 

  Monsieur le juge, voilà la déclaration que nous tenions à faire.

 

 

  • [176] La Cour a répondu comme suit :

[Traduction] J’ai été tenu dans l’ignorance pour un certain temps, me demandant ce qui se passait, donc je vous suis reconnaissant, pour ma propre gouverne, de m’avoir donné des précisions sur ce point. Ce que je peux dire, voyez-vous, pour ce que cela peut signifier, c’est que je vous remercie de m’avoir communiqué ces précisions à ce temps‑ci.

 

Ce que cela signifie pour l’avenir, eh bien, comme je l’ai dit auparavant dans mes motifs, j’aimerais mettre cette question de côté. Je suppose que lorsqu’on s’arrête à sa signification, il s’agit certes d’une question dont je tiendrai compte dans ma décision si je dois prendre d’autres mesures ou non à ce sujet.

 

Ce que j’aimerais cependant faire, c’est laisser cette question là où elle est présentement. Vous avez présenté des excuses et c’est très apprécié, grandement apprécié. J’aimerais maintenant examiner l’affaire sur le fond et faire avancer l’affaire, donc je vous remercie beaucoup.

 

  • [177] Je crois qu’il ressort clairement de cet échange que :

    1. des excuses ont été présentées;

    2. la Cour considérera leur signification au moment opportun;

    3. la Cour se soucie avant tout de mettre de côté les questions de conduite afin d’entendre l’affaire sur le fond.

 

  • [178] Ce n’est pas le moment opportun pour la Cour de se pencher sur les implications de ces excuses et leur explication « dans ma décision si je dois prendre d’autres mesures ou non à ce sujet ». La question à l’étude était la conduite personnelle de M. Healey et de Mme Twinn en leur qualité de fonctionnaires judiciaires devant notre Cour. Les demanderesses sont déjà situées pour ce qui est de leur responsabilité à l’égard des excès associés à la requête en partialité, et j’ai adjugé des dépens majorés contre elles pour cette requête. Les excuses et les explications des demanderesses n’ont aucune incidence sur mes conclusions relatives à la requête en partialité, qui ne sont pas remises en question.

 

  • [179] En raison de la décision des demanderesses de clore leur cause et de fonder leur appel sur ce qui est survenu dans la présente instance depuis ma nomination de juge de l’instance, je dois maintenant me prononcer sur les excuses et les explications présentées le 27 juillet 2006, dans la mesure où les questions qu’elles soulèvent sont pertinentes pour la position actuelle des demanderesses.

 

  • [180] J’avais espéré qu’à la suite d’une instruction complète, les questions de conduite seraient dissipées et qu’elles perdraient de leur importance au regard de l’ensemble des éléments de preuve que les demanderesses comptaient produire, comme elles en ont informé la Cour. Mais les demanderesses ont décidé de ne pas demander à la Cour de se prononcer sur le bien-fondé de leurs revendications, mais ont plutôt mis fin à leur cause et se sont attardées à des questions procédurales qui, nécessairement, se rapportent à la préparation et à la production initiales des résumés des témoignages anticipés et à ce qui a été dit à leur sujet au moment de leur production et signification, et à la façon dont ils ont été traités à l’audience Peshee. Forcément cela réintroduit les questions mêmes que la Cour a affirmé vouloir éviter et mettre de côté jusqu’à ce qu’elle ait entendu le fond de l’affaire et qu’elle ait rendu ses décisions.

 

  • [181] Les excuses présentées par l’entremise de M. Molstad soulèvent les questions suivantes qui sont pertinentes pour la décision des demanderesses de clore leur cause afin d’interjeter appel à ce stade :

    1. M. Healey et Mme Twinn ont répondu, par l’intermédiaire de M. Molstad, « tous deux en qualité d’auxiliaires de la justice et d’avocats retenus par les demanderesses ».

    2. Les allégations de partialité véritable formulées dans la requête en partialité « ont été laissées par inadvertance ».

    3. M. Shibley a clairement fait savoir à l’audition de la requête en partialité que les demanderesses soulevaient une « crainte raisonnable de partialité, et non une partialité véritable ».

    4. M. Healey et Mme Twinn, parlant en leur propre nom, ont affirmé qu’« en qualité d’auxiliaires de la justice, ils souhaitent assurer à la Cour qu’ils n’avaient nullement l’intention d’alléguer autre chose qu’une crainte raisonnable de partialité ».

    5. M. Healey et Mme Twinn affirment qu’ils n’ont pas « sciemment » accompli les différents actes qui, de l’avis de la Cour, ont été accomplis dans le cadre de la requête en partialité, et que ce n’était certes pas leur intention de les accomplir.

 

  • [182] Comme je l’ai affirmé, l’instance n’est pas le lieu convenable pour traiter des excuses et des explications ou de leur signification pour les questions de conduite de M. Healey et de Mme Twinn, en qualité d’auxiliaires judiciaires, dont demeure saisie la Cour. Toutefois, j’estime qu’il est tout à fait évident que les demanderesses ont confirmé que M. Healey et Mme Twinn agissaient en tout temps au nom des demanderesses et que l’offense ou l’allégation de partialité réelle résulte uniquement d’une inadvertance. J’estime que je dois préciser explicitement que les excuses et les explications ne changent en rien mes conclusions relatives à la requête en partialité. Mes conclusions demeurent inchangées pour l’instant.

 

  • [183] Je crois aussi qu’il transparaît d’emblée que les excuses et les explications ne dissipent pas les difficultés qu’éprouve la Cour ou ne dissocient pas les questions de conduite de la décision des demanderesses de clore leur cause et de procéder à un appel. Comme je l’ai conclu, les excès associés à la requête en partialité et l’animosité personnelle n’étaient pas uniquement apparents dans l’accusation portée, qui a été retirée en définitive à l’audience, mais qui n’a pas été retirée par souci de dissiper la crainte de partialité. De fait, les excès et l’animosité étaient indissociables des pièces accompagnant la requête et de la façon dont elles ont été préparées, ainsi que de leur contenu. En invoquant plutôt une crainte raisonnable de partialité, les demanderesses n’ont pas retiré les pièces sur lesquelles la requête était fondée et ces pièces, de l’avis de la Cour, étaient entachées d’animosité personnelle envers elle et n’ont pu être radiées.

 

  • [184] Lorsqu’il sera temps d’examiner les questions de conduite, l’une des questions sur laquelle la Cour devra se pencher est le fait qu’un fonctionnaire judiciaire de notre Cour a déclaré sous serment, par mégarde, que le juge de l’instance a eu « des apartés avec la Couronne en vue de la mise au rôle d’une requête sommaire présentée par les demanderesses, dans le but de faire obstacle à l’allégation principale des demanderesses dans la présente instance, qui consiste à faire valoir leur droit à l’autonomie gouvernementale [...] C’est par inadvertance que la Couronne a permis aux demanderesses d’avoir connaissance de ces conversations [...] ». Il a maintenu cette position jusqu’à ce qu’elle soit retirée à l’audience. Le changement de dernière minute dans les tactiques à l’audience ne modifie en rien l’importance de la conduite de M. Healey dans son rôle de fonctionnaire judiciaire auprès de notre Cour ou l’appui que lui a prêté Mme Twinn et sa corroboration de ce qu’il comptait déclarer sous serment.

 

  • [185] Et tout cela, comme l’affirment M. Healey, Mme Twinn et les demanderesses, aurait simplement été fait par inadvertance et sans intention de porter préjudice ou de manquer de respect.

 

  • [186] M. Shibley a retiré cette allégation à l’audience, mais aucune raison n’a été donnée pour expliquer pourquoi elle avait été faite en premier lieu et pourquoi elle a été maintenue dans le dossier jusqu’à l’audience, de sorte que la Couronne a dû se préparer pour y répondre, ou pour expliquer son intention au départ. M. Shibley a retiré l’allégation de partialité réelle, mais non les pièces qui accompagnaient la requête. La Cour a constaté dans ces pièces, après les avoir examinées à l’invitation de M. Shibley, une profonde animosité personnelle contre la Cour, qui caractérisait autant la façon dont les pièces avaient été produites que leur contenu général :

629. Dans son témoignage et son exposé des arguments, M. Healey recourt à des propos et à des méthodes laissant voir qu’il tente de mettre en doute l’intégrité du juge de première instance tout particulièrement, et cela ne peut être effacé par le retrait de la simple allégation selon laquelle le juge Russell a eu [traduction] « des apartés avec la Couronne [...] ». La documentation est profondément empreinte d’attaques personnelles, ce qui en explique les excès, les interprétations tendancieuses et les inexactitudes. Il n’est pas possible de se tromper sur ce qu’on laisse entendre : [traduction] « il exerçait de la pression sur nous et en avait conscience, et il savait que vous et les avocats adverses exerciez de la pression sur nous ». Il ne peut y avoir de doute non plus sur la personne que M. Healey croit défendre : [traduction] « jamais il n’a été traité de cette manière ni ses arguments décrits comme ils l’ont été ».

 

  • [187] Je ne puis dire ce que je conclurai lorsque je m’attarderai finalement à ces questions. Mais je crois devoir dire maintenant que les explications données par les demanderesses, ainsi que par M. Healey et Mme Twinn, au sujet des excès associés à la requête en partialité ne correspondent à aucune « norme perceptuelle » dont j’ai actuellement conscience, bien que je reste aux aguets et j’attends de nouveaux développements. Toutefois, je ne peux maintenant faire abstraction de ces normes perceptuelles dans mon évaluation de ce qui est survenu et qui a mis fin au procès. Les excès entourant la requête en partialité auraient été tout à fait involontaires et accidentels, d’après les demanderesses, tout comme le refus de répondre de manière sensible à une demande d’information de la Cour sur les problèmes liés aux résumés des témoignages anticipés qui, de l’avis des demanderesses, représentait leurs « meilleurs efforts ». Les demanderesses ne peuvent jouer sur les deux tableaux. S’il s’agit de normes perceptuelles qu’elles veulent soumettre à la considération de la Cour, alors il faut tenir compte de ces normes dans l’évaluation de leurs vues de ce qui s’est passé jusqu’à présent et qui les a incitées à clore leur cause.

 

  • [188] Les implications pour la présente situation sont que les perceptions de M. Healey et de Mme Twinn, ainsi que des demanderesses elles-mêmes, à propos de ce qui a été dit et de ce que cela signifiait lorsque les demanderesses ont contrevenu à l’ordonnance préliminaire du juge Hugessen, datée du 26 mars 2004, en refusant de produire des résumés des témoignages anticipés valables, de telle sorte que la Cour a dû intervenir et ordonner une solution, sont au cœur de l’appel où sont en cause les résumés des témoignages anticipés. De plus, de toute évidence, les questions auxquelles renvoyait la directive de la Cour du 5 juillet 2007, à laquelle les demanderesses ont refusé de répondre de manière utile, concernent presque toutes des aspects de la présente instance sur lesquels M. Healey et Mme Twinn exerçaient un contrôle en tant qu’avocats. Ils ont produit les résumés des témoignages anticipés en conformité aux décisions de la Cour qui ont précédé leur production, et ils ont assuré à la Cour que cela avait été fait. La Cour reconnaît bien entendu que, dans tout ce qu’ils ont fait et dit, ils représentaient fidèlement leurs clients dans ces affaires, et il n’est pas remis en question le fait que les demanderesses ont pleinement approuvé tout ce qu’ils ont fait ou dit et elles n’ont jamais laissé entendre le contraire.

 

  • [189] Ce procès arrive à sa fin, en apparence du moins parce que les demanderesses ont refusé de convoquer leurs témoins profanes conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés et en honorant les assurances de conformité qu’elles avaient données auparavant, aussi parce que la Cour, en conformité à ses propres décisions et jugements antérieurs, a sommé les demanderesses de respecter les règles et leurs engagements. Au cœur de la question touchant les résumés des témoignages anticipés se situe la relation difficile qu’entretiennent M. Healey et Mme Twinn avec notre Cour, ainsi que les tentatives répétées des demanderesses, largement apparentes à l’audition de la requête en partialité, de blâmer la Cour pour les problèmes liés aux résumés des témoignages anticipés, dont de toute évidence elles sont les seules responsables. Ce sont M. Healey et Mme Twinn qui ont certifié la preuve et réuni les plaidoiries pour les demanderesses à l’audition de la requête en partialité et qui ont tenté de rendre la Cour responsable de l’état de leurs résumés des témoignages anticipés. Maintenant, voici justement la question – l’état des résumés des témoignages anticipés – qui est l’élément central des récentes décisions des demanderesses et de leurs tentatives renouvelées de blâmer la Cour pour ces problèmes. Durant tout le procès, la Cour a été obligée de traiter les problèmes associés aux témoignages anticipés, malgré que M. Healey et Mme Twinn, au nom des demanderesses, aient pourtant assurés à la Cour et aux autres parties qu’ils avaient réglés en 2004. Nous revenons ici au point de départ de l’instance. Il s’agit de questions extrêmement controversées et délicates qui ont évolué pendant de nombreuses années et qui ont donné lieu à un dossier volumineux et détaillé. La décision des demanderesses de clore leur cause à ce temps‑ci, sans que la Cour ait entendu l’ensemble de la preuve dont elles disposent, signifie que les questions de procédure et de conduite se rapportant aux résumés des témoignages anticipés feront l’objet de l’appel, de sorte que la nature difficile et conflictuelle de ce différend, qui est décrit en partie ci‑haut, doit figurer dans le compte rendu des problèmes liés aux résumés des témoignages anticipés que les demanderesses présenteront. Ce compte rendu comprendra les importants engagements pris auparavant à l’égard des normes de communication; tout ce qui est survenu à l’audience Peshee; les assurances qui ont suivi l’audience Peshee, à savoir que les demanderesses avaient présenté leur cause conformément aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés; et tout ce qui s’est passé avant que M. Molstad prenne la barre et assume les fonctions d’avocat principal pour le compte des demanderesses à l’instance, bien que M. Healey et Mme Twinn aient poursuivi leur rôle tout au long du procès et selon les façons que j’ai mentionnées et qui sont consignées au dossier. Il faudra se fier au compte rendu que feront les demanderesses de la séquence des événements passés, qui sont au cœur du différend procédural opposant les parties et qui a mis fin au procès.

 

  • [190] Pour mettre en perspective la décision des demanderesses de clore leur cause à ce stade, il importe de se rappeler qu’en ce qui concerne leurs résumés des témoignages anticipés et témoins profanes, la présente instance n’a pas progressé bien au-delà du premier problème majeur que j’ai dû traiter comme juge de l’instance à l’automne 2004. Les événements subséquents ont révélé que la communication par les demanderesses des résumés des témoignages anticipés datant de cette période constituait leur principale préoccupation au procès et les a incitées, du moins en apparence, à clore leur cause. J’ai dû consacrer beaucoup de temps durant le procès à traiter les problèmes posés par les résumés que les demanderesses ont assuré à la Cour et aux autres parties qu’elles avaient réglés en 2004.

 

  • [191] Voilà quelques façons seulement dont les questions de conduite liées à la requête en partialité ont continué de miner les actions et forment de fait une partie importante du dossier qui expliquent pourquoi les demanderesses ont maintenant mis fin à leur cause et abandonné les présentes actions sans convoquer d’autres témoins. La décision des demanderesses de ne pas saisir le juge de l’instance de leur crainte appréhendée de partialité signifie qu’il est impossible d’évaluer pleinement l’incidence de la conduite des avocats individuels ou des demanderesses sur le problème vexatoire posé par les résumés des témoignages anticipés ou de rendre une décision à leur sujet à la lumière du motif d’appel que les demanderesses comptent invoquer. Compte tenu des tentatives sans fondement des demanderesses à l’audition de la requête en partialité de blâmer la Cour, malgré le démenti dans le dossier, pour les résumés des témoignages anticipés, leurs tentatives de se soustraire aux conséquences des décisions et jugements de la Cour se rapportant aux résumés, et compte tenu du fait que les demanderesses s’en remettent nettement aux comptes rendus révisionnistes et non assermentés de M. Healey de ce qu’il a compris à l’audience Peshee, ainsi que son rôle dans la production des résumés et la confirmation de la conformité présentée à la Cour, il est impératif de procéder à une évaluation de l’effet de ces questions sur toute « position » que les demanderesses peuvent choisir de tenir à propos des résumés et de leur rôle dans la clôture de la présente instance. En mettant fin à leur cause à ce temps‑ci, les demanderesses ont privé la Cour de moyens d’effectuer une telle évaluation. Elles se sont également privées de moyens d’établir une justification fiable et vérifiable de la clôture de leur cause à ce stade.

 

  • [192] Toutefois, même si les demanderesses n’alléguaient pas de crainte de partialité à l’endroit de la Cour, après avoir signifié avis qu’elles comptaient le faire, les questions de conduite signalées à l’audition de la requête en partialité et leurs tentatives répétées d’échapper aux conséquences découlant de leurs résumés des témoignages anticipés produits en 2004 se sont répercutées sur tout le procès et ne peuvent être écartées dans un appel, compte tenu de ce qui s’est passé durant le procès jusqu’ici.

 

  • [193] L’avis des demanderesses signifié à la Cour de leur intention de demander à la Cour d’appel fédérale d’entendre la crainte de partialité remontant à ma « nomination de juge de l’instance » est en soi révélateur de ce qui est survenu pour les amener à clore leur cause et à abandonner les présentes actions qui remontent à cette date et ne peuvent être comprises sans tenir compte de ce qui s’est passé en 2004‑2005. Mais le problème à remonter jusqu’à cette date est que la majorité des questions a déjà été tranchée et constitue chose jugée. En ce qui concerne les résumés des témoignages anticipés, la présente instance n’a pas réellement dépassé le stade d’il y a plus de trois ans, en 2004, lorsque j’ai été nommé juge de l’instance. Les demanderesses ont simplement tenté de débattre à nouveau et d’éviter les décisions prises à cette époque. Certaines de ces décisions n’ont pas été portées en appel par les demanderesses et certaines ont été confirmées en appel. La Cour a dû consacrer une autre année du procès à traiter encore une fois ce qui s’est révélé être les manquements ultérieurs des demanderesses à l’ordonnance préliminaire rendue par le juge Hugessen le 26 mars 2004, qui les sommait de produire des résumés des témoignages anticipés de leurs nouveaux témoins profanes, de même que les nouvelles assurances des demanderesses qu’elles l’avaient fait d’une manière conforme aux règles régissant les résumés.

 

  • [194] Je renvoie à ces questions maintenant, car les demanderesses m’ont avisé de leur intention d’interjeter appel, entre autres, pour partialité appréhendée depuis ma nomination de juge de l’instance. J’estime qu’il faut consigner au dossier que les demanderesses ont refusé de me saisir de ces questions, sans cependant expliquer pourquoi, et je ne veux pas que le silence du juge de l’instance soit interprété comme une acceptation d’une telle approche ou une indication que les problèmes passés peuvent être en quelque sorte dissociés de la décision des demanderesses de clore leur cause et de procéder à un appel à ce stade.

 

  • [195] J’avais espéré que les questions de conduite seraient révolues et qu’à mesure que progressait le procès, elles perdraient de leur importance alors que l’ensemble complet des éléments de preuve était versé au dossier. Toutefois, les demanderesses ont décidé de ne pas présenter tous leurs éléments de preuve à la Cour et se sont plutôt concentrées sur les questions procédurales soulevées jusqu’ici dans la présente instance, ce qui signifie inévitablement que les questions de conduite doivent demeurer un sujet fort préoccupant. Répétons que c’est le choix des demanderesses.

 

Problème véritable

 

  • [196] Quels que soient les motifs d’appel que les demanderesses comptent invoquer, leur décision de clore leur cause à ce temps-ci renvoie inévitablement à une question qui a paralysé la présente instance depuis ma nomination de juge de l’instance, c’est-à-dire le rôle et l’utilisation des résumés des témoignages anticipés.

 

  • [197] Un dossier fort volumineux traite de cette question, que je ne peux épuiser pour l’instant. J’estime pouvoir cependant illustrer le problème en renvoyant aux incohérences manifestes dans la position des demanderesses et qui n’ont pas été expliquées d’une manière acceptable. Au cœur des questions de conduite se trouve un point de désaccord plutôt élémentaire qui a incité les demanderesses, de manière apparente du moins, à décider de clore leur cause à ce temps‑ci. Cette question ne doit pas être éclipsée.

 

  • [198] Concernant le rôle et l’utilisation des résumés des témoignages anticipés dans la présente instance, les demanderesses ont fait trois assertions à la Cour et aux autres parties ou pris des engagements à leur endroit qui sont révélateurs, auxquels j’ai renvoyé fréquemment dans mes nombreux jugements et décisions. Ces assertions et engagements n’existent pas en vase clos et je les ai retenus à titre indicatif, car le dossier est trop volumineux pour être cité en entier chaque fois que je dois me pencher sur cette question. Quoi qu’il en soit ils sont indicatifs de la raison pour laquelle la présente instance s’est enlisée dans les problèmes liés aux résumés des témoignages anticipés qui remontent à 2004.

 

  • [199] Le premier engagement concerne la communication préalable au procès conformément aux normes définies par la Cour :

« [Les résumés des témoignages anticipés produits par les demanderesses] répondent à toutes les exigences que vous, monsieur le juge, avez fixées. De fait, ils vont au-delà et sont extrêmement détaillés ».

 

  • [200] Le second engagement ou assertion se rapporte au lien entre la communication préalable au procès et la preuve pertinente à présenter au procès :

L’aspect crucial – quelle est la question que doit trancher la Cour? La voici : L’autre partie a‑t‑elle reçu un avis des sujets que vous traiteriez? Voilà la question ultime, à mon avis. Et voici la réponse à cette question : la réponse est guidée par la norme régissant les résumés des témoignages anticipés.

 

Il est donc important que les deux parties reçoivent un avis, le même genre d’avis.

 

 

  • [201] Le troisième engagement est que les demanderesses ont accepté les règles régissant la communication des résumés des témoignages anticipés, que la Cour avait définies dans ses décisions et jugements, d’exposer leur cause en conséquence et de procéder de la sorte :

Nous agissons dans le cadre des règles fixées par la Cour. Les demanderesses ont présenté leur cause en signifiant les résumés de témoignage anticipé et, comme indiqué dans leurs observations du 21 décembre 2004, en conformité au mode autorisé par la Cour. Nous souhaitons procéder ainsi et que nos vis-à-vis s’y conforment également.

  • [202] Les décisions et jugements de la Cour rendus au procès révèlent que les demanderesses n’ont pas toujours agi en conformité à leurs engagements et assertions. Au procès, les demanderesses ont affirmé qu’elles « ne comprennent pas ni [...] n’acceptent l’utilisation des résumés des témoignages anticipés au procès dans le but d’exclure la preuve pertinente admissible » et que « l’acceptation d’une norme relative à la communication préalable des résumés des témoignages anticipés et les efforts déployés par les demanderesses pour se conformer à cette norme [...] n’ont aucun rapport avec l’admissibilité au procès ».

 

  • [203] Les demanderesses ont aussi révélé au procès qu’elles n’agissaient pas dans le cadre des règles régissant les résumés des témoignages anticipés et elles ont rejeté ces règles. Elles disent même qu’elles ne les « comprennent » pas. Elles affirment en outre qu’elles n’ont pas présenté leur cause au moyen de leurs résumés des témoignages anticipés car, à cause de ces résumés, elles ne peuvent exposer adéquatement leur cause.

 

  • [204] La Cour a demandé aux demanderesses d’expliquer ces incohérences. Concernant les premier et deuxième engagements, les demanderesses ont ignoré la demande et ont refusé de fournir des explications. En ce qui concerne le second engagement ou assertion, les demanderesses ont tenté de faire des distinctions révisionnistes et invraisemblables entre ce qui s’est passé à l’audience Peshee et ce qui devrait se passer relativement à leurs propres témoins. Non seulement ces distinctions ne sont-elles pas corroborées par le dossier mais, comme l’ont révélé les demanderesses, elles sont fondées sur l’avis de M. Healey sur la teneur de ses affirmations à cette audience, alors que sa conduite est soumise à l’examen de la Cour, qu’il a manifesté une profonde animosité personnelle à l’endroit du juge de l’instance, et qu’il n’a pas fait un compte rendu sous serment de l’audience Peshee, mais seulement par l’intermédiaire de M. Molstad en qualité de fonctionnaire judiciaire.

 

  • [205] Malgré ces incohérences et les contraventions des ordonnances et décisions de la Cour qui les sous-tendent, la Cour a autorisé les demanderesses à retenir tous leurs témoins et à convoquer d’autres témoins profanes, à condition qu’elles le fassent en conformité aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, qui ont été définies dans les décisions de la Cour et que les demanderesses ont confirmées et utilisées auparavant à leur avantage. Essentiellement, la Cour a fait savoir aux demanderesses qu’elles pouvaient retenir et convoquer tous leurs témoins profanes, à condition qu’elles confirment que leur communication est conforme à l’esprit et à l’objet des règles régissant les résumés fixées par la Cour.

 

 

  • [206] Les demanderesses ont décidé de ne pas retenir ou convoquer d’autres témoins profanes en conformité aux règles régissant la communication des résumés des témoignages anticipés. Peu après cette décision, elles ont mis fin à leur cause et ont informé la Cour de leur intention de demander une nouvelle instruction fondée, entre autres, sur une partialité appréhendée de la part du juge de l’instance. Les demanderesses ont maintenant révélé qu’elles ne souhaitaient pas poursuivre la présente instance si elles doivent respecter les règles régissant les résumés. Pourtant, ce sont les règles aux termes desquelles elles ont convoqué leurs témoins profanes et qu’elles ont confirmées et utilisées à leur propre avantage.

 

  • [207] L’origine de cette impasse est maintenant des plus évidentes, bien que les demanderesses aient maintes fois tenté de donner l’impression que la Cour était la cause de leur problème. Pourtant, la série d’incohérences et de dissimulations à ce sujet démontre autre chose.

 

  • [208] À l’audition de la requête en annulation du procès, les demanderesses ont fait savoir qu’elles ne pouvaient adéquatement présenter leur cause à la Cour comme elles voulaient le faire, car leurs témoins étaient seulement autorisés à témoigner de la façon dont les demanderesses avaient assuré à la Couronne qu’ils le feraient.

 

  • [209] Si les allégations des demanderesses sont correctes, à savoir qu’elles ne peuvent exposer adéquatement leur cause à la Cour, alors il s’ensuit que leurs résumés des témoignages anticipés dans leur forme actuelle ne leur ont jamais permis de présenter leur cause. Pourtant, les demanderesses avaient indiqué aux autres parties que là n’était pas le problème.

 

  • [210] Bien avant le procès, à l’audition de la requête en partialité, les demanderesses ont révélé qu’elles s’inquiétaient de la communication de leurs résumés des témoignages anticipés, ayant fait de nombreuses tentatives à cette époque de blâmer la Cour et la Couronne pour ce problème.

 

  • [211] Lors de l’audition de la requête en annulation du procès et par la suite, elles ont poursuivi leurs accusations infondées et injustifiées contre la Cour et ont allégué que la cause du problème n’était pas la communication de leurs résumés des témoignages anticipés, mais la norme « contraignante et explicite » imposée par la Cour dans le but d’exclure leur preuve.

 

  • [212] Les tentatives répétées de blâmer la Couronne ou la Cour pour les difficultés qu’elles ont éprouvées au procès en raison des résumés des témoignages anticipés les ont amenées à des incohérences et violations variées :

    1. Les excès associés à la requête en partialité dont ont fait état M. Healey et Mme Twinn – dans leur rôle d’avocats des demanderesses – ayant fait des déclarations sous serment, rédigé des affidavits mécaniques pour la signature d’autres personnes, et présenté une argumentation écrite biaisée et inexacte qui n’a pu être corroborée dans le dossier, dans laquelle ils ont avancé qu’il y aurait eu collusion entre la Cour, la Couronne et un autre avocat pour que les demanderesses n’aient pas le temps de produire de résumés des témoignages anticipés, après avoir fait savoir auparavant qu’elles les produiraient conformément aux règles connexes. C’est sans compter leur affirmation : « il exerçait de la pression sur nous et en avait conscience, et il savait que vous et les avocats adverses exerciez de la pression sur nous ». Tout cela s’est produit après l’audience Peshee, durant laquelle la Cour a demandé aux demanderesses de vérifier leurs résumés des témoignages anticipés et de lui signaler tout problème en temps opportun.

    2. Durant le procès, les demanderesses ont rejeté les règles régissant les résumés des témoignages anticipés et ont rétracté leurs assurances antérieures qu’elles procéderaient à l’instance en conformité aux règles, de nouveau accusant la Cour d’être la cause du problème. Elles ont donné un compte rendu révisionniste de l’audience Peshee, où selon la version des propos et des actes de M. Healey, la Cour avait utilisé les résumés des témoignages anticipés d’une manière que ne comprenaient pas les demanderesses afin de résoudre les questions pièges soulevées au procès.

 

  1. Lorsque la Cour a informé les demanderesses, dans sa directive du 5 juillet 2007, qu’elles devaient répondre à des questions pour déterminer la cause du problème, elles ont tout simplement refusé de répondre de façon satisfaisante dans le but de masquer ce qui était devenu évident à toutes les parties, à savoir que les demanderesses avaient de la difficulté à présenter leur cause à la Cour comme elles le souhaitaient, alors que le problème résidait dans la communication par les demanderesses de leurs résumés des témoignages anticipés.

 

  1. Lorsque la Cour a donné une autre occasion aux demanderesses de retenir et de convoquer des témoins conformément aux exigences de communication des résumés des témoignages anticipés, elles ont refusé. Elles ont maintenant mis fin à leur cause pour demander une nouvelle instruction. Ce sont les demanderesses qui ne veulent pas procéder si leurs témoins profanes doivent se limiter à la teneur des résumés de leurs témoignages. Il est donc évident que si les demanderesses sont réellement empêchées de présenter leur cause à la Cour comme elles l’entendent, c’est que leurs résumés des témoignages anticipés ne leur permettent pas de le faire.

 

  • [213] Les demanderesses n’ont pu expliquer ni justifier en quoi les règles régissant les résumés des témoignages anticipés, qui ont été adoptées à l’étape préalable à la présente instance, les ont empêchées de présenter leur cause à la Cour comme elles l’entendaient, alors qu’elles avaient fait savoir à la Cour et aux autres parties en 2004-2005 qu’elles voulaient procéder en conformité à ces règles. Et maintenant elles ont mis fin à leur cause sans fournir d’explication ou de justification.

 

  • [214] Ce sont les demanderesses qui ont décidé de ne pas convoquer ou retenir de témoins profanes et de ne pas procéder au procès :

    1. La Cour continuait d’entendre les témoins convoqués par les demanderesses jusqu’à ce qu’elles tentent de mettre fin au procès en voulant faire déclarer sa nullité. Cette tentative a été faite par les demanderesses. Elles ont demandé à la Cour de prononcer de son propre chef la nullité du procès.

 

  1. Après que les demanderesses ont adopté une conduite abusive, elles ont rejeté tout lien entre la communication des résumés des témoignages anticipés et la preuve au procès et ont révélé qu’elles avaient contrevenu aux exigences de communication. Personne n’a empêché les demanderesses de retenir ou de convoquer leurs témoins profanes. Tout ce qu’elles devaient faire, c’était de confirmer leur position ou d’en démontrer la véracité, à savoir qu’elles se conformaient aux normes de communication. Les demanderesses ont refusé de retenir ou de convoquer leurs témoins profanes de cette façon, c’était leur choix.

 

  1. Les demanderesses ont maintenant décidé de clore leur cause, alors que personne ne leur a demandé de le faire.

 

  • [215] Par le passé, les demanderesses ont assuré à la Cour qu’elles avaient présenté leur cause comme elles l’entendaient dans leurs résumés des témoignages anticipés, conformément aux règles fixées par la Cour, et qu’elles voulaient procéder de cette façon.

 

  • [216] Les demanderesses n’ont pas expliqué, encore moins justifié, à la Cour en quoi leur capacité à exposer leur cause a été compromise du fait que la Cour renvoyait aux résumés des témoignages anticipés dans ses conclusions relatives aux pièges, dans la mesure où les demanderesses ont présenté leur cause, comme elles ont assuré l’avoir fait à la Cour et aux autres parties, dans leurs résumés conformément aux règles. La Cour a maintes fois fait savoir aux demanderesses qu’elle ne peut déroger aux règles régissant les résumés des témoignages anticipés, car il s’agit du mode établi pour que toutes les parties puissent convoquer des témoins profanes. Les demanderesses ont refusé d’accepter cette position.

 

  • [217] S’il est vrai que les demanderesses ne peuvent exposer adéquatement leur cause du fait que leurs témoins sont seulement autorisés à témoigner selon ce que les demanderesses ont communiqué à la Couronne dans leurs résumés des témoignages anticipés (les demanderesses ont refusé de fournir des explications et des justifications qui permettraient à la Cour de déterminer si tel était le cas) alors, compte tenu de l’information communiquée à la Cour, il ne peut y avoir que deux explications de ce problème :

 

  1. soit que les résumés des témoignages anticipés produits par les demanderesses ne divulguent pas la teneur du témoignage des témoins, contrairement aux normes de communication;

 

  1. soit que la cause que les demanderesses souhaitent maintenant présenter n’est pas celle qu’elles ont fait savoir aux autres parties et à la Cour qu’elles présenteraient au moyen de leurs résumés des témoignages anticipés, conformément aux règles de communication.

 

  • [218] Si les résumés des témoignages anticipés des demanderesses ne renferment pas de compte rendu synoptique du témoignage de leurs témoins, conformément aux règles de communication, elles en sont les seules responsables après avoir reçu tout le temps qu’elles ont demandé pour s’assurer de présenter un compte rendu synoptique. Le défaut de présenter ce compte rendu n’est certes pas la faute de la Couronne ni de la Cour, pourtant c’est que les demanderesses ont essayé de démontrer. Par surcroît, les demanderesses ont refusé de reconnaître cette évidence.

 

  • [219] Si les demanderesses souhaitent présenter une cause différente de celle qu’elles avaient mentionnée auparavant, alors elles n’ont fait aucune tentative pour expliquer comment et pourquoi ce changement était survenu ou pourquoi toutes les parties se sont quand même présentées au procès sans cependant avoir été avisées d’un tel changement. Encore une fois, elles en sont les seules responsables. Il serait terriblement injuste d’insister pour que la Couronne se prépare à mener des contre‑interrogatoires sur la base d’une cause qui diffère de celle que les demanderesses avaient informé la Couronne qu’elle contre-interrogerait.

 

  • [220] L’audition de la requête en annulation du procès a révélé qu’après que les demanderesses ont été informées qu’elles devaient se conformer aux décisions et jugements de la Cour à propos de la communication des résumés des témoignages anticipés et de la pertinence de la communication pour les conclusions de piège, sans compter leurs assurances et positions antérieures quant à la conformité, elles ont voulu mettre fin au procès et recommencer afin de pouvoir agir librement sans être soumises à pareilles contraintes. Encore une fois, les demanderesses ont refusé d’expliquer de manière cohérente la cause d’une telle situation, privant la Cour de la possibilité de se prononcer à ce sujet. Mais quelle que soit la façon dont cette situation s’est produite, les demanderesses en demeurent responsables.

 

  • [221] S’il y a eu des problèmes associés aux résumés des témoignages anticipés et aux pièges au procès, les demanderesses en étaient les seules responsables, malgré qu’elles aient reçu tout le temps et les encouragements nécessaires pour faire en sorte que pareil problème ne se produise pas. En mettant fin à leur cause à ce stade, elles cherchent à échapper aux conséquences inévitables de leurs propres actes.

 

  • [222] Au début du procès, les demanderesses connaissaient la teneur de leurs plaidoiries ainsi que de leurs résumés des témoignages anticipés. Elles étaient au courant des règles régissant les résumés et elles savaient ce qu’elles avaient vu et avancé à l’audience Peshee.

  • [223] Les demanderesses ont elles-mêmes demandé à la Cour d’appliquer les règles régissant les résumés des témoignages anticipés contre « l’autre partie » et elles ont reçu l’appui de la Cour à cet égard. Les demanderesses ont déposé une requête pour s’assurer que la Couronne et les intervenants produisent des résumés des témoignages anticipés de leurs témoins et qu’ils en remettent copie aux demanderesses, qui respectaient les normes de communication synoptique fixées par la Cour. La Cour a accueilli cette requête et a ordonné à la Couronne et aux intervenants de fournir aux demanderesses ce qu’elles avaient demandé au sujet des résumés des témoignages anticipés. À l’audience Peshee, les demanderesses ont demandé à la Cour de les protéger contre tout piège et de se référer à l’un des résumés afin de déterminer si un piège avait été posé. La Cour a de nouveau protégé les demanderesses contre « l’autre partie » pour ce qui est des pièges et de l’utilisation des résumés des témoignages anticipés au procès.

 

  • [224] Les demanderesses affirment maintenant que la Cour a agi de façon injuste en statuant qu’elles sont visées par les mêmes règles que la Cour a appliquées en leur faveur et en défaveur de l’autre partie. En fait, elles refusent de retenir ou de convoquer des témoins si elles doivent être astreintes à ces règles.

 

  • [225] Voilà la question qui sous-tend la récente décision prise par des demanderesses de clore leur cause sans convoquer d’autres témoins, ou du moins selon ce qu’elles ont accepté de divulguer. Si les demanderesses ne peuvent prouver ou exposer adéquatement leur cause, comme elles l’allèguent présentement, c’est uniquement parce qu’elles ont refusé de retenir ou de convoquer des témoins profanes en utilisant les résumés des témoignages anticipés qu’elles ont produits, et malgré qu’elles aient continué d’assurer à la Cour et aux autres parties qu’ils étaient conformes aux normes. Toutes les questions d’abus soulevées au procès découlent des tentatives des demanderesses de faire en sorte que la Cour déroge, à leur avantage, aux principes qu’elle a appliqués à l’endroit de l’autre partie, qui y aurait été assujettie si elle avait convoqué des témoins profanes. Les demanderesses affirment que cela est injuste, mais la Cour n’est pas d’accord. Elles ont eu toute possibilité de présenter leur cause à la Cour, et c’est elles et elles seulement qui ont décidé de clore leur cause à ce stade de l’instance.

 

QUESTIONS EN SUSPENS

 

  • [226] Mon rôle dans la présente instance n’est pas terminé du fait que les demanderesses ont décidé de clore leur cause à ce stade. Je demeure saisi de plusieurs questions, que je dois traiter en temps et lieu.

 

  • [227] Par conséquent, malgré la décision de la Cour de rejeter les actions des demanderesses pour les motifs exposés, la Cour demeure saisie des questions suivantes, qui seront traitées en temps et lieu :

 

  1. toutes les questions découlant de la récente décision de la Cour sur les requêtes en adjudication de dépens déposées par la Couronne et les intervenants pour imposer des dépens majorés aux demanderesses;

 

  1. toutes les questions portant sur les frais généraux liés aux actions et à l’instance qui ont été engagés par toutes les parties n’ont pas encore été traitées;

 

  1. toutes les questions touchant la conduite personnelle de M. Healey et de Mme Twinn que la Cour a mises de côté aux fins d’une décision ultérieure;

 

  1. toutes les questions relatives à la détermination des conditions de mon ordonnance du 11 septembre 2007;

 

  1. les questions soulevées par les parties relatives à l’injonction interlocutoire en vigueur portant que si l’appel proposé des demanderesses visant cette ordonnance est rejeté ou laissé sans suite, toute partie peut présenter une requête au juge de l’instance pour statuer sur l’état ou l’effet, s’il en est, de l’injonction accordée par le juge Hugessen le 27 mars 2003, sous réserve toutefois que rien dans l’ordonnance ne nuise, porte atteinte ou porte préjudice le moindrement au droit ou à la capacité des demanderesses de faire valoir les arguments exposés sous la rubrique « Injonction interlocutoire » figurant dans leur lettre du 8 février 2008 relativement à la NSIAA et au Congrès des peuples autochtones, notamment :

 

  • (i) les intervenants, individuellement ou collectivement, n’ont pas le droit de déposer une telle requête ou la qualité pour le faire;

 

  • (ii) le juge de l’instance n’a pas compétence pour entendre une telle requête;

 

  • (iii) il n’y a aucun fondement juridique pour la position prise par les intervenants concernant les positions adoptées à l’égard d’une telle requête;

 

  • (iv) la conduite du juge de l’instance jusqu’à présent justifie une conclusion de crainte raisonnable de partialité.

 

  • [228] Sous réserve des questions exposées ci-dessus, dont la Cour demeure saisie, et sans préjudice des réserves et observations exprimées dans les présents motifs, étant donné que la Couronne et les demanderesses conviennent que la Cour devrait rejeter les présentes actions sur le fondement de la demande présentée par la Couronne, selon laquelle les demanderesses ne m’ont présenté aucune preuve relative aux actions, les actions sont rejetées car il n’y a aucune preuve à réfuter par la Couronne.

 

  « James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-66-86-A

 

INTITULÉ :  LA BANDE DE SAWRIDGE c. SA MAJESTÉ LA REINE ET AL. 

 

  T-66-86-B

LA PREMIÈRE NATION TSUU T’INA (anciennement la bande de Sarcee) c. SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 7 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :  Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :  Le 7 mars 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

  Edward H. Molstad, c.r.  POUR LES DEMANDERESSES

Nathan Whitling

David Sharko

Marco Poretti

Catherine Twinn

 

Wayne M. Schafer  POUR LE DÉFENDEUR

E. James Kindrake

Kathleen Kohlman

 

Janet Hutchison      POUR L’INTERVENANT

      CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES

 

Derek A. Cranna      POUR L’INTERVENANT

Jeremy Taylor      CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES

P. Jon Faulds      DU CANADA (ALBERTA)

 

Mary Eberts

Kasari Govender       POUR L’INTERVENANTE

  ASSOCIATION DES FEMMES AUTOCHTONES DU CANADA

 

Laura Snowball

Michael Donaldson  POUR L’INTERVENANTE

  NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF  ALBERTA   

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

  Parlee McLaws LLP  POUR LES DEMANDERESSES

Edmonton (Alberta)

 

Twinn Law Office

Slave Lake (Alberta)      POUR LES DEMANDERESSES

 

  John Sims, c.r.  POUR LE DÉFENDEUR

  Sous-procureur général du Canada 

 

  Chamberlain Hutchison  POUR L’INTERVENANT

  Edmonton (Alberta)  CONGRÈS DES PEUPLES AUTOCHTONES

 

 

  Field LLP      POUR L’INTERVENANT

  Edmonton (Alberta)     CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES

  DU CANADA (ALBERTA)

      

 

Law Office of Mary Eberts  POUR L’INTERVENANTE

Toronto (Ontario)  ASSOCIATION DES FEMMES

  AUTOCHTONES DU CANADA

 

  Burnet Duckworth & Palmer LLP    POUR L’INTERVENANTE

    Calgary (Alberta)  NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF

      ALBERTA   

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