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Date : 20080307

Dossier : T-822-07

Référence : 2008 CF 319

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

 

ENTRE :

LOCHER EVERS INTERNATIONAL

demanderesse

et

 

CANADA GARLIC DISTRIBUTION INC.

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I. Introduction

[1]               Il s’agit d’une requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse, Locher Evers International (LEI), en vue de recouvrer des montants réclamés à la défenderesse, Canada Garlic Distribution Inc. (Canada Garlic), soit 3 154,09 $ plus un montant suffisant pour le paiement de 212 503 $US au titre du fret pour le transport de produits frais de la Chine jusqu’à Toronto. La défenderesse ne conteste pas les montants réclamés, mais fait valoir premièrement, que des dommages causés aux cargaisons et attribuables aux violations du contrat qu’aurait commises la demanderesse lui donnent droit d’opérer compensation et, deuxièmement, que la convention conclue entre les parties contient une clause excluant la compétence de la Cour fédérale de trancher la réclamation.

 

II. Faits

[2]               Canada Garlic importe au Canada des légumes frais en provenance de Chine au moyen de navires de charge. LEI est une société qui s’occupe de l’importation de marchandises au moyen de navires de charge. Les parties ont conclu un contrat le 8 janvier 2002 qui était fondé sur une convention de crédit. La convention de crédit constitue un document d’une seule page. Les passages pertinents sont les suivants :

[traduction] CONDITIONS DE CRÉDIT

 

            Convention :

 

                           […]

 

Toutes les factures doivent être payées à LEI dans les ___ jours suivant la date de la facture. L’intérêt, calculé quotidiennement, est imputé à toutes les factures non réglées à compter de la date d’échéance de chaque facture, à un taux annuel équivalent au taux préférentiel commercial de la Banque Canadienne Impériale de Commerce, plus 2 % par année, pour toute journée donnée.

 

[…]

 

Le « client » sera lié par les Conditions générales (les « conditions ») (telles qu’elles auront été modifiées ou révisées de temps à autre) de l’Association des transitaires internationaux canadiens, inc. et de la Société canadienne des courtiers en douane, et les modifications ou les révisions de ces conditions seront envoyées par LEI au « client » sur demande.

 

[…]

 

 

 

Le « client » reconnaît avoir reçu une copie des « conditions » et des « conditions du contrat » en question au plus tard à la date de la présente demande.

 

Les cours de la province d’Ontario ont compétence pour trancher toute action intentée en vue du recouvrement des sommes exigibles par LEI en vertu de la présente convention ou du montant des factures remises par LEI pour des services fournis au « client ».

 

[3]               Depuis janvier 2002, la défenderesse a importé 635 conteneurs pleins de produits du règne végétal avec l’aide de la demanderesse. Entre mai et juillet 2006, cinq conteneurs de pois mange‑tout et de pois sugar snap sont arrivés au Canada; les pois se seraient avariés après avoir été transportés par Evergreen Marine Corporation. Les dommages-intérêts totaux réclamés par la défenderesse pour l’omission de la demanderesse de livrer les légumes en bon état s’élèvent à 222 585,15 $CAN. La défenderesse allègue que les légumes se sont avariés en raison du fonctionnement défectueux du conteneur de réfrigération à régulation de température et qu’ils ont commencé à se décomposer en cours de route.

 

[4]               La défenderesse a payé le fret et les frais y afférents pour ces cinq conteneurs endommagés et a continué à faire affaire avec la demanderesse. La demanderesse a envoyé quarante-neuf factures à la défenderesse entre le 15 novembre 2006 et le 19 mars 2007 pour des cargaisons subséquentes n’étant pas liées aux cargaisons endommagées. Ces factures s’élèvent respectivement à 212 503 $US et à 3 154,09 $CAN, et la défenderesse ne les a pas payées, puisqu’elle soutient qu’aucun règlement satisfaisant n’avait été conclu relativement aux cinq conteneurs endommagés et, par conséquent, qu’elle avait le droit d’opérer compensation.

 

[5]               La défenderesse allègue qu’avant l’introduction de la présente instance, les conditions précises de l’Association des transitaires internationaux canadiens, inc. (l’ATIC) n’ont jamais été portées à son attention malgré le fait qu’elles faisaient partie de la convention de crédit. Voici le libellé de l’article 17 des conditions de l’ATIC :

Le client doit payer à la compagnie, en espèces, ou tel

qu’autrement convenu, toutes créances dès qu’elles sont

exigibles, et le paiement ne peut être retenu ou différé pour le

motif de quelque réclamation, demande reconventionnelle ou

compensation que ce soit.

 

[6]               Chaque connaissement envoyé à la défenderesse par la demanderesse contenait le texte suivant :

[traduction] Les marchandises visées par le présent connaissement pour transport multimodal ont été reçues par le premier transporteur ou le transporteur maritime nommé aux présentes, selon le cas, en bon état apparent, sauf pour ce qui est souligné, et seront envoyées, transportées, acheminées, entreposées, manutentionnées et livrées, sous réserve des conditions des lignes de navigation, des transporteurs aériens, des transporteurs terrestres, des organismes ou des entreprises qui s’occupent de la réception, de l’envoi, du transport, de l’acheminement, de l’entreposage, de la manutention et de la livraison des marchandises mentionnées ci-dessous. Il est convenu que LOCHER EVERS INTERNATIONAL (LEI) ou ses agents agréés sont les seuls agents du chargeur ou du consignataire et qu’ils n’agissent ni comme transporteurs ni comme mandants dans tout contrat de transport. La version actuelle des conditions de l’Association des transitaires internationaux canadiens, inc. (l’ATIC) est incorporée par renvoi aux présentes; les conditions régissent les responsabilités de LEI à titre d’agente dans l’envoi ou la préparation pour envoi du présent connaissement. Afin d’aider le détenteur du présent connaissement, les conditions applicables aux mesures prises par LEI à titre d’agente sont énoncées au verso du présent connaissement. Les conditions générales de l’ATIC peuvent aussi être consultées au www.ciffa.com, y compris dans leur version française. Malgré le titre du présent document, soit « Document de transport multimodal », ces conditions s’appliquent également si un seul moyen de transport est utilisé.

III. Analyse

[7]               La Cour et les cours de juridiction supérieure ont confirmé à maintes reprises qu’une réclamation de fret maritime, comme celle qu’on a fait valoir en l’espèce, relève expressément de la compétence de la Cour fédérale aux termes de l’article 22 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. (Voir par exemple les arrêts ITO—Int’l Terminal Operators  c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752; et Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437.)

 

[8]               Les passages pertinents de l’article 22 sont les suivants :

Navigation et marine marchande

 

22. (1) La Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas — opposant notamment des administrés — où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

 

 

 

Compétence maritime

 

(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), elle a compétence dans les cas suivants :

 

[…]

 

e) une demande d’indemnisation pour l’avarie ou la perte d’un navire, notamment de sa cargaison ou de son équipement ou de tout bien à son bord ou en cours de transbordement;

 

 

 

f) une demande d’indemnisation, fondée sur une convention relative au transport par navire de marchandises couvertes par un connaissement direct ou devant en faire l’objet, pour la perte ou l’avarie de marchandises en cours de route;

 

 

[…]

 

i) une demande fondée sur une convention relative au transport de marchandises à bord d’un navire, à l’usage ou au louage d’un navire, notamment par charte-partie;

Navigation and shipping

 

 

22. (1) The Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under or by virtue of Canadian maritime law or any other law of Canada relating to any matter coming within the class of subject of navigation and shipping, except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned.

 

 

Maritime jurisdiction

 

(2) Without limiting the generality of subsection (1), for greater certainty, the Federal Court has jurisdiction with respect to all of the following:

 

[…]

 

(e) any claim for damage sustained by, or for loss of, a ship including, without restricting the generality of the foregoing, damage to or loss of the cargo or equipment of, or any property in or on or being loaded on or off, a ship;

 

 

(f) any claim arising out of an agreement relating to the carriage of goods on a ship under a through bill of lading, or in respect of which a through bill of lading is intended to be issued, for loss or damage to goods occurring at any time or place during transit;

 

[…]

 

(i) any claim arising out of any agreement relating to the carriage of goods in or on a ship or to the use or hire of a ship whether by charter party or otherwise;

 

[9]               En l’espèce, la clause relative à la compétence sur laquelle se fonde la défenderesse ne vise pas à exclure la compétence de la Cour fédérale. Que le mot [traduction] « ont » soit considéré ou non comme impératif, la clause n’exclut pas la compétence de la Cour fédérale prévue aux alinéas 22(2)e) et f) cités ci-dessus.

 

[10]           De plus, je suis également d’avis que la défenderesse n’a pas soulevé la question relative à la compétence en temps opportun. Elle aurait dû soulever cette question par requête préliminaire en radiation des actes de procédure de la demanderesse. La défenderesse a plutôt simplement terminé ses plaidoiries. Je fais référence à la décision que j’ai rendue dans l’affaire Première nation Dene Tsaa c. Canada, [2001] A.C.F. no 1177, aux paragraphes 3 et 4, où j’ai affirmé :

3     À mon avis, la jurisprudence de la présente cour indique fortement qu’une requête qui est fondée sur les dispositions de la règle 221, à part l’alinéa a), doit être présentée avant que le défendeur ait terminé ses plaidoiries, ou si elle est présentée par la suite, la plaidoirie elle-même doit renfermer une réserve au sujet des paragraphes contestés. Je me contenterai de mentionner une décision à l’appui de cette thèse; il s’agit de la décision rendue par la Cour d’appel dans l’affaire Proctor & Gamble Co. c. Nabisco Brands Ltd. [(1985), 62 N.R. 364, à la page 366.]

 

4     Il existe une raison justifiant la règle en question, à savoir que lorsqu’une requête en radiation est fondée sur l’alinéa a), c’est-à-dire que la déclaration ou les paragraphes contestés ne révèlent aucune cause d’action valable, la requête porte sur le nœud même du litige; il convient que la Cour puisse examiner des questions de ce genre à n’importe quel stade, ce qui entraînera peut-être des conséquences à l’égard des dépens seulement, si la personne qui présente la requête le fait tardivement. Toutefois, lorsque la requête est fondée sur les alinéas b) à f) de la Règle, il s’agit essentiellement d’une plaidoirie technique; or, selon la pratique de la Cour, qui existe depuis bien des années, les parties devraient être encouragées à régler ces questions à un stade peu avancé de l’affaire. Si une partie veut contester pour une raison technique l’acte de procédure d’une autre partie, elle doit le faire le plus tôt possible dans l’instance, à défaut de quoi la partie doit en rester là.

 

[11]           Je souligne également que le fait que la défenderesse se fonde sur la clause relative à la compétence contenue dans la convention de crédit est incompatible avec sa tentative d’éviter l’application des autres clauses de la même convention. Mme Qiu, qui était responsable de la logistique pour la défenderesse, a témoigné dans son affidavit que les conditions de l’ATIC n’avaient pas été portées à son attention. Cela est incompatible avec la déclaration contenue dans la convention de crédit, citée ci-dessus, selon laquelle une copie de ces conditions avait été fournie à Canada Garlic.

 

[12]           Il y a des références constantes aux conditions de l’ATIC dans à peu près tous les documents envoyés à la défenderesse par la demanderesse, notamment dans la convention de crédit et les connaissements susmentionnés. Je suis convaincu que la demanderesse a pris les mesures raisonnables afin de porter ces conditions à l’attention de la défenderesse. Je conclus que les conditions de l’ATIC font partie des ententes contractuelles entre les parties.

 

[13]           Plus précisément, je conclus que les conditions de l’ATIC exclues toute demande de compensation pour des allégations de dommages subis à la cargaison et que, lorsqu’on les lit au regard de la page titre des connaissements envoyés à l’égard des cargaisons en litige, ces conditions indiquent clairement que LEI agissait à titre d’agente pour la défenderesse lorsqu’elle a conclu les contrats de transport, et à titre d’agente pour le transporteur lorsqu’elle a accusé réception des marchandises en bon état apparent. LEI n’était pas le transporteur comme tel, ce dernier étant clairement identifié dans les connaissements. Les éléments de preuve se trouvent à peu près tous dans des documents récents, et il n’y a aucune question relative à la crédibilité en l’espèce. Je conclus qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse et que la défense déposée en réponse à la réclamation doit être rejetée.

 

[14]           La requête en jugement sommaire sera accueillie et la demanderesse aura droit aux montants réclamés et à ses dépens qui devront être taxés. Si les parties ne parviennent pas à un accord au sujet du calcul des montants exigibles, un renvoi peut être demandé.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La requête en jugement sommaire présentée par la demanderesse est accueillie.

2.                  La demanderesse a droit aux montants réclamés et à ses dépens qui devront être taxés.

 

 

 

« James K. Hugessen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                T-822-07

 

INTITULÉ :                                                               LOCHER EVERS INTERNATIONAL

                                                                                    c.

                                                                                    CANADA GARLIC DISTRIBUTION

                                                                                    INC.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 16 JANVIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                          LE JUGE HUGESSEN

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 7 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gavin Magrath

 

          POUR LA DEMANDERESSE

Allan S. Halpert

 

         POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Magrath O’Connor LLP

Toronto (Ontario)

 

         POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

        POUR LA DÉFENDERESSE

 

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