Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date: 20080307

Dossier : IMM-2900-07

Référence : 2008 CF 317

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE  KELEN

 

 

ENTRE :

SAMUEL UMACHI OGBONNAYA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 21 juin 2007 par laquelle l’agent des visas Jean-Pierre Lavoie a, au Haut-commissariat adjoint du Canada à Lagos, au Nigeria, rejeté la demande de délivrance d’un visa d’étudiant présenté par le demandeur.

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur est un citoyen du Nigeria âgé de 23 ans. Depuis la fin de ses études secondaires en juin 2003, il a joué un rôle très actif au sein de la paroisse Apapa de l’Église presbytérienne du Nigeria, à Lagos. Le demandeur est le président, section jeunesse, du consistoire de Lagos Ouest et il siège au conseil d’assemblée de sa paroisse.

 

[3]               Le 23 mars 2007, le demandeur a été admis à l’Université York de Toronto, au sein d’un programme de premier cycle de quatre ans en économie, à la faculté Atkinson d’études libérales et professionnelles. D’après la lettre d’acceptation reçue par le demandeur, les études de ce dernier devaient commencer le 5 septembre 2007.

 

[4]               Le 2 juin 2007, le demandeur a présenté au Haut-commissariat adjoint du Canada à Lagos une demande de délivrance de visa d’étudiant. Dans sa formule de demande, le demandeur mentionnait que la paroisse Apapa de l’Église presbytérienne du Nigeria était commanditaire de ses études, en raison de son engagement et de son leadership au sein de l’Église et de son rôle dans l’administration de celle-ci du fait de son poste au conseil d’assemblée.

 

[5]               Le 21 juin 2007, l’agent des visas a rejeté la demande de visa d’étudiant parce qu’il n’était pas convaincu que, premièrement, le demandeur était réellement un étudiant, et que, deuxièmement, il quitterait le Canada à la fin de sa période d’études.

 

[6]               Le 18 juillet 2007, le demandeur a déposé la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent des visas. Il y a eu depuis report de l’admission du demandeur à l’université, les études de ce dernier étant maintenant censées commencer en septembre 2008.

 

LA QUESTION EN LITIGE

[7]               La seule question à examiner dans le cadre du présent contrôle judiciaire est de savoir si l’agent des visas a commis une erreur en refusant de délivrer au demandeur un visa d’étudiant.

 

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[8]               Dans Tran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1377, 59 Imm. L.R. (3d) 217, le juge Shore a examiné quelle norme il convenait d’appliquer à la décision d’un agent des visas et a ainsi déclaré ce qui suit au paragraphe 23 :

¶ 23     En l'espèce, les questions traitées par l'agente des visas sont des questions de fait. L'agente des visas n'était pas convaincue que M. Le Minh Tran était réellement un résident temporaire qui quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Plus précisément, l'agente n'était pas convaincue que les liens que M. Le Minh Duc Tran entretenait avec le Vietnam étaient suffisamment forts pour garantir son retour une fois ses études au Canada terminées. La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision manifestement déraisonnable. En d'autres termes, la Cour ne doit pas intervenir à moins que l'on ne puisse démontrer que la décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire. […]

 

 

[9]               Les arguments présentés au juge Shore dans l’affaire Tran sont les mêmes que ceux présentés à la Cour en l’espèce, soit que l’agent des visas aurait commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas réellement un étudiant et qu’il ne retournerait pas dans son pays, le Nigeria en l’espèce, une fois ses études au Canada terminées. Je partage donc l’avis du juge Shore et conclus que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent des visas dans la présente affaire est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[10]           Aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) (LIPR), l’étranger désirant obtenir un visa d’étudiant doit faire la preuve à l’agent des visas qu’il n’est pas interdit de territoire au Canada et satisfait aux exigences en matière d’admissibilité de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), notamment qu’il n’est pas un immigrant et qu’il entend quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

[…]

 

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

 

[…]

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[…]

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[…]

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

[…]

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

[…]

 

[11]           On précise au paragraphe 216(1) du Règlement les critères que l’agent des visas doit prendre en considération aux fins de l’appréciation de la demande :

216. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

a) l’étranger a demandé un permis d’études conformément à la présente partie;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

c) il remplit les exigences prévues à la présente partie;

d) il satisfait aux exigences prévues à l’article 30.

 

216. (1) Subject to subsections (2) and (3), an officer shall issue a study permit to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

(a) applied for it in accordance with this Part;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

(c) meets the requirements of this Part;   and

(d) meets the requirements of section 30.

 

L’ANALYSE

Question préliminaire --   Le demandeur a-t-il inclus à tort dans le cadre de la présente demande des documents n’ayant pas été présentés à l’agent des visas?

 

[12]           À titre de question préliminaire, le défendeur prétend que l’affidavit du demandeur comprend à tort des documents que le demandeur n’avait pas présentés à l’agent des visas lors de l’examen par celui-ci de sa demande. Parmi ces documents, il y avait une « déclaration d’un membre de la famille » faite par le frère du demandeur et datée du 17 juillet 2007 ainsi qu’une lettre du 16 juillet 2007 appuyant la demande du demandeur et provenant du révérend Nzie Eke de la paroisse Apapa. Ces documents figurent aux pages 17 et 18 du dossier de la demande du demandeur.

 

[13]           Après examen des documents, la Cour partage l’avis du défendeur et estime que l’agent des visas ne disposait ni de l’un ni de l’autre document lorsqu’il a pris sa décision. Ces documents doivent donc être exclus de la preuve à prendre en considération par la Cour. L’un et l’autre documents sont d’une date postérieure à celle de la décision de l’agent des visas, soit le 21 juin 2007. Par conséquent, bien que les deux documents constituent une preuve étayant la prétention du demandeur selon laquelle il est réellement un étudiant et entretient des liens étroits avec le Nigeria, la Cour ne prendra en considération ni l’un ni l’autre document dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[14]           Le demandeur prétend également qu’il est [traduction] « difficile de discerner de quels renseignements inclus dans l’affidavit du demandeur […] était saisi l’agent d’immigration », puisqu’aucun document inclus dans cet affidavit ne l’était dans les notes de l’agent des visas, datées du 11 décembre 2007 et reçues par la Cour le 17 décembre 2007. La Cour conclut à cet égard que, même si tous les documents en question, sauf la « déclaration d’un membre de la famille » et la lettre du révérend Nzie Eke, n’étaient pas inclus dans les notes de l’agent des visas, ce dernier en était saisi en bonne et due forme lorsqu’il a pris la décision. Les documents jugés les plus pertinents par la Cour aux fins de la prise de décision de l’agent des visas – la lettre de l’Université York datée du 23 mars 2007, la « confirmation de parrainage » datée du 31 mai 2007 provenant de la paroisse Apapa et le « certificat d’information de la police » daté du 28 mai 2007 – sont tous trois d’une date antérieure à celle de la présentation par le demandeur (le 2 juin 2007) de sa demande de délivrance d’un visa d’étudiant. Il serait illogique, par conséquent, que le demandeur ait réuni tous ces documents en vue de la présentation de la demande de visa, puis ne les ait pas déposés à l’appui de cette demande. En outre, le demandeur a déposé sous serment dans son affidavit que l’agent des visas était bien saisi de ces documents, et cette déposition n’est pas contredite par la preuve. Par conséquent, la simple prétention par le défendeur qu’il est « difficile de discerner » si l’agent des visas était saisi de ces documents ne suffit pas pour que la Cour modifie sa conclusion à cet égard.

 

La question en litige – L’agent des visas a-t-il commis une erreur en refusant de délivrer au      demandeur un visa d’étudiant?

 

[15]           La Cour conclut que, compte tenu de la preuve dont l’agent des visas était saisi en bonne et due forme lorsqu’il a rendu sa décision, il était manifestement déraisonnable pour ce dernier de rejeter la demande de visa d’étudiant du demandeur.

 

[16]           Premièrement, il semble d’après ses notes que, si l’agent des visas a conclu que le demandeur ne lui avait pas fait la preuve qu’il retournerait au Nigeria à la fin de la période de séjour autorisée, c’était parce que le demandeur n’entretenait pas suffisamment de liens avec le Nigeria et qu’il ne serait ainsi aucunement incité à y retourner une fois ses études terminées. La Cour juge cette conclusion manifestement déraisonnable, compte tenu qu’il est fait état dans la demande de visa du demandeur d’une longue liste de membres de sa famille, soit sa mère, son père et six frères et sœurs, tous plus âgés que le demandeur. Le demandeur a en outre déclaré qu’il ne compte aucun membre de sa famille au Canada, ce qui laisse supposer une forte motivation pour retourner au Nigeria une fois ses études terminées. Le demandeur a également démontré qu’il avait tissé des liens étroits avec l’Église presbytérienne du Nigeria, ce qui, à n’en pas douter, devrait également influencer sa décision de retourner dans son pays. Le demandeur a démontré l’existence de ces liens dans sa demande de visa en déclarant que, depuis la fin de ses études secondaires, il s’était [traduction] « beaucoup impliqué dans le travail auprès des jeunes » au sein de l’Église. L’existence de ces liens est étayée par la « confirmation de parrainage » de la paroisse Apapa où l’on déclare que le demandeur avait joué [traduction] « un rôle très actif dans la paroisse ».

 

[17]           Compte tenu de l’existence de ces liens étroits avec le Nigeria, il était également manifestement déraisonnable pour l’agent des visas de conclure que le demandeur n’était pas réellement un étudiant. Cela est d’autant plus vrai que le demandeur a produit une lettre d’admission de l’Université York démontrant que le demandeur était bien admis au sein du programme d’études en économie et que ces études allaient commencer en septembre 2007. La Cour est surprise que l’agent des visas ait pu tirer sa conclusion sur le sujet tout en faisant état explicitement dans ses notes de l’admission du demandeur à un programme d’études de quatre ans à l’Université York. Bien que la décision de l’agent des visas pose indubitablement en prémisse que le demandeur a terminé ses études secondaires en 2003, quatre années avant le dépôt de sa demande de visa, l’agent, en concluant que le demandeur n’avait suivi aucun cours par la suite ni jamais travaillé, a omis de prendre en compte le travail et l’engagement de ce dernier pendant cette période au sein de l’Église presbytérienne du Nigeria.

 

[18]           Finalement et bien que cela soit secondaire en regard des deux erreurs précédemment mentionnées, la Cour désire relever que la conclusion de l’agent des visas selon laquelle le demandeur n’avait pas voyagé dans le passé est directement contredite par la « confirmation de parrainage » de la paroisse Apapa, où l’on mentionne que le demandeur fut choisi pour représenter le Nigeria à la Conférence mondiale du Conseil œcuménique des Églises tenue au Brésil en 2006.

 

[19]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut qu’il était manifestement déraisonnable pour l’agent des visas de rejeter la demande de délivrance d’un visa d’étudiant présentée par le demandeur. Par conséquent, la Cour accueillera la présente demande et annulera la décision datée du 21 juin 2007 de l’agent des visas Jean-Pierre Lavoie.

 

[20]           Les deux parties et la Cour conviennent que la présente affaire ne soulève aucune question qui devrait être certifiée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l’agent des visas est annulée et la demande est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision, avec comme directive de prendre en considération tout nouveau document présenté par le demandeur, y compris les documents mentionnés au paragraphe 12 des présents motifs.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-2900-07

 

INTITULÉ :                                                            SAMUEL UMACHI OGBONNAYA

                                                                                 c.

                                                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 26 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 7 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pius Okoronkwa

 

POUR LE DEMANDEUR

Lisa Hutt

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pius Okoronkwa

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.