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Date : 20080304

Dossier : IMM-7284-05

Référence : 2008 CF 290

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

HASAN MAHMUD CHOWDHURY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Chowdhury, un citoyen du Bangladesh, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision en date du 17 novembre 2005 par laquelle un tribunal de la Section du statut de réfugié (la SPR) a conclu qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Comme j’ai conclu que la commissaire saisie de cette affaire a commis une erreur en estimant que le demandeur n’était plus exposé à un risque de persécution à la suite du changement de gouvernement survenu au Bangladesh, l’affaire doit être renvoyée à la SPR pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué.

 

[2]               Le demandeur craint d’être persécuté dans son pays d’origine en raison de ses activités politiques. En 1990, il est devenu un membre actif au sein de l’aile étudiante du Parti nationaliste du Bangladesh (le BNP) et a été nommé président de sa division en 1997. Il affirme que des partisans de la Ligue Awami (AL), parti opposé, étaient responsables des attaques à son endroit et à son domicile en 1994, notamment à la suite de la victoire de l’AL aux élections d’octobre 1996. Il affirme aussi qu’après les élections de 1996, il a fait l’objet de pressions visant à l’amener à changer de parti.

 

[3]               Le 30 août 1997, M. Chowdhury a été arrêté et détenu pour divers chefs d’accusation, y compris extorsion et possession d’armes illégales, crimes qu’il nie avoir commis. Il affirme qu’alors qu’il était détenu, on lui a de nouveau demandé de rejoindre les rangs de l’AL. Devant son refus, on l’a battu. Il a été libéré sous caution le 23 septembre 1997 avec obligation de se présenter à la police une fois par mois. Après s’être présenté à deux reprises au poste de police et croyant que l’AL le recherchait, il s’est caché, pour ensuite s’enfuir à Dacca. Il a obtenu un faux passeport et il a pris l’avion pour le Canada, où il est arrivé le 24 avril 1998. Il a demandé l’asile dès son arrivée.

 

[4]               Le 19 juin 1999, la Section de l’immigration a conclu que M. Chowdhury n’était pas interdit de territoire pour grande criminalité par application de l’article 1Fb) de la Convention en raison des accusations en instance contre lui au Pakistan. Sa demande d’asile a été déférée à la SPR. À l’issue de sa première audience devant la SRP, le tribunal est arrivé à une conclusion différente au sujet de l’exclusion. Le juge Luc Martineau a fait droit à la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Chowdury en 2003 au motif que la SPR avait commis une erreur en refusant de conclure à l’irrecevabilité en raison de la décision précédente de la Section de l’immigration. La seconde audience a eu lieu en deux séances, en juin et en octobre 2005.

 

[5]               Dans la seconde décision rendue au sujet de la demande d’asile de M. Chowdhury, la commissaire de la SPR a expliqué qu’elle n’était pas convaincue qu’en date de la décision, M. Chowdhury avait raison de craindre d’être persécuté au Bangladesh. Elle a également estimé qu’il n’y avait pas non plus de motifs sérieux de croire qu’il avait qualité de personne à protéger et elle a par conséquent rejeté sa demande d’asile.

 

[6]               La commissaire de la SPR a essentiellement fondé sa décision sur la victoire du BNP à l’issue de la campagne électorale de 2001. Elle a expliqué que le parti qui avait pris le pouvoir était en mesure de protéger ses partisans et que la police hésiterait à donner suite aux accusations portées contre M. Chowdhury en raison de ses affiliations politiques. Elle a également tiré une conclusion défavorable du fait que le demandeur n’avait pas contacté directement un avocat au Bangladesh pour confirmer que les accusations portées contre lui étaient toujours en instance et qu’il n’avait pas présenté d’éléments de preuve fiables au sujet de la situation au Bangladesh au moment de l’audience. Les vérifications faites auprès de la mission canadienne n’avaient pas permis de confirmer qu’un mandat d’arrestation avait été lancé contre le demandeur.

 

Questions en litige

 

[7]               Le demandeur conteste la décision au motif que la commissaire a commis une erreur :

            1. dans son appréciation du degré de risque exigé à l’alinéa 97(1)b) de la LIPR;

            2. en concluant que les craintes de M. Chowdhury n’avaient pas de fondement objectif au moment de l’audience;

            3. en ne vérifiant pas si le changement de gouvernement apporterait des changements concrets, durables ou significatifs dans la situation du demandeur.

 

 

Analyse

 

Degré de risque

 

[8]               Le choix du critère juridique approprié est une question de droit à laquelle s’applique la norme de contrôle de la décision correcte. Je ne suis pas convaincu que la commissaire a commis une erreur en employant les mots « motifs sérieux » pour apprécier le risque auquel le demandeur serait exposé lorsqu’elle a appliqué le critère prévu au paragraphe 97(1) de la LIPR plutôt que la norme de la prépondérance des probabilités. 

 

[9]               Je constate que, dans l’affaire Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] A.C.F. no 1, [2005] 3 C.F. 239, la question étaient essentiellement l’inverse de celle qui est posée en l’espèce. Appelée à préciser le critère applicable au degré de risque de torture visé à l'alinéa 97(1)a), la Cour d’appel a jugé que c’était celui de la probabilité la plus forte ou de la « probabilité plutôt que le contraire ». Le juge Marshall Rothstein, siégeant alors à la Cour d’appel, a ensuite conclu que le degré de risque exigé en vertu de l'alinéa 97(1)b) était celui du risque plus probable que le contraire. Bien qu’il soit vrai que l’expression « motifs sérieux » figure dans la première disposition mais pas dans la seconde, le degré de risque exigé est le même. La forme emporterait le fond si l’on annulait la décision de la commissaire sur un aspect technique aussi pointu.

 

[10]           Je vais examiner ensemble le deuxième question et la troisième question car elles me semblent liées.

 

Fondement objectif / Conséquences du changement de gouvernement

 

[11]           Il était loisible à la commissaire de conclure que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir le fondement objectif de son allégation que les accusations portées contre lui étaient toujours en instance et qu’il serait arrêté à son retour au Bangladesh. J’estime toutefois que la commissaire a commis une erreur en spéculant que, si les accusations étaient toujours en instance, la police n’y donnerait pas suite en raison du changement de gouvernement.

 

[12]           Le demandeur affirme que la commissaire de la SRP était tenue d’évaluer les incidences de tout changement survenu dans la situation de son pays d’origine ou dans sa situation personnelle (Boateng c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 64 F.T.R. 197, [1993] A.C.F. no 479). Le simple fait que le parti au pouvoir a changé ne suffit pas, en soi, pour qu’on puisse conclure que ce changement de gouvernement a apporté des changements concrets, durables ou significatifs au point où il est plus probable que le contraire que le demandeur soit exposé à un risque de persécution.

 

[13]           Le défendeur fait valoir, à juste titre, que la question de savoir si le changement survenu était concret, durable et significatif ne constitue pas une norme juridique (Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1995), 179 N.R. 11, [1995] A.C.F. no 35 (C.A.F.)). La question demeure une question de fait. Le changement survenu dans la situation politique du pays d’origine du demandeur d’asile n’est pertinent que s’il peut aider à trancher la question de savoir s’il existait ou non, à la date de l’audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur d’asile soit persécuté s’il retourne dans son pays d’origine.

  

[14]           Pour en arriver à cette décision, la commissaire de la SRP devait toutefois tenir compte de la durabilité du changement survenu dans la situation au pays d’origine et de la stabilité de la situation politique, avant de pouvoir conclure à une absence de risque. Agir autrement mettrait en danger les personnes qui fuient leur pays parce qu’elles y sont persécutées parce qu’elles se sont ralliées à l’un des deux antagonistes dans le cadre d’un conflit. Bien qu’elles puissent être en sécurité pendant la période au cours de laquelle leur groupe a la cote, la fragilité de cette sécurité est une question dont la SPR doit tenir compte avant de rendre sa décision. Or, la décision de la commissaire ne permet pas de croire qu’elle s’est penchée sur cette question dans le cas qui nous occupe.

 

[15]           Au moment de l’audience, on pouvait douter de la stabilité du gouvernement de coalition dirigé par le BNP, qui était par ailleurs obligé de tenir des élections au cours de l’année suivant la décision de la SRP. L’histoire politique du Bangladesh depuis son indépendance nous enseigne que ses gouvernements sont éphémères et que les deux principaux partis se succèdent à la tête du pays, avec l’intervention périodique de l’armée. La commissaire aurait dû tenir compte des conséquences qu’aurait subies M. Chowdhury si cette alternance des partis au pouvoir s’était répétée dans un avenir prévisible.

 

[16]           Bien qu’il ressorte de la preuve que les personnes qui occupent des échelons supérieurs au sein de la hiérarchie judiciaire au Bangladesh sont indépendantes et qu’elles sont à l’abri de la corruption, on ne peut en dire autant de tout le système judiciaire. Qui plus est, il existe un nombre considérable de causes en retard et les périodes prolongées de détention préventive sont monnaie courante. Si les accusations portées contre M. Chowdhury sont toujours en instance et s’il est arrêté à son retour, il y a fort à parier qu’il sera incarcéré pour un temps indéterminé jusqu’à son procès.

 

[17]           Pour ces motifs, je vais faire droit à la demande. Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier et, vu l’ensemble des faits de la présente affaire, aucune ne se pose.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ACCUEILLE la demande et RENVOIE l’affaire pour qu’elle soit réexaminée par un tribunal différemment constitué. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7284-05

 

INTITULÉ :                                       HASAN MAHMUD CHOWDHURY

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCEP :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 5 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

Margherita Braccio

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHEAL CRANE

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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