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Date : 20080303

Dossier : IMM-2779-07

Référence : 2008 CF 272

Ottawa (Ontario), le 3 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

 

 

ENTRE :

ADNAN DECEVIC

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Adnan Decevic est un citoyen de la Serbie-et-Monténégro. Arrivé au Canada en 2003, il a demandé l’asile au motif qu’il a été persécuté en raison de son orientation sexuelle. Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Decevic avait effectivement raison de craindre d’être persécuté. Toutefois, la Commission a également conclu que M. Decevic ne pouvait être admis à demander l’asile en raison d’activités criminelles auxquelles il se serait livré en Norvège, et pour lesquelles il faisait toujours l’objet d’un mandat d’arrestation.

 

[2]               M. Decevic soutient que la Commission l’a traité injustement en ne lui accordant pas une possibilité suffisante de répondre aux allégations formulées contre lui. Il affirme aussi que la  Commission a commis de graves erreurs de fait. Il me demande d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience. Je suis d’accord pour dire que M. Decevic a été traité injustement et je dois en conséquence faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’est pas nécessaire que je me penche sur les arguments portant sur les conclusions de fait de la Commission puisqu’un autre tribunal devra tirer de nouvelles conclusions de fait.

 

I.     Question en litige

 

[3]               La Commission a-t-elle traité M. Decevic injustement?

 

II.   Analyse

 

  1. Contexte factuel

 

[4]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a avisé la Commission en janvier 2005 que le ministre avait l’intention de prendre part à l’audience portant sur la demande d’asile de M. Decevic. En particulier, le ministre a soutenu que l’asile devait être refusé à M. Decevic par application de l’article 1(F)b) de la Convention sur le statut de réfugié, qui prévoit que les dispositions de la Convention ne sont pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime grave de droit commun. En l’espèce, le ministre affirme que l’asile devrait être refusé à M. Decevic devrait être exclu parce qu’il a été reconnu coupable de trafic de stupéfiants en Norvège, où il a été condamné à une peine d’emprisonnement de dix ans. Le ministre avait joint aux observations écrites qu’il avait soumises à la Commission une copie d’un mandat d’Interpol qui renvoyait à un mandat d’arrestation qui avait été lancé en 2004 en Norvège contre M. Decevic. L’avocate du ministre n’a pas comparu à l’audience.

 

[5]               Juste avant l’audience, l’avocate de M. Decevic a répondu aux allégations du ministre en soumettant des éléments de preuve documentaire selon lesquels M. Decevic n’aurait pas pu être condamné pour quoi que ce soit parce que, en Norvège, aucun inculpé ne peut être condamné par contumace. La Commission a accepté ces éléments de preuve, mais a également déclaré qu’elle serait disposée à recevoir d’autres éléments de preuve du ministre après l’audience. La Commission a également informé l’avocate de M. Decevic qu’elle se verrait offrir la possibilité de répondre à tout élément de preuve complémentaire soit par écrit soit lors d’une reprise de l’audience. Le ministre a alors produit la déclaration solennelle d’un agent d’immigration indiquant que M. Decevic avait été accusé en Norvège d’infractions en matière de stupéfiants mais qu’il n’avait pas été condamné. Le ministre a maintenu qu’il y avait encore des raisons sérieuses de penser que M. Decevic avait commis des crimes graves de droit commun en Norvège.

[6]               Après avoir reçu les observations du ministre, l’avocate de M. Decevic a informé la Commission qu’elle souhaitait qu’on lui accorde la possibilité d’y répondre. Peu de temps après, elle a soumis à la Commission des observations écrites dans lesquelles elle s’opposait à l’admission en preuve des éléments de preuve complémentaires soumis par le ministre. La Commission a répondu qu’elle avait accepté les nouveaux éléments de preuve du ministre et que M. Decevic pouvait répondre par écrit ou en demandant la réouverture de l’audience. L’avocate de M. Decevic a répondu en demandant à la Commission de motiver sa décision d’accepter les nouveaux éléments de preuve du ministre. La Commission a refusé de fournir des motifs écrits, mais elle a autorisé M. Decevic à présenter de nouveaux éléments de preuve. La Commission a en outre rappelé que M. Decevic avait le droit de réclamer la réouverture de l’audience. L’avocate de M. Decevic a répondu en demandant formellement à la Commission de reprendre l’audience pour lui permettre de répondre aux éléments de preuve complémentaires du ministre. L’avocate du ministre a expliqué qu’elle n’avait rien contre une reprise de l’audience, à condition que M. Decevic consente à ce que les autorités norvégiennes divulguent d’autres renseignements. L’avocate de M. Decevic a expliqué qu’elle tentait d’obtenir d’autres renseignements de la Norvège, mais que sa thèse était que M. Decevic n’y avait pas été mis en accusation.

 

  1. Décision de la Commission

 

[7]               Sans avoir repris l’audience, la Commission a exposé des motifs dans lesquels elle concluait que M. Decevic ne pouvait être admis à demander l’asile sur le fondement des éléments de preuve complémentaires du ministre. Dans ses motifs, la Commission a rappelé qu’elle avait invité M. Decevic à demander une reprise de l’audience. La Commission a laissé entendre que, comme M. Decevic n’avait pas fait cette demande, elle devait accepter les éléments de preuve non contredits contenus dans les observations complémentaires du ministre. La Commission a déclaré :

 

Sur demande du tribunal, l’agent de protection des réfugiés a fait savoir à la conseil que, pour le tribunal, le fait de convoquer de nouveau le demandeur d’asile n’ajouterait aucune preuve probante, mais qu’il était loisible à la conseil de solliciter une reprise. Donc, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que la déclaration solennelle est probante et crédible.

 

[…]



La conseil souligne que les règles de divulgation sont conçues pour assurer l’équité de la procédure, et le tribunal en convient. Cependant, le tribunal a admis la communication tardive du demandeur d’asile et a donné à la ministre la possibilité d’y répondre Selon la prépondérance des probabilités, je considère que le tribunal aurait accepté une reprise à la demande de la conseil, le cas échéant.

 

 

[8]               Il semble que la Commission n’était pas au courant de la demande de réouverture de l’audience que M. Decevic avait présentée pour pouvoir répondre aux éléments de preuve soumis par le ministre après l’audience. Il semble en outre que la Commission a estimé qu’elle était tenue d’accepter ces éléments de preuve faute d’éléments de preuve soumis en réponse par M. Decevic.

 

  1. Analyse et conclusion

 

[9]               À mon avis, les faits révèlent que M. Decevic a été traité injustement. Il a réclamé, par le biais de son avocate, la possibilité de répondre aux observations complémentaires du ministre et il s’est vu refuser cette possibilité. La Commission a conclu à tort, mais probablement sans qu’on puisse lui reprocher de faute à ce sujet, que M. Decevic n’avait plus rien à dire sur le sujet et elle a tiré en conséquence des conclusions qui lui étaient défavorables. M. Decevic a manifestement subi un traitement injuste, compte tenu du fait que son avocate avait expressément demandé la réouverture de l’audience pour répondre aux éléments de preuve soumis par le ministre.

 

[10]           La présente affaire devrait être renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission qui tiendra une nouvelle audience portant exclusivement sur la question de l’exclusion. Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale pour que je la certifie, et aucune n’est certifiée.


 

JUGEMENT

LA COUR :

 

1.                  ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire;

2.                  ORDONNE la tenue d’une nouvelle audience par un tribunal différemment constitué de la Commission, qui se penchera exclusivement sur la question de l’exclusion;

3.                  Aucune question grave de portée générale n’a été proposée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2279-07

 

INTITULÉ :                                                   ADNAN DECEVIC c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 26 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 3 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M                                                                           Michael Crane        POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

                                                                              Michael Crane        POUR LE DEMANDEUR                 Toronto (Ontario)                                       

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John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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