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Date : 20080307

Dossiers : IMM-2922-07

 IMM 2923-07  

Référence : 2008 CF 324

ENTRE :

ARASH ASLANI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE HARRINGTON

[1]               M. Aslani est citoyen de l’Iran. Il est arrivé à Montréal en novembre 2004 et a demandé l’asile. Son identité étant mise en doute, il a été détenu par les autorités d’immigration et il a fait l’objet de plusieurs audiences de révision de détention pendant trois mois.  Ce qui complique le tout est le fait qu’il a avancé deux versions différentes des raisons ayant justifié son départ pour le Canada. 

 

[2]               Il faudrait que les Canadiens soient vraiment naïfs pour croire cette histoire que M. Aslani a révélée en deux volets.

 

[3]               À en croire le récit de M. Aslani, on devrait considérer que ce dernier :

a.       a été accusé d’avoir commis un crime et de trahison contre l’État d’Iran et condamné le 28 juin 2003 à la peine de mort par un tribunal militaire.

b.      a réussi à s’échapper avec l’aide de son père qui aurait soudoyé le juge.

c.       est retourné au travail comme associé dans une compagnie informatique, au lieu de se cacher immédiatement après s’être évadé de prison. Et dans les jours qui ont suivi, M. Aslani et son ami et collègue M.  Kashani ont été interrogés par des agents AMAKEN, un bureau de contrôle dépendant de l’État, concernant une fraude. M. Aslani a été détenu, interrogé et torturé pendant au moins une semaine.

d.      a été libéré et a alors quitté l’Iran le 19 juillet 2003.

 

[4]               Le récit énoncé dans son premier Formulaire de renseignements personnels (FRP) se penche principalement sur la prétention qu’il a été persécuté en raison de son emploi. M. Aslani a omis de mentionner qu’il a été condamné à la peine de mort par un tribunal militaire. Selon cette version de l’histoire, il aurait quitté l’Iran en octobre 2004 seulement. Il a cependant été démasqué par les autorités canadiennes qui l’ont confronté avec le fait qu’il aurait vraisemblablement quitté l’Iran en juillet 2003 et qu’il aurait séjourné pour une longue période en Europe avant de venir au Canada.  En conséquence, M. Aslani a déposé un nouveau FRP dans lequel il explique qu’il avait menti suite aux conseils de son procureur ou de l’interprète, pour camoufler le fait qu’il aurait réclamé le statut de réfugié en Hollande en 2004, ce qui lui fut refusé, et qu’il aurait voyagé au Royaume Uni, en Allemagne, en France et en Turquie.

 

[5]               Il n’a jamais abandonné son premier récit, mais des faits importants de celui-ci ne se sont pas retrouvés dans son second FRP. Il tente maintenant de fusionner les deux récits afin de créer une seule histoire, cherchant peut-être à appuyer ses prétentions relativement à des difficultés dans son emploi, mais toutefois rien en rapport avec la sentence le condamnant à la mort.

 

[6]               M. Aslani demande à notre Cour d’effectuer un contrôle judicaire de deux décisions négatives, soit d’une décision d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) dans le dossier IMM-2922-07, et d’une décision basée sur des considérations humanitaires (CH) dans le dossier IMM-2923-07. Pour en arriver à une décision dans ces dossiers, la Cour a quand même dû se familiariser avec l’histoire alambiquée de M. Aslani.

 

[7]               Présentant un risque de fuite à son arrivée au Canada en novembre 2004, M. Aslani a été détenu pendant plusieurs mois. La transcription de l’audience de révision de ses conditions de détention révèle qu’il possède au moins quatre identités, qu’il ne distingue pas entre la réalité et la fiction et qu’il a menti à son avocat ainsi qu’aux autorités.

 

[8]               Dans une décision rendue en juin 2005, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la revendication de M. Aslani du statut de réfugié. La SPR a statué sur les risques allégués par M. Aslani en fonction des exigences des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), et a conclu qu’il n’est pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. La SPR a aussi décidé que la crédibilité de M. Aslani était sérieusement compromise en fonction des nombreuses contradictions de ses différents récits, par son incapacité à les expliquer et à produire la preuve pour appuyer ses prétentions.

 

[9]               La demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par M. le juge Simon Noël (Aslani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 351, [2006] A.C.F. no 422). Il a alors précisé que la SPR n’avait erré ni en fait ni en droit en rendant sa décision. M. le juge Noël a même considéré la prétention du demandeur selon laquelle la SPR avait ignoré certains éléments de preuve, en particulier l’affidavit de M. Kashani. Il a alors décidé que cet argument ne pouvait être retenu puisque la SPR est présumée, sauf en cas de preuve contraire, avoir pris en considération toute la preuve devant elle. De plus, il a mentionné que, selon la transcription de l’audience, la situation de M. Kashani et ses liens avec le demandeur ont fait objet de discussion pendant l’audience (voir para. 41 de sa décision).

 

[10]           Par la suite, M. Aslani a demandé une ERAR de même qu’une permission de soumettre une demande de résidence permanente pendant qu’il est au Canada en se fondant sur des considérations d’ordre humanitaire, et ce, au lieu de suivre la règle normale imposant que la demande soit fait de l’extérieur du Canada. Les deux demandes ont été déposées, évaluées et rejetées au moyen de motifs écrits qui énoncent les raisons justifiant chacune des décisions négatives. M. Aslani demande à notre Cour d’effectuer un contrôle judicaire des deux décisions.

 

 

[11]           Jusqu’à hier, la norme de contrôle applicable dans ce contexte aux questions de fait était celle de la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de fait et de droit était celle de la décision raisonnable; et la norme applicable aux questions de droit était celle de la décision correcte. Voir par exemple Kim c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 437, [2005] A.C.F. no 540.  Pour ce qui est de la question de la norme de contrôle applicable lorsqu’une décision d’ERAR est examinée dans sa totalité, la norme de contrôle était celle de la décision raisonnable (Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] 4 R.C.F. 387). La jurisprudence a établi que la norme de contrôle applicable aux demandes CH est celle de la norme raisonnable (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). 

 

[12]           Mais, à la lumière de la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, dans laquelle la Cour suprême du Canada vient juste d’abolir la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable, le tout doit être réexaminé. Après une étude plus approfondie, je ne trouve rien de déraisonnable à l’égard des deux décisions rendues par l’agent, soit l’ERAR et celle de la CH.

 

[13]           Dans le cadre de l’ERAR (dossier IMM-2922-07), M. Aslani a réitéré les mêmes faits et les mêmes craintes que ceux préalablement étudiés par la SPR. Notons qu’il a aussi soumis l’affidavit de M. Kashani et qu’il allègue que l’agent chargé de l’ERAR ne l’a pas pris en considération. Selon les motifs de la décision d’ERAR, l’agent a jugé que le contenu de l’affidavit avait déjà été soumis à la SPR et qu’il ne constituait donc pas un « nouvel élément de preuve ».  Selon l’agent, bien que l’affidavit contenait une nouvelle date, son contenu dans son ensemble avait déjà été pris en considération par la SPR.

 

[14]           Le programme d’ERAR a été mis en place pour permettre aux personnes éligibles de demander la protection du Canada en raison de nouveaux risques auxquels elles pourraient être exposées à la suite de leur renvoi vers leur pays de nationalité. Toutefois, il faut préciser que même si l’ERAR prend en considération la décision de la SPR, l’agent d’ERAR n’est pas lié par les conclusions de cette décision ni ne doit-il la réviser. Selon l’article 113 de la LIPR, l'agent ne doit considérer que les « preuves nouvelles » qui sont créées après le rejet de la demande d'asile qui n'étaient pas raisonnablement accessibles ou dont on n'aurait pas pu raisonnablement s'attendre à ce qu'elles soient présentées devant la Commission (Kaybaki c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 32, [2004] A.C. F. no 27). La LIPR limite l’acceptation de nouveaux éléments de preuve pour examiner les risques qu’à ceux survenus depuis la décision rendue par la SPR en fonction des exigences des articles 96 et 97. Les soumissions de M. Aslani ne répondaient pas à ces critères.

 

[15]           Je ne trouve aucune erreur susceptible de contrôle judicaire dans la décision d’ERAR. Le demandeur essaie de relancer les mêmes arguments qu’il a présentés dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision négative de la SPR datée de juin 2005. Jusqu’à quel point la SPR a tenu compte de cet affidavit, de son contenu ainsi que du fait que son auteur n’a pu témoigner à l’audience de la SPR, a déjà été décidé par notre Cour (Aslani, précité). En lisant les motifs de l’agent chargé de l’ERAR, on constate que l’agent a pris en considération l’affidavit mais a jugé que le contenu ne constituait pas un nouvel élément de preuve. Plus encore, le contenu des deux affidavits n’est pas pertinent aux conclusions tirées par l’agent,  car le récit de M. Kashani appuie l’histoire énoncée par M. Aslani dans son premier FRP, avant qu’il ait apporté des modifications et ait par la suite soumis un deuxième FRP pour appuyer sa demande d’ERAR. Le contenu n’apportera aucune aide mais renforcera les contradictions dans son histoire et minera sa crédibilité d’autant plus qu’elle l’est déjà. Il y a présentement trois affidavits de M. Kashani dans le dossier qui comportent peu de différences, sauf, notamment, une précision de date qui nuit davantage à son histoire puisque M. Kashani serait alors parti de l’Iran avant même que les événements racontés ne soient arrivés.   

 

[16]           Dans le cadre de la demande de résidence permanente de M. Aslani (dossier IMM-2923-07), l’agent a statué qu'il n'existe pas de considérations d'ordre humanitaire justifiant l’accord d’une dispense de l'obligation d'obtenir un visa de résident permanent avant de venir au Canada. Dans le cas en l’espèce, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle judicaire : la conclusion de l’agent est irréfutable.

 

[17]           La jurisprudence a établi qu'il incombe au demandeur de fournir les éléments de preuve à l'appui d'une demande CH (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 158, [2004] 2 R.C.F. 635), ce que M. Aslani n’a pas fait. Il a produit des lettres pour montrer qu’il a des liens avec le Canada dont un emploi et des amis, mais il n’a soumis aucun élément de preuve, ni jugement de la cour militaire ou mandat d’arrêt, pour appuyer ses prétentions qu’il a été détenu ou a été condamné à la peine de mort en Iran ou même pour justifier ses craintes de retour fondées sur sa recherche par les autorités iraniennes.

[18]           Bien que la décision de l’agent ne peut se baser sur de pures conjectures, ce dernier peut néanmoins considérer plusieurs facteurs en évaluant une demande basée sur des CH, incluant la manière dont le demandeur est entré au Canada, le fait que les raisons d'ordre humanitaire alléguées par une personne sont le fruit de ses propres agissements et la possibilité d’emploi ou la présence de famille dans son pays d’origine.

 

[19]           L’agent a noté que toute la famille de M. Aslani est en Iran. Le fait que l’agent ait par la suite suggéré que sa famille pourrait lui offrir du soutien vient brouiller les pistes.  Il s’agit donc de déterminer si M. Aslani pourrait raisonnablement subvenir à ses besoins en Iran, par exemple, en se trouvant un emploi. En tant que jeune homme valide ayant reçu une bonne formation, la réponse est sans doute affirmative.

 

[20]           L’agent a consulté plusieurs documents d'information sur l'Iran, dans les deux dossiers, soit la demande d’ERAR et celle basée sur des considérations humanitaires, incluant le rapport UNHCR/ACCORD.  Dans son mémoire supplémentaire, le demandeur allègue que l’agent ne fait aucune mention du document intitulé « Iran : European Country of Origin Information Network » et que le fait que le défendeur en ait soumis une copie avec un affidavit supplémentaire constitue une nouvelle preuve, ce qui est interdit par les règles de cette Cour.  Le demandeur a cependant tort. Ce document a bel et bien été considéré et explicitement mentionné par l’agent dans ses motifs et ce, dans les deux dossiers. D’ailleurs, c’est le demandeur qui a d’abord soulevé l’argument, dans son mémoire principal,  que ce document constituait de la preuve extrinsèque puisqu’il ne leur avait pas été divulgué par l’agent et n’était pas accessible au public par l’entremise du site web cité dans les motifs de la décision. Allant encore plus loin, le demandeur appuie cette prétention avec un affidavit de la secrétaire de son avocate. Le défendeur a prouvé le contraire, en fournissant une copie du document, tirée de l’Internet, ce qui ne constituait pas de la nouvelle preuve.

 

[21]           Il ressort de ce qui précède que l'agent d'ERAR a évalué le risque auquel serait exposé le demandeur dans l’éventualité d’un retour en Iran d'une manière approfondie et détaillée. Sa décision est tout à fait cohérente avec les informations disponibles sur les conditions en Iran, même si on ne tient pas compte de la documentation contestée par le demandeur, et avec la situation particulière de M. Aslani soit son manque de crédibilité et le fait qu’il n’a fourni aucune preuve pour appuyer ses prétentions.

 

[22]           Il me semble pertinent de citer un extrait de la décision Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358, [2002] A.C.F. no 457, où la Cour d’appel fédérale a dit au paragraphe 19 :

 

Bref, la Loi sur l'immigration et la politique canadienne en matière d'immigration sont fondées sur la prémisse que quiconque vient au Canada avec l'intention de s'y établir doit être de bonne foi et respecter à la lettre les exigences de fond et de forme qui sont prescrites. Quiconque entre illégalement au Canada contribue à fausser le plan et la politique d'immigration et se donne une priorité sur tous ceux qui, eux, respectent les exigences. Le ministre, qui est responsable de l'application de la politique et de la Loi, est très certainement autorisé à refuser la dispense que demande une personne qui a établi l'existence de raisons d'ordre humanitaire, s'il est d'avis, par exemple, que les circonstances de l'entrée ou du séjour au Canada de cette personne la discréditent ou créent un précédent susceptible d'encourager l'entrée illégale au Canada. En ce sens, il est loisible au ministre de prendre en considération le fait que les raisons d'ordre humanitaire dont une personne se réclame soient le fruit de ses propres agissements.

 

[23]           M. Aslani aura jusqu’au mardi 18 mars 2008 pour soulever des questions graves de portée générale susceptible d'être certifiées. Le Ministre aura jusqu’à mardi 25 mars 2008 pour y répondre.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 7 mars 2008


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-2922-07

                                                            IMM-2923-07

 

INTITULÉ :                                       ARASH ASLANI c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 février 2008

 

MOTIFS  DE L’ORDONNANCE:  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 7 mars 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annick Legault

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Martine Valois

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Annick Legault

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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