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Date : 20080304

Dossier : T‑127‑07

Référence : 2008 CF 291

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

SANOFI‑AVENTIS CANADA INC. et
SANOFI‑AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

 

demanderesses

 

et

 

LABORATOIRE RIVA INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande est présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 et modifications (le Règlement). Le médicament en cause est connu sous le nom de ramipril, un médicament qui est utilisé dans le traitement de l’hypertension, une application « ancienne » pour ce composé, et dans la prise en charge de patients présentant un risque accru d’incident cardiovasculaire, une application « nouvelle », parmi d’autres applications.

 

[2]               Les demanderesses, Sanofi‑Aventis Canada Inc. (Sanofi‑Aventis) et Sanofi‑Aventis Deutschland GmbH, vendent des médicaments au Canada, dont le ramipril, sous l’appellation ALTACE. La défenderesse, Laboratoire Riva Inc. (Riva), voudrait vendre sa version générique de ce médicament (le Riva‑Ramipril). Conformément au Règlement, Riva a signifié à Sanofi‑Aventis un avis d’allégation où elle affirme que les brevets énumérés pour le médicament, à savoir les brevets canadiens 2,382,549 (le brevet 549) et 2,382,387 (le brevet 387) (appelés collectivement les brevets HOPE), ne seraient pas contrefaits si le défendeur le ministre de la Santé (le ministre) devait délivrer un avis de conformité à Riva pour lui permettre de vendre au Canada son médicament générique, le Riva‑Ramipril. Les demanderesses sont d’avis que Riva incitera les médecins, les pharmaciens et les patients à contrefaire les brevets HOPE, et elles ont donc introduit la présente instance pour empêcher le ministre de délivrer un avis de conformité.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande d’ordonnance d’interdiction sera rejetée, avec dépens. Pour l’essentiel, les demanderesses n’ont pas établi, selon la prépondérance de la preuve, que Riva agira de manière à contrefaire les brevets HOPE ou à entraîner la contrefaçon des brevets HOPE. L’interprétation des brevets HOPE n’est pas en cause, et Riva sollicite un avis de conformité pour une unique application qui n’entre pas dans les revendications d’applications nouvelles figurant dans les brevets HOPE. Les demanderesses ont largement mis l’accent, dans leurs conclusions écrites et orales, sur l’allégation selon laquelle la stratégie globale de commercialisation employée par Riva au Canada et au Québec entraînera la contrefaçon des brevets HOPE. Cependant, après examen de l’ensemble de la preuve, les demanderesses n’ont pas établi que les allégations d’absence de contrefaçon ne sont pas fondées. La preuve que j’ai devant moi n’est pas concluante. Les nombreux arguments juridiques des demanderesses, que je rejette également, sont analysés plus en détail ci‑après. Cependant, il convient de mettre la présente demande dans son contexte et de donner un aperçu général de la preuve produite par les parties. Il n’est pas nécessaire, aux fins des présents motifs, de reproduire les portions confidentielles des éléments de preuve pertinents qui ont été soumis à la Cour.

 

[4]               Le 5 décembre 2006, Riva a signifié à Sanofi‑Aventis un avis d’allégation dans lequel elle affirme qu’elle ne portera atteinte à aucune revendication des brevets HOPE en fabriquant, en construisant, en utilisant ou en vendant son Riva‑Ramipril. Riva dit qu’elle souhaite obtenir un avis de conformité pour le Riva‑Ramipril pour le seul traitement de l’hypertension essentielle, c’est‑à‑dire pour l’application mineure « ancienne », et non pour l’une des applications « nouvelles » revendiquées par les brevets HOPE.

 

[5]               S’agissant du brevet 549, Riva écrit ce qui suit :

[traduction]

Riva ne portera pas atteinte aux revendications 1 à 36 du brevet 549 parce que le [Riva‑Ramipril] ne sera pas fabriqué, construit, utilisé ou vendu par Riva pour l’une quelconque des applications revendiquées dans le brevet 549.

 

Riva voudrait obtenir un avis de conformité pour son ramipril uniquement au regard du traitement de l’hypertension. Le ramipril est approuvé au Canada pour une telle application depuis octobre 1993, bien avant une quelconque date du brevet 549. Riva ne sollicite une approbation pour aucune autre application. […]

 

Tout avis de conformité qui découle d’une [présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN)] de Riva aura pour conséquence, en droit, de limiter la commercialisation et la vente, par Riva, du [Riva‑Ramipril] à l’indication thérapeutique qui est demandée dans son PADN, à savoir le traitement de l’hypertension.

 

Riva n’entend pas commercialiser, utiliser, construire, fabriquer ou vendre le [Riva‑Ramipril] pour une quelconque autre application. Par conséquent, Riva ne portera pas atteinte aux revendications du brevet 549.

 

Par ailleurs, Riva n’amènera nullement autrui à croire que le [Riva‑Ramipril] peut ou devrait être employé pour les applications revendiquées dans le brevet 549.

 

Dans sa monographie, Riva n’insérera aucune affirmation encourageant l’une des applications revendiquées. Dans sa monographie, Riva précisera que le [Riva‑Ramipril] n’est approuvé que pour l’application et l’indication à l’égard desquelles est délivré l’avis de conformité, qu’il devrait être utilisé pour telle application et indication et qu’aucune déclaration ou mention figurant dans la monographie ne signifie que l’emploi du [Riva‑Ramipril] est encouragé, conseillé ou recommandé pour autre chose que l’utilisation et l’indication approuvées.

 

Dans ses activités de commercialisation, Riva ne fera nulle mention des applications revendiquées.

 

Riva se fonde sur les mêmes affirmations en ce qui concerne le brevet 387. L’avis d’allégation concluait aussi à l’invalidité des brevets. Cependant, Riva s’est par la suite désistée de toutes ses contestations concernant la validité des brevets HOPE.

 

[6]               En réponse à l’avis d’allégation, Sanofi‑Aventis a déposé un avis de demande, daté du 19 janvier 2007, où il est écrit que l’affirmation de Riva selon laquelle Riva ne portera pas atteinte aux brevets HOPE n’est pas fondée, en droit ou en fait. Plus précisément, Sanofi‑Aventis fait valoir ce qui suit : a) le Riva‑Ramipril est un bio‑équivalent de l’ALTACE; b) Riva admet qu’elle ne sollicitera pas une interchangeabilité restreinte pour le Riva‑Ramipril sur les formulaires provinciaux; c) une fois que le Riva‑Ramipril sera indiqué sur les formulaires provinciaux comme un parfait équivalent de l’ALTACE, les médecins prescriront, les pharmaciens dispenseront et les patients utiliseront le Riva‑Ramipril pour les applications brevetées; d) Riva fera porter ses activités de commercialisation sur la mise en place d’incitations financières destinées aux pharmaciens pour les encourager à ne stocker que le Riva‑Ramipril en tant que ramipril générique exclusif; il n’est pas établi que de telles incitations visent à encourager les pharmaciens à ne pas stocker l’ALTACE.

 

[7]               Je relève d’abord que divers fabricants de produits génériques, par exemple Apotex, Novopharm et Pharmascience, ont tenté de pénétrer le marché du ramipril et que les tentatives de Sanofi‑Aventis pour les empêcher de le faire, par le dépôt de demandes d’ordonnance d’interdiction, n’ont pas donné de résultats à ce jour. S’agissant du brevet 1,341,206, la demande d’ordonnance d’interdiction déposée par Sanofi‑Aventis contre Apotex a été rejetée (2005 CF 1283, conf. par 2006 CAF 64, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée : [2006] C.S.C.R. n° 136 (QL)), comme le fut sa demande d’ordonnance d’interdiction à l’encontre de Novopharm (2006 CF 1135, conf. par 2007 CAF 163, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée : [2007] C.S.C.R. n° 311 (QL)). Pareillement, s’agissant du brevet 2,023,089, les demandes d’ordonnance d’interdiction déposées par Sanofi‑Aventis contre Apotex, Novopharm et Pharmascience ont toutes été rejetées : 2005 CF 1461, conf. par 2006 CAF 357, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée : [2007] C.S.C.R. n° 5 (QL); 2006 CF 1547, inf. par 2007 CAF 167; 2006 CF 861. S’agissant du brevet 2,055,948, la demande d’ordonnance d’interdiction déposée par Sanofi‑Aventis contre Pharmascience a été rejetée : 2006 CF 898. Il convient aussi de noter que les trois brevets apparentés suivants ont expiré : le brevet 1,187,087, le brevet 1,246,457 et le brevet 2,382,387.

 

[8]               J’observe que, avant le début de la présente procédure, Sanofi‑Aventis avait sollicité également, dans les dossiers T‑1384‑04 et T‑1888‑04, des ordonnances d’interdiction impliquant les mêmes parties à propos de quatre autres brevets, dont trois revendiquaient de « nouvelles » applications prétendues du ramipril. Ces demandes ont été rejetées le 28 mai 2007, par des ordonnances du juge Harrington : Sanofi‑Aventis Inc. c. Laboratoire Riva Inc., 2007 CF 532, [2007] A.C.F. n° 757 (QL) (les ordonnances Harrington). Il n’a pas été interjeté appel de l’ordonnance finale rendue dans le dossier T‑1888‑04 et les deux avis d’appel déposés dans le dossier T‑1384‑04 ne concernent que l’une des applications du brevet dont il s’agissait dans cette affaire‑là.

 

[9]               Par conséquent, la présente demande constitue le dernier obstacle pouvant empêcher Riva de pénétrer le marché avec le Riva‑Ramipril.

 

[10]           Le sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement dispose ainsi :

5. (1) Dans le cas où la seconde personne dépose une présentation pour un avis de conformité à l’égard d’une drogue, laquelle présentation, directement ou indirectement, compare celle‑ci à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien aux termes d’un avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été présentée — ou y fait renvoi —, cette seconde personne doit, à l’égard de chaque brevet ajouté au registre pour cette autre drogue, inclure dans sa présentation :

 

[…]

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

 

[…]

 

(iv) elle ne contreferait aucune revendication de l’ingrédient médicinal, revendication de la formulation, revendication de la forme posologique ni revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal en fabriquant, construisant, utilisant ou vendant la drogue pour laquelle la présentation est déposée.

 

5. (1) If a second person files a submission for a notice of compliance in respect of a drug and the submission directly or indirectly compares the drug with, or makes reference to, another drug marketed in Canada under a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the second person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

 

 

 

 

[…]

(b) allege that

 

 

[…]

 

(iv) no claim for the medicinal ingredient, no claim for the formulation, no claim for the dosage form and no claim for the use of the medicinal ingredient would be infringed by the second person making, constructing, using or selling the drug for which the submission is filed.

 

[11]           Vu que Riva s’est désistée de sa conclusion antérieure d’invalidité du brevet, la seule question encore en litige, à ce stade de la procédure, concerne l’absence de contrefaçon des brevets HOPE. Sanofi‑Aventis doit établir, selon la prépondérance de la preuve, que les allégations d’absence de contrefaçon contenues dans l’avis d’allégation de Riva ne sont pas fondées : Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 140, [2007] A.C.F. n° 506 (QL). Selon le Règlement, la contrefaçon peut être directe ou induite : Pharmascience Inc. c. Sanofi‑Aventis Canada Inc. et al, 2006 CAF 229, [2007] 2 R.C.F. 103 (l’arrêt Pharmascience); demande de pourvoi rejetée, [2006] C.S.C.R. n° 362 (QL). Vu que les brevets HOPE ne concernent que les applications « nouvelles » du ramipril (la prise en charge de patients présentant un risque accru d’incident cardiovasculaire), les parties s’accordent à dire que Riva ne portera pas directement atteinte aux brevets HOPE. Le point à décider dans la présente affaire est donc de savoir si Sanofi‑Aventis peut établir, selon la prépondérance de la preuve, que Riva incitera ou amènera d’autres personnes à contrefaire les brevets HOPE.

 

[12]           Au soutien de sa demande, Sanofi‑Aventis a déposé dix affidavits, accompagnés de la preuve documentaire pertinente. Ce qui suit n’est qu’un bref aperçu de la preuve en question :

a)                      Malcolm O. Arnold, professeur de médecine, de physiologie et de pharmacologie à l’Université de Western Ontario, cardiologue au Centre des sciences de la santé de London, directeur de la recherche pour la Division de la cardiologie à la Section des soins de santé de l’Hôpital Saint‑Joseph, à London, en Ontario, et scientifique et chef de programme du Groupe de la circulation à l’Institut Lawson de recherche sur la santé, à London (Ontario). Entre autres choses, il décrit les pratiques suivies par les médecins qui prescrivent le ramipril et explique la manière dont lui et d’autres prennent les décisions de prescription en se fondant sur les publications médicales, les séminaires de formation médicale permanente et les échanges avec d’autres cardiologues. Lorsqu’ils prescrivent du ramipril, lui et ses collègues utilisent le plus souvent le nom générique « ramipril » et n’écrivent pas la raison pour laquelle le patient prend le médicament. Il reconnaît prescrire des médicaments, dont l’ALTACE, pour des applications non autorisées.

b)                      Peter James Lin, directeur des Initiatives pour les soins primaires, au Centre canadien de recherche sur le cœur, et médecin de famille. Son affidavit vise essentiellement à décrire les répercussions de l’étude HOPE, un essai clinique où l’on concluait que le ramipril avait pour effet immédiat et significatif de modifier la prise en charge de patients présentant un risque vasculaire élevé. L’étude HOPE a entraîné un changement de paradigme dans la manière dont ces patients sont traités. Le Dr Lin laisse entendre que les médecins présumeront en général que le ramipril générique de Riva (une fois agréé) sera l’équivalent thérapeutique de l’ALTACE. Il décrit aussi la manière dont les médecins prennent généralement leurs décisions de prescription, en se fondant sur les publications médicales, les séminaires de formation permanente et les avis d’experts.

c)                      B. Marie Berry, pharmacienne qui a exercé sa profession au Manitoba de 1974 à 2004 et qui est membre du Barreau de cette province depuis 1993. Elle est l’auteur de l’ouvrage intitulé Canadian Pharmacy Law. Mme Berry a été priée de donner son avis sur la question de savoir si le ramipril générique de Riva, une fois mis sur le marché, sera utilisé par les patients pour les mêmes applications que l’ALTACE, même si ces applications ne sont pas des indications agréées par les autorités publiques fédérales pour le ramipril de Riva.

d)                      Andrew W. Steele, médecin spécialiste de la néphrologie, de la dialyse et de l’hypertension. Il explique que, si le Riva‑Ramipril devait être agréé, les médecins croiraient comprendre qu’il est un équivalent thérapeutique de l’ALTACE et ils présumeraient qu’il peut être employé pour traiter les indications mêmes qui sont traitées par l’ALTACE, y compris les applications brevetées.

e)                      Jacinta M. De Abreu, auxiliaire juridique travaillant au cabinet d’avocats Smart & Biggar de Toronto, qui représente Sanofi‑Aventis. Elle dit que l’avocat de Sanofi‑Aventis avait prié l’avocat de Riva, par courriel daté du 30 mai 2007, de retirer ses conclusions d’invalidité concernant les brevets HOPE. C’est là un aspect antérieur qui n’est plus pertinent ici.

f)                        Monica Wilson, ex‑directrice de la commercialisation des médicaments cardiovasculaires chez Sanofi‑Aventis, et aujourd’hui consultante chez Sanofi‑Aventis. Elle décrit la manière dont, suite à la présentation et la publication de l’étude HOPE, le nombre de prescriptions du médicament ALTACE s’est accru considérablement par rapport au nombre total de prescriptions d’autres inhibiteurs ECA, qui est demeuré relativement constant.

g)                      Martin Howard Strauss, cardiologue et membre du Service de médecine interne à l’Hôpital général de North York, à North York, en Ontario, et scientifique au Service de chirurgie cardiovasculaire de l’Hôpital Saint Michael, à Toronto, en Ontario. Il explique en quoi les avantages du ramipril sont importants, à la fois statistiquement et cliniquement, pour la prise en charge de patients présentant un risque accru d’incident cardiovasculaire. Il dit aussi que les cardiologues présumeront probablement que le Riva‑Ramipril peut être utilisé pour les mêmes indications que l’ALTACE, parce qu’il contient le même composé médicinal actif. Il explique que les médecins n’écrivent pas en général sur leurs ordonnances l’indication qui se rapporte au médicament.

h)                      Franca Mancino, directrice des questions de réglementation chez Aventis Pharma Inc. Son affidavit sert pour l’essentiel à verser dans la preuve le texte de l’avis d’allégation de Riva.

i)                        Maria Nenadovich, pharmacienne agréée depuis 1974 qui travaille actuellement comme pharmacienne‑gérante dans un Shopper’s Drug Mart, à Toronto. Elle a été priée de donner son avis personnel sur la question de savoir si le Riva‑Ramipril, une fois mis sur le marché, serait utilisé pour l’ensemble des mêmes applications que l’ALTACE.

j)                        Benoit Gravel, vice‑président, franchise ALTACE, Soutien opérationnel, Excellence dans l’exécution et l’affectation des ressources, et membre du Comité exécutif chez Sanofi‑Aventis Canada Inc. Il explique que Sanofi‑Aventis commercialise l’ALTACE au Canada depuis 1994 et que, avant le 12 décembre 2006, l’ALTACE était le seul ramipril commercialisé au Canada. Il dit que l’ALTACE figure actuellement sur tous les formulaires provinciaux applicables et il décrit le processus par lequel, si un produit générique interchangeable figure sur le formulaire, un pharmacien sera contraint de substituer le générique meilleur marché au produit d’origine.

 

Cinq des auteurs d’affidavits, le Dr Strauss, le Dr Steele, Mme Berry, Mme Nenadovich et M. Gravel, ont été contre‑interrogés par Riva.

 

[13]           Riva a déposé un affidavit, celui du Dr Guy Pridham, vice‑président aux affaires scientifiques de Riva. Le Dr Pridham dit que Riva voudrait un avis de conformité uniquement pour vendre le Riva‑Ramipril pour le traitement de l’hypertension. Il dit aussi que la demande faite par Riva pour que le Riva‑Ramipril figure sur les formulaires provinciaux [traduction] « se fondera sur l’autorisation d’utilisation du médicament dans le traitement de l’hypertension ». Il joint à son affidavit un projet de monographie et un projet d’étiquette. Sanofi‑Aventis a contre‑interrogé le Dr Pridham sur sa déposition. Par ordonnance datée du 5 décembre 2007, Riva a obtenu l’autorisation de déposer un affidavit supplémentaire de M. Jean‑Paul Lefebvre, consultant, Affaires de réglementation. Appel a été interjeté de cette ordonnance et, le 14 décembre 2007, le juge Shore, de la Cour fédérale, a dit que l’ordonnance du protonotaire devrait être annulée.

 

[14]           La principale prétention des demanderesses peut être résumée comme il suit.

 

[15]           D’abord, les demanderesses étudient un important marché pour les versions génériques de médicaments d’ordonnance : les formulaires provinciaux. Les formulaires provinciaux énumèrent à la fois les médicaments à source unique (pour lesquels il n’y a pas de produits génériques) et les médicaments à sources multiples (pour lesquels il existe des produits génériques). Dans toutes les provinces (sauf le Québec), les gouvernements provinciaux prennent à leur charge la totalité ou une partie du coût des médicaments prescrits à d’importants segments de la population et ils s’efforcent de maîtriser les coûts en ne remboursant pas davantage que le coût de l’équivalent le moins coûteux, en général le médicament générique. Une fois qu’un produit générique interchangeable est inscrit, sans mention de limites, sur le formulaire provincial concerné, le pharmacien substituera probablement au produit original le produit générique meilleur marché. S’il ne le fait pas, il ne sera indemnisé qu’à hauteur du coût du produit générique. L’ALTACE figure actuellement sur tous les formulaires provinciaux applicables et Riva admet qu’elle entend demander l’inscription du Riva‑Ramipril sur ces mêmes formulaires. Si sa demande est agréée, le Riva‑Ramipril figurera tout probablement sur les formulaires en tant qu’équivalent intégral de l’ALTACE, d’une manière qui n’empêchera pas l’emploi du Riva‑Ramipril pour n’importe laquelle des applications de l’ALTACE, y compris l’application brevetée. On fait donc valoir que, en ne demandant pas une interchangeabilité restreinte du Riva‑Ramipril et de l’ALTACE, Riva incitera à la contrefaçon des brevets HOPE.

 

[16]           La situation qui a cours au Québec est cependant différente. Le Québec ne donne pas effet aux substitutions génériques durant quinze ans après que le médicament a été inscrit sur le formulaire du Québec. Le régime réglementaire du Québec a été résumé ainsi au paragraphe 92 des ordonnances Harrington :

En application du Règlement sur les conditions de reconnaissance d’un fabricant de médicaments et d’un grossiste en médicaments, pris conformément à la Loi sur l’assurance‑médicaments, L.R.Q, ch. A‑29.01, article 80, ainsi qu’en application de la Loi elle‑même, le ministre compétent du Québec dresse une liste de médicaments dont le coût est pris en charge par le régime de base. La liste indique les noms génériques, les marques de fabrique et les noms des fabricants pour chaque médicament agréé, les conditions auxquelles ils peuvent être obtenus d’un fabricant ou grossiste agréé, enfin la manière dont les prix sont fixés.

 

 

[17]           Au cours des quinze premières années après qu’un médicament a été inscrit sur la liste, les pharmaciens du Québec seront remboursés du produit effectivement délivré (qu’il s’agisse du médicament breveté ou du médicament générique) au prix d’achat effectif indiqué sur la liste. Dans le formulaire du Québec, l’ALTACE, l’Apo‑Ramipril et le Ratio‑Ramipril figurent dans la catégorie des inhibiteurs ECA en tant que médicaments pleinement interchangeables. Riva espère que le Riva‑Ramipril sera inscrit sur le formulaire du Québec en tant qu’inhibiteur ECA, et elle admet qu’elle n’entend pas demander une interchangeabilité restreinte. Par conséquent, les demanderesses disent que Riva incitera probablement à la contrefaçon des brevets HOPE. Sanofi‑Aventis reconnaît néanmoins que, puisque la période de quinze ans n’est pas expirée, les pharmaciens du Québec seront remboursés du prix d’achat réel de l’ALTACE si ce médicament est délivré.

 

[18]           Deuxièmement les demanderesses font valoir que ni l’ancienne version de son projet de monographie, annexé comme pièce A à l’affidavit du Dr Pridham, ni le projet de monographie qui fut révisé le 6 août 2007 (et qui est en la possession du ministre en tant que projet actuel de monographie), ne renferment l’avertissement que le Riva‑Ramipril n’est agréé que pour l’application et l’indication à l’origine de l’avis de conformité, qu’il ne doit être utilisé que pour cette application et indication et qu’aucune affirmation ou mention figurant dans la monographie n’a pour objet d’encourager, de conseiller ou de recommander son utilisation à d’autres fins que l’application et l’indication agréées, comme il est indiqué dans l’avis d’allégation de Riva. Selon Sanofi‑Aventis, cela montre que Riva entend inciter à la contrefaçon des brevets HOPE.

 

[19]           Troisièmement, les demanderesses disent que le Riva‑Ramipril est un bio‑équivalent de l’ALTACE, quelle que soit l’emploi que fera le patient du Riva‑Ramipril. Par conséquent, les experts des demanderesses sont d’avis que les pharmaciens ne sauront pas ou ne croiront pas que les patients peuvent s’exposer à des risques de contrefaçon de brevet en raison de l’emploi non conforme qu’ils font du médicament. Par ailleurs, même si les pharmaciens étaient au fait des questions de brevet, ils ne sauraient pas quelles mesures prendre pour éviter d’exposer les patients à de tels risques. Pareillement, les questions de brevet n’interviennent pas dans le traitement des patients par les médecins : les médecins décident de leurs ordonnances en se fondant principalement sur les publications médicales, les séminaires de formation permanente, les avis d’experts et l’efficacité avérée d’un médicament. Selon la preuve par affidavit, en particulier les affidavits du Dr Steele et du Dr Strauss, les médecins qui prescrivent le ramipril n’écrivent pas en général sur l’ordonnance leur diagnostic ou l’emploi prévu du médicament. Ainsi, selon Mme Berry et Mme Nenadovich, les pharmaciens ne savent pas en général l’application particulière qu’un médecin a à l’esprit quand il prescrit le ramipril à tel ou tel patient. Par ailleurs, selon ces deux pharmaciennes, les renseignements qui leur sont communiqués par le patient lui‑même quant à la raison pour laquelle le médicament lui a été prescrit sont souvent très vagues. Vu que les pharmaciens subiront une perte financière (sauf au Québec) si l’ALTACE plutôt qu’un ramipril générique est délivré à un patient admissible, les demanderesses sont d’avis que Riva incitera indirectement à la contrefaçon des brevets HOPE.

[20]           Elles font aussi valoir que l’incidence de cette contrefaçon de la part de Riva serait particulièrement considérable dans le cas présent. Comme l’écrivait M. Gravel dans son affidavit, l’étude HOPE, qui a été publiée en août 1999, est un essai qui a fait date et qui a permis de positionner l’ALTACE en décembre 2006 comme chef de file sur le marché des inhibiteurs ECA. Le ramipril n’était pas le premier inhibiteur ECA; cependant, après que fut rendu publique l’étude HOPE, l’ALTACE est devenu, pour les médecins, l’inhibiteur ECA de choix. En 2006, l’ALTACE représentait plus de 50 p. 100 de toutes les ordonnances rédigées au Canada pour les inhibiteurs ECA. Cette année‑là, l’ALTACE a été le produit le plus lucratif de Sanofi‑Aventis. Les ventes de ce produit sont passées de 38,5 millions de dollars en 1999 à plus de 375 millions de dollars en 2006 (affidavit public de Benoit Gravel, paragraphes 12 et 13). L’emploi principal du ramipril au Canada aujourd’hui est l’indication dont fait état l’étude HOPE.

 

[21]           Finalement, les demanderesses disent que la stratégie de commercialisation de Riva dans les provinces (y compris le Québec) ciblera les pharmaciens, pour les encourager, par des incitations financières et des allocations autorisées légalement, à inclure le Riva‑Ramipril dans leurs stocks pour délivrance aux patients. Sanofi‑Aventis invoque certains extraits de la transcription du contre‑interrogatoire du Dr Pridham sur son affidavit pour conclure que ces incitations et allocations seront accordées aux pharmaciens à la condition qu’ils ôtent de leurs stocks les autres ramipril génériques. Le but ultime de la stratégie de commercialisation de Riva est de faire en sorte que le Riva‑Ramipril devienne l’unique médicament générique sur les rayons des pharmacies. (Lecture des déclarations faites par le Dr Pridham dans son contre‑interrogatoire.) Comme je l’ai dit plus haut, l’ALTACE, l’Apo‑Ramipril et le Ratio‑Ramipril figurent déjà dans la catégorie des inhibiteurs ECA comme médicaments pleinement interchangeables.

[22]           Comme l’a fait la Cour d’appel fédérale au paragraphe 34 de l’arrêt Pharmascience, précité, je suis disposé à présumer, aux fins de la présente demande, et sans trancher la question, que le patient qui prend du Riva‑Ramipril pour composer avec un risque accru d’incident cardiovasculaire se trouvera à contrefaire les brevets HOPE. Je suis également disposé à présumer, sans trancher la question, qu’un médecin prescripteur ou un pharmacien dispensateur incitera sans doute à cette contrefaçon si le Riva‑Ramipril est prescrit ou délivré dans la prise en charge de patients présentant un risque accru d’incident cardiovasculaire. Cependant, cela ne change pas le fait que le paragraphe 5(1) du Règlement n’envisage pas une contrefaçon de la part des patients, des médecins ou des pharmaciens. Il est tout à fait dans le pouvoir de Sanofi‑Aventis d’informer les médecins et pharmaciens de l’existence et de l’étendue des droits de brevet de Sanofi‑Aventis et d’exiger que ces droits soient respectés. En conséquence, dans la mesure où Riva ne fait rien pour inciter à la contrefaçon, la solution, dans le cas présent, n’est pas d’interdire au ministre d’autoriser la mise du générique sur le marché.

 

[23]           Dans la décision AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2001 CFPI 1264, [2001] A.C.F. n° 1725 (QL); conf. par 2002 CAF 421, [2002] A.C.F. n° 1533 (QL), demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée : [2002] C.S.C.R. n° 531 (QL), la Cour fédérale du Canada exposait ainsi, au paragraphe 68, le critère relatif au fait d’inciter et d’amener à la contrefaçon :

Le breveté qui désire invoquer la doctrine de l’incitation à la contrefaçon doit alléguer et prouver chacun des éléments suivants :

 

a)        l’acte de contrefaçon a été exécuté par le contrefacteur directement;

b)        l’exécution de l’acte de contrefaçon a été influencée par le vendeur, à un point tel que sans cette influence la contrefaçon n’aurait pas été commise par l’acheteur; et

c)        l’influence a été sciemment exercée par le vendeur, c’est‑à‑dire que le vendeur savait que son influence entraînerait l’exécution de l’acte de contrefaçon.

 

[24]           Dans l’arrêt Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 167, [2007] A.C.F. n° 582 (QL), la Cour d’appel fédérale a jugé qu’une allégation d’absence de contrefaçon d’une revendication portant sur l’emploi d’un médicament est démontrée si le fabricant du médicament générique sollicite un avis de conformité uniquement pour une application qui n’entre pas dans la revendication d’application nouvelle et si la preuve n’établit pas que le fabricant du médicament générique portera atteinte à la revendication d’application nouvelle en incitant autrui à prescrire ou utiliser le médicament générique pour cette application nouvelle.

 

[25]           Au paragraphe 11 de l’arrêt Sanofi‑Aventis, la juge Sharlow donnait des exemples de la manière dont peut être établie la contrefaçon par incitation :

Il est possible cependant qu’un fabricant de médicaments génériques soit impliqué dans la contrefaçon par des tiers de revendications concernant une nouvelle utilisation d’un médicament, s’il les y a incités. On peut par exemple démontrer qu’il y a eu contrefaçon par incitation au moyen d’éléments de preuve se rapportant au dosage du médicament générique ou à son étiquetage ou sa mise en marché ou en établissant que la nouvelle utilisation s’infère raisonnablement de la monographie du médicament générique.

 

[26]           Dans la présente affaire, le critère juridique de la contrefaçon par incitation n’est pas rempli. J’ai revu attentivement les transcriptions des divers contre‑interrogatoires. J’ai aussi examiné les arguments avancés par les parties à propos du poids qui devrait être accordé à la preuve. Il s’agit notamment du poids particulier que je devrais accorder à l’affidavit de Mme Berry, ainsi que de quelques‑unes des contradictions ou admissions du Dr Pridham. Je suis d’avis que les demanderesses n’ont pas démontré que les allégations d’absence de contrefaçon faites par Riva ne sont pas fondées. Malgré l’exposé habile de l’avocat des demanderesses, l’ensemble de la preuve ne permet pas d’établir une contrefaçon, ou une contrefaçon par incitation, de la part de Riva. Je me limiterai à faire quelques observations sur les arguments avancés par les parties.

 

[27]           Le point de départ de mon analyse a consisté à examiner attentivement l’avis d’allégation de Riva. Riva fait valoir qu’elle ne portera atteinte à aucune revendication des brevets HOPE en faisant, en construisant, en utilisant ou en vendant son Riva‑Ramipril pour application dans le traitement de l’hypertension artérielle essentielle. Riva dit qu’elle n’inclura dans sa monographie aucune des applications revendiquées par les brevets HOPE. Riva affirme d’ailleurs que sa monographie contiendra un avertissement selon lequel le Riva‑Ramipril ne doit être utilisé que pour l’utilisation et l’indication agréées, à savoir le traitement de l’hypertension. Riva dit aussi que, si elle obtient un avis de conformité, elle limitera à ce traitement la commercialisation et la vente du Riva‑Ramipril. Les déclarations faites par Riva dans son avis d’allégation sont présumées véridiques en l’absence d’une preuve contraire : arrêt Pharmascience, précité, au paragraphe 30. Sanofi‑Aventis fait valoir que le projet révisé de monographie de Riva ne renferme pas pour l’heure l’avertissement indiqué dans l’avis d’allégation et que cela constitue une preuve contraire. Je ne partage malheureusement pas cet avis. Il n’est pas obligatoire que la monographie d’un médicament générique contienne un avertissement. De plus, dans la décision Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1461, [2005] A.C.F. n° 1793 (QL), le juge von Finkenstein a examiné cet aspect, pour conclure que « [c]et avertissement pourrait être un élément utile pour aider à nier une idée d’intention de la personne à qui la contrefaçon est reprochée. Toutefois, l’absence d’avertissement ne peut servir en soi à inférer une intention de contrefaçon par le biais de l’incitation, de la commercialisation ou de tout autre lien ».

[28]           S’agissant des déclarations particulières faites par Riva dans son avis d’allégation, je relève encore une fois que Riva sollicite l’approbation du Riva‑Ramipril uniquement pour utilisation dans le traitement de l’hypertension. Deuxièmement, la PADN de Riva indique clairement aussi le [traduction] « traitement de l’hypertension artérielle essentielle » comme seule application du Riva‑Ramipril pour laquelle elle sollicite un avis de conformité. Troisièmement, l’étiquette canadienne proposée de Riva atteste que l’emballage des gélules de Riva‑Ramipril sera étiqueté d’une manière qui informera toute personne lisant l’étiquette que les gélules sont approuvées pour utilisation dans le traitement de [traduction] l’« hypertension artérielle essentielle ». Finalement, le projet révisé de monographie qui serait approuvé par Santé Canada préciserait que le Riva‑Ramipril a pour objet le traitement de l’hypertension. Riva sera donc, selon le Règlement, limitée dans ses activités de promotion à ce traitement et Santé Canada ne pourra pas approuver le Riva‑Ramipril pour une autre application. Je souligne que je considère comme établi que le projet révisé de monographie ne dit pas que le Riva‑Ramipril peut ou devrait être employé dans la prise en charge de patients présentant un risque accru d’incident cardiovasculaire, c’est‑à‑dire dans l’application « nouvelle » revendiquée pour ce composé par les brevets HOPE.

 

[29]           Sanofi‑Aventis souligne aussi que la section [traduction] « Références » du projet révisé de monographie de Riva fait état de la monographie de Sanofi‑Aventis applicable à l’ALTACE (y compris aux applications brevetées) et qu’elle mentionne aussi une étude de biodisponibilité qui compare les gélules 10 mg de ramipril aux gélules d’ALTACE. Au paragraphe 31 de l’arrêt Pharmascience, précité, la Cour d’appel fédérale concluait que les références indiquées dans une monographie, dans le contexte de « contre‑indications », ne peuvent pas être vues comme une incitation à utiliser les gélules de ramipril pour le traitement de l’une des applications brevetées. Au paragraphe 11 de l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité, la juge Sharlow s’exprime ainsi à propos des prescriptions pour emploi non indiqué sur l’étiquette, dans le contexte d’une procédure en interdiction pour absence de contrefaçon : « [I]l n’est généralement pas possible de conclure qu’il y a eu incitation à la contrefaçon à partir d’une simple mention de la nouvelle utilisation dans la monographie, par exemple, dans des explications relatives aux contre‑indications ou à l’interaction médicamenteuse ou dans une bibliographie scientifique ». [Non souligné dans l’original.] On doit tirer une conclusion semblable dans la présente instance. Le simple fait que Riva fasse état de l’ALTACE dans la section [traduction] « Références » de sa monographie, en plus de la mention d’une étude de biodisponibilité établissant une comparaison avec les gélules d’ALTACE, ne constitue pas une « preuve contraire » qui suffise à réfuter la présomption de véracité de l’avis d’allégation de Riva. Riva a encore le droit de bénéficier de la présomption selon laquelle elle commercialisera les gélules Riva‑Ramipril uniquement pour le traitement de l’hypertension.

 

[30]           J’ai aussi examiné explicitement le fait que les médecins prescrivent parfois des médicaments en se fondant sur des applications étayées par des publications médicales (pratique dite de l’emploi « non indiqué sur l’étiquette »). J’observe que les opinions de Mme Berry et de Mme Nenadovich, en tant que pharmaciennes, ne sauraient être étendues à tous les pharmaciens opérant sur le marché. La même remarque s’applique aux opinions du Dr Steele et du Dr Strauss, médecins spécialisés en néphrologie ou cardiologie. Il n’est pas contesté par Riva que, si elle obtient l’avis de conformité, certains médecins pourraient prescrire le Riva‑Ramipril dans la prise en charge de patients présentant un risque accru d’incident cardiovasculaire (l’application brevetée), que certains pharmaciens pourraient délivrer le Riva‑Ramipril pour l’application brevetée et que certains patients pourraient prendre le Riva‑Ramipril pour cette application. Cela est susceptible de se produire, quoi que fasse Riva pour s’assurer que son produit est étiqueté et décrit dans sa monographie comme un produit devant servir uniquement au traitement de l’hypertension. Cependant, je ne vois, dans les dispositions légales, dans la jurisprudence s’y rapportant, ni même dans les observations formulées par l’avocat de Sanofi‑Aventis, rien qui puisse m’amener à conclure que Riva devrait faire état, dans les formulaires provinciaux de médicaments, d’une interchangeabilité restreinte. Comme dans les ordonnances Harrington, je suis d’avis que cet argument est « sans fondement ».

 

[31]           Si révélatrice que puisse être la pratique de l’emploi non indiqué sur l’étiquette, la jurisprudence est claire : l’innovateur ne peut plus prétendre que la simple présence du médicament générique sur le marché, outre le fait qu’il pourrait être utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles fut obtenu l’avis de conformité, constitue une contrefaçon de brevet. Il faut quelque chose de plus que le fait de simplement rendre le produit accessible : affaire AB Hassle, précitée, au paragraphe 18 de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale. Dans la décision Aventis Pharma, précitée, aux paragraphes 27 à 32, le juge von Finckenstein, résumant la jurisprudence portant sur les prescriptions pour emploi non indiqué sur l’étiquette, s’est dit clairement d’avis qu’une telle prescription établie par un médecin, suivie d’une utilisation par le patient, ne remplit pas le critère du « quelque chose de plus » établi par le juge Sexton dans l’arrêt AB Hassle. Il ajoutait que la question de savoir si le « quelque chose de plus » consiste en l’incitation, la commercialisation ou tout autre lien dépendra des faits de chaque cas d’espèce. Dans la présente affaire, je suis d’avis que le critère du « quelque chose de plus » n’est tout simplement pas rempli, compte tenu de la preuve versée dans le dossier. La simple reconnaissance passive que des médicaments seront prescrits ou consommés pour un emploi non indiqué sur l’étiquette n’équivaut pas à un « quelque chose de plus ».

 

[32]           Sanofi‑Aventis fait valoir que la stratégie de commercialisation de Riva établit une contrefaçon par incitation. Sur ce point, les faits mentionnés dans l’affidavit du Dr Pridham [traduction] « confirment clairement que Riva entend bel et bien négocier, pour son Riva‑Ramipril, des contrats exclusifs d’approvisionnement en médicament générique avec les pharmaciens ». À mon avis, Sanofi‑Aventis a exagéré la question. Riva conclura des ententes (autorisées en droit) avec des pharmaciens. Ces ententes viseront à faire en sorte que le Riva‑Ramipril soit présent sur leurs rayons. Cependant, la preuve que j’ai devant moi ne donne nullement à penser que Riva accordera des incitations ou allocations financières à ces pharmaciens pour qu’ils délivrent le Riva‑Ramipril à une fin autre que celle à laquelle il est destiné, à savoir le traitement de l’hypertension. Toute exclusivité sera une exclusivité par rapport à d’autres médicaments génériques, et pour l’application autorisée. Je souligne encore que je ne suis nullement persuadé que Riva versera des incitations financières aux pharmaciens pour les contraindre à délivrer du Riva‑Ramipril pour la prise en charge de patients présentant un risque accru d’incident cardiovasculaire, c’est‑à‑dire l’application brevetée.

 

[33]           Pour tous ces motifs, la présente demande d’ordonnance d’interdiction sera rejetée. Les demanderesses seront condamnées aux dépens, en faveur de Riva.

 

 

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE : la présente demande d’ordonnance d’interdiction est rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse, Laboratoire Riva Inc.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                T‑127‑07

 

INTITULÉ :                                                               SANOFI‑AVENTIS CANADA INC. et

                                                            SANOFI‑AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

                                                            c.

                                                            LABORATOIRE RIVA INC. et

                                                                                    LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 15 JANVIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 4 MARS 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars A. Gaikis                                                          POUR LES DEMANDERESSES

Junyi Chen

 

Arthur B. Renaud                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                                    (LABORATOIRE RIVA INC.)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar                                                            POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

 

Bennett Jones LLP                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

Avocats                                                                        (LABORATOIRE RIVA INC.)

Toronto (Ontario)

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