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Date : 20080304

Dossier : T-2072-07

Référence : 2008 CF 286

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2008

DEVANT MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

SANOFI PASTEUR LIMITÉE

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (le Conseil) surveille et examine les prix des médicaments brevetés vendus au Canada pour veiller à ce que ces prix ne soient pas excessifs. Les articles 79, 83, 86, 91 et 96 de la Loi sur les brevets, ch. P-4, modifiée (la Loi) régissent, entre autres, ces instances et les ordonnances que le Conseil peut prendre.

 

[2]               Si, après une audience, le Conseil estime qu’un médicament breveté a été vendu à un prix excessif, il peut exiger que le breveté compense des recettes excessives en réduisant le prix de ce médicament, ou d’un autre médicament breveté vendu au Canada, en deçà du « prix maximal non excessif » ou, dans certaines circonstances, en ordonnant qu’un paiement soit fait à Sa Majesté. En outre, si le Conseil estime que le breveté s’est livré à une « politique de prix excessifs », il peut enjoindre le breveté de faire une ou plusieurs des choses susmentionnées de manière à compenser jusqu’au double du montant des recettes excessives réalisées.

 

[3]               La demanderesse, Sanofi Pasteur Limitée, conteste aujourd’hui la légalité d’une décision interlocutoire datée du 26 novembre 2007, qui a rejeté, avant le début d’une telle audience, la requête de la demanderesse visant à faire ordonner que Blakes, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l. (Blakes) cesse d’agir comme conseillère juridique du Conseil (la requête concernant Blakes) dans le contexte d’une instance relative aux médicaments Quadracel et Pentacel (l’instance).

 

[4]               La demanderesse demande, entre autres, une ordonnance infirmant ou annulant la décision du Conseil statuant sur la requête concernant Blakes, de même que les décisions du Conseil statuant sur deux autres requêtes entendues en même temps que la requête concernant Blakes (décrites plus bas comme la requête en précisions et la requête aux fins de production). Plus précisément, la demanderesse soutient qu’une personne raisonnablement bien informée trouverait qu’il y a apparence d’iniquité, de partialité et de manque de neutralité de la part du Conseil à la fois dans le processus qui a mené aux décisions attaquées du Conseil relativement aux trois requêtes et dans la poursuite de la participation de Blakes à l’instance comme conseillère juridique du Conseil. La présente demande a été entendue suivant une procédure accélérée après que les parties aient convenu le 29 novembre 2007 de suspendre l’audience devant le Conseil qui avait débuté le 28 novembre 2007.

 

[5]               Étant donné que le présent contrôle judiciaire soulève des questions d’équité procédurale et de partialité, je suis d’avis que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision du Conseil est celle de la décision correcte : Hoechst Marion Roussel Canada Inc. c. Canada (Attorney General), (2005) 48 C.P.R. (4th) 1 au par. 61; LEO Pharma Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 306, [2007] A.C.F. no 425 (QL) au par. 17.

 

[6]               Les parties s’entendent sur les principaux faits donnant lieu à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[7]               La demanderesse est une société pharmaceutique qui fabrique et vend des médicaments au Canada, notamment le Quadracel et le Pentacel (les médicaments) qui sont administrés pour immuniser les nourrissons contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, l’haemophilus influenzae de type b et la poliomyélite. Au Canada, ces vaccins sont vendus exclusivement à l’État. Plus particulièrement, le ministère du gouvernement fédéral Travaux public et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) coordonne le Programme fédéral-provincial-territorial (F-P-T) d'achat collectif de médicaments et de vaccins au Canada pour toutes les provinces, sauf le Québec où les achats sont effectués directement par le gouvernement du Québec.

 

[8]               Gordon Cameron et Nancy Brooks sont tous deux avocats-plaideurs et associés travaillant au bureau d’Ottawa de Blakes. Blakes est un cabinet d’avocats comptant plus de 500 avocats qui a des bureaux non seulement au Canada mais aussi dans d’autres pays. Blakes a agi, principalement par l’entremise de Gordon Cameron, comme conseillère juridique du Conseil depuis 1994. Nancy Brooks a aussi agi comme conseillère juridique du Conseil. À ce titre, ils fournissent aux formations du Conseil des conseils et une assistance juridiques pendant les instances instruites par le Conseil.

 

[9]               Dans les instances devant le Conseil, les parties sont la ou les sociétés concernées par l’instance ainsi que le personnel du Conseil, aussi représenté par un procureur externe. Dans l’instance qui nous intéresse ici, le personnel du Conseil est représenté par Guy Pratte de Borden Ladner Gervais s.r.l. (Borden). La formation actuelle du Conseil dans l’instance est composée du Dr Brien Benoît, qui est président du Conseil (le président), de Anne Laforest, avocate et professeure de droit, et de Tony Boardman, professeur d’économie (collectivement, la formation).

 

[10]           Glaxo Smith Kline (GSK) vend aussi des vaccins au Canada. D’ailleurs, elle est l’unique concurrente de la demanderesse au Canada relativement aux vaccins en cause dans l’instance. De temps à autre, Blakes agit pour le compte de GSK dans le contexte de transactions commerciales. Blakes est liée à GSK par un contrat de services prioritaires. Elle fournit des services juridiques reliés à l’achat et à la vente par GSK de divers actifs sociaux. Blakes n’agit pas pour GSK dans aucun processus règlementaire, y compris ceux devant le Conseil. Dans l’instance qui nous intéresse ici, Torys LLP (Torys) a représenté GSK dans le contexte de sa demande d’autorisation d’intervenir – qui a été rejetée –, tandis que Blakes a continué d’agir comme conseillère juridique du Conseil tout au long de l’instance, comme je l’expliquerai ci-dessous.

 

[11]           Le 15 mars 2007, le personnel du Conseil a produit, par l’entremise de Borden, un Énoncé des allégations soutenant que la demanderesse avait exigé des prix excessifs pour les médicaments de 2002 à 2006 et s’était livrée à une politique de prix excessifs. Le 27 mars 2007, le Conseil a émis, par l’entremise de Sylvie Dupont, secrétaire du Conseil, un Avis d’audience concernant ces allégations. Blakes a été engagée comme conseillère juridique du Conseil dans le contexte de l’instance. La demanderesse a fait parvenir sa réponse et sa réponse modifiée aux allégations respectivement le 18 avril 2007 et le 15 octobre 2007. Le personnel du Conseil a fait parvenir sa réplique le 9 mai 2007. Entre-temps, GSK a produit un avis de requête le 25 avril 2007, demandant l’autorisation d’intervenir à l’instance. GSK a soutenu que s’il était statué que la demanderesse avait exigé des prix excessifs, il devrait être exclu qu’elle puisse compenser des recettes excessives en exigeant des prix inférieurs puisqu’une telle mesure de redressement aurait une incidence défavorable sur GSK. Comme je l’expliquerai plus loin, le Conseil a rejeté la requête en intervention de GSK le 26 juillet 2007.

 

[12]           Je m’arrête ici pour mentionner que l’Avis d’audience, daté du 27 mars 2007, invite toute personne qui estime avoir un intérêt dans une question soulevée dans l’instance à demander l’autorisation d’intervenir, au plus tard le 25 avril 2007. Bien qu’il n’y ait aucun affidavit de la conseillère juridique du Conseil, je suis prêt à admettre que Blakes n’a joué aucun rôle dans la requête en intervention de GSK.

 

[13]           Cela laisse sans réponse la question de savoir quand GSK a su que Blakes agissait aussi comme conseillère juridique du Conseil dans l’instance. Je note que la requête en intervention de GSK datée du 25 avril 2007 est adressée à Ogilvy Renault S.E.N.C.R.L./s.r.l. (Ogilvy) à titre de procureur de Sanofi Pasteur, à Borden à titre de conseillère juridique du Conseil et à Sylvie Dupont à titre de secrétaire du Conseil. Les observations en réplique de GSK datées du 12 juin 2007 ne sont plus adressées à Ogilvy mais plutôt à Davies Ward Phillips & Vineberg S.E.N.C.R.L.,s.r.l. (Davies) à titre de procureur de Sanofi Pasteur. Encore une fois, la réplique de GSK est adressée à Borden à titre de conseillère juridique du Conseil et à Sylvie Dupont à titre de secrétaire du Conseil. Il n’y a pas la moindre mention de Blakes comme conseillère juridique du Conseil dans les documents rédigés par Torys pour le compte de GSK.

 

[14]           Le personnel du Conseil n’a pas pris de position à l’égard de la requête en intervention de GSK. Cependant, à titre de conseillère juridique du Conseil, Blakes allait vraisemblablement participer tôt ou tard à la rédaction et/ou à l’examen de décisions prises par le Conseil, dont la décision relative à la requête pour autorisation d’intervenir de GSK. À la page 3 de la décision du Conseil du 26 juillet 2007 qui a rejeté la requête de GSK, signée au nom du Conseil par sa secrétaire, je note que Gordon Cameron apparaît comme conseiller juridique du Conseil. Cela étant dit, je n’ai aucun moyen de vérifier si Gordon Cameron était présent ou non durant les délibérations du Conseil ou s’il y a participé de quelque façon que ce soit.

 

[15]           La décision du Conseil comporte de nombreux renvois à différentes dispositions législatives et à des notions juridiques découlant de la Loi et de la jurisprudence. Le Conseil mentionne expressément qu’il « est tout à fait conscient de l´incidence que peuvent avoir ses décisions sur des personnes autres que celles qui comparaissent devant lui et tente dans toute la mesure du possible de tenir compte de leurs intérêts et ce, qu´elles soient ou non représentées indépendamment dans une affaire » (par. 14) (je souligne). Il note aussi que « [l]e panel est arrivé à la présente décision sans considérer les arguments de Sanofi Pasteur concernant les motifs de la requête de GSK dans la présente affaire » (par. 21). Ces passages, et plus particulièrement le premier, donnent tout lieu de penser que, si le Conseil conclut que les allégations de prix excessifs sont fondées, il tiendra alors compte de l’incidence défavorable qu’une mesure de redressement donnée pourrait avoir sur les concurrents de la demanderesse (tels que GSK). D’où la demanderesse soutient que la poursuite de la participation de Blakes comme conseillère juridique du Conseil dans l’instance soulève une crainte raisonnable de partialité et prive la demanderesse d’une audition équitable.

 

[16]           Avant que le Conseil eût statué sur la requête formulée par GSK, la demanderesse, ayant appris que Blakes fournissait des conseils juridiques à GSK en matière commerciale, a soulevé des préoccupations le 23 mai 2007 auprès du Conseil en soutenant notamment que les rapports actuels de Blakes avec GSK et le Conseil pourraient soulever une crainte raisonnable de partialité, et ce, malgré le fait que Blakes n’avait pas encore obtenu les renonciations requises de ses clients respectifs. Entre juin et octobre de cette année, la demanderesse a demandé à plusieurs reprises à Blakes de cesser d’agir comme conseillère juridique du Conseil.

 

[17]           Le 15 juin 2007, Blakes a communiqué à la demanderesse une lettre du président indiquant que le Conseil ne voyait aucun problème à ce que Blakes soit conseillère juridique du Conseil dans l’instance. Par la suite, Blakes a informé la demanderesse que GSK n’avait pas fourni de renonciation. En même temps, Blakes faisait savoir que si la demanderesse trouvait problématique que Blakes continue d’agir comme conseillère juridique du Conseil, Blakes recommanderait d’être remplacée par un nouveau conseiller juridique.

 

[18]           Entre-temps, comme l’exigeait le calendrier de l’instance, au cours d’août et de septembre 2007, le personnel du Conseil et la demanderesse ont échangé les documents, les résumés des témoignages anticipés de témoins ordinaires et les éléments de preuve d’expert sur lesquels ils comptaient s’appuyer à l’audience. Le calendrier prévoyait que la conférence préparatoire à l’audience aurait lieu le 31 octobre 2007 et que les trois premiers jours de l’audience auraient lieu les 28, 29 et 30 novembre 2007.

 

[19]           Finalement, en septembre 2007, deux mois avant le début de l’audience, la demanderesse a demandé à Blakes de cesser d’agir comme conseillère juridique du Conseil dans l’instance. Blakes a confirmé qu’elle recommanderait au Conseil de la remplacer. De fait, le 10 octobre 2007, Blakes a informé la demanderesse qu’elle avait recommandé au Conseil qu’elle cesse d’agir comme conseillère juridique du Conseil dans l’instance, mais que le Conseil avait refusé d’accepter cette recommandation.

 

[20]           En réponse à cette nouvelle, la demanderesse a écrit à Blakes le 18 octobre 2007, exposant les origines de la problématique ainsi que les préoccupations de la demanderesse et les motifs pour lesquels elle demandait que Blakes cesse d’agir comme conseillère juridique du Conseil, et demandant qu’une copie de la lettre soit remise au Conseil. Par lettre datée du 26 octobre 2007 signée par sa secrétaire, le Conseil a répondu directement à la demanderesse. Le Conseil a exprimé son désaccord à l’égard des préoccupations de la demanderesse, a invité celle-ci à revoir sa position et a souligné à quel point les services de Blakes lui étaient [traduction] « précieux ». Le Conseil a indiqué que si la demanderesse souhaitait persister dans sa demande, elle devrait déposer une requête, qui serait entendue à la conférence préparatoire à l’audience prévue pour le 31 octobre 2007.

 

[21]           Le Conseil a aussi souligné que Blakes agissait comme conseillère juridique du Conseil depuis plus d’une décennie et avait toujours agi avec indépendance, indépendamment des rapports qu’elle avait pu avoir avec des sociétés pharmaceutiques. Le Conseil a aussi assuré la demanderesse que [traduction] « si la formation conclut à l’existence de prix excessifs, la formation ne demandera pas conseil auprès de M. Cameron sur la façon dont il conviendrait de compenser les recettes excessives, ni sur aucune question connexe en matière de redressement ».

 

[22]           Le 30 octobre 2007, la demanderesse a déposé une requête en vue de faire ordonner que Blakes cesse d’agir comme conseillère juridique du Conseil relativement à l’instance. Le Conseil a convoqué une conférence préparatoire à l’audience le 31 octobre 2007 pour entendre la requête concernant Blakes. Par la même occasion, le Conseil a également entendu la requête en précisions de la demanderesse (la requête en précisions) et la requête aux fins de production du personnel du Conseil (la requête aux fins de production).

 

[23]           Au début de la conférence préparatoire à l’audience, le président du Conseil a fait savoir que le Conseil souhaitait entendre la requête concernant Blakes en dernier lieu, de manière à ce que le Conseil puisse bénéficier du soutien de Blakes concernant les questions juridiques reliées à la requête en précisions et à la requête aux fins de production.

 

[24]           En réponse, la procureure de la demanderesse a confirmé sa position selon laquelle la participation de Blakes à l’instance créait une apparence d’iniquité. En conséquence, elle a soutenu qu’il convenait soit de disposer en premier lieu de la requête concernant Blakes, soit de procéder dans l’ordre que préconisait le Conseil, mais alors, sous réserve de la position de la demanderesse et en permettant à la demanderesse d’invoquer la participation de Blakes en rapport avec la requête en précisions et la requête aux fins de production au soutien de son argument relatif à l’apparence d’iniquité. Le Conseil a procédé à l’audition des requêtes dans l’ordre que le président du Conseil avait proposé.

 

[25]           La requête en précisions a été entendue en premier lieu. Aux termes de cette requête, la demanderesse demandait une ordonnance enjoignant le personnel du Conseil de fournir des précisions relatives à l’allégation selon laquelle la demanderesse s’était livrée à une politique de prix excessifs et, subsidiairement, une ordonnance radiant cette allégation. Le Conseil a rejeté la requête en précisions. Blakes était présente lors de l’audition de la requête en précisions et elle a prêté assistance au Conseil relativement à cette requête.

 

[26]           La requête aux fins de précisions a été entendue en second lieu. Aux termes de cette requête, le personnel du Conseil demandait une ordonnance enjoignant la demanderesse de divulguer les contrats de 2007 que la demanderesse avait négociés et conclus avec TPSGC et le gouvernement du Québec. Dans sa réponse à la requête aux fins de production, la demanderesse a accepté de communiquer les contrats de 2007 au personnel du Conseil à certaines conditions, dont des conditions relatives à la confidentialité. Dans sa réplique, le personnel du Conseil a formulé une nouvelle demande en demandant au Conseil de statuer à la conférence préparatoire à l’audience que les contrats de 2007 étaient pertinents et admissibles aux fins de l’audience. Le Conseil a fait droit à la requête aux fins de production et a ordonné que les contrats de 2007 soient admis en preuve à l’audience. Blakes était présente lors de l’audition de la requête aux fins de production, et elle a prêté assistance au Conseil relativement à cette requête.

 

[27]           La troisième et dernière requête entendue par le Conseil à la conférence préparatoire à l’audience était la requête concernant Blakes. À ce stade, le président a fait la déclaration suivante :

[traduction] À cause de la nature de la troisième requête qui sera entendue aujourd’hui, nous avons demandé aux avocats de Blakes, Gordon Cameron et Nancy Brooks, de se récuser, ce qu’ils ont fait, de manière à ce que nous puissions entendre la plaidoirie de Mme Forbes, disons, sans entraves.

 

Nous avons tout l’échange de correspondance, depuis le printemps jusqu’à tout récemment, alors, Mme Forbes, allez-y.

 

(Transcription de la conférence préparatoire à l’audience, page 289 du dossier de la demanderesse)

 

[28]           Le président omet de mentionner à ce stade qu’en plus des documents fournis par la demanderesse, un mémoire de 4 pages, daté du 30 octobre 2007, avait été préparé par Gordon Cameron et Nancy Brooks. Ce mémoire exposait le point de vue de Blakes au sujet des questions de partialité soulevées par la demanderesse, et le raisonnement juridique qui permettrait au Conseil de distinguer les causes citées par la demanderesse et de conclure, eu égard aux faits de l’espèce, qu’une personne bien informée, après avoir étudié la question en profondeur, ne conclurait pas à l’existence d’une crainte de partialité (mémoire du 30 octobre 2007, dossier de la demanderesse, 486-489).

 

[29]           Si le mémoire de Blakes du 30 octobre 2007 n’avait pas été mentionné par le professeur émérite David Mullan dans l’avis qu’il a rédigé (décrit plus loin), la demanderesse aurait été tenue dans l’ignorance du fait que Blakes conseillait le Conseil sur la question même – la partialité – à l’égard de laquelle le Conseil avait « demandé aux avocats de Blakes, Gordon Cameron et Nancy Brooks, de se récuser […] de manière à ce que [le Conseil puisse] entendre la plaidoirie [du procureur de la demanderesse] sans entraves ». À ce stade, il est raisonnable de s’interroger quant à savoir pourquoi un document qui ne faisait pas partie du dossier public du Conseil le 31 octobre 2007 a été envoyé au professeur Mullan, si ce n’est parce que la formation entendait s’y fier pour rendre sa décision rejetant la requête concernant Blakes.

 

[30]           Sans préavis à la demanderesse, avant de rendre sa décision relativement à la requête en révocation, le Conseil a demandé un avis au professeur Mullan. Dans son avis daté du 18 novembre 2007, le professeur Mullan a conclu que la participation de Blakes à titre de conseillère juridique du Conseil ne soulevait pas de crainte raisonnable de partialité puisqu’il n’y avait aucun lien entre l’instance et les questions relativement auxquelles Blakes avait agi pour le compte de GSK dans le passé. Le professeur Mullan a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une situation où Blakes possédait des renseignements confidentiels relatifs à GSK qui pourraient avoir une incidence sur l’instance. En outre, GSK n’avait pas d’intérêt direct dans l’instance. 

 

[31]           Le 20 novembre 2007, la demanderesse a été avisée de la participation du professeur Mullan et s’est vu offrir l’occasion de répondre à son avis. Après avoir examiné l’avis du professeur Mullan, la demanderesse s’est aperçue que le professeur Mullan avait eu accès à des documents qu’elle n’avait pas. La demanderesse a demandé et reçu copie de ces documents additionnels, qui comprenaient le mémoire de Blakes daté du 30 octobre 2007, soit de la veille de la conférence préparatoire à l’audience, concernant le bien-fondé de la requête en vue de sa révocation. La demanderesse a communiqué des observations additionnelles au Conseil en réponse à l’avis du professeur Mullan.

 

[32]           Dans sa décision datée du 26 novembre 2007, le Conseil a rejeté la requête de la demanderesse en révocation de Blakes comme conseillère juridique du Conseil. Le Conseil a affirmé qu’il avait [traduction] « pris en compte les observations écrites et verbales de [la demanderesse] le 20 octobre 2007, le rapport écrit du professeur émérite David Mullan qui [avait] été communiqué à [la demanderesse] avec les documents et la correspondance y afférents, et la réponse de [la demanderesse] à ces documents datée du 23 novembre 2007 […] ». Le Conseil a résumé les préoccupations de la demanderesse selon lesquelles la poursuite de la participation de Blakes comme conseillère juridique du Conseil entraînait une apparence de partialité, de manque de neutralité et d’iniquité puisque Blakes représente actuellement GSK, qui est la concurrente de la demanderesse relativement aux médicaments et qui a tenté d’intervenir à la présente instance. Le Conseil a noté que dans le contexte de sa requête pour autorisation d’intervenir, GSK plaidait en faveur d’une mesure de redressement qui serait contraire aux intérêts de la demanderesse. Le Conseil a aussi reconnu que le devoir d’agir équitablement comprend le droit à une décision impartiale et indépendante et que le processus ne devrait pas soulever de crainte raisonnable de partialité de la part du Conseil ou du conseiller juridique du Conseil.

 

[33]           Néanmoins, en rejetant la requête de la demanderesse, le Conseil a formulé l’affirmation suivante :

[traduction] Le [Conseil] a le droit d’être secondé par un conseiller juridique au cours de ses audiences en autant que le rôle du conseiller juridique est confiné à l’intérieur de limites qui sont compatibles avec les principes de l’équité et de la justice naturelle. Blakes n’a pas été engagée par GSK aux fins de sa requête pour autorisation d’intervenir, et elle ne représente GSK dans aucun processus réglementaire, mais se borne à conseiller GSK relativement à des transactions commerciales. Ainsi, Blakes n’a pas d’obligation de loyauté envers GSK dans la présente instance. Blakes n’est donc pas en situation de conflit de loyautés envers GSK et le Conseil. En outre, le [Conseil] est tenu de rendre ses propres décisions indépendantes au sujet des questions dont il est saisi. En conséquence, il n’y a aucune crainte raisonnable de partialité, ni de manque de neutralité, pas plus qu’il n’y a d’iniquité.

 

[34]           La demanderesse a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision le 28 novembre 2007. Après le dépôt d’une requête visant à obtenir une ordonnance de suspension de l’instance, les parties ont convenu le 29 novembre 2007 que l’instance serait ajournée en attendant la conclusion du présent contrôle judiciaire, étant entendu qu’il serait possible d’obtenir une date d’audition rapprochée avec l’aide de la Cour. La date d’audition a été fixée au 4 février 2008.

 

[35]           Entre-temps, le 10 décembre 2007, la demanderesse a reçu copie d’une lettre de GSK à Blakes, datée du 28 novembre 2007, dans laquelle GSK indiquait qu’elle n’avait aucune objection à ce que Blakes agisse comme conseillère juridique du Conseil dans l’instance.

 

[36]           La demanderesse ne conteste pas le droit du Conseil d’engager un conseiller juridique. Cependant, la demanderesse soutient qu’une personne raisonnablement informée trouverait qu’il y a une apparence d’iniquité, de partialité et de manque de neutralité dans l’instance en raison du fait que la conseillère juridique du Conseil a aussi une obligation de loyauté envers une partie qui a exhorté le Conseil à accepter une position qui est contraire aux intérêts de la demanderesse. La demanderesse soutient que les facteurs suivants accentuent la crainte raisonnable de partialité découlant de la participation de Blakes à l’instance : la cliente actuelle de Blakes subira un préjudice si une certaine mesure de redressement est imposée par le Conseil; le rôle de Blakes dans l’instance est important; Blakes a participé au processus décisionnel relatif à la requête concernant Blakes (et ce d’une manière qui n’a été divulguée à la demanderesse qu’après que la requête eut été plaidée); et, le Conseil, en affirmant qu’il souhaitait garder Blakes comme conseillère juridique du Conseil, s’est placé dans une position antagoniste par rapport à la demanderesse. Le Conseil s’est appuyé à tort sur une analyse normalement appliquée pour déterminer si un avocat est en situation de conflit d’intérêts, laquelle analyse ne s’applique pas en l’espèce : une crainte raisonnable de partialité ou d’iniquité peut exister même en l’absence d’un conflit d’intérêts juridique. En outre, le fait que le Conseil soit tenu de rendre une décision indépendante n’est pas une réponse suffisante aux préoccupations soulevées par la demanderesse. Si tel était le cas, une allégation de partialité ne serait jamais accueillie. Enfin, la demanderesse soutient que puisque le Conseil a erré relativement à la décision attaquée, les deux autres décisions du Conseil concernant la requête en précision et la requête aux fins de production devraient aussi être annulées. 

 

[37]           Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker), la Cour suprême du Canada a affirmé que l’équité procédurale exige que les décisions soient rendues par un décideur impartial et en l’absence de toute crainte raisonnable de partialité. Les parties ne contestent pas que le Conseil a un devoir d’équité envers la demanderesse et que ce devoir exige que toute décision dans l’instance soit prise par un décideur impartial et en l’absence de toute crainte raisonnable de partialité. Toujours dans Baker, précité, la Cour suprême du Canada a reconnu que l’obligation d’équité procédurale est souple et dépend d’une appréciation du contexte de la loi et des droits visés. Encore une fois, les parties reconnaissent volontiers ce fait. Les parties conviennent également que le critère de la crainte raisonnable de partialité a été énoncé par le juge de Grandpré, dans des motifs dissidents dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 à la page 394, comme suit :

[…] Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. […] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

 

Enfin, les parties conviennent qu’un tribunal administratif comme le Conseil peut engager les services d’un conseiller juridique pourvu que la présence du conseiller juridique ne soulève pas de crainte raisonnable de partialité ni d’autres préoccupations liées à l’équité procédurale et à la justice naturelle. 

 

[38]           Puisque les parties sont d’accord concernant l’état du droit relativement à la crainte raisonnable de partialité, la question de fond consiste à déterminer si, eu égard aux faits de la présente espèce, une personne raisonnablement informée trouverait qu’il y a une apparence d’iniquité, de partialité et de manque de neutralité dans l’instance du fait que la conseillère juridique du Conseil représente aussi GSK, la concurrente de la demanderesse, dans des affaires commerciales. Il y a cependant une question préliminaire qu’il faut d’abord trancher.

 

[39]           À la suite de l’audition sur le fond, la Cour a noté que la demande de contrôle judiciaire des décisions interlocutoires statuant sur la requête concernant Blakes, ainsi que des deux autres décisions procédurales du Conseil (statuant sur la requête en précisions et la requête aux fins de production), était peut-être prématurée. D’ailleurs, c’est précisément la position qu’a plaidée le procureur général du Canada dans une autre affaire tranchée aujourd’hui par la Cour, où le demandeur demande le contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire rendue par un délégué du surintendant des faillites, qui a rejeté la requête du demandeur en récusation du délégué : Sztern c. Deslongchamps et al., 2008 FC 285 (Sztern). Suivant les instructions de la Cour, les parties ont produit des observations écrites complémentaires sur la question de la prématurité dans les deux causes.

 

[40]           La demanderesse et le défendeur en l’espèce (tout comme les parties dans Sztern) conviennent que, conformément à Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 116 D.L.R. (4th) 333, [1993] A.C.F. no 934 (QL) (Szczecka), une demande de contrôle judiciaire d’un jugement interlocutoire ne devrait pas être reçue en l’absence de circonstances spéciales.

 

[41]           La demanderesse signale qu’il a été jugé qu’il existait des circonstances spéciales (ou exceptionnelles) justifiant un contrôle judiciaire immédiat de la décision interlocutoire d’un tribunal lorsque la compétence de celui-ci était en cause. (Zündel c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (2000), 256 N.R. 125, [2000] A.C.F. no 678 (QL) (Zündel); Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), [1996] 3 C.F. 584 (1re inst.); et Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Chrichlow, 2007 CF 122, [2007] A.C.F. no 210 (QL)). En effet, dans Zündel, la Cour d’appel fédérale a indiqué que des questions comme la partialité peuvent bien impliquer la compétence même du tribunal et constituer par voie de conséquence des circonstances spéciales justifiant un contrôle judiciaire immédiat de la décision interlocutoire d’un tribunal. Il serait injuste de refuser d’intervenir lorsque la décision attaquée prive une partie d’une audition équitable, révèle des motifs de crainte de partialité ou porte atteinte aux droits substantifs d’une partie : Fairmont Hotels Inc. c. Directeur de Corporations Canada, 2007 CF 95,  [2007] A.C.F. no 133 (QL).

 

[42]           En appliquant ces principes, la demanderesse soutient qu’il existe des circonstances spéciales qui justifient un contrôle judiciaire immédiat de la décision du Conseil statuant sur la requête concernant Blakes. La requête concernant Blakes repose sur une allégation de crainte raisonnable de partialité (qui était évidente depuis le début de la conférence préparatoire à l’audience) qui, s’il n’y est pas remédié, équivaut à un vice potentiellement déterminant qui implique la légalité même du Conseil et sa compétence. La demanderesse soutient qu’une des raisons du refus des demandes de contrôle judiciaire de décisions interlocutoires est que de tels contrôles peuvent s’avérer totalement inutiles en bout de ligne : il se peut que la partie plaignante obtienne gain de cause au final, rendant ainsi superflue la demande de contrôle judiciaire. Tel n’est pas le cas pour ce qui est de la requête concernant Blakes. Peu importe la décision que le Conseil rendra sur le fond dans l’instance, le vice fondamental au plan de l’équité demeurera. En outre, il n’y aura pas de délai, de dépense ou de fragmentation des procédures inutiles en l’espèce puisque l’instance n’a pas progressé au-delà du stade des déclarations liminaires et a été suspendue en attendant la conclusion du présent contrôle judiciaire. La demanderesse soutient qu’elle n’aurait pas pu agir avec plus de diligence, et que tout inconvénient qui pourrait être lié à la présente demande de contrôle judiciaire est compensé par l’utilité d’un examen rapide de la décision statuant sur la requête concernant Blakes. En bref, si une audition équitable n’est pas accordée en raison d’une crainte raisonnable de partialité, la décision finale du Conseil sur le fond ne pourra pas corriger ce vice déterminant. Enfin, la demanderesse soutient que la décision dans Ipsco Inc. c. Sollac, Aciers d'Usinor (1999), 246 N.R. 197, [1999] A.C.F. no 910 (QL) (Ipsco) ne s’applique pas aux faits de la présente espèce. Dans Ipsco, la Cour d’appel fédérale a refusé de procéder au contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) refusant que l’avocat de la demanderesse participe à l’instance au motif que sa comparution créait une crainte raisonnable de partialité. La Cour d’appel fédérale a conclu que la question était de nature interlocutoire (étant donné que sa détermination ne concernait pas le fond de la question du litige dont le TCCE était saisi), et que, par conséquent, il n’y avait aucune circonstance spéciale justifiant l’intervention de la Cour à ce stade. Selon la demanderesse, dans Ipsco, le tribunal avait corrigé le vice déterminant entachant la procédure et avait ainsi éliminé le besoin que la Cour intervienne à ce stade.

 

[43]           S’agissant de la question de savoir s’il existe des circonstances spéciales qui justifient le contrôle judiciaire des autres décisions interlocutoires du Conseil statuant sur la requête en précisions et sur la requête aux fins de production, la demanderesse est d’avis que le sort de ces deux requêtes doit suivre la décision de la Cour quant à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. L’annulation de ces deux autres décisions découle nécessairement d’une décision favorable quant à la demande de contrôle judiciaire relative à la requête concernant Blakes en raison du droit relatif à la partialité.

 

[44]           Chose intéressante, la défenderesse (représentée par le procureur général du Canada) est d’accord avec la plupart des arguments de la demanderesse. Après un examen sommaire de la jurisprudence pertinente, la défenderesse affirme qu’à l’égard des questions qui concernent la compétence même du Conseil (notamment les allégations de partialité), la Cour peut procéder à un contrôle judiciaire immédiat de la décision interlocutoire en cause. En plus des causes déjà citées par la demanderesse, la défenderesse invoque Roulette c. Sandy Bay Ojibway First Nation, 2006 CF 98, [2006] A.C.F. no 377 (QL) (Roulette). Dans Roulette, cette Cour s’est interrogée quant à savoir si une demande de contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire rendue par un arbitre agissant en vertu de la partie III du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, était prématurée. Le procureur de la bande indienne tentait d’empêcher le cabinet d’avocats en cause d’agir comme procureur du demandeur (dans le contexte d’une instance relative à des plaintes de congédiement injuste formulées par le demandeur à l’encontre de la bande) au motif d’un conflit d’intérêts. Le cabinet avait agi comme conseiller juridique général de la bande pendant sept ans avant que la bande résilie son contrat de services général. L’arbitre avait rejeté l’objection. Dans une remarque incidente, le juge Strayer a affirmé que s’il était nécessaire qu’il détermine s’il y avait des circonstances exceptionnelles justifiant le contrôle judiciaire de la décision interlocutoire en cause, il [traduction] « serai[t] enclin à dire qu’il y a des circonstances spéciales en l’espèce ». 

 

[45]           Malgré le fait que le défendeur est d’accord avec les observations écrites complémentaires de la demanderesse concernant l’opportunité d’un contrôle judiciaire de la décision statuant sur la requête concernant Blakes, le défendeur est d’avis que les deux décisions procédurales du Conseil statuant sur la requête en précisions et la requête aux fins de production sont des questions qui [traduction] « attendraient normalement la décision finale du Conseil avant de pouvoir être révisées par cette Cour ».

 

[46]           Malgré les arguments formulés par les procureurs des deux parties, je ne trouve pas qu’il y a des circonstances spéciales en l’espèce qui justifient un contrôle judiciaire immédiat de la décision interlocutoire statuant sur la requête concernant Blakes, non plus qu’il n’y a de circonstances spéciales qui m’autoriseraient à contrôler les décisions interlocutoires relatives à la requête en précisions et à la requête aux fins de production. Comme je l’ai affirmé dans Sztern, précité :

Le point de départ de  mon analyse, conformément à Szczecka, est qu’à moins de circonstances spéciales, il ne devrait pas y avoir de contrôle judiciaire immédiat d’un jugement interlocutoire. Comme je l’ai affirmé dans Mines Alerte Canada c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2007 CF 955, [2007] A.C.F. no 1249 (QL) au para. 148 : « Cela s'explique par le fait que les demandes de contrôle judiciaire concernant une décision interlocutoire peuvent en fin de compte être parfaitement inutiles : la partie plaignante peut avoir eu gain de cause au bout du compte, ce qui fait que les demandes de contrôle judiciaire ne sont d'aucune valeur. En outre, les délais et les frais inutiles que l'on associe à de telles demandes peuvent avoir pour effet de discréditer l'administration de la justice. »

 

[47]           Les parties n’ont pas réussi à me convaincre qu’il existe de pareilles « circonstances spéciales » en l’espèce. Il ne s’agit pas d’un cas de partialité « systémique » qui implique la compétence même du Conseil. Au contraire, comme je l’ai conclu dans Sztern, je suis d’avis qu’une décision au sujet de la partialité au stade interlocutoire en l’espèce risque de multiplier indûment les litiges puisque le défendeur n’est pas prêt à concéder que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie et rien n’empêche la demanderesse de réitérer ses objections devant le Conseil tout en contestant en appel une décision de la Cour statuant sur le fond de la question de la partialité.

 

[48]           Je suis aussi persuadé par le raisonnement du juge Evans dans Air Canada c. Lorenz (1re inst.), [2000] 1 C.F. 494, [1999] A.C.F. no 1383 (QL) (Air Canada), qui affirme : « Je ne trouve néanmoins aucun arrêt appuyant la proposition qu'une allégation de partialité constitue ipso facto des "circonstances exceptionnelles" qui justifient un contrôle judiciaire avant que le tribunal n'ait rendu sa décision finale. » Dans Air Canada (comme dans Sztern et comme en l’espèce), le juge Evans a eu l’avantage d’entendre l’intégralité de la cause avant de rendre sa décision sur la prématurité. Cela fournit un contexte précieux dans lequel apprécier l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’accorder une mesure de redressement.

 

[49]           En l’espèce, après avoir soupesé des facteurs comme le préjudice subi par la demanderesse, le gaspillage de ressources judiciaires, le retard, et la fragmentation des procédures, je suis d’accord avec la conclusion du juge Evans dans Air Canada : « Une allégation non frivole de partialité qui n'est pas appuyée par une preuve blindée ne constitue pas en soi des "circonstances exceptionnelles", même lorsque la fin de l'instruction devant le tribunal n'est pas proche et qu'il n'y a aucun droit d'appel de portée générale contre les décisions du tribunal. Une telle allégation n'équivaut pas non plus à la contestation constitutionnelle à l'encontre de "l'existence même du tribunal" qui a été examinée dans l'arrêt Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), précité. » En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[50]           Étant donné que j’ai affaire à des parties bien avisées qui ont bénéficié des services de procureurs d’expérience, je n’examinerai pas, comme je l’ai fait dans Sztern, subsidiairement, à titre incident, la question de savoir si une personne bien informée trouverait qu’il y a une apparence de partialité en l’espèce. Contrairement à la situation qui prévalait dans Sztern, précité, je dois aussi souligner que je ne suis pas en mesure aujourd’hui de rendre une « décision éclairée » sur les questions de conflit d’intérêts et de partialité qui ont amené la demanderesse à demander à Blakes (puis au Conseil par voie de requête officielle) que celle-ci cesse d’agir comme conseillère juridique du Conseil dans l’instance.

 

[51]           Des allégations de partialité et/ou de conflit d’intérêts personnels sont des questions très sérieuses. La Cour doit rendre une décision qui pourrait avoir une incidence sur la réputation ou sur leur capacité à gagner leur vie de certains des individus concernés dans l’instance, notamment les conseillers juridiques du Conseil et les membres de la formation. Je note ici qu’il n’y a eu aucun affidavit de la part du défendeur (une partie qui admet qu’elle n’a reçu aucune instruction du Conseil) exposant convenablement le contexte de l’embauche de Gordon Cameron et de Nancy Brooks comme conseillers juridiques du Conseil, les conditions de leur embauche, et leur rôle et leur participation particuliers dans l’instance (notamment leur accès à des renseignements confidentiels, leur présence lors des délibérations du Conseil, et l’étendue de leur participation au processus décisionnel, le cas échéant). La Cour n’a pas non plus une idée bien précise du travail que Blakes exécute pour GSK en matière commerciale, du nombre de dossiers passés ou présents à cet égard, des conditions – financières ou autres – de son embauche par GSK, de l’importance de ce client, ni de tous les autres renseignements pertinents qui permettraient à la Cour de rendre une décision éclairée sur les allégations de crainte raisonnable de partialité fondée sur l’indépendance et/ou l’impartialité perçue ou réelle de Blakes, à titre de conseillère juridique du Conseil, dans l’instance. En effet, il n’y a aucun affidavit de Blakes ni de GSK sur ces questions très importantes et peut-être très litigieuses.

 

[52]           Je signale aussi que la demanderesse a pris soin de contester exclusivement les trois décisions interlocutoires défavorables rendues par le Conseil à la suite de la conférence préparatoire à l’audience du 31 octobre 2007. Pourtant, Blakes a aussi agi comme conseillère juridique du Conseil dans le contexte du processus qui a finalement débouché sur le rejet, le 26 juillet 2007, de la demande d’autorisation d’intervenir formulée le 25 avril 2007 par Torys pour le compte de GSK. Par conséquent, si la Cour devait considérer la partialité alléguée de la conseillère juridique du Conseil comme une sorte de vice déterminant ou d’entrave juridictionnelle (comme l’ont donné à entendre la demanderesse et le défendeur), cela influerait naturellement sur la légalité de toutes les décisions interlocutoires du Conseil, y compris la décision de rejeter la demande formulée par GSK pour être autorisée à intervenir à l’instance. Il s’ensuivrait qu’il faudrait reprendre l’ensemble du processus depuis le début, ce qui augmenterait les coûts pour toutes les parties, puisque l’audience sur le fond dans l’instance était sur le point de commencer le 29 novembre 2007.

 

[53]           Cela étant dit, il n’y a aucune allégation de conflit d’intérêts ou de partialité personnelle dans l’instance de la part d’aucun des membres de la formation, y compris le président. La demanderesse n’a formulé aucune demande expresse de récusation à l’endroit d’aucun des membres du Conseil, et je considère que la requête concernant Blakes, de même que la requête en précisions et la requête aux fins de production, sont des questions de pure procédure qui relèvent de la compétence exclusive du Conseil. Par conséquent, j’ai beaucoup de mal en l’espèce à qualifier de « juridictionnelle » la question soulevée par la demanderesse, et je pense que les deux parties ont exagéré la mesure dans laquelle les commentaires formulés par la Cour d’appel fédérale dans Zündel s’appliquaient aux faits de la présente espèce.

 

[54]           Une partie contre laquelle une ordonnance interlocutoire a été rendue n’a pas l’obligation d’en appeler ou d’en demander le contrôle judiciaire sur-le-champ afin de préserver ses droits. En effet, le délai prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, tel que modifié, ne commence pas à courir avant que la décision finale ait été rendue (Zündel, précité). La demanderesse a fait ce qu’une partie à un litige est censée faire dans les cas où des questions de justice naturelle, y compris de partialité, lui causent des soucis légitimes. Elle a fait part de ses soucis ou objections au Conseil, et rien n’empêche la demanderesse de les réitérer plus tard dans le processus.

 

[55]           Je note à cet égard que le Conseil a déjà assuré la demanderesse que [traduction] « si la formation conclut à l’existence de prix excessifs, la formation ne demandera pas conseil auprès de M. Cameron sur la façon dont il conviendrait de compenser les recettes excessives, ni sur aucune question connexe en matière de redressement ». Cependant, si le Conseil rend une décision favorable à la demanderesse, la question de la partialité devient théorique. À ce stade-ci, il est impossible de prédire l’issue de l’instance ou, le cas échéant, quelles mesures de redressement le Conseil ordonnera. En conséquence, il est difficile de décider à l’avance si les assurances susmentionnées seraient suffisantes ou non pour éliminer les soucis légitimes que pourrait avoir une personne raisonnablement informée de ce que la participation de Blakes comme conseillère juridique du Conseil dans l’instance soulève une crainte générale de partialité.

 

[56]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée au seul motif de la prématurité. Aucuns dépens ne sont adjugés, étant donné les motifs particuliers pour lesquels la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire, et compte tenu aussi de la position adoptée par le procureur général du Canada à l’égard de la question de la prématurité.

 


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T-2072-07

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        SANOFI PASTEUR LIMITED

                                                                        c. PGC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 4 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sandra A. Forbes

 

POUR LA DEMANDERESSE

Christopher Rupar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davies Ward Phillips & Vineberg LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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