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Date : 20080229

Dossier : IMM‑5403‑06

Référence : 2008 CF 277

Ottawa (Ontario), le 29 février 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

SOMAYEH MOHAMMADY

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

 

[1]               Mme Somayeh Mohammady, la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 19 septembre 2006. La SAI a rejeté l’appel formé par la demanderesse contre la décision d’un agent des visas qui avait refusé de lui délivrer un document de voyage parce qu’elle ne s’était pas conformée aux conditions de résidence énoncées à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et aussi parce que les motifs d’ordre humanitaire qu’elle avait invoqués ne suffisaient pas pour que l’agent exerce son pouvoir discrétionnaire et renonce à l’observation des conditions de résidence.

 

[2]               La demanderesse ne conteste pas la validité juridique de la décision de l’agent des visas selon laquelle elle ne remplissait pas les conditions de résidence fixées dans l’article 28 de la Loi. Le fondement de la présente demande est le fait que l’agent des visas n’a pas exercé favorablement son pouvoir discrétionnaire de tenir compte des motifs d’ordre humanitaire invoqués par la demanderesse.

 

II.  Contexte

 

[3]               La demanderesse, qui est Iranienne, est arrivée au Canada en 1994 en tant que réfugiée au sens de la Convention, avec sa famille.

 

[4]               Durant l’été de 1997, la demanderesse a quitté le Canada et, après s’être rendue aux États‑Unis, elle est arrivée à Ashraf, en Iraq, où elle s’est installée au camp Ashraf. Le camp Ashraf était un camp militaire destiné aux Mujahedin e Khalq (les Mudjahidin du peuple) (les MEK).

 

[5]               Les parents de la demanderesse se sont adressés aux autorités canadiennes en 2004, pour qu’elles les aident à communiquer avec leur fille. La demanderesse avait à l’origine pris contact avec les MEK alors qu’elle vivait à Toronto avec sa famille. Selon le témoignage produit par son père devant la SAI, la famille s’était présentée au centre mudjahidin et avait participé à ses activités. Le père de la demanderesse a témoigné qu’il pensait que le camp Ashraf, en Iraq, offrait aux étudiants un séminaire d’une durée d’un mois, et qu’il croyait que la demanderesse reviendrait à la maison après cette période. Il n’a pas communiqué avec les autorités canadiennes quand elle n’est pas revenue au bout d’un mois, et il a même envoyé le frère de la demanderesse au camp en 1999.

 

[6]               L’une des tantes de la demanderesse, du côté paternel, avait été membre des MEK au camp Ashraf; elle fut tuée au combat en 1988.

 

[7]               Le frère de la demanderesse a témoigné devant la SAI. Il a dit qu’il avait été détenu au camp. Il a abandonné les MEK pour se rendre au camp militaire américain d’Ashraf, puis est revenu au Canada en décembre 2004.

 

[8]               Ce n’est qu’en 2004 que le père de la demanderesse a sollicité l’aide des autorités canadiennes pour communiquer avec sa fille.

 

[9]               La SAI a jugé crédible le témoignage du père, qui disait ne pas être au courant des violations des droits de l’homme commises au camp avant cette date. Elle a aussi accepté le témoignage selon lequel les parents de la demanderesse s’étaient rendus à l’étranger à compter de 2002 et avaient tenté, à partir de 2003, de visiter les enfants au camp Ashraf afin de faciliter leur retour au Canada.

 

[10]           La demanderesse a témoigné devant la SAI par téléconférence. Elle a dit qu’elle s’était jointe volontairement aux MEK et qu’elle souhaitait rester auprès d’eux.

 

[11]           La demanderesse fait valoir que la SAI, lorsqu’elle a évalué les motifs d’ordre humanitaire qu’elle avait invoqués, a commis une erreur en omettant de prendre en compte la preuve de ses intentions se rapportant à son séjour au camp Ashraf , ainsi que certains documents qui confirmaient les dépositions de témoins devant la SAI, dépositions selon lesquelles, si elle n’était pas alors retournée au Canada à l’intérieur de la période prévue, c’était parce qu’elle était détenue contre son gré au camp Ashraf.

 

[12]           Selon le défendeur, la SAI a bien examiné la preuve dont elle disposait, y compris le témoignage de la demanderesse. Il fait valoir que rien ne prouve que la demanderesse était soumise à un contrôle de l’esprit ou qu’elle n’était pas en mesure de décider librement de quitter le camp. Il ajoute que le propre témoignage de la demanderesse est le meilleur indice de ses intentions et que, lorsqu’elle a témoigné devant la SAI, elle a dit qu’elle souhaitait rester au camp.

 

[13]           Enfin, en ce qui concerne l’évaluation psychologique de la demanderesse, le défendeur souligne que rien ne prouve qu’une telle évaluation ne pouvait pas être faite au camp.

 

III.  Analyse et dispositif

 

[14]           Le premier point sur lequel il faut se pencher concerne la norme de contrôle applicable suivant une analyse pragmatique et fonctionnelle. Les facteurs à prendre en considération sont la présence ou l’absence d’une clause privative, la spécialisation du tribunal, l’objet du texte législatif et la nature de la question.

 

[15]           La Loi ne renferme pas de clause privative, et un contrôle judiciaire est possible si l’autorisation est accordée en application du paragraphe 72(1) de la Loi. Le premier facteur est neutre.

 

[16]           La SAI est un tribunal spécialisé, qui est habilité par la Loi à trancher des questions de fait et de droit. Ses décisions appellent un degré élevé de retenue.

 

[17]           La Loi a pour objet de réglementer l’admission au Canada des immigrants et des personnes à protéger, ainsi que de préserver la sécurité de la société canadienne. Cette fonction requiert de tenir compte et de mettre en balance de nombreux intérêts qui peuvent être en opposition les uns avec les autres. Les décisions rendues dans un contexte polycentrique commandent en général une certaine retenue de la part des tribunaux.

 

[18]           Enfin, le dernier facteur concerne la nature de la question. En l’espèce, la demanderesse conteste le refus de la SAI d’exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire pour tenir compte de l’existence de motifs d’ordre humanitaire. Une décision qui fait intervenir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire fondé sur l’existence de motifs d’ordre humanitaire appelle en général un surcroît de retenue.

 

[19]           Après mise en balance des quatre facteurs, je suis d’avis que la norme de contrôle qui est applicable en l’espèce est la norme de la décision raisonnable simpliciter. Je dois me demander si la décision de la SAI peut résister à un examen assez poussé : voir l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 46.

 

[20]           Après avoir examiné la preuve produite, y compris le témoignage de la demanderesse, celui de son père et celui de son frère, la SAI a jugé que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle devait exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire en raison des motifs d’ordre humanitaire invoqués. Plus précisément, la SAI a souligné que, selon son propre témoignage, la demanderesse souhaitait rester au camp Ashraf. La demanderesse était âgée de 17 ans quand elle s’est rendue au camp Ashraf. Elle avait 25 ans lorsqu’elle a témoigné devant la SAI. À mon avis, elle était d’un âge où elle était en mesure d’exprimer sa volonté, et c’est ce qu’elle a fait.

 

[21]           Contrairement à ce que prétend la demanderesse, la SAI n’a pas omis de tenir compte de la preuve dont elle disposait. Il était loisible à la SAI d’accorder davantage de poids au témoignage de la demanderesse elle‑même qu’à la preuve documentaire produite. Je ne vois aucune raison pour la Cour d’intervenir dans cette affaire, et la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑5403‑06

 

INTITULÉ :                                                               SOMAYEH MOHAMMADY

                                                                                    c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 8 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 29 FÉVRIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pamila Bhardwaj

 

          POUR LA DEMANDERESSE

Martin Anderson

 

  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet de Bhardwaj Pohani

Toronto (Ontario)

 

                  POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.
Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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