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Date : 20080229

Dossier : IMM‑2599‑07

Référence : 2008 CF 276

Montréal (Québec), le 29 février 2008

En présence de Madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

 

GHAZI KHATOON

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas (l’agent), en date du 1er juin 2007, qui lui a refusé un visa de résidente temporaire dans la catégorie des visiteurs (le visa de visiteur).

 

CONTEXTE

[2]               La demanderesse est Pakistanaise. Elle a sollicité le visa de visiteur afin de pouvoir assister au mariage de sa petite‑fille. C’est le 22 mai 2007 que le Haut‑Commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan, a reçu sa demande de visa, accompagnée d’une lettre d’invitation de son petit‑fils.

 

[3]               L’agent a refusé la demande, en cochant sur la lettre type de refus les cases correspondant aux deux motifs suivants :

[traduction]

·        Vous ne m’avez pas persuadé que vous remplissez les conditions de l’article 179 du Règlement : que vous quitteriez le Canada à la fin de la période temporaire si vous étiez autorisée à y séjourner. Pour arriver à cette décision, j’ai pris en compte vos liens avec votre pays de résidence/nationalité, en les comparant aux facteurs qui pourraient vous motiver à rester au Canada.

 

·        Vous n’avez pas produit une preuve suffisante de votre revenu et de votre actif, ni du revenu et de l’actif de votre hôte.

 

 

 

[4]               En l’espèce, la demanderesse conteste la conclusion de l’agent selon laquelle elle ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, et celle selon laquelle elle n’avait pas produit une preuve suffisante de son revenu et de son actif, ou du revenu et de l’actif de son hôte. Comme ces conclusions sont largement tributaires des faits, la décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle applicable (Danioko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 479, [2006] A.C.F. n° 578 (QL), paragraphe 1; Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 427, [2005] A.C.F. n° 529 (QL), paragraphe 6).

 

[5]               Par conséquent, les conclusions de l’agent ne seront pas modifiées si elles ne sont pas « clairement irrationnelles » ou « de toute évidence non conformes à la raison » (arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, pages 963‑064).

 

[6]               D’entrée de jeu, je crois utile d’examiner le champ du pouvoir discrétionnaire à l’intérieur duquel les conclusions de fait dont il s’agit ici ont été tirées. On peut trouver dans l’objet de la Loi et dans les directives ministérielles une indication du champ du pouvoir discrétionnaire (arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (QL), paragraphe 67).

 

[7]               L’objet de la Loi donne à penser que la réunification des familles est une considération importante. Plus précisément, l’alinéa 3.(1)d) dispose que la Loi a notamment pour objet « de veiller à la réunification des familles au Canada ». Fait intéressant à noter, le juge Gibson écrivait, dans la décision Gupta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 1099 (QL), paragraphe 11, que « le libellé de cet alinéa a une portée assez grande pour englober la réunion au Canada de citoyens canadiens et de résidents permanents […] avec leurs proches parents de l’étranger ». En outre, aux paragraphes 8 et 9 de la décision Zhang, précitée, une affaire qui relevait de la Loi actuelle, le juge Pinard a fait siennes les observations du juge Gibson.

 

[8]               S’agissant de l’importance de la réunification des familles dans le contexte d’une décision discrétionnaire, la demanderesse a appelé l’attention de la Cour sur les directives ministérielles s’y rapportant. Plus précisément, la section 5.13 du chapitre 11 du Guide du traitement des demandes à l’étranger (le Guide OP 11) renferme ce qui suit :

Parents et grands‑parents

En avril 2005, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a pris une décision stratégique pour encourager les agents des visas à faire preuve de plus de souplesse lors de la délivrance de visas de résidents temporaires (VRT), y compris les visas pour entrées multiples, aux parents et aux grands‑parents :

 

• dont la demande de résidence permanente est en cours de traitement; et

 

• qui souhaitent visiter le Canada, mais qui n’ont pas l’intention d’y immigrer.

 

 

[9]               Un examen des notes du STIDI révèle que l’agent des visas savait que la demanderesse avait quatre enfants au Pakistan, qu’elle s’était rendue auparavant en Arabie saoudite, qu’elle avait un fils sans statut au Canada et qu’elle avait un petit‑fils qui était citoyen canadien. L’agent a aussi observé que les documents fiscaux obtenus du petit‑fils et de son épouse révélaient un « revenu décent », mais aucune preuve n’avait été produite faisant état de l’emploi et/ou des épargnes du petit‑fils ou de son épouse, ni aucune preuve de l’avoir de la demanderesse.

 

[10]           L’affidavit produit par l’agent des visas, en date du 24 septembre 2007, apporte des précisions au sujet des notes du STIDI. Plus précisément, l’agent y écrit, au paragraphe 9, que, parce que le fils de la demanderesse était resté au Canada sans statut, elle pourrait avoir envie de faire la même chose. En outre, au paragraphe 10, il écrit que, eu égard à la connaissance qu’il a de certaines pratiques culturelles suivies au Pakistan, plus précisément la coutume voulant que les femmes âgées veuves vivent en général avec leurs fils et non avec leurs filles, le fait que l’unique fils de la demanderesse vivait au Canada avait éveillé un doute dans son esprit. Il écrit aussi au paragraphe 13 qu’un voyage en Arabie saoudite, comme celui qu’a fait la demanderesse, n’est pas en général considéré comme un voyage international d’importance.

 

[11]           S’agissant de la première conclusion de l’agent, celle selon laquelle il n’était pas persuadé que la demanderesse quitterait le Canada à l’expiration de la période pertinente, je suis d’avis que cette conclusion est manifestement déraisonnable.

 

[12]           D’abord, le fait que le fils de la demanderesse se trouvait au Canada sans statut ne permet pas à l’agent de supposer une intention semblable chez la demanderesse. Une personne doit être jugée d’après son propre comportement, non d’après celui des membres de sa famille.

 

[13]           Deuxièmement, même si je reconnais que l’agent a pu acquérir une connaissance des coutumes observées au Pakistan, grâce à son séjour dans ce pays, le simple fait que les femmes âgées veuves vivent généralement, selon lui, avec leurs fils plutôt qu’avec leurs filles, ne saurait servir à mettre en doute la bonne foi de la demanderesse. C’est là une généralisation hâtive qui est manifestement déraisonnable.

 

[14]           Troisièmement, l’agent a minimisé le voyage précédent de la demanderesse en Arabie saoudite, affirmant que [traduction] « un voyage en Arabie saoudite n’est pas en général considéré comme un voyage international d’importance dans l’évaluation que je fais des demandes de résidence temporaire ». À mon humble avis, un voyage du Pakistan en Arabie saoudite est un voyage international.

 

[15]           S’agissant de la conclusion de l’agent relative aux ressources de l’hôte, les déclarations de revenus du petit‑fils de la demanderesse et de son épouse ont été produites. L’agent a estimé que les revenus de l’hôte et de son épouse étaient décents. Je relève que, s’agissant de savoir si des ressources financières sont suffisantes, la section 7 du chapitre 11 du Guide du traitement des demandes à l’étranger (le Guide OP 11) renferme ce qui suit :

Lorsqu’il le juge nécessaire, l’agent peut accepter une combinaison de certains des documents suivants pour prouver que le visiteur pourra subvenir à ses besoins pendant sa visite. La liste n’est pas exhaustive, mais énumère divers documents qui peuvent être présentés :

♦ relevé bancaire ou carnet de dépôts du demandeur (et de son conjoint) illustrant les économies accumulées;

♦ lettre d’emploi du demandeur (et de son conjoint) sur laquelle sont indiqués le nom de l’employeur, le titre/poste du demandeur, la date à laquelle le demandeur a commencé à travailler à cet endroit et son salaire annuel;

preuve de revenu de l’hôte ou des membres de la famille au Canada (et conjoint) : avis de cotisation de l’Agence du revenu du Canada de l’année précédente sur lequel est indiqué le revenu annuel, ou lettre de l’employeur sur laquelle sont indiqués le poste occupé, la date à laquelle l’intéressé a commencé à travailler et le salaire annuel;

♦ preuve de la taille de la famille de l’hôte ou du membre de la famille au Canada (pour faire correspondre le revenu avec le nombre de personnes dans la famille afin de s’assurer qu’il sera possible de subvenir aux besoins du demandeur pendant une longue visite). [Non souligné dans l’original.]

 

Il est loisible à l’agent de considérer une combinaison des documents énumérés, mais, puisqu’il était d’avis que les revenus de l’hôte et de son épouse étaient décents, il était manifestement déraisonnable de sa part d’exiger que la demanderesse, une femme de plus de 80 ans, produise elle aussi une preuve de ses ressources personnelles.

 

[16]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire déposée contre la décision de l’agent des visas est accordée. La décision de l’agent des visas est annulée. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas, pour nouvelle décision.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire déposée contre la décision de l’agent des visas est accordée. La décision de l’agent des visas est annulée. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas, pour nouvelle décision.

 

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


ANNEXE A

Loi sur l’immigration et la

 protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

Immigration and Refugee Protection Act

S.C. 2001, c. 27

 

Visa et documents

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

[…]

 

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[…]

 

Obligation à l’entrée au Canada

 

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

 

a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;

 

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[…]

Obligation on entry

 

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

 

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence; and

 

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

[…]

 

Résident temporaire

 

22. (1) Devient résident temporaire l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)b) et n’est pas interdit de territoire.

Temporary resident

 

22. (1) A foreign national becomes a temporary resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(b) and is not inadmissible.

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227

 

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002‑227

 

Délivrance

 

179. L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

 

c) il est titulaire d’un passeport ou autre document qui lui permet d’entrer dans le pays qui l’a délivré ou dans un autre pays;

 

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

 

e) il n’est pas interdit de territoire;

 

f) il satisfait aux exigences prévues à l’article 30.

 

[…]

 

Issuance

 

179. An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

 

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

 

(c) holds a passport or other document that they may use to enter the country that issued it or another country;

 

(d) meets the requirements applicable to that class;

 

(e) is not inadmissible; and

 

(f) meets the requirements of section 30.

 

[…]

 

Catégorie

 

191. La catégorie des visiteurs est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents temporaires.

[…]

 

Class

 

191. The visitor class is prescribed as a class of persons who may become temporary residents.

[…]

 

Conditions

 

193. Les visiteurs sont assujettis aux conditions prévues à la partie 9.

Conditions

 

193. A visitor is subject to the conditions imposed under Part 9.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2599‑07

 

INTITULÉ :                                       GHAZI KHATOON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nataliya Dzera

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alain Langlois

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waice Ferdoussi, avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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