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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20080229

Dossier : IMM‑2242‑07

Référence : 2008 CF 269

Ottawa (Ontario), le 29 février 2008

En présence de Monsieur le juge Orville Frenette

 

 

ENTRE :

GANGCONG YANG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent), N. Case, en date du 26 mars 2007, qui a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

I. Contexte

[2]               Le demandeur, un Chinois, est né en Chine le 9 octobre 1980. Il a habité avec ses parents en Chine jusqu’en 1989, année où il s’est installé au Pérou avec ses parents.

 

[3]               Il a obtenu au Pérou le statut de résident permanent.

 

[4]               En 2001, lui et son père ont demandé des visas de visiteurs pour le Canada, mais leurs demandes ont été refusées. Le demandeur s’est rendu aux États‑Unis en 2003 et, en janvier 2004, il a traversé la frontière et est arrivé au Canada.

 

[5]               Le 5 février 2004, il a présenté une demande d’asile au Canada. Il affirmait craindre de retourner en Chine en raison de la persécution religieuse, et craindre de retourner au Pérou parce que les Péruviens d’origine lui faisaient subir une discrimination. Il a retiré sa demande d’asile le 27 juin 2006, parce que son Formulaire de renseignements personnels (FRP) contenait de faux renseignements, qu’il impute aux conseils de son ancien représentant.

 

[6]               Plus tard, le demandeur a décidé de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

[7]               Dans sa demande, le demandeur affirmait craindre de retourner au Pérou à cause de la discrimination et parce que ses tentatives antérieures d’y obtenir une assistance policière avaient été infructueuses. Il disait aussi qu’il craignait de retourner en Chine parce qu’il n’aurait pas la possibilité dans ce pays de pratiquer sa religion (le protestantisme) librement et ouvertement.

 

[8]               Pour préparer sa demande d’ERAR, il s’est adressé à Ning Ou et lui a versé la somme de 500 $ le 5 octobre 2006 (plus 200 $ pour qu’il l’aide au cours de l’entrevue de renvoi). Ning Ou a aidé le demandeur à remplir le formulaire requis, qui fut présenté le 10 octobre 2006.

 

[9]               Dans la case 31 de la demande, il écrivait : « Je suis venu au Canada à l’aide de faux documents, de moyens frauduleux ou de fausses déclarations ». La case 54, intitulée « preuve à l’appui », fut laissée vierge, ainsi que la case F, « nom complet de l’avocat », et la case G, « nom du représentant canadien ».

 

[10]           Le 5 octobre, un conseiller a aidé le demandeur à remplir la demande d’ERAR, qui fut déposée le 10 octobre 2006. La décision refusant la demande d’ERAR fut rendue le 26 mars 2007.

 

II. La décision contestée

[11]           L’agent a passé en revue le dossier d’information sur la Chine (2005‑2006), en consultant les rapports de onze organisations internationales sur la situation des droits de l’homme en Chine. Il a fait observer que le demandeur n’avait pas produit une preuve objective montrant qu’il ne pouvait pas pratiquer sa religion ouvertement dans sa province d’origine en Chine. Il a ajouté que, d’après la documentation, certaines régions toléraient les églises protestantes non enregistrées.

 

[12]           L’agent a aussi évalué la situation ayant cours au Pérou. Le dossier d’information révélait une discrimination de longue date contre les Asiatiques. L’agent a constaté que la liberté de religion y était protégée par la Constitution et qu’elle était généralement respectée, en pratique, par le gouvernement.

 

[13]           Finalement, l’agent a trouvé que le demandeur n’avait pas apporté une preuve objective suffisante montrant qu’il avait cherché à obtenir la protection de l’État.

 

[14]           Le demandeur conteste cette décision en alléguant la négligence et l’incompétence de son conseiller.

 

III. Point litigieux

            1.         Le demandeur a‑t‑il été privé de la justice naturelle et de l’équité procédurale en raison de l’incompétence de son conseiller?

 

IV. Norme de contrôle

[15]           S’agissant de la justice naturelle et de l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire de faire une analyse pragmatique et fonctionnelle; la décision correcte est la norme de contrôle applicable (arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, paragraphe 46).

 

[16]           Le juge John C. Major écrivait ce qui suit, au nom de la Cour suprême du Canada, aux paragraphes 26 à 29 de l’arrêt R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] A.C.S. n° 22 (QL) :

26     La façon d’envisager les allégations de représentation non effective est expliquée dans l’arrêt Strickland c. Washington, 466 U.S. 668 (1984), le juge O’Connor. Cette étude comporte un volet examen du travail de l’avocat et un volet appréciation du préjudice. Pour qu’un appel soit accueilli, il faut démontrer, dans un premier temps, que les actes ou les omissions de l’avocat relevaient de l’incompétence, et, dans un deuxième temps, qu’une erreur judiciaire en a résulté.

 

27     L’incompétence est appréciée au moyen de la norme du caractère raisonnable. Le point de départ de l’analyse est la forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. Il incombe à l’appelant de démontrer que les actes ou omissions reprochés à l’avocat ne découlaient pas de l’exercice d’un jugement professionnel raisonnable. La sagesse rétrospective n’a pas sa place dans cette appréciation.

 

28     Les erreurs judiciaires peuvent prendre plusieurs formes dans ce contexte. Dans certains cas, le travail de l’avocat peut avoir compromis l’équité procédurale, alors que dans d’autres, c’est la fiabilité de l’issue du procès qui peut avoir été compromise.

 

29     Dans les cas où il est clair qu’aucun préjudice n’a été causé, il n’est généralement pas souhaitable que les cours d’appel s’arrêtent à l’examen du travail de l’avocat. L’objet d’une allégation de représentation non effective n’est pas d’attribuer une note au travail ou à la conduite professionnelle de l’avocat. Ce dernier aspect est laissé à l’appréciation de l’organisme d’autoréglementation de la profession. S’il convient de trancher une question de représentation non effective pour cause d’absence de préjudice, c’est ce qu’il faut faire (Strickland, précité, à la p. 697).

 

 

[17]           Pour obtenir gain d cause, le demandeur doit donc prouver ce qui suit :

1.                  que les actions ou omissions de son conseiller équivalaient à de l’incompétence;

2.                  qu’un préjudice lui a été causé; ou

3.                  qu’il y a eu erreur judiciaire.

 

[18]           Comme il est indiqué plus haut, on conclura à l’incompétence du conseiller selon que sa conduite entre ou non dans le large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable. C’est au demandeur qu’il appartient d’apporter la preuve requise : voir Rodrigues c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 77, [2008] A.C.F. n° 108 (QL); Gomez Bedoya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 505, [2007] A.C.F. n° 680 (QL).

 

[19]           Dans la décision Chinese Business Chamber of Canada c. Canada, 2005 CF 142, [2005] A.C.F. n° 163 (QL), aux paragraphes 25 et 32, la juge Anne L. Mactavish s’exprimait ainsi à propos de la Société canadienne des consultants en immigration (la SCCI) :

[25]      La SCCI a été constituée en société le 8 octobre 2003. D’après ses lettres patentes, la SCCI a pour mission de réglementer les consultants en immigration dans l’intérêt du public et, ce faisant, d’établir un code de déontologie, un processus disciplinaire et de traitement des plaintes ainsi qu’un fonds d’indemnisation destiné à protéger les personnes qui ont subi des pertes en raison des actes ou omissions des consultants en immigration. La SCCI a également pour mission d’élaborer des programmes éducatifs nationaux destinés aux consultants en immigration.

 

[…]

 

[32]      Conformément à ses règlements administratifs, la SCCI a également élaboré des conditions d’adhésion, notamment un barème de droits. Elle a en outre préparé un code de déontologie à l’intention de ses membres et prévu un processus disciplinaire et de traitement des plaintes. La SCCI a établi des exigences en matière d’assurance pour les erreurs ainsi que les omissions et prévu des programmes de vérification des connaissances.

 

 

[20]           Il semble que, même si la SCCI a affiché sur son site Web un formulaire de plainte, le demandeur ne semble pas avoir déposé un tel formulaire pour signaler la faute de son conseiller.

 

[21]           Ainsi que l’écrivait le juge Max M. Teitelbaum dans la décision Shirvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509, [2005] A.C.F. n° 1864, au paragraphe 31 : « Avant d’examiner les allégations d’incompétence, la Cour doit déterminer si le[s] demandeur[s] a informé [l’avocat] de celles‑ci ».

 

[22]           En l’espèce, le nouveau représentant du demandeur a envoyé à l’ancien avocat une lettre datée du 6 juin 2007 dans laquelle il écrivait : [traduction] « vous avez déposé son formulaire de demande; cependant, vous n’avez pas déposé les conclusions écrites au soutien de la demande d’ERAR ».

 

[23]           L’avocat a répondu par lettre datée du 10 juin 2007, en offrant l’explication suivante :

[traduction]

M. Gang Cong YANG s’est adressé à moi pour déposer son formulaire de demande et rédiger les arguments au soutien de sa demande d’ERAR. Cependant, M. YANG a communiqué à CIC de faux renseignements personnels au moment de présenter sa demande d’asile, et quand il fut constaté qu’il avait communiqué de faux renseignements personnels, il a retiré sa demande d’asile de la CISR peu de temps avant l’audition de sa demande. En conséquence, avant que je ne puisse rédiger les arguments, il fallait que M. YANG me fasse connaître des motifs raisonnables et des preuves nouvelles au soutien de son allégation selon laquelle il serait exposé à un risque de persécution dans son pays d’origine ou dans le pays dont il était résident permanent[.] Il me fallait présenter le document au Centre des mesures d’exécution de la région métropolitaine de Toronto, mais ce n’est qu’à la date limite de présentation des arguments que M. YANG m’a communiqué les raisons et les preuves requises.

 

J’ai donc finalement rempli le formulaire de demande d’ERAR de M. YANG sans y joindre de conclusions écrites.

 

 

[24]           La Cour doit se demander si, avis ayant été donné, le demandeur a montré qu’il était plausible que la décision de l’agent aurait été différente n’eût été l’incompétence de son avocat (R. c. G.D.B., [2000] 1 R.C.S. 520, paragraphe 26; Sheikh c. Canada (MEI), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.), paragraphe 15).

 

[25]           Dans cette affaire, la demande d’ERAR a été signée par le demandeur, et la section F, où l’information relative à l’avocat aurait dû apparaître, est complètement vide.

 

[26]           L’extrait suivant de la décision Gomez Bedoya, précitée, rendue par le juge Yves de Montigny, montre, aux paragraphes 19 et 20, que la preuve de l’incompétence d’un avocat est ardue :

La norme d’après laquelle la Cour peut conclure que l’incompétence d’un avocat a été flagrante au point de constituer un manquement à la justice naturelle est très élevée, comme on peut le voir dans l’extrait suivant de la décision Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 23 Imm. L.R.(2d) 123 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 11 et 12 :

 

Lorsque le requérant n’a commis aucune faute, mais le manque de diligence de son avocat a pour effet de le priver totalement de son droit d’être entendu, il y a manquement à un principe de justice naturelle […]

 

Dans les autres cas où une audience a lieu, la décision rendue ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire que dans des « circonstances extraordinaires », lorsqu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir « l’étendue du problème » et que le contrôle judiciaire a « pour fondement des faits très précis ». Ces restrictions sont essentielles, selon moi, afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les juges MacGuigan et Rothstein, selon lesquelles l’insatisfaction d’ordre général ressentie à l’égard de la qualité de la représentation assurée par l’avocat dont le demandeur a, de son propre chef, retenu les services, ne saurait justifier le contrôle judiciaire d’une décision défavorable. Toutefois, lorsque l’incompétence ou la négligence du représentant ressort de la preuve de façon suffisamment claire et précise, elle est en soi préjudiciable au demandeur et elle justifie l’annulation de la décision, même si le tribunal n’a pas agi de mauvaise foi ni omis de faire quoi que ce soit.

 

Les demandeurs doivent aussi montrer qu’il existe une probabilité raisonnable que, sans cette prétendue incompétence, l’issue de l’audience initiale aurait été autre : Shirvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509; Jeffrey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605; Olia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 315.

 

 

[27]           Le défendeur note que le demandeur a eu recours à son conseiller le 5 octobre 2006 – le jeudi précédant la fin de semaine de l’Action de grâces – alors que la demande devait être présentée le 10 octobre. Il appelle aussi l’attention de la Cour sur le fait que le demandeur avait retiré sa demande d’asile en raison des faux renseignements contenus dans son FRP, mais sa demande d’ERAR est une répétition du fondement de sa demande d’asile, et il est impossible de savoir quels renseignements de son FRP sont faux et lesquels sont vrais. Ainsi, quand le demandeur dit que son avocat a été incompétent, son affirmation est d’autant moins vraisemblable qu’il est le seul à connaître les faits exposés dans sa demande d’ERAR.

 

[28]           Le demandeur fait valoir que l’incompétence de son avocat est attestée par le fait que son avocat ne lui avait pas demandé d’obtenir un double des rapports de police, et il dit que cela lui a causé un préjudice parce que la décision de l’agent aurait été différente si son avocat le lui avait demandé. Sur ce point, l’extrait suivant de la décision de l’agent montre clairement que le résultat du dossier n’aurait pas été différent :

[traduction]

Selon la demande d’ERAR, le demandeur a tenté d’obtenir de l’État une protection, mais l’État ne lui a apporté aucune aide : « j’ai signalé ma mésaventure à la police péruvienne. La police ne m’a apporté aucune aide ». Le demandeur n’a pas produit une preuve objective montrant qu’il avait tenté de pousser plus loin la question de la protection étatique. Je suis d’avis que le demandeur ne s’est pas prévalu des ressources dont il disposait afin d’obtenir de l’État une protection. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême écrivait que le demandeur a l’obligation de chercher à obtenir de l’État une protection avant de solliciter une protection internationale. Je suis donc d’avis que le demandeur n’a pas produit une preuve objective suffisante montrant qu’il ne pouvait pas obtenir la protection de l’État péruvien.

 

[29]           Par ailleurs, le paragraphe 161(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, dispose clairement que la présentation d’observations écrites est facultative, ainsi que l’atteste le mot « peut ».

 

[30]           La seule « preuve nouvelle » que le demandeur ait produite depuis la décision de l’agent est un rapport de 1996 sur le Pérou et un rapport de 2005‑2006 sur la Chine (documents qui faisaient déjà partie des documents consultés par l’agent d’ERAR).

 

[31]           Vu l’absence d’une preuve appuyant l’allégation d’incompétence, ainsi que le sérieux d’une telle allégation, la Cour ne peut pas modifier la décision qui a été rendue.

 

[32]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que : la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2242‑07

 

INTITULÉ :                                       Gangcong Yang

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario D. Bellissimo

 

POUR LE DEMANDEUR

Kristina Dragaitis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ormston, Bellissimo, Rotenberg

Avocats

Centre Yonge-Eglinton

20, avenue Eglinton ouest

PH 2202, C.P. 2023

Toronto (Ontario),  M4E 1K8

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims,

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

                                              

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