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Date : 20080228

Dossier : T-2086-05

Référence : 2008 CF 261

Ottawa (Ontario), le 28 février 2008

En présence de l'honorable Max M. Teitelbaum 

 

ENTRE :

L'HONORABLE ALFONSO GAGLIANO

demandeur

et

 

L'HONORABLE JOHN H. GOMERY, ÈS QUALITÉ

EX-COMMISSAIRE DE LA COMMISSION

D'ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE

COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

et

 

 

LA CHAMBRE DES COMMUNES

 

intervenante

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction

[1]               Il s’agit d’une requête interlocutoire présentée par la Chambre des communes (la Chambre) visant à faire radier les allégations contenues à l’alinéa 2b)(i) de l’avis de demande de contrôle judiciaire du demandeur, l’honorable Alfonso Gagliano (le demandeur), daté du 22 novembre 2005.

 

Faits

[2]               Dans la foulée des événements qui ont donné naissance à la Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires (la Commission), M. Charles Guité a été enjoint à témoigner devant le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes (le comité de la Chambre).

 

[3]               Le 22 novembre 2004, le commissaire John H. Gomery a maintenu l’objection du procureur de M. Guité à ce que son client soit contre-interrogé, devant la Commission, sur le témoignage qu’il a rendu devant le comité de la Chambre.

 

[4]               Le 22 décembre 2004, le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de la décision du commissaire devant cette Cour. Le 27 avril 2005, madame le juge Tremblay-Lamer a confirmé la décision du commissaire Gomery et a conclu que le principe de l’immunité parlementaire s’appliquait au témoignage fait par M. Guité devant le comité de la Chambre (Gagliano c. Canada (Procureur général), 2005 CF 576, [2005] 3 R.C.F. 555). Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale.

 

[5]               Le 22 novembre 2005, le demandeur a présenté un avis de demande de contrôle judiciaire qui contenait, à son alinéa 2b)(i), les allégations suivantes :

2. Le commissaire a préféré le témoignage du témoin Charles Guité à celui du demandeur, alors que :

 

[…]

 

b. Contrairement aux autres témoins n’avait pu subir un contre-interrogatoire complet, nonobstant les dispositions de la Loi sur les enquête[s] et de la règle 7 des règles de pratique de la Commission, et ce :

 

i. À l’égard des déclarations antérieures sous serment du témoin incompatibles avec son témoignage devant la Commission, au motif que ces déclarations sous serment antérieures étaient protégées par le privilège parlementaire; Le demandeur s’est pourvu sans succès devant cette honorable Cour afin de faire réviser cette décision du Commissaire, et a depuis porté la question en appel devant la Cour d’appel fédérale, dans le dossier A-233-05, dossier qui est maintenant prêt pour audition. 

 

[6]               Le 27 février 2006, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel du demandeur pour le motif que l’appel était devenu sans objet depuis la conclusion des travaux de la Commission (Gagliano c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 86, [2006] A.C.F. no. 338). Du coup, la décision de ma collègue le juge Tremblay-Lamer est devenue finale.

 

[7]               Le 30 octobre 2007, la Chambre a présenté la présente requête en radiation de l’alinéa 2b)(i).

 

Prétentions de la Chambre

[8]               La requête en radiation de la Chambre est basée sur le motif que la question de savoir si le témoignage de M. Guité est protégé par l’immunité parlementaire a déjà été décidée par cette Cour dans la décision de madame le juge Tremblay-Lamer. Selon la Chambre, la doctrine de l’issue estoppel, ou préclusion, devrait dissuader cette Cour de se pencher à nouveau sur la question du caractère privilégié du témoignage de M. Guité par voie de l’alinéa 2b)(i) de l’avis du demandeur. La Chambre soumet que les critères sous-tendant la doctrine de l’issue estoppel – une branche de la res judicata – sont réunis en l’espèce. Ces critères, énumérés par la Cour suprême du Canada entre autres dans les affaires Angle c. Canada (Ministre du Revenu national), [1975] 2 R.C.S. 248 (à la page 254) et Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, (au paragraphe 25), sont les suivants : 1) la question à décider est la même, 2) la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion est finale, et 3) les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée sont les mêmes que dans la décision judiciaire invoquée.

 

[9]               La Chambre rappelle que la décision créant la préclusion est bien celle de madame le juge Tremblay-Lamer, et non pas celle de la Cour d’appel fédérale.

 

Prétentions du demandeur

[10]           Le demandeur allègue que l’alinéa 2b)(i) de son avis de demande de contrôle judiciaire soulève une question différente de celle qui a été décidée par madame le juge Tremblay-Lamer. Il soutient que la question en est une de violation du droit à l’équité procédurale, découlant du refus du commissaire Gomery de permettre le contre-interrogatoire de M. Guité sur son témoignage devant le comité de la Chambre. Le demandeur soumet donc qu’il subirait une injustice importance si la requête en radiation était accordée, puisqu’il lui serait alors impossible de tenter de corriger une erreur d’équité procédurale commise par le commissaire Gomery.

 

[11]           De plus, le demandeur allègue que la Cour d’appel fédérale a précisément permis que la question soit à nouveau soulevée sous l’éclairage du récent arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] 1 R.C.S. 667.

 

Question en litige

[12]           Le principe de la préclusion (issue estoppel) s’applique-t-il en l’espèce?

 

Analyse

[13]           Selon moi, l’unique question en litige que soulève la présente requête est de déterminer si le principe d’issue estoppel s’applique à la question de l’immunité parlementaire du témoignage de M. Guité. Je ne crois pas, comme tente de m’en convaincre le demandeur, qu’il s’agisse d’une différente question, à savoir une question de violation du droit à l’équité procédurale découlant du refus du commissaire Gomery de permettre le contre-interrogatoire de M. Guité. Madame le juge Tremblay-Lamer a déjà conclu que le commissaire avait eu raison de décider ainsi. Ma collègue a même précisé, aux paragraphes 42 et 98 de sa décision, que la prétention du demandeur fondée sur l’équité procédurale était inexacte. L’argument du demandeur voulant qu’il n’ait jamais eu l’occasion de véritablement « tester » la décision de ma collègue en appel ne me convainc pas qu’il subisse pour autant une injustice du fait de l’exercice de ma discrétion d’ordonner la radiation de l’alinéa 2b)(i) de son avis de demande.

 

[14]           Je suis d’accord avec la Chambre que les trois critères de l’issue estoppel sont réunis en l’espèce : 1) la question du caractère privilégié du témoignage de M. Guité est la même que celle décidée par madame le juge Tremblay-Lamer dans sa décision du 27 avril 2005; 2) cette décision est finale; et 3) les parties sont les mêmes dans la présente instance que devant ma collègue. Pour la seule raison que le principe de l’issue estoppel s’applique, la requête en radiation de la Chambre doit être accordée.

 

[15]           À ce stade-ci, mon rôle n’est pas d’examiner la question sur le fond et de déterminer si, comme le prétend le demandeur, l’état du droit a changé depuis l’arrêt Vaid, ce qui le justifierait de débattre de la question à nouveau. Je crois être justifié de limiter mon analyse à la question de savoir si le principe d’issue estoppel s’applique en l’espèce.

 

Conclusion

[16]           Pour ces raisons, la requête en radiation de la Chambre des communes est accordée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.         La requête soit accordée.

 

2.         L’alinéa 2b)(i) de l’avis de demande de contrôle judiciaire du demandeur daté du 22 novembre 2005 soit radié.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-2086-05

 

INTITULÉ :                                       L’HONORABLE ALFONSO GAGLIANO c. L’HONORABLE JOHN H. GOMERY et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               les 6, 7 et 8 février 2008

 

MOTIFS  de l’ordonnance et

Ordonnance :                                      le juge suppléant Max M. Teitelbaum

 

DATE DES MOTIFS :                      le 28 février 2008

 

COMPARUTIONS :

Me Pierre Fournier

Me Anouk Fournier

Me Magali Fournier

POUR LE DEMANDEUR

Me Carole Bureau

Me Francisco Couto

Me André Lespérance

Me Raynold Langlois (Gomery)

Me Marie-Geneviève Masson (Gomery)

Me Marie Cossette (Gomery)

POUR LES DÉFENDEURS

Me Louis Brousseau

Me Geneviève Bergeron

POUR L’INTERVENANTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Pierre Fournier

Me Anouk Fournier

Me Magali Fournier

POUR LE DEMANDEUR

Me Carole Bureau

Me Francisco Couto

Me André Lespérance

Me Raynold Langlois (Gomery)

Me Marie-Geneviève Masson (Gomery)

Me Marie Cossette (Gomery)

 

POUR LES DÉFENDEURS

Me Louis Brousseau

Me Geneviève Bergeron

POUR L’INTERVENANTE

 

 

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