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Date : 20080226

Dossier : IMM-1673-07

Référence : 2008 CF 249

Ottawa (Ontario), le 26 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SUPPLÉANT BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

EDUART GJOSHI

FLORA GJOSHI

MELISA GJOSHI

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 29 mars 2007 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a établi que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

 

 

Faits

 

[2]               Le demandeur, M. Eduart Gjoshi, est né en 1978 en Albanie. Les demanderesses, son épouse et sa fille mineure, sont toutes citoyennes de l’Albanie. Les demandeurs prétendent craindre avec raison d’être persécutés s’ils doivent retourner en Albanie, car leur famille est impliquée dans une vendetta.

 

[3]               Les demandeurs disent qu’Altin, le frère de M. Gjoshi, a fondé un groupe de musique populaire en 2004. Le groupe jouait, semble-t-il, devant des spectateurs, qui lançaient régulièrement de la monnaie dans un étui à batterie. En septembre 2005, Altin a surpris Luan Sula, le guitariste du groupe, en train de prendre de l’argent dans l’étui à batterie et l’a expulsé du groupe. Le lendemain, Luan et deux de ses cousins ont accosté Altin dans la rue et l’ont agressé, ce qui a entraîné l’hospitalisation de ce dernier. Après avoir obtenu son congé de l’hôpital, Altin et leur cousin Ardin ont confronté Luan et lui ont infligé de graves blessures pour se venger; celui-ci a donc dû être hospitalisé à son tour. Selon M. Gjoshi, leur demeure familiale a été la cible de coups de feu quelques jours après cet incident. En octobre, le demandeur s’est procuré de faux passeports pour sa famille et lui-même et ils ont quitté l’Albanie. Les demandeurs ont d’abord passé quelques semaines en Grèce, puis se sont rendus en Italie. Ils n’ont présenté de demande d’asile dans aucun de ces pays. Ils ont demandé l’asile à leur arrivée au Canada, le 27 mars 2006. Les faits susmentionnés ne sont pas contestés.

 

[4]               Cependant, lorsqu’on lui a demandé pourquoi son frère n’avait pas dénoncé à la police l’agression que Luan et ses deux cousins avaient commise à son endroit, le demandeur a affirmé que la police ne lui serait pas venue en aide. Il a pourtant bel et bien témoigné que, lorsque son frère a battu Luan, celui-ci a demandé l’aide des autorités. Le dossier du tribunal contient un certificat d’un commissariat de police d’Albanie attestant qu’Altin et son cousin Ardin auraient été visés par les plaintes de Luan, qu’on les a sommés de se présenter au poste de police le 26 septembre 2005 et qu’ils ne l’ont pas fait.

 

[5]               Pour prouver l’existence de la vendetta, le demandeur a produit un « certificat » émanant de l’Association des missionnaires de la paix et de réconciliation d’Albanie (l’Association), une prétendue organisation non gouvernementale qui cherche à mettre fin aux vendettas. Le premier certificat, daté du 28 août 2006, atteste que la famille du demandeur est partie à un conflit avec la famille de Luan Sula depuis le 11 septembre 2005. Le certificat relate une histoire qui ressemble beaucoup à celle des demandeurs. Il y est indiqué toutefois que, [traduction] « dès que notre organisation a été avisée du problème, nous avons cherché à le résoudre », ce qui laisse entendre que l’organisation n’avait pas une connaissance directe des faits survenus. La Commission a fait remarquer que, « [p]uisque cette lettre n’a été présentée que le 28 août 2006, soit neuf mois après l’arrivée du demandeur d’asile au Canada, le tribunal ne lui a accordé aucune valeur ». D’après un autre certificat de l’Association, celui-là en date du 16 janvier 2007, des [traduction] « inconnus » ont tiré des coups de feu sur deux cousins du demandeur le 26 août 2006. Ce certificat indique également que, selon l’Association, cet incident s’est produit en raison de la vendetta mentionnée précédemment. La Commission n’a fait aucune mention du certificat en question.

 

[6]               Il a été produit en l’espèce un nombre considérable de rapports sur l’Albanie, dont la plupart proviennent des sources de la Commission, et les demandeurs se sont explicitement fondés sur un grand nombre d’entre eux dans leurs observations. La plupart des documents susmentionnés révèlent que les vendettas existent en Albanie, qu’elles peuvent tirer leur origine d’une simple altercation et que les policiers n’arrivent pas à y mettre un terme. La Commission ne fait pas état de cette documentation dans sa décision.

 

[7]               Les demandeurs contestent la décision au motif qu’elle est manifestement déraisonnable parce que la Commission a passé sous silence certains éléments de preuve pertinents, tout en prêtant foi à d’autres éléments de preuve. Les demandeurs auraient aidé leur cause en présentant une contestation plus ciblée. Ils allèguent aussi que la Commission a fait preuve de partialité en n’accordant aucun poids à leur preuve, qu’elle a manqué à la justice fondamentale en omettant de mentionner leurs observations dans sa décision et en ne les informant pas des éléments qu’ils devaient établir, et qu’elle n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve, y compris ceux relatifs à la situation dans le pays. 

 

Analyse

 

[8]               Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait dans une telle instance est celle du caractère manifestement déraisonnable. Je reconnais que cela est exact dans la plupart des cas, mais en l’espèce, la question clé est de savoir si les demandeurs ont produit des éléments de preuve suffisants pour réfuter la présomption de protection de l’État; la question doit donc être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable : voir Muszynski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1075; Saeed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1016. Il existe une présomption selon laquelle l’État est en mesure de protéger le demandeur d’asile et il incombe à ce dernier de réfuter cette présomption : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. 2nd 130. À mon avis, toutes les critiques des demandeurs à l’égard de la décision de la Commission se résument à la question de savoir si la conclusion de la Commission sur ce point était déraisonnable. Les allégations de partialité sont en fait des plaintes quant aux décisions concernant la recevabilité des éléments de preuve et le poids qu’il convient de leur attribuer, des décisions que tous les tribunaux doivent prendre. L’omission d’aviser les demandeurs des éléments qu’ils devaient établir  ne constitue pas un manquement à l’équité lorsque les demandeurs ou leurs conseillers devaient savoir ce qu’ils avaient à faire pour réfuter la présomption. La Commission a commis une erreur en disant qu’elle n’accorderait aucun poids au certificat de 2006 de l’Association sur l’existence d’une vendetta. Il n’y a aucune raison logique apparente de rejeter le document simplement parce que celui-ci aurait été produit neuf mois après l’entrée des demandeurs au Canada (en fait, les demandeurs sont arrivés au Canada seulement cinq mois avant la production du certificat).  Toutefois, même s’il avait été admis en preuve, le certificat n’aurait pas pu avoir d’incidence sur l’issue de l’affaire parce qu’il est intrinsèquement douteux. Bien entendu, il s’agit d’une preuve par ouï-dire, peut-être de seconde ou de troisième main, qui ne montre pas que l’Association s’est de fait renseignée sur la situation. L’Association n’y dit seulement qu’elle a été « avisée » de l’existence de la vendetta. Voir Fontenelle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1796, paragraphe 15. Pour des raisons semblables, le fait que la Commission n’ait pas mentionné le certificat du 16 janvier 2007 concernant les coups de feu tirés sur les cousins du demandeur n’est pas fatale à sa décision.

 

[9]               Bien que la Commission ne parle pas des rapports sur les conditions générales qui ont cours en Albanie, en ce qui concerne les vendettas, la Commission disposait d’une preuve explicite provenant du demandeur lui-même selon laquelle Luan avait dénoncé à la police l’agression qu’il avait subie aux mains d’Altin, le frère du demandeur, et de son cousin Ardin. À cela s’ajoute le certificat du 11 septembre 2006 dans lequel la police confirme qu’Altin et Ardin ont été sommés de se présenter au poste de police le 26 septembre 2005 et qu’ils ne l’ont pas fait. La Commission a tiré des éléments susmentionnés la conclusion que la police de ce secteur interviendrait si des plaintes lui était adressées.

 

[10]           À la preuve que les demandeurs auraient pu se prévaloir de la protection de l’État s’ajoute le fait qu’ils ont passé de nombreuses semaines en Grèce et en Italie sans y présenter de demande d’asile. La Commission a signalé que la famille de la demanderesse vit en Italie. La Commission a conclu que les demandeurs ne craignaient pas réellement que leur expulsion éventuelle de la Grèce ou de l’Italie vers l’Albanie mette leur vie en danger. Elle n’a pas non plus conclu que la preuve était suffisante pour établir que les demandeurs étaient vraiment mêlés à une vendetta; la Commission n’a donc, semble-t-il, pas jugé pertinente la preuve documentaire.   

 

[11]           Par conséquent, je suis convaincu qu’il est impossible de dire que la décision de la Commission était déraisonnable.

 

Décision

 

[12]           Je rejetterai donc la demande de contrôle judiciaire. Les avocats n’ont pas proposé de question pour certification et aucune ne sera certifiée.

 

 

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 mars 2007 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée.

 

 

       « B.L. Strayer »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1673-07

 

INTITULÉ :                                                   EDUART GJOSHI

                                                                        FLORA GJOSHI

                                                                        MELISA GJOSHI

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION                                                                                                                                                                                                     

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 31 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 26 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey L. Goldman

POUR LES DEMANDEURS

Sharon Stewart Guthrie

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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