Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080227

Dossier : IMM-3068-07

Référence : 2008 CF 252

Ottawa (Ontario), le 27 février 2008

En présence de Monsieur le juge Beaudry 

 

ENTRE :

BINWA KISIMBA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi), à la suite d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (Section d’appel) de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié, rendue le 10 juillet 2007, refusant la demande de résidence permanente des enfants adoptifs de madame Binwa Kisimba (demanderesse).

 

QUESTIONS EN LITIGE

[1]               La présente demande soulève deux questions en litige :

a)      La Section d’appel a-t-elle erré en refusant de considérer la preuve documentaire portant sur l’interprétation du droit Congolais et en déterminant que l’adoption n’a pas de validité juridique?

b)      La Section d’appel a-t-elle erré en considérant qu’il n’y avait pas un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adopté et l’adoptant?

 

[2]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

CONTEXTE FACTUEL

[3]               La demanderesse est citoyenne Canadienne originaire de la République Démocratique du Congo (Congo).  Âgée de 55 ans, elle travaille pour Hydro-Québec. Elle vit avec son époux qui est âgé de 60 ans, consultant en éducation. Ils sont parents de trois enfants majeurs, dont un garçon et deux filles.

 

[4]               Leur fils aîné travaille comme consultant en informatique à Montréal, alors que leurs filles sont ingénieures en Caroline du Nord aux États-Unis.

 

[5]               Suite au décès de son jeune frère le 21 février 2003, la demanderesse décide d’adopter deux de ses quatre enfants; soit Kipimo Kisimba, né le 16 avril 1990, et Kamona Kisimba le 2 avril 1996.  Ces derniers résident à Kinshasa au Congo avec leur mère biologique.

 

[6]               L’adoption est obtenue par l’entremise d’un avocat Congolais le 6 janvier 2004. L’adoption est régie par la Loi No 87-010 du 1er août 1987 portant le nom de « Code de la famille en République du Zaïre » (Code) (dernier document de l'onglet 5 du dossier de la demanderesse). Les articles 653 et 656 de ce code stipulent ce qui suit :

Article 653 : Ne peuvent adopter que les personnes majeures et capables, à l’exception de celles qui sont déchues de l’autorité parentale.

 

Article 656 : L’existence d’enfants chez l’adoptant ne fait pas obstacle à l’adoption. Toutefois, l’adoption n’est permise qu’aux personnes qui, au jour de l’adoption, ont moins de trois enfants en vie, sauf dispense accordée par le Président du Mouvement Populaire de la Révolution, Président de la République. Nul ne peut adopter plus de trois enfants, sauf s’il s’agit des enfants de son conjoint.

 

 

[7]               Depuis le jugement confirmant l’adoption au Congo, la demanderesse et son mari envoient de l’argent pour la subsistance et l’éducation des deux enfants. Ils leurs envoient aussi des cadeaux et sont en contact régulier avec eux par téléphone.

 

[8]               En juin 2006, la demanderesse et sa fille biologique sont allées visiter les enfants adoptifs à Kinshasa.

 

[9]               La demande de parrainage pour les deux enfants adoptés est refusée par un agent de visa à l'ambassade du Canada à Kinshasa le 30 août 2005. La section d'appel rejette l'appel de la demanderesse le 27 avril 2007 d'où la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

DÉCISION CONTESTÉE

[10]           Deux motifs sont invoqués par la section d'appel pour refuser la demande. Dans un premier temps elle conclut que l'adoption n’est pas valide sur le plan juridique en droit Congolais :

a)      Elle interprète l’article 656 du Code et conclut qu'une personne qui a trois enfants toujours en vie ne peut adopter sans une dispense du Président de la République. Étant donné que la demanderesse a trois enfants biologiques et qu'il n'y a pas de preuve de dispense, la demanderesse ne pouvait pas adopter en vertu du droit Congolais. La section d'appel mentionne que « enfants en vie » ne contient aucune distinction entre un enfant à charge et un enfant majeur, indépendant.

b)      Elle n’accorde aucune valeur probante à une lettre signée par le Président émérite (à la retraite) de la Cour d’appel du Congo. Cette lettre datée du 28 décembre 2006 mentionne que l’expression « enfants en vie » sous-entend les enfants mineurs à charge. La Section d’appel écarte ce document puisqu'il est écrit à la main, sur du papier ligné, sans en-tête ou sceau officiel et qu'il ne provient pas d’un témoin expert.

c)      Le même sort est dévolu à une lettre d'opinion d'un avocat de Kinshasa quant à l’interprétation de l’article 656. Se basant sur une définition contenue dans le Petit Robert, l'avocat en question opine que le mot « enfant » veut dire un être humain dans l'âge de l'enfance.

d)      La Section d’appel souligne que le témoignage de la demanderesse soulève des doutes quant à la légalité de l’adoption. En effet, elle n'a signé aucune formule ou document pour que les démarches d'adoption soient entreprises. Elle n'a pas été questionnée par son avocat si elle avait trois enfants en vie. Étant donné que la demanderesse et son mari sont des personnes instruites, la section d'appel juge ni crédible, ni plausible que ce couple n'ait pas cherché à se renseigner au sujet des conditions d'adoption au Congo.

 

[11]           Dans un deuxième temps, la Section d’appel conclut que la demanderesse n’a pas établi que la relation parent-adoptant et enfants-adoptés est authentique ou qu’elle ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

a)      Elle indique que les réponses fournies par les enfants adoptés, Kipimo et Kamona, lors de leurs entrevues en juin 2005 à l’ambassade du Canada, ne laissent aucun doute quant à la personne qu’ils considèrent comme leur mère. Le lien qui les unit à leur mère biologique n'a jamais été rompu et c'est cette dernière qui continue d'assumer les responsabilités parentales, émotives et physiques. Elle ne s'est pas objectée à l'adoption car elle désire une meilleure éducation pour ses enfants.

b)      La Section d’appel n'accepte pas l'argument de la demanderesse de ne pas avoir visité les enfants adoptés de 2004 à 2006 parce que le billet d'avion était trop dispendieux. Elle mentionne que le couple avait un revenu annuel de 120 000 $. La seule visite de la demanderesse auprès des enfants en question date de 2006, dix mois après le refus par l'agent de visa. La Section d'appel souligne que la demanderesse a pris dix semaines de vacances en juin et juillet 2005 sans pour autant aller voir les enfants.

c)      Ces derniers ont révélé à l’entrevue qu’ils ne savaient pas grand-chose de leur mère adoptive et qu’ils ne connaissaient pas le nom de leur père adoptif. Cependant la Section d’appel commente favorablement la générosité de la demanderesse à l'endroit de ces enfants en les aidant financièrement mais ceci n'équivaut pas à un lien de filiation ou à une relation parent-enfant.

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[12]           La norme de contrôle applicable lorsqu’un agent de visa considère des questions de faits est la norme de la décision manifestement déraisonnable (Annor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2007] A.C.F. no 190, 2007 CF 140). Cette norme est applicable à la deuxième question devant cette Cour. 

 

[13]           À quelle norme doit être soumise la première question en litige?

 

[14]           Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Choubak, [2006] A.C.F. no 661, 2006 CF 521, le juge Blanchard entreprend une analyse pragmatique et fonctionnelle et conclut que la norme applicable à une question portant sur l'interprétation du droit étranger par un tribunal administratif devrait être celle de la norme de la décision raisonnable simpliciter. Voici ce qu'il écrit aux paragraphes 37 et 40 :

[37]      Toutefois, la décision que la Commission a rendue en l'espèce ne se rapporte pas au fondement, sur le plan de la preuve, de la demande d'asile de la défenderesse ou à une conclusion relative à la crédibilité de la défenderesse. Il est reconnu que pareilles conclusions de fait relèvent de l'expertise de la Commission. En l'espèce, la conclusion factuelle tirée par la Commission n'est pas liée à son expertise fondamentale. La décision en question se rapporte plutôt à la question de savoir si, compte tenu du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers, la défenderesse a perdu son statut de résidente en Allemagne, y compris son droit de retourner en Allemagne, à compter du moment où elle a décidé qu'elle voulait rester en permanence au Canada. En fin de compte, la décision de la Commission se rapporte à l'interprétation du droit allemand et à son effet sur la situation de la défenderesse. À mon avis, une telle conclusion ne relève pas de l'expertise de la Commission. Je conclus que la Cour est mieux placée pour décider si la preuve établit suffisamment le sens du paragraphe 44(1)2 de la Loi sur les étrangers. Quant à ce deuxième facteur, j'examinerais donc la décision de la Commission avec moins de retenue.

 

[40]      En l'espèce, la question dont la Commission était saisie se rapporte au statut de résidente de la défenderesse en Allemagne au 15 septembre 1999 -- soit la date à laquelle où elle a été admise au Canada. La Commission doit d'abord déterminer le sens du paragraphe 44(1) de la Loi sur les étrangers, et elle doit ensuite appliquer le droit, tel qu'il est établi, aux circonstances de l'affaire. Selon la jurisprudence, la détermination du contenu du droit étranger donne lieu à une conclusion de fait, alors que la détermination des modalités d'application du droit étranger est une question de droit : voir Sharma, précité, paragraphe 10. À mon avis, la nature de la question milite en faveur d'une moins grande retenue envers la décision de la Commission.

 

 

[15]           Je souscris aux motifs du juge Blanchard et j'adopte cette norme pour répondre à la première question.

 

La Section d’appel a-t-elle erré en refusant de considérer la preuve documentaire portant sur l’interprétation du droit Congolais et en déterminant que l’adoption n’a pas de validité juridique?

 

[16]           La Section d’appel n’a pas accordé de valeur probante aux deux lettres d’opinions, produites par un avocat de Kinshasa et par le Président émérite (à la retraite) de la Cour d’appel du Congo. La demanderesse allègue que le contenu des lettres aurait dû être considéré pour déterminer la validité juridique de l’adoption.  Je suis d’avis que la Section d’appel n’a pas commis d’erreur en déterminant que les lettres n’étaient pas probantes. Il n'existe aucune preuve au dossier que ces deux personnes peuvent être qualifiées d'experts. Cette conclusion de la Section d’appel n'est pas déraisonnable. 

 

[17]           Qu'en est-il cependant de l'interprétation par la Section d'appel de l'interprétation du droit Congolais?

 

[18]           Le manuel de Traitement des demandes à l’étranger de Citoyenneté et Immigration Canada (OP), chapitre 3 intitulé Adoptions, traite de la question du droit étranger au paragraphe 5.7 :

Dans le cas de l’adoption d’un enfant mineur, il incombe aux parents adoptifs de fournir la preuve que l’adoption a été effectuée en conformité avec les lois de l’endroit où elle a eu lieu, tel qu’exigé par R117(3)d). Dans la plupart des cas, cette preuve prendra la forme d’une ordonnance d’adoption émise par l’autorité compétente. Généralement, la présentation d’une ordonnance valide émise par l’autorité compétente constituera, à moins que certains renseignements n’indiquent le contraire, une preuve valable que les exigences de la loi étrangère sur l’adoption ont été respectées.

 

Les agents doivent être particulièrement vigilants dans leur examen d’adoptions où :

 

·        l’enregistrement de l’ordonnance ne constitue pas une exigence légale;

·        l’adoption n’est pas en stricte conformité avec les exigences de la loi;

·        le pays n’autorise pas les adoptions internationales.

 

 

[19]           En l’espèce, le dossier du tribunal contient l’Acte d’adoption. Il n’y a aucune allégation que le Tribunal de Paix de Kinshasa qui a rendu l’ordonnance n’est pas l’autorité compétente. Le défendeur allègue que l’adoption n’est pas conforme au droit Congolais en se fondant sur sa propre interprétation du Code. Cependant, la Cour considère que l'interprétation avancée par la demanderesse peut être aussi valable que celle du défendeur. Étant donné que cette question n'est pas déterminante pour la solution du présent litige, la Cour ne se prononce pas en faveur de l'une ou l'autre des interprétations qu'il faut donner au Code.

 

La Section d’appel a-t-elle erré en considérant qu’il n’y avait pas un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adopté et l’adoptant?

 

[20]           La demanderesse soutient que la Section d’appel a commis une erreur révisable en concluant que la relation parent-enfant n’était pas authentique. Les deux parties sont d’accord qu’il y a plusieurs facteurs à considérer dans l’évaluation du caractère authentique du lien filial. Ces facteurs sont énoncés dans De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 33 Imm. L.R. (2d) 28. Cette décision a été reprise récemment dans l’arrêt Annor, ci-dessus au paragraphe 17 :

(a)        la motivation du ou des parents adoptifs;

(b)        dans une moindre mesure, la motivation et la situation des parents naturels;

(c)        l'autorité du ou des parents adoptifs sur l'enfant adopté;

(d)        l'exercice de l'autorité à la place des parents naturels après l'adoption;

(e)        les relations de l'enfant adopté avec ses parents naturels après l'adoption;

(f)         le traitement que le ou les parents adoptifs réservent à l'enfant adopté par rapport aux enfants naturels;

(g)        les relations entre l'enfant adopté avec ses parents naturels avant l'adoption;

(h)        les changements découlant du nouveau statut de l'enfant adopté, tels que ses dossiers, ses droits, etc., y compris la preuve documentée démontrant que l'enfant est devenu le fils ou la fille du ou des parents adoptifs;

(i)         les dispositions prises et les gestes posées par le ou les parents adoptifs en ce qui concerne les soins accordés à l'enfant, les réponses à ses besoins et la préparation de son avenir.

 

 

[21]           Suite à une analyse exhaustive des notes sténographiques contenues dans le dossier du tribunal, la Cour n'a pas l'intention d'intervenir dans l'interprétation factuelle que la Section d’appel a faite des témoignages au sujet de la relation adoptés-adoptant dans ce dossier.

 

[22]           En effet, la Cour considère que les conclusions de la Section d'appel sont appuyées par la preuve. Notamment, la Section d’appel a constaté que les enfants considèrent la demanderesse comme leur tante, que la mère biologique remplit les responsabilités parentales émotives et physiques avec l’assistance financière de la demanderesse, et que le contact est minime entre la demanderesse et les enfants adoptés.

 

[23]           En terminant, la Cour ne peut que féliciter la demanderesse pour son effort financier soutenu auprès de ces deux jeunes personnes.

 

[24]           Les parties n'ont proposé aucune question grave de portée générale. Ce dossier n'en contient aucune.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.  Aucune question n’est certifiée.

 

 

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3068-07

 

INTITULÉ :                                       BINWA KISIMBA ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                           L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 20 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 27 février 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Tshimanga Robert Bukasa                                            POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Agnieszka Zagorska                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Tshimanga Robert Bukasa                                            POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John Sims, c.r.                                                              POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.