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Date : 20050630

           Dossier : T-1956-04

             Référence : 2005 CF 926 Montréal (Québec), le 30 juin 2005

Présente :        L'honorable Johanne Gauthier

ENTRE :

MICHEL BENOIT

                                                                                                              et                                                                                demandeur

BELL CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                  Monsieur Benoit demande a la Cour d'annuler la décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) qui rejette sa plainte de discrimination fondée sur une déficience (son alcoolisme) contre son ancien employeur Bell Canada, le tout contrairement a Article 7 de la Lot canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985 ch. 1-1-6 (la loi).

[2]               Dans cette décision, le Tribunal conclut que le demandeur a présenté une preuve prima facie de discrimination. Toutefois, il se déclare satisfait que l'explication fournie par le


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défendeur, a savoir que monsieur Benoit a été ciblé pour une mise à pied lors d'une réduction des effectifs dans sa division a cause de son rendement, est raisonnable et ne constitue pas un prétexte. Il conclut aussi qu'il est convaincu que le problème d'alcool de monsieur Benoit n'a pas joué quelque rôle dans la décision de mettre fin a son emploi, car au moment ou cette décision fut prise (juillet 2000), les décideurs (messieurs Boucher et Moody) n'avaient pas connaissance de sa déficience.

[3]         Monsieur Benoit, qui se représente seul, a soumis que le Tribunal a commis les erreurs suivantes

i)                       il a mal évalue la valeur probante de la pièce P-12 (feuille de route),

ii)                     il a omis de considérer certains éléments de la preuve qui auraient pu l'amener à accorder moins de crédibilité au témoignage de monsieur Boucher a l'effet qu'il ne connaissait pas la déficience de monsieur Benoit en juillet 2000 et l'a cible pour une mise a pied sur la base de son rendement relativement a celui des autres directeurs de sa division, ainsi qu'aux explications de Bell Canada en général. Ces éléments sont les suivants :

1.                  décision prise en cinq minutes lors d'un appel entre monsieur Boucher et monsieur Moody;

2.                  contradiction entre les témoignages de messieurs Boucher et Moody à savoir si on avait offert un plan de départ volontaire aux cadres de sa division;


3.                    Zone de Texte: Page : 3contradiction entre les témoignages de messieurs Boucher et Lecompte quant aux capacités de monsieur Benoit de remplacer monsieur Lecompte lorsque celui-ci, plusieurs mois après la décision de juillet 2002, a été muté;

4.                    bris du code d'éthique de Bell Canada par monsieur Boucher dans le cadre d'une conversation avec l'ex-conjointe de monsieur Benoit;

5.                  contradiction entre le témoignage de monsieur Boucher et le rapport de l'enquêtrice, y inclus certaines notes de l'enquêtrice;

6.                  tentative indue de Bell Canada de miner la crédibilité de monsieur Benoit en référant a un problème de compte de dépenses sans en avoir préalablement avisé le demandeur (divulgation de la preuve).

[4]                    Les parties s'entendent que tous ces arguments soulèvent des questions d'appréciation des faits et de la preuve.

[5]                  La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision manifestement déraisonnable (voir l'analyse fonctionnelle et pragmatique faite par le juge Gibson dans Quigley c. Ocean Construction Supplies Ltd., Marine Division, [2004] A.C.F. no 786 ler inst. (QL), paragraphes 34 a 46, International Longshore & Warehouse Union, Section Maritime, section local 400 c. Oster, [2002] 2 C.F. 430 , paragraphe 22, Lincoln c. Bay Ferries Ltd. .[2004] A.C.F. n° 941, paragraphe 16 (CAF)(QL).


[6]               Zone de Texte: Page : 4Tel qu'indique à l'audience, ceci signifie que la Cour ne peut simplement substituer sa propre évaluation de la preuve à celle du Tribunal. Comme l'indique la Cour suprême du Canada dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, paragraphe 52, la décision manifestement déraisonnable est celle que l'on peut décrire comme étant clairement irrationnelle ou de toute évidence non conforme à la raison. Elle inclut aussi celle qui n'est supportée par aucune preuve au dossier (Canadian Union of Public Employees c. Ontario Minister of Labour [2003] F.C.J. no 28, par. 162).

[7]               Au paragraphe 39 de la décision, le Tribunal indique que la pièce P-12 est un document qui semble émaner de Bell Canada mais que personne à l'audience n'a pu expliquer son origine. Il conclut de l'ensemble de la preuve qu'il est persuadé que monsieur Boucher n'en est pas l'auteur du document et que selon toute vraisemblance celui-ci a été rédigé par un tiers qui a compile des renseignements a partir de nombreuses feuilles de route et qu'on ne peut se baser sur ce document pour faire avancer la proposition a l'effet que monsieur Boucher était au courant de l'alcoolisme du plaignant avant la décision du mois de juillet 2000 de le congédier.

[8]             La Cour a examiné attentivement la transcription des quatre journées d'audience devant le Tribunal. La pièce P-12 a été utilisée par monsieur Benoit lors de son contre-interrogatoire de monsieur Boucher. Celui-ci a clairement nié avoir été l'auteur des commentaires qui apparaissent à côté des dates « avril 99 et août 00 », et ce, même s'il a reconnu que certain autres passages du


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document comme la note « octobre 99 » provenaient vraisemblablement d'une note qu'il aurait écrite.

[9]                    La Cour, après avoir examiné le recto-verso de la pièce P--12 et l'ensemble du témoignage de monsieur Boucher, est satisfaite que la conclusion du Tribunal a l’égard de ce document n'est pas déraisonnable et qu'elle n'est certainement pas manifestement déraisonnable.

[10]                Quant aux deuxième et troisième éléments, la Cour note que les circonstances dans lesquelles la décision a été prise, soit lors d'une conversation de cinq minutes, sont correctement relatées par le Tribunal au paragraphe 19 de la décision qui en a clairement tenu compte. Le Tribunal traite aussi spécifiquement de la possibilité d'offrir le poste de monsieur Lecompte au demandeur et de la contradiction entre les témoignages de messieurs Boucher et Lecompte, aux paragraphes 25, 26 et 45 de la décision. Son analyse de la preuve a cet égard et ses commentaires sont appuyés par la preuve. Compte tenu de la norme de contrôle applicable, la Cour ne peut intervenir quant à ces conclusions.

[11]              Pour ce qui est des trois derniers points soulevés par monsieur Benoit, la Cour note d'abord que la tentative de Bell Canada de miner sa crédibilité n'a pas influencée le Tribunal qui, après avoir noté l'allégation quant à certaines difficultés financières, réfère spécifiquement au fait que le demandeur a catégoriquement nié cette allégation lors de son propre témoignage. Au


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paragraphe 34 de la décision, le Tribunal indique que même s'il a conclu que messieurs Boucher et Moody étaient des témoins crédibles :

Cela ne veut pas dire pour autant que le témoignage du plaignant était faux ou trompeur. Au contraire, j'ai trouvé que le plaignant était une personne sincère et d'une candeur qui me fait plaisir à voir.

[12]              Dans les circonstances, cette question de non divulgation de la preuve ne peut constituer une erreur révisable qui justifierait d'annuler sa décision.

[13]           Deuxièmement, tel qu'explique à l'audience, le rapport d'enquête et les notes annexées à l'affidavit de monsieur Benoit n’étaient pas en preuve devant le Tribunal et la Cour ne peut en tenir compte. Il est facile de comprendre que la Cour ne peut blâmer le Tribunal de ne pas avoir tenu compte d'une preuve qui n'était pas devant lui.

[14]           Pour ce qui est du manquement allégué au code d'éthique, le Tribunal ne fait pas mention de cette question soulevée lors du contre-interrogatoire de monsieur Boucher par monsieur Benoit. Ce manquement, s'il en est un, ne faisait pas partie des éléments soulèves dans la plainte de monsieur Benoit et sur lesquels le Tribunal devait se prononcer. Il ne s'agissait donc encore ici que d'un élément collatéral soulevé pour attaquer la crédibilité de monsieur Boucher, le Tribunal pouvait ou non y accorder du poids. Dans les circonstances, je suis satisfaite qu'il n’ait pas à y référer spécifiquement dans sa décision.


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[15]              Compte tenu de ce qui précède et de l'étude attentive de toute la preuve au dossier, la Cour ne peut conclure que le Tribunal a commis une erreur révisable dans son appréciation de la preuve et que sa conclusion que messieurs Boucher et Moody lorsqu'ils ont pris la décision de renvoyer le demandeur en juillet 2000 n'avaient pas connaissance de sa déficience qu'il a gardé cachée jusqu'au 9 août 2000, date à laquelle il a demandé de l'aide a Bell Canada pour une cure de désintoxication, est manifestement déraisonnable.

[16]           La décision du Tribunal de rejeter la plainte parce qu'il était convaincu que la déficience n'a pas joué de rôle dans la décision de mettre fin à l'emploi est aussi raisonnable.

[17]           Le défendeur n'a pas demandé que la Cour lui adjuge des dépens.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La demande est rejetée.

« Johanne Gauthier »


COUR FEDERALE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                 T-1956-04

INTITULE :                                MICHEL BENOIT


demandeur


et

BELL CANADA


Zone de Texte: défendeurLIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec) DATE DE L'AUDIENCE : le 28 juin 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                L'honorable Johanne Gauthier

DATE DES MOTIFS DE

L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE:          le 30 juin 2005

COMPARUTIONS :

M. Michel Benoit                                                  POUR LUI-MÊME

Me Maryse Tremblay                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Michel Benoit

Montréal (Québec)                                                POUR LUI-MÊME

HEENAN BLAIKIE

Montréal (Québec)                                      POUR LE DÉFENDEUR

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