Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20080225

Dossier : IMM-752-07

Référence : 2008 CF 247

Ottawa (Ontario), le 25 février 2008

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ORVILLE FRENETTE

 

 

ENTRE :

GRACIELA ORTIZ SANTIAGO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 13 décembre 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (la Commission) a estimé que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

I. Questions à trancher

[2]               La demanderesse soulève trois questions dans la présente demande :

A.     La Commission a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a appliqué les règles de droit relatives à la protection de l’État?

B.     La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la situation personnelle de la demanderesse pour déterminer si elle disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI)?

C.     La Commission a-t-elle commis une erreur qui a pour effet de nier à la demanderesse son droit à la justice naturelle en n’abordant pas l’argument central relatif à l’état psychologique de la demanderesse?

 

II. Faits à l’origine du litige

[3]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique qui était âgée de 33 ans au moment de l’audience de la Commission. Il s’agit d’une professionnelle cultivée du milieu bancaire. Elle affirme qu’elle a fait l’objet de violences de la part du conjoint de fait de sa mère, M. Bartolo San Juan. Elle vivait avec sa mère et sa sœur à Mexico lorsque M. San Juan a emménagé chez sa mère. Elle explique que ses problèmes ont commencé avec M. San Juan lorsqu’elle s’est opposée à tout transfert de titre de la propriété familiale à M. San Juan, qui l’a menacée et agressée et qui a fini par la violer ou par tenter de la violer, le 30 mars 2004, selon la version du FRP qu’il faut croire.

 

[4]               La demanderesse a signalé le viol au poste de police, où on l’a informée qu’elle devait avoir des témoins et des preuves médicales pour pouvoir porter des accusations. Suivant la version des faits de la demanderesse, la police a téléphoné à M. San Juan pour le mettre au courant des allégations. À la suite de cet incident, la demanderesse a quitté la maison familiale et est partie vivre avec sa tante, ailleurs à Mexico.

 

[5]               La demanderesse n’a pas cherché à obtenir de soins médicaux et elle n’a pas signalé le nom de témoins éventuels. Elle n’est pas retournée au poste de police par la suite.

 

[6]               M. San Juan a continué à menacer et à harceler la demanderesse, qui a en conséquence décidé de faire un voyage au Canada le 1er mai 2004, dans l’espoir que les choses se calmeraient en son absence. Entre-temps, sa mère et M. San Juan ont déménagé de Mexico à Oaxaca, où l’homme et sa famille sont impliqués dans des activités illicites.

 

[7]               La demanderesse a expliqué lors de l’audience de la Commission que M. San Juan fait partie d’un groupe qui fait passer clandestinement des gens du Mexique aux États-Unis. Elle a ajouté qu’elle avait appris de sa sœur qu’en son absence, M. San Juan avait distribué une photographie d’elle à d’autres membres du groupe de passeurs dans l’intention de la faire assassiner.

 

[8]               La demanderesse a demandé l’asile le 1er décembre 2004 après avoir été mise au courant de ces derniers développements.

 

III. Décision à l’examen

[9]               La Commission a relevé des incohérences dans le récit de la demanderesse, mais a estimé que, comme la plupart des incohérences, sinon toutes, n’étaient pas au cœur de la demande, il y avait lieu d’accorder le bénéfice du doute à la demanderesse pour ce qui était de sa crédibilité. Dans son FRP, la demanderesse expliquait qu’elle avait été victime d’une tentative de viol, mais elle a modifié son FRP avant l’audience pour qualifier l’incident de [traduction] « viol complet ».

 

[10]           La Commission a rejeté la demande pour deux motifs. En premier lieu, la Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas raison de craindre d’être persécutée parce qu’elle pouvait se réclamer de la protection de l’État pour les raisons suivantes :

A.     La Commission a fait observer que, bien que suivant la preuve documentaire, il est reconnu que la criminalité, la corruption et la violence familiale sont répandues au Mexique, le gouvernement a pris des mesures pour s’attaquer à ces problèmes. Pour protéger les victimes de violence familiale, il existe des institutions législatives, exécutives et correctionnelles à différents échelons gouvernementaux. La Commission s’est fondée sur l’existence de lois pénales et civiles portant sur des questions familiales, ainsi que sur les divers programmes et institutions publics et privés mis en place au Mexique pour venir en aide aux femmes victimes de violence.

B.     Le Mexique est une démocratie. La présomption de la protection de l’État s’applique donc. Il existe des forces policières nationales et locales et un ordre judiciaire indépendant

C.     La demanderesse n’a pas épuisé toutes les voies de recours qui lui étaient offertes. Les lacunes relevées dans le fonctionnement des services locaux de maintien de l’ordre ne permettaient pas de conclure à une absence de protection de l’État. Rappelant qu’elle ne s’était adressée à la police qu’une seule fois, la Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas agi de manière raisonnable, compte tenu de son niveau de scolarité et de son statut professionnel. La Commission a aussi fait observer que la demanderesse n’avait pas cherché à obtenir de soins médicaux ou à faire témoigner des personnes à l’appui de ses allégations de viol. Elle n’a pas non plus consulté d’avocat.

 

[11]           En second lieu, la Commission a conclu que la demanderesse disposait d’une PRI au Mexique. La Commission a expliqué qu’elle avait tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ainsi que du rapport psychologique. La Commission a estimé que la demanderesse ne courait pas de graves dangers de persécution ailleurs au Mexique et a ajouté qu’il ne serait pas déraisonnable, en toute circonstance, que la demanderesse y cherche refuge. La Commission a invoqué les motifs suivants pour justifier cette conclusion :

A.     La Commission a estimé qu’il ne serait pas déraisonnable pour la demanderesse de vivre dans une ville aussi grande que Mexico si elle évitait tout contact avec sa famille et, par conséquent, avec M. San Juan.

B.     La Commission a estimé qu’il ne serait pas excessivement dur pour la demanderesse de s’installer ailleurs au Mexique. Comme elle est une professionnelle instruite, elle pourrait plus facilement se trouver un emploi dans toute autre grande ville du Mexique.

C.     La Commission a fait observer que M. San Juan n’habite plus Mexico.

 

[12]           Pour les motifs susmentionnés, la Commission a estimé qu’il n’y avait pas plus qu’une simple possibilité que la demanderesse soit persécutée pour un motif prévu par la Convention si elle devait retourner au Mexique.

 

IV. Analyse

A.     La Commission a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a appliqué les règles de droit relatives à la protection de l’État?

 

[13]           C’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique à la conclusion tirée par la Commission au sujet de la disponibilité de la protection de l’État. Cette décision commande un degré élevé de retenue et elle ne sera annulée qui si elle est manifestement déraisonnable (Quijano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1706). Une fois que ces conclusions ont été tirées, elles sont considérées comme des questions mixtes de fait et de droit auxquelles s’applique la norme de la décision raisonnable simpliciter (voir les jugements Chavez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, au paragraphe 11; Monte Rey Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1661).

 

[14]           La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la protection de l’état en ne relevant pas les éléments de preuve défavorables tendant à démontrer que les femmes victimes de violence ne peuvent compter sur la protection de l’État au Mexique. La Commission a énuméré diverses mesures qui ont été prises pour venir en aide aux femmes et aux victimes de violence, mais elle n’a pris acte des éléments de preuve contradictoires portant sur cette question que dans le passage suivant :

Selon la preuve documentaire, il est reconnu qu’il y a de la criminalité et de la corruption au Mexique et que la violence familiale y est répandue, mais que le gouvernement prend des mesures pour s’attaquer à ces problèmes. Puisque le Mexique est une démocratie, la présomption de protection de l’État s’applique.

 

[…]

 

Le tribunal reconnaît que la violence familiale envers les femmes est un problème important au Mexique. La preuve documentaire montre toutefois que le Mexique fait des efforts notables pour s’attaquer à ce problème.

 

 

[15]           La demanderesse soutient que la Commission s’est contentée d’une affirmation générale sans se pencher directement sur les éléments de preuve tendant à démontrer que le Mexique s’est montré peu disposé à offrir une protection aux femmes victimes de violence. La demanderesse fait notamment valoir que, suivant les éléments de preuve contenus dans le Cartable national de documentation, les mécanismes mis en place pour venir en aide aux femmes qui cherchent à obtenir une protection ne sont pas efficaces. La demanderesse affirme qu’en ignorant l’article publié en 2006 par Human Rights Watch, la Commission a commis deux erreurs : la Commission n’a pas expliqué pourquoi elle avait préféré les éléments de preuve suivant lesquelles la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l’État aux sources contradictoires, et la Commission n’a pas analysé l’efficacité des mécanismes de protection de l’État mis à la disposition des femmes victimes de violence. 

 

[16]           Voici un extrait de l’article en question de Human Rights Watch (voir le dossier de la demande, aux pages 143 et 144) :

[traduction]

 

Au cœur du problème se situe l’incapacité généralisée du système judiciaire mexicain à offrir une solution à la violence conjugale et à la violence sexuelle généralisées. Parmi les filles et les femmes que Human Rights Watch a interviewées, un grand nombre n’ont même pas tenté de signaler les violences dont elles ont été victimes, vu l’impunité dont jouissent les auteurs de viols dans le système judiciaire.

 

[…]

 

Mais même les protections insuffisantes actuelles sont mal appliquées. La police, le ministère public et les responsables de la santé publique traitent bon nombre de victimes de viol cavalièrement et de manière irrespectueuse, les accusant souvent d’avoir inventé de toutes pièces une histoire de viol. Lorsqu’ils existent, les bureaux du ministère public spécialisés en violence sexuelle constituent souvent, en pratique, le seul endroit où les actes de violence sexuelle peuvent être signalés, ce qui rend encore plus difficile l’accès à la justice pour les victimes de viol vivant en région éloignée. Beaucoup de victimes de violence craignent de faire l’objet de mesures de représailles de la part de l’auteur de l’acte, surtout s’il fait partie de la famille. En conséquence, la vaste majorité des victimes de viol ne font aucun signalement […]

 

[17]           Notre Cour a bien précisé que la Commission a l’obligation d’expliquer pourquoi elle retient certains éléments de preuve documentaires de préférence aux sources contraires. Dans le jugement Jean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1768, 2006 CF 1414, la juge Layden-Stevenson a réaffirmé ce principe :

[11] La documentation contenait également des commentaires négatifs. La SPR n’a pas mentionné les déclarations de la représentante du centre de crise ou n’en a pas tenu compte. Selon cette dernière, « la majorité des plaintes de violence conjugale reçues par la police [traduction] « n’étaient pas prises réellement au sérieux » et étaient [traduction] « mises en veilleuse ». Les policiers et l'ensemble de la population sont généralement d’avis que [traduction] « l’homme est maître chez lui » et qu’il peut avoir recours à la violence afin de faire régner la discipline dans sa maison. Il a également été déclaré que « l’ensemble du système juridique doit être modernisé afin de refléter la gravité de la violence conjugale ». De plus, dans la documentation, on reprochait au gouvernement l’inexistence de clinique d’aide juridique dans le pays malgré les promesses qu’il faisait à cet effet depuis de nombreuses années.

 

[12] Aucun des renseignements négatifs au sujet de la question de l’existence de la protection de l’État n’a été pris en considération. Même s’il lui est clairement loisible de préférer, en fin de compte, les déclarations d’un porte‑parole plutôt que celles d’un autre, ce faisant, la SPR doit d’abord examiner les deux et fournir les motifs qui la pousse à retenir une position plutôt qu’une autre. Elle ne peut pas simplement adopter les déclarations positives et passer complètement sous silence les déclarations négatives sans expliquer pourquoi elle a agi ainsi. Il est bien établi en droit que la Commission doit faire état des éléments de preuve qui contredisent directement ses conclusions : Ragunathan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 154 N.R. 229 (C.A.F.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[18]           Ce principe a été réaffirmé très récemment par la juge Simpson dans le jugement Cejudo Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341, au paragraphe 24, publié le 21 décembre 2007 :

[24]    En outre, la CISR n’a pas traité d’éléments de preuve contradictoires qui revêtaient une importance cruciale pour démontrer qu’il était raisonnable que le demandeur n’ait pas sollicité la protection de l’État. Dans la décision Simpson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 970, [2006] A.C.F. no 1224 (QL), au paragraphe 44, le juge Russell déclare ceci :

 

Bien qu’il soit exact qu’il existe une présomption que la Commission a examiné toute la preuve, et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle mentionne tous les éléments de preuve documentaire dont elle disposait, lorsqu’il existe dans le dossier des éléments de preuve importants qui contredisent la conclusion de fait de la Commission, une déclaration générale dans la décision selon laquelle la Commission a examiné toute la preuve ne sera pas suffisante […] [Celle-ci] doit fournir les motifs pour lesquels la preuve contradictoire n’a pas été jugée pertinente ou digne de foi […]

 

Un tribunal peut donc inférer qu’une conclusion de fait erronée a été tirée du fait qu’un organisme administratif « n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l’organisme » : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F no 1425 (QL), au paragraphe 15.

 

[25]    Comme le déclare la juge Layden-Stevenson dans la décision Castillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 56, [2004] A.C.F. no 43 (QL), au paragraphe 9 :

 

La question de l'efficacité de la protection de l'État a été identifiée comme étant la question principale. Lorsqu'une preuve qui a trait à la question principale est soumise, le fardeau d'explication qui incombe à la Commission augmente quand celle-ci n'accorde que peu ou pas de poids à cette preuve ou quand elle retient une certaine preuve documentaire de préférence à une autre.

 

C’est donc dire que, dans le contexte de la question fondamentale de la protection de l’État, la CISR est tenue d’expliquer pourquoi elle accorde à certains éléments de preuve documentaire plus d’importance qu’à d’autres sources pertinentes.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]           Dans le jugement Lopez, la Cour explique également que c’est l’efficacité des mécanismes de protection de l’État qu’il faut évaluer :

[19]   En outre, il faut également tenir compte, dans le cadre de l’analyse objective, de la situation qui règne dans le pays. Cette analyse consiste, notamment, à déterminer l’existence de mécanismes de protection de l’État, mais elle comporte aussi une analyse de l’efficacité de ces mécanismes.

 

[20]    Je reconnais qu’en l’espèce la CISR a effectivement pris en considération l’existence de la protection de l’État au Mexique, mais pas l’efficacité de cette protection. Ma conclusion est étayée par le fait que la CISR a fait abstraction d’éléments de preuve contradictoires à cet égard.  

 

 

[20]           Le défendeur soutient que les conclusions tirées par la Commission au sujet de la protection de l’État étaient raisonnables. Il incombe à la demanderesse de réfuter la présomption de protection de l’État au Mexique, une démocratie en voie de maturation.

 

[21]           Il n’est pas nécessaire que la protection de l’État soit parfaite. Même dans les pays où la protection de l’État est adéquate, les autorités ne peuvent garantir la protection de chacun des citoyens en tout temps. Le défendeur affirme que la Commission avait le droit de conclure que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État (voir l’arrêt Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.)).

 

[22]           Ce principe est particulièrement crucial dans le cas qui nous occupe, où la présumée persécution n’est pas le fait des autorités ou des chefs d’État, mais bien d’un individu.

 

[23]           De plus, dans le cas qui nous occupe, la demanderesse n’a demandé l’aide de la police qu’une seule fois. Elle n’a pas suivi le conseil que la police lui avait donné de subir des tests médicaux ou de divulguer le nom de témoins. Elle n’a pas donné suite à sa plainte à la police. Sans le nom de témoins et sans preuves médicales, la capacité de la police d’enquêter efficacement sur la plainte est limitée.

 

[24]           La détermination de la protection de l’État doit reposer sur la preuve. Dans le cas qui nous occupe, la Commission a analysé la documentation, qui illustrait les graves problèmes de violence conjugale dont sont victimes les femmes au Mexique et le problème de la violence familiale, ainsi que les mesures prises par le Mexique pour résoudre ces problèmes.

 

[25]           La Commission a expressément cité un document du Département d’État des États-Unis en date du 8 mars 2005 intitulé « Country Reports on Human Rights Practices for 2005: Mexico ». La Commission expose sur deux pages (aux pages 6 et 7 de sa décision) les conclusions de ce rapport, ainsi que les mesures prises par les autorités mexicaines.

 

[26]           La Commission est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve et elle n’est pas obligée de mentionner chaque détail de la preuve à moins, évidemment, que le contraire ne soit démontré.

Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL);

Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (QL);

Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.F.) (QL).

 

 

[27]           J’estime qu’en l’espèce, la Commission avait le droit, vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait, de conclure que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

L’affaire Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 320

[28]           Les avocates des parties ont invoqué l’affaire récente Carrillo, précitée, dans laquelle le juge O’Reilly a fait droit à une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission avait rejeté une demande d’asile au motif que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

[29]           La demanderesse, Mme Carrillo, une citoyenne mexicaine, affirmait qu’elle craignait d’être tuée par son ancien conjoint de fait au Mexique. La plainte qu’elle avait portée à la police mexicaine n’avait fait qu’empirer la situation. Son ex-conjoint de fait était le frère d’un des agents de police.

 

[30]           Le juge O’Reilly a discuté de la présomption de la protection de l’État qui devait être réfutée ainsi que de la jurisprudence applicable, et notamment de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (QL), en soulignant que « [l]a présomption que le juge La Forest avait en tête était manifestement une présomption légale, non une présomption de fait ».

 

[31]           Suivant le juge O’Reilly, « le juge La Forest envisageait un fardeau simplement pour présenter une preuve digne de foi sur la question […] en d’autres mots […] simplement un fardeau de présentation » (au paragraphe 17) (ce jugement a été porté en appel).

 

[32]           La demanderesse table fortement sur le jugement Lopez, dans lequel on trouve un raisonnement bien étayé sur la question de l’efficacité de la protection de l’État. Il est peut-être nécessaire de rappeler que chaque cas est un cas d’espèce.

 

[33]           Dans le cas du Mexique, s’agissant de la protection de l’État et de l’efficacité de cette protection, il existe trois jugements récents dans lesquels notre Cour a fait droit à des demandes de contrôle judiciaire de décisions défavorables de la Division de la protection des réfugiés, à savoir :

Soberanis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 985;

Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1211;

Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341.

 

[34]           En revanche, dans bon nombre de décisions, notre Cour a rejeté les demandes de contrôle judiciaire dont elle était saisie parce que, bien qu’imparfait, le régime de protection de l’État du Mexique fonctionne normalement.

Santos v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 793;

Lazcano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1242 ;

Baldomino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1270.

 

B.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de l’existence d’une PRI?

[35]           La norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il existe une PRI est celle de la décision manifestement déraisonnable (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 100, 2007 CF 67, aux paragraphes 8 et 9). La question de l’existence d’une PRI est d’ordre factuel (Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1191).

 

[36]           La demanderesse soutient que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs aux liens que M. San Juan entretenait avec le crime organisé et avec son réseau de personnes influentes dans la région de la frontière septentrionale du Mexique, deux facteurs qui lui auraient permis de retrouver facilement la demanderesse et ce, peu importe l’endroit où elle se trouverait au Mexique. Aucun élément de preuve n’a été présenté sur ce point hormis la déposition de la demanderesse.

 

[37]           Il ressort de l’examen de la transcription de l’audience qui s’est déroulée devant la Commission que les liens de M. San Juan avec le crime organisé étaient un sujet de discussion important. Les observations formulées par les avocates devant la Commission ne permettent pas d’établir un rapport entre les liens de M. San Juan avec le crime organisé et l’incapacité de la demanderesse à se prévaloir d’une PRI. En soulevant cet argument devant la Cour, la demanderesse invite la Cour à tirer des conclusions de fait en se fondant sur des arguments dont la Commission ne disposait pas. La Commission n’a pas commis d’erreur en agissant de la sorte.

 

[38]           La demanderesse soutient en outre que la Commission ne mentionne pas l’état psychologique de la demanderesse dans le contexte de la PRI. Cet argument est mal fondé. Même si elle n’a pas procédé à une analyse approfondie de l’état psychologique de la demanderesse, la Commission explique bien qu’elle a tenu compte du rapport psychologique. La Commission a également estimé qu’il ne serait pas excessivement dur pour la demanderesse de s’installer ailleurs au Mexique. Pour ces motifs, je ne crois pas que la Commission a commis une erreur qui justifierait notre intervention.

 

C.        La Commission a-t-elle nié à la demanderesse son droit à la justice naturelle?

[39]           C’est la norme de la décision correcte qui s’applique au manquement à la justice naturelle.

 

[40]           La demanderesse explique qu’en n’abordant pas cet argument central, la Commission a porté atteinte au droit de la demanderesse à la justice naturelle. 

 

[41]           La demanderesse affirme que le préjudice psychologique peut constituer de la persécution au sens de l’article 96 de la Loi et un traitement cruel ou inusité au sens de l’article 97. Cet argument est mal fondé en droit. Ainsi que le juge Russell l’a expliqué dans le jugement Nadjat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 478, 2006 CF 302, aux paragraphes 60 et 61 :

Cela voudrait dire qu’aux termes de l’alinéa 97(1)b), une crainte subjective, même si elle n’est pas justifiée par une raison objective, constitue une crainte objective si le demandeur éprouve à l’égard de risques non objectifs une crainte telle que sa santé s’en détériore.

Je ne pense pas que ce soit là l’objet ou l’intention de l’alinéa 97(1)b). Le demandeur soutient que l’expulsion peut à elle seule déclencher l’application de l’alinéa 97(1)b), quels que soient les risques objectifs qu’il court en Iran. Cela voudrait dire en fait que le demandeur peut bénéficier de l’application de l’alinéa 97(1)b) s’il court un risque en raison de ses propres craintes, même si ces craintes sont dépourvues de toute objectivité. Je ne pense pas que l’économie générale de la Loi, l’intention de l’alinéa 97(1)b) ou la jurisprudence au sujet de l’existence nécessaire d’un risque objectif dans le cadre de l’article 97 permet de tirer une telle conclusion. Je pense que l’agente a évalué de façon appropriée la preuve médicale ainsi que le risque au sens de l’alinéa 97(1)b) conformément à la jurisprudence de la Cour.

 

Il a également été décidé, dans le jugement Nadjat, aux paragraphes 60 et 61, que le risque de traumatisme n’est pas suffisant pour être considéré comme un risque objectivement fondé.

 

[42]           La Commission a analysé comme il se doit les moyens que la demanderesse tirait des articles 96 et 97 de la Loi. Même s’il aurait été préférable qu’elle examine plus à fond les arguments invoqués par les parties même s’ils sont mal fondés en droit, la Commission n’a pas commis d’erreur justifiant l’infirmation de sa décision.

 

V. Conclusion

[43]           Pour les motifs qui viennent d’être exposés, la demande doit être rejetée. Les avocates des parties ont réclamé un délai en vue de soumettre des questions à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Les avocates des parties ont sept jours à compter du prononcé de la présente ordonnance pour soumettre des questions appropriées en vue de leur certification.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-752-07

 

INTITULÉ :                                                   GRACIELA ORTIZ SANTIAGO

                                                                        c.

                                                                        MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCEP :                          TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 14 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 25 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Patricia Wells

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Marina Stefanovic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Avocate

920, rue Yonge, bureau 510

Toronto  (Ontario)  M4W 3C7

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                   

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.