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Date : 20080222

Dossier : IMM-6746-06

Référence : 2008 CF 243

Ottawa (Ontario), le 22 février 2008

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SUPPLÉANT BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

SYLVIA FERNANDES

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 12 octobre 2006 par laquelle une agente des visas a rejeté la demande de visa de résident permanent présentée par la demanderesse.

 

Les faits

 

[2]               Le 22 mai 2004, un expert-conseil en immigration a soumis au nom de la demanderesse une demande de délivrance de visa de résident permanent. À la rubrique « Connaissance de l’anglais et d’autres langues », il a proposé qu’on évalue la demanderesse comme étant de langue maternelle anglaise. L’expert-conseil a expliqué que la demanderesse avait fait toutes ses études dans des écoles et un collège où l’anglais était la langue d’enseignement, et que l’anglais était également la langue de communication dans ses divers lieux de travail (le dernier se trouvant à Dubaï). Il a souligné que la demanderesse comptait quinze années d’expérience dans sa profession envisagée et a fourni des renseignements faisant voir l’étendue de son expérience dans le domaine administratif. À la rubrique « Capacité d’adaptation », l’expert-conseil a décrit les études antérieures du mari de la demanderesse et a précisé que ce dernier avait obtenu un baccalauréat ès arts. Parmi les renseignements sur les antécédents personnels de la demanderesse, l’expert-conseil a fait état de ce qui suit :

[traduction]

Elle dispose d’une capacité marquée à résoudre les problèmes et exerce ses fonctions de manière fort efficace. Elle a toujours pris son travail très au sérieux et elle sait se montrer acharnée à la tâche. […] [Elle] a une grande capacité d’adaptation, elle est motivée et débrouillarde; elle n’aurait aucun mal à réussir son établissement économique Canada.

 

L’expert-conseil a conclu dans les termes suivants :

[traduction]

Le nombre de points attribués à Mme Sylvia Margaret Irene Fernandes pour les facteurs mentionnés à l’article 76 du Règlement IPR ne reflètent pas son aptitude réelle à réussir son établissement économique au Canada, compte tenu des faits mentionnés à la rubrique « Antécédents personnels » ci-dessus.

 

Nous vous demandons donc de prendre ces faits en considération et d’approuver, grâce au pouvoir discrétionnaire d’acceptation conféré par le paragraphe 76(3) du Règlement IPR, la demande de résidence permanente au Canada présentée par Mme Sylvia Margaret Irene Fernandes, et ce, après avoir vérifié l’exactitude de ces faits en faisant passer à cette dernière une entrevue personnelle.

 

L’expert-conseil a également dressé un tableau sommaire des points dont il suggérait l’attribution à la demanderesse; le total s’élevait à 77 alors que le nombre minimal requis est de 67.

 

[3]               L’agente des visas a fait passer une entrevue à la demanderesse et à son époux. Bien que ce dernier lui ait présenté un diplôme décerné par l’Université de Mysore, en Inde, l’agente des visas lui a néanmoins posé des questions sur ses études universitaires (le diplôme a été obtenu en 1982, alors que l’entrevue s’est déroulée le 21 septembre 2006), et demandé pourquoi il travaillait comme mécanicien d’automobiles alors qu’il s’était vu décerner un baccalauréat en science politique et en histoire. Les réponses données n’ayant pas convaincu l’agente, elle n’a accordé aucun point à la demanderesse quant au facteur de la « capacité d’adaptation », et ce, en fonction des perspectives s’offrant à son époux.

 

[4]               Dans sa décision datée du 12 octobre 2006, l’agente des visas fait état des points devant être attribués à la demanderesse selon son appréciation. Le nombre de ces points était le même que celui proposé par l’expert-conseil, sauf que ce dernier avait recommandé l’attribution de seize points pour le facteur de la compétence dans la première langue officielle de la demanderesse tandis que, selon l’agente des visas, douze points seulement devaient être attribués à cet égard. En outre, l’expert‑conseil de la demanderesse avait recommandé l’attribution de quatre points pour le facteur de la capacité d’adaptation alors que l’agente n’avait recommandé l’attribution d’aucun point. Le résultat net a été de 63 points attribués au total, soit quatre points de moins que le nombre requis de 67. L’agente des visas a énoncé sa conclusion des deux façons suivantes :

[traduction]

Le nombre de points que vous avez obtenus n’est pas suffisant pour me convaincre de votre aptitude à réussir votre établissement économique au Canada. Je vous ai fait part de mes appréhensions à ce sujet, puis j’ai pris votre réponse en considération.

 

[…]

 

Après avoir examiné votre demande, je ne suis pas convaincue que vous répondiez aux exigences prévues par la Loi et le Règlement pour les raisons précédemment énoncées. Je rejette par conséquent votre demande.

 

[5]               La demanderesse sollicite l’annulation de cette décision pour deux motifs. Premièrement, l’agente des visas a omis d’envisager la possibilité d’exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 76(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Deuxièmement, l’agente a commis une erreur en n’attribuant pas quatre points à la demanderesse quant au facteur de la capacité d’adaptation, eu égard aux études et aux aptitudes de son époux.

 

L’analyse

 

[6]               Aux paragraphes 76(1) et (2) du Règlement sont énoncés les critères en vue de l’application du système de points dans le cadre de l’appréciation de demandes de résidence permanente. Le paragraphe 76(3) prévoit ensuite ce qui suit :

(3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — ne reflète pas l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

(3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

 

Or, rien ne laisse croire dans la décision de l’agente que celle-ci se soit en fait demandée s’il y avait lieu ou non d’exercer ce pouvoir discrétionnaire en faveur de la demanderesse. Le défendeur fait valoir à cet égard le passage précité de la décision où l’agente déclare à la demanderesse ne pas être convaincue « de [son] aptitude à réussir [son] établissement au Canada ». Cela recoupe en partie le libellé du paragraphe 76(3) et révèle donc, selon le défendeur, une certaine prise en considération de l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui y est prévu. Il est également vrai, toutefois, que cela recoupe aussi le libellé du paragraphe 76(1) qui énonce l’obligation de satisfaire au système de points d’appréciation. Le passage susmentionné suit immédiatement la déclaration portant que la demanderesse n’avait pas obtenu un nombre de points d’appréciation suffisant et semble tout simplement faire état que la demanderesse ne satisfait pas aux exigences prévues aux paragraphes 76(1) et (2).

 

[7]               L’objet manifeste du paragraphe 76(3) est de permettre qu’on fasse exception au système de points lorsque l’aptitude du demandeur à réussir son établissement au Canada est plus grande que ne le reflète le nombre de points obtenu (voir, par exemple, Yeung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 1174, paragraphe 15). Pour pouvoir bénéficier de cette exception, le demandeur doit demander l’exercice du pouvoir discrétionnaire et présenter de bonnes raisons pour un tel exercice (voir Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1239, paragraphe 5). Ces raisons n’ont toutefois pas à être élaborées et peuvent consister en une simple description plus étendue des antécédents, des études, de l’expérience professionnelle et de la connaissance d’une langue officielle du Canada du demandeur (voir Nayyar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n° 342, paragraphe 12).

 

[8]               Ce que la demanderesse fait valoir en l’espèce, c’est le défaut de l’agente de prendre en considération la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire devait ou non être exercé, et non pas l’exercice inapproprié de ce pouvoir. Bien que le défaut d’exercer le pouvoir discrétionnaire ait souvent été considéré comme étant un manquement aux principes de l’équité procédurale (voir, par exemple, Nayyar, précitée, paragraphe 8), cela me semble mettre en cause une question de droit – celle de savoir si l’agent des visas concerné a bien respecté chacun des éléments prescrits par la loi. Or, dans l’un et l’autre cas, la norme de contrôle appropriée, et que j’appliquerai à la question en litige, est celle de la décision correcte.

 

[9]               Il ne ressort pas du dossier, non plus que de la décision rendue, une preuve démontrant que l’agente a pris en considération dans notre affaire soit le paragraphe 76(3), soit l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’il autorise. Le défendeur m’a renvoyé à de nombreuses décisions où notre Cour a déclaré que, en cas de refus d’exercer en faveur du demandeur le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 76(3), l’agent des visas n’est pas tenu d’en indiquer les motifs (voir Channa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1996 124 F.T.R. 290, paragraphe 18; Feng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1226, paragraphe 18; Mamun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. n° 141, paragraphe 11). Ce qui ressort selon moi clairement de ces décisions, toutefois, c’est qu’on doit interpréter la déclaration portant qu’un agent des visas n’est pas tenu de mentionner pour quels motifs il refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire comme voulant dire que cet agent n’a pas à expliquer pourquoi il exerce ce pouvoir dans un sens défavorable au demandeur. Il doit toutefois apparaître clairement que l’agent s’est bel et bien demandé s’il devait ou non exercer le pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur (voir Tathgur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n° 1662, paragraphes 29 à 35).

 

[10]           Comme rien en l’espèce n’indique que l’agente des visas a envisagé d’exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 76(3), celle-ci a commis une erreur de droit et la décision doit être annulée.

 

[11]           La demanderesse a également prétendu que l’agente des visas avait commis une erreur en ne lui accordant pas quatre points pour le facteur de la capacité d’adaptation en raison des études faites par son époux; comme il s’agit là d’une question mixte de droit et de fait, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Je ne suis pas convaincu que, au vu de la preuve, la décision de l’agente à cet égard était déraisonnable. La preuve est contradictoire quant à savoir si l’agente a explicitement fait part à la demanderesse et à son époux de ses appréhensions relativement aux études universitaires de ce dernier. De plus, l’affidavit de la demanderesse n’est pas suffisamment détaillé pour étayer sa position sur le sujet. Bien qu’il soit toujours possible de mettre en doute les appréhensions de l’agente quant au diplôme de l’époux, je ne suis pas en mesure d’affirmer, au vu du dossier dont je suis saisi, que ces appréhensions étaient déraisonnables.

 

La décision

 

[12]           La décision du 12 octobre 2006 de l’agente des visas sera annulée et l’affaire renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen. Les avocates des parties n’ont suggéré la certification d’aucune question, et aucune ne sera certifiée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La décision du 12 octobre 2006 de l’agente des visas est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il l’examine à nouveau en tenant compte des présents motifs.

 

        « B.L. Strayer »

                                                                                                                      Juge suppléan

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

t


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-6746-06

 

INTITULÉ :                                                            SYLVIA FERNANDES

                                                                                 c.

                                                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 29 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE SUPPLÉANT STRAYER

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                                                  LE 22 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

POUR LA DEMANDERESSE

Maria Burgos

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wennie Lee

Lee & Company/avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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