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Date : 20080221

Dossier : IMM-1193-07

Référence : 2008 CF 227

Ottawa (Ontario), le 21 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

CRAIGTHUS ANTHONY LEVEL,

représenté par sa tutrice à l’instance, Sharlene Level

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 20 mars 2007 par laquelle une agente d’exécution a refusé la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de sa mesure de renvoi du Canada. Le 12 mars 2007, le demandeur avait demandé que son renvoi soit reporté jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue au sujet de la demande de résidence permanente qu’il avait présentée sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire. Le défendeur n’a reçu la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire en question que le 13 mars 2007.

LES FAITS

[2]               Âgé de 36 ans, le demandeur est un citoyen de la Jamaïque. Sa demande de résidence permanente canadienne avait été parrainée par son père en 1988. Sharlene Level est la tutrice à l’instance et la sœur cadette du demandeur. Le demandeur souffre de schizophrénie; il reçoit présentement des traitements médicaux et notamment de la rispéridone, un médicament antipsychotique. Il est suivi par un psychiatre et il bénéficie d’un important soutien de la part de sa sœur et de son père.

 

[3]               Le 25 octobre 2004, le demandeur a été déclaré coupable de deux chefs d’agression sexuelle. C’est pendant son incarcération qu’on a diagnostiqué chez lui une schizophrénie. Par suite de ces déclarations de culpabilité, le demandeur est maintenant interdit de territoire au Canada par application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). En conséquence, il fait l’objet d’une mesure de renvoi, qui a été prise le 17 juin 2005.

 

[4]               Le 9 mars 2006, le demandeur a été débouté de l’appel qu’il avait interjeté devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI), qui s’est déclarée incompétente en raison du paragraphe 64(2) de la LIPR. Le 20 juillet 2006, la demande présentée par le demandeur en vue d’être autorisé à introduire une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAI a été rejetée. La demande d’examen des risques avant le renvoi (ERAR) qu’il a par la suite présentée a elle aussi été rejetée, le 19 octobre 2006. Le demandeur explique que, bien qu’il ait déposé les formules d’ERAR requises, il n’a pas soumis de renseignements personnels, d’observations ou d’éléments de preuve, car il n’était pas conscient de l’importance de la LIPR. Le demandeur n’était pas représenté par un avocat à l’époque et aucune demande de contrôle judiciaire de la décision rendue au sujet de la demande d’ERAR n’a été présentée. La confusion du demandeur est quelque peu confirmée par les motifs de l’agent d’ERAR, qui explique ce qui suit :

[traduction]

 

Dans sa demande d’ERAR, le demandeur n’explique pas pourquoi il a présenté une demande d’ERAR. Il n’invoque aucun risque […]

Le demandeur a toutefois soumis une demande d’ERAR sans toutefois préciser pourquoi il craint de retourner dans son pays d’origine, la Jamaïque.

 

 

Après avoir examiné la situation qui existe en Jamaïque, l’agent d’ERAR a conclu que le demandeur ne serait pas [traduction] « personnellement exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités » s’il retournait en Jamaïque. Évidemment, comme il ne disposait d’aucun document personnel, l’agent d’ERAR ne pouvait pas être au courant de la situation personnelle du demandeur et de ses antécédents de maladie mentale.

 

[5]               Le 12 mars 2007, le demandeur a prié l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) de reporter son renvoi du Canada jusqu’à ce qu’une décision définitive ait été rendue au sujet de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, demande que le défendeur a reçue le 13 mars 2007. Parmi les autres arguments invoqués par le demandeur, il y a lieu de mentionner les suivants :

1.    le demandeur n’a jamais fait l’objet d’une évaluation des risques qu’il représente, compte tenu du risque concret de préjudice auquel il pourrait être exposé s’il retournait en Jamaïque;

 

2.    le demandeur ne pourrait recevoir des soins psychiatriques adéquats s’il retournait en Jamaïque;

 

3.    le demandeur a retenu les services d’un avocat pour l’aider à faire appel de sa condamnation au criminel.

 

La décision à l’examen

[6]               Le 20 mars 2007, une agente d’exécution a rejeté la demande de sursis présentée par le demandeur. Après avoir examiné les observations formulées par le demandeur, l’agente d’exécution a conclu ce qui suit :

[traduction]

 

J’estime que les facteurs invoqués ne justifient pas de surseoir au renvoi. À cet égard, l’ASFC est tenue, en vertu de l’article 48 de la LIPR d’appliquer les mesures de renvoi dès que les circonstances le permettent.

 

Compte tenu des renseignements présentés par l’avocat, que j’ai attentivement examinés, j’en arrive à la décision suivante en ce qui concerne la demande de sursis [...]

 

Je ne suis pas convaincue qu’il convient de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi eu égard aux circonstances de l’espèce.

 

 

Pour en arriver à cette conclusion, l’agente d’exécution avait obtenu de la Direction générale des services médicaux de l’ASFC à Ottawa des renseignements médicaux au sujet de la Jamaïque. La Direction lui a communiqué des renseignements au sujet de la possibilité pour le demandeur de se procurer son médicament en Jamaïque et d’y recevoir des soins psychiatriques. Dans sa décision, l’agente d’exécution expose en détail les soins psychiatriques que l’on peut obtenir en Jamaïque et elle fournit des noms et des numéros de téléphone en Jamaïque. Sur la foi de ces renseignements extrinsèques, l’agente d’exécution a conclu que le demandeur [traduction] « est en mesure de recevoir en Jamaïque les soins dont il a besoin ».

 

[7]               Le renvoi du demandeur était prévu pour le 29 mars 2007. La Cour a toutefois sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur jusqu’à ce que la présente demande soit examinée et tranchée.

 

QUESTION À TRANCHER

[8]               La Cour est convaincue que la seule et unique question que soulève la présente demande est celle de savoir si les éléments de preuve médicaux obtenus par l’agente d’exécution auprès de la Direction des services médicaux constituaient des « éléments de preuve extrinsèques » dont l’agente d’exécution était tenue d’informer le demandeur et si l’agente d’exécution était tenue d’accorder au demandeur une possibilité raisonnable de rectifier ou de contredire ces renseignements avant de rendre sa décision.

 

NORME DE CONTRÔLE

[9]               La question soumise à notre examen porte sur des questions de justice naturelle et d’équité procédurale, qui sont des questions de droit auxquelles s’applique la norme de la décision correcte. En pareil cas, la Cour doit « examiner les circonstances particulières de l'affaire et décider si [l’auteur de la décision] a respecté les règles de justice naturelle et d'équité procédurale (Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, [2006] 3 R.C.F. 168, au paragraphe 15). Si elle conclut à un manquement, la Cour n'est pas tenue de faire montre de déférence et elle doit annuler la décision (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392).

 

[10]           Pour ce qui est du bien-fondé de la décision, les pouvoirs conférés à l’agent d’exécution sont énumérés à l’article 48 de la LIPR, qui dispose :

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

[11]            La jurisprudence est flottante quant au degré de retenue dont il convient de faire preuve envers le bien-fondé de la décision d’un agent d’exécution. Dans bon nombre de décisions, la Cour a estimé que la norme de contrôle appropriée était celle de la décision manifestement déraisonnable (Hailu c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 229, 27 Admin. L.R. (4th) 222, Zenunaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l Immigration), 2005 CF 1715, [2005] A.C.F. no 2133 (QL), et Haghighi c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), 2006 CF 372, 289 F.T.R. 150. Selon cette norme, la décision de l’agent d’exécution ne sera annulée que si elle est « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247).

 

[12]           D’autres décisions ont toutefois conclu que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter (Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1430, 242 F.T.R. 295, Ragupathy c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), 2006 CF 1370, 303 F.T.R. 178, et Cortes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 78, [2007] A.C.F. no 117 (QL)).

 

[13]           Dans le jugement Ragupathy, précité, j’ai déclaré que la norme de la décision manifestement déraisonnable était souvent appliquée lorsque la question soumise à l’agent d’exécution est uniquement axée sur les faits. En tout état de cause, la seule question en litige en l’espèce est une question d’équité procédurale et elle est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. 

 

ANALYSE

Question :       Les éléments de preuve médicaux obtenus par l’agente d’exécution auprès de la Direction des services médicaux constituent-ils des « éléments de preuve extrinsèques » dont l’agente d’exécution était tenue d’informer le demandeur et l’agente d’exécution était-elle tenue d’accorder au demandeur une possibilité raisonnable de rectifier ou de contredire ces renseignements avant de rendre sa décision?

 

[14]           La décision de l’agente d’exécution reposait en partie sur une évaluation des renseignements médicaux qu’elle avait obtenus d’auprès de la Direction des services médicaux de l’ASFC au sujet du demandeur. L’agente d’exécution a procédé à cette évaluation pour l’aider à en arriver à une décision sur la question de savoir si le demandeur recevrait des soins psychiatriques adéquats s’il retournait en Jamaïque. L’agente d’exécution déclare, à la page 3 de ses motifs :

[traduction]

 

Les renseignements médicaux qui accompagnaient la présente demande de report ont été transmis, avec les renseignements contenus au dossier, à la Direction générale des services médicaux pour qu’elle propose son appréciation et son évaluation de ce dossier. La Direction générale des services médicaux a expliqué qu’il était possible de se procurer de la rispéridone en Jamaïque. La Direction générale des services médicaux a également précisé qu’il était possible de recevoir des soins psychiatriques en Jamaïque.

 

 

[15]           Le demandeur affirme que l’appréciation et l’avis donnés par la Direction générale des services médicaux constituent des « éléments de preuve extrinsèques » qu’on aurait dû lui soumettre pour qu’il les commente, et il ajoute que le défaut de l’agente d’exécution de le faire équivaut à un manquement à l’équité procédurale. À l’appui de son argument, le demandeur cite le jugement Dasent c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1994), 87 F.T.R. 282, dans lequel le juge Rothstein, qui siégeait alors comme juge de première instance, déclare ce qui suit, au paragraphe 20, au sujet des « éléments de preuve extrinsèques » :

¶ 20      […] Dans le cas qui nous occupe, compte tenu de l'utilisation par le juge Hugessen des mots « qui ne lui sont pas fournis par le requérant » à l'égard de l'expression « éléments de preuve extrinsèques » et de son renvoi à l'affaire Muliadi, j'interprète l'expression « éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par la partie requérante » comme des éléments de preuve dont la partie requérante n'est pas au courant parce qu'ils proviennent d'une source extérieure. Il s'agit d'éléments de preuve dont la partie requérante ignore l'existence et que l'agent d'immigration a l'intention d'invoquer pour en arriver à une décision touchant cette partie. Si ces éléments de preuve comprennent des renseignements obtenus d'une partie extérieure, comme ceux de l'affaire Muliadi, il est difficile de dire pourquoi ils ne comprendraient pas également les éléments de preuve obtenus d'un conjoint en l'absence de la partie requérante ou d'autres renseignements qui se trouvent dans le dossier de l'immigration et qui ne proviennent pas de la partie requérante ou dont elle ne peut raisonnablement avoir connaissance.

¶ 21      À mon sens, la question qu'il faut se poser est celle de savoir si la requérante a eu connaissance des renseignements de façon à pouvoir corriger les malentendus ou les déclarations inexactes susceptibles de nuire à sa cause. La source des renseignements ne constitue pas un élément distinctif en soi, pour autant que les renseignements ne sont pas connus de la partie requérante. Ce qu'il faut savoir, c'est si celle-ci a eu la possibilité de répondre à la preuve. C'est ce que les règles d'équité sur le plan de la procédure exigent, selon une jurisprudence établie depuis longtemps. Pour reprendre les commentaires bien connus que lord Loreburn L.C. a formulés dans l'affaire Board of Education v. Rice, [1911] A.C. 179 (H.L.), à la page 182:

[traduction] Ils peuvent obtenir des renseignements de la façon qu'ils jugent la meilleure, en accordant toujours à ceux qui sont parties au différend la possibilité raisonnable de corriger ou de contredire toute affirmation pertinente qui est préjudiciable à leur opinion.

 

[16]           Se fondant sur cette interprétation, le demandeur soutient que les éléments de preuve fournis par la Direction générale des services médicaux constituaient des « éléments de preuve extrinsèques » étant donné qu’ils étaient inconnus du demandeur lorsque l’agente d’exécution a rendu sa décision et qu’ils ont joué un rôle déterminant dans sa décision de refuser de surseoir au renvoi du demandeur. Le demandeur affirme en conséquence que ses droits à l’équité procédurale ont été violés du fait qu’on ne lui a pas accordé la possibilité de faire valoir son point de vue au sujet de l’avis donné par la Direction générale des services médicaux.

 

[17]           Le demandeur invoque par ailleurs deux décisions de la Cour d’appel fédérale : l’arrêt Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.), et l’arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.), dans lequel le juge Evans déclare, aux paragraphes 26 et 27 :

¶ 26    Cinquièmement, en plus de l'avertissement que les agents d'immigration ont plus qu'une obligation d'équité minimale […] l'arrêt Baker, précité, a remis au coeur de l'analyse relative à l'équité procédurale la tâche de déterminer le contenu de l'obligation d'équité incombant aux agents d'immigration lorsqu'ils rendent des décisions sur des demandes d'établissement présentées de l'intérieur du Canada invoquant des raisons d'ordre humanitaire. La question est de savoir si la communication du rapport était requise pour que soit fournie à M. Haghighi une possibilité raisonnable, vu l'ensemble des circonstances, de participer de manière significative au processus de prise de décision.

¶ 27    Ainsi, pour déterminer si la communication […] est requise, la Cour doit notamment examiner les facteurs énumérés par le juge L'Heureux-Dubé pour situer sur l'échelle de l'équité les obligations incombant à l'agent d'immigration […] L'analyse de ce qui est requis pour satisfaire à l'obligation d'équité doit être contextualisée : se demander […] si le rapport peut être qualifié d'« élément de preuve extrinsèque » ne constitue plus une méthode analytique adéquate.

 

[18]           L’application efficace de l’article 48 de la LIPR commande de ne pas exiger, en principe, la divulgation. Au moment où la demande de sursis est présentée, l’individu qui risque d’être expulsé aura probablement déjà épuisé toutes les autres voies de recours qui lui sont ouvertes par la LIPR et dont chacune comporte ses propres garanties procédurales. En conséquence, si l’on obligeait l’agente d’exécution à informer le demandeur de l’avis d’expert donné par la Direction générale des services médicaux et si l’on permettait en plus au demandeur de faire valoir son point de vue au sujet de cet avis, on compromettrait l’efficacité de la procédure d’immigration. Ainsi que le défendeur l’affirme, exiger ce que le demandeur réclame imposerait aux agents d’exécution des formalités procédurales qui nuiraient à l’accomplissement des fonctions que la loi leur assigne.

 

[19]           L’agent d’exécution est tenu, de par la loi, de renvoyer le demandeur dès que les circonstances le permettent. Toutefois, si l’agent se fonde sur des éléments de preuve qui n’ont pas été présentés par le demandeur, ce dernier doit avoir la possibilité de répondre à ces éléments de preuve. Il s’agit là de l’obligation minimale en matière d’équité procédurale. Dans la demande qui nous est soumise, l’agente d’exécution s’est fondée sur des éléments de preuve détaillés portant sur la situation du système de santé en Jamaïque, éléments que le demandeur a contestés par le truchement de l’affidavit de Melinda Gayda, qu’il a déposé à l’appui de sa requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dont il faisait l’objet.

 

[20]           Je me demande si l’agente d’exécution aurait dû procéder à un « mini examen » des raisons d’ordre humanitaire en vérifiant les services médicaux que le demandeur pourrait obtenir en Jamaïque avant de se prononcer sur l’opportunité de surseoir ou non à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur en vertu de l’article 48 de la LIPR. La décision relative au sursis n’est pas un « mini examen » des raisons d’ordre humanitaire. Le défendeur signale que la décision visée à l’article 48 est prise « sous pression » et qu’elle doit être prise dans des délais très rigoureux et que l’on ne peut s’attendre à ce que l’agent d’exécution accorde au demandeur la possibilité de répondre aux renseignements que l’agent a obtenus pour rendre sa décision. La Cour n’est pas de cet avis. Si l’agent d’exécution se fonde sur des éléments de preuve extrinsèques, il est forcément assujetti à l’obligation d’agir avec équité. Toutefois, dans la plupart des cas, l’agent d’exécution n’a pas besoin de se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques pour rendre sa décision. Ainsi que je l’ai déjà expliqué, je ne crois pas que l’agente d’exécution avait besoin en l’espèce d’obtenir des renseignements au sujet des services médicaux offerts en Jamaïque avant de décider de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur.

 

[21]           Pour ce qui est des délais serrés, rappelons que le demandeur est au Canada depuis une vingtaine d’années et que l’obligation d’agir avec équité ne devrait pas être sacrifiée parce que le défendeur a créé un délai artificiel au sujet du renvoi du demandeur. On ne cause aucun préjudice à qui que ce soit en accordant au demandeur une ou deux semaines de plus pour répondre aux éléments de preuve extrinsèques sur lesquels l’agent d’exécution entend se fonder. Si ces éléments de preuve extrinsèques sont inexacts, le demandeur subira un grave préjudice.

 

Caractère théorique

[22]           Les deux parties ont exhorté la Cour de ne pas rejeter la présente demande au motif qu’elle serait théorique. Je ne crois pas que l’affaire soit devenue théorique étant donné qu’en raison du sursis qui a été accordé il n’y a plus de mesure de renvoi à exécuter. J’ai toutefois accepté d’examiner ce principe d’équité procédurale car il s’agit d’un important point litigieux entre les parties qui n’est donc pas théorique à cet égard. Par ailleurs, je ne suis pas d’accord pour dire que la présente affaire soulève une question grave de portée générale qui n’a pas déjà été décidée par la jurisprudence. À mon avis, il ressort de façon non équivoque de la jurisprudence que le devoir d’équité procédurale s’applique aux éléments de preuve extrinsèques importants sur lesquels l’auteur d’une décision administrative s’est fondé, et ce, indépendamment de la question de savoir si ces éléments se rapportent à la décision de refuser de surseoir au renvoi ou à une autre décision prise sous le régime de la LIPR. Pour ce motif, je ne vais pas certifier de question dans le cadre de la présente demande.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l’agente d’exécution est annulée et est renvoyée au défendeur pour qu’il procède à un ERAR actualisé et qu’il décide ensuite au besoin de renvoyer le demandeur.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1193-07

 

INTITULÉ :                                                   CRAIGTHUS ANTHONY LEVEL,

                                                                        représenté par sa tutrice à l’instance,    

                                                                        Sharlene Level c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 21 février 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Caroline Simone Dahan

 

POUR LE DEMANDEUR

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Carole Simone Dahan

Bureau du droit de réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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