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Date : 20080221

Dossier : IMM-1556-07

Référence : 2008 CF 224

Ottawa (Ontario), le 21 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

KRISTINA MIKE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) concluait le 22 mars 2007 que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger du fait qu’elle craint d’être victime de violence par son ex-fiancé en Albanie.

 


FAITS

[2]               La demanderesse, citoyenne de l’Albanie, est arrivée au Canada le 21 novembre 2003 à l’âge de 19 ans. Elle a présenté une demande d’asile le 10 décembre 2003. Elle a fondé sa demande sur la crainte d’être victime de violence par son ex-fiancé.

 

[3]               La demanderesse et son ancien petit ami se sont fiancés en décembre 2002, neuf mois après leur rencontre. La demanderesse affirme que leurs fiançailles ont été arrangés selon des pratiques traditionnelles albanaises, et que son père y a donné son approbation.

 

[4]               La demanderesse affirme que la relation s’est détériorée lorsque son fiancé a commencé à consommer de l’alcool et de la drogue. Pendant leur relation, son fiancé voulait qu’elle se prostitue en Italie. La demanderesse affirme qu’après qu’elle eut tenté de mettre fin à la relation, son fiancé a commencé à être violent et à la battre, parfois en public.

 

[5]               La demanderesse a poursuivi la relation jusqu’en septembre 2003, époque à laquelle elle affirme avoir été si gravement battue qu’elle a dû être hospitalisée pendant trois jours. Elle déclare s’être rendue au poste de police, où on lui a dit qu’on ne pouvait rien faire pour l’aider, et qu’elle devrait « tenter de régler le problème » avec son fiancé. Elle allègue que son fiancé a menacé de la tuer si jamais elle essayait de le quitter. En réaction, les parents de la demanderesse ont commencé à craindre pour la vie de leur fille et l’ont envoyée se cacher chez des cousins. La demanderesse est restée cachée jusqu’à son départ pour le Canada.


La décision faisant l’objet de contrôle

[6]               Le 22 mars 2007, la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. La crédibilité de la demanderesse était au centre de la conclusion de la Commission, ce dont il est question à la page 3 de sa décision :

En examinant la totalité des éléments de preuve fournis par la demandeure d’asile, le tribunal a relevé quelques éléments l’incitant à mettre en doute sa crédibilité en ce qui a trait à des aspects importants de sa demande d’asile.

 

 

[7]               La Commission a exprimé des doutes quant à la valeur probante des deux rapports de police déposés à l’appui de la demande de la demanderesse. Une vérification de l’authenticité du premier rapport (qui a exigé que la Commission ajourne l’audience pendant une période de deux ans) a révélé qu’il s’agissait d’un faux document. Un deuxième rapport a alors été fourni par la police albanaise. Son authenticité n’a pas été vérifiée. La Commission a jugé que, indépendamment de l’authenticité du deuxième rapport, le contenu des rapports contredisait l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la police avait omis de lui offrir de l’aide. À la page 6 de sa décision, la Commission a écrit :

En ce qui a trait aux rapports de police, […] le tribunal conclut que les deux rapports de police contredisent la demandeure d’asile, qui affirme que la police n’a rien fait et lui a suggéré que les deux familles règlent le problème entre elles, étant donné que ces deux rapports attestent que la police a pris des mesures. Lorsqu’on lui a posé la question, la demandeure d’asile n’a pu expliquer pourquoi le premier rapport de police indiquait que l’enquête sur cette affaire était toujours en cours. Il ne peut être tenu compte de ce certificat puisqu’il est faux, mais il reste que l’autre certificat fourni en remplacement abonde dans le même sens […]

 

D’après ces renseignements, la Commission a conclu :

[…] De ce fait, le tribunal accorde peu de poids aux deux rapports de police, puisque ces derniers ne contribuent pas vraiment à établir la crédibilité et la fiabilité de la demandeure d’asile.

 

 

[8]               Outre les doutes qu’elle a soulevés au sujet des rapports de police déposés par la demanderesse, la Commission a également fondé sa décision sur d’autres incohérences contenues dans le témoignage de la demanderesse, notamment :

1.      la demanderesse n’a pas présenté des « preuves objectives » sur ses fiançailles, alors qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elle en fournisse;

2.      son témoignage au sujet de ses fréquentations était « différent sur le plan qualitatif » de celui figurant dans son FRP;

3.      le rapport médical qui était censé confirmer ses blessures et la durée de son séjour à l’hôpital était daté du jour précédant son congé et n’était donc pas crédible;

4.      elle n’a pas signalé à la police les intentions de son ex-fiancé de faire la traite de sa personne, ce qui a miné sa crédibilité générale;

5.      elle n’a pas mentionné dans son FRP que son ex-fiancé avait menacé de prendre sa revanche si elle le quittait.

Par conséquent, la Commission a jugé que la demanderesse n’était pas crédible.

 

[9]               Puisque qu’elle a jugé que la demanderesse n’était pas crédible relativement à la question principale, c’est-à-dire qu’elle serait une femme victime de violence à qui l’État aurait refusé sa protection, la Commission a conclu également que la demanderesse n’appartenait pas à la catégorie des personnes visées par les directives données par le président intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe.

QUESTION EN LITIGE

[10]           Dans la présente demande, la question en litige est de savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible.

 

NORME DE CONTRÔLE

[11]           Aucune analyse pragmatique et fonctionnelle n’est requise à l’égard de la question de la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission en matière de crédibilité, puisqu’il est bien établi par la jurisprudence que la norme à appliquer est celle de la décision « manifestement déraisonnable ». Dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1194, [2002] A.C.F. no 1611 (QL), j’ai conclu aux paragraphes 4 et 5 :

   4       […] Avant qu’une conclusion de la Commission en matière de crédibilité ne soit annulée […], l’un des critères suivants doit être rempli […] :

 

1.       la Commission n’a pas validement motivé sa conclusion selon laquelle un requérant n’était pas crédible;

2.       les conclusions tirées par la Commission sont fondées sur des constats d’invraisemblance qui, de l’avis de la Cour, ne sont tout simplement pas justifiés;

3.       la décision était fondée sur des conclusions qui n’étaient pas autorisées par la preuve; ou

4.       la décision touchant la crédibilité reposait sur une conclusion de fait qui était arbitraire ou abusive ou qui ne tenait aucun compte de la preuve.

 

Voir Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1144, au paragraphe 11, (Madame la juge Reed).

 

   5        Les décisions de la Commission en matière de crédibilité appellent le plus haut niveau de retenue de la part des tribunaux, et la Cour n’annulera une décision de ce genre […] qu’en accord avec le critère susmentionné. La Cour ne doit pas substituer son opinion à celle de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité ou à la vraisemblance, sauf dans les cas les plus manifestes. C’est pourquoi les demandeurs qui veulent faire annuler des conclusions touchant leur crédibilité doivent s’acquitter d’une très lourde charge […]

 

ANALYSE

Question en litige :     La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible?

Les rapports de police

 

[12]           La demanderesse allègue que la Commission a commis une erreur dans son analyse des deux rapports de police présentés à l’appui de sa demande. Le premier rapport, obtenu par son père et déposé dès le début de l’audience le 23 novembre 2004, a été considéré comme un faux par les responsables du ministère de l’Intérieur de l’Albanie. Lorsque le premier rapport a été jugé comme un faux, la demanderesse a fourni un deuxième rapport, aussi obtenu par son père. Elle allègue que, lorsqu’elle a rendu sa décision, la Commission a conclu de manière déraisonnable que, puisque le premier rapport était un faux, le deuxième devait l’être aussi. À l’appui de sa prétention, la demanderesse fait référence à la page 3 de la décision de la Commission, où il est indiqué :

La première préoccupation vise le certificat de police. Malgré les observations du conseil de la demandeure d’asile, qui s’opposait à la vérification, le fait que le certificat de police original soit faux n’a pas été sérieusement contesté par celle-ci, et le père de la demandeure d’asile lui en a plutôt procuré un autre. Ainsi, en fin de compte, nous nous retrouvons avec un deuxième certificat de police obtenu de la même manière et par la même personne que le premier certificat frauduleux […]

 

[13]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que le deuxième rapport était un faux parce qu’il avait été obtenu par la même personne et de la même façon que le premier. À cet égard, la demanderesse fait valoir qu’il existe des différences fondamentales entre les deux rapports, rendant ainsi une telle conclusion non fondée. Elle plaide également que si la Commission avait des doutes quant à l’authenticité du deuxième rapport, elle était libre de mener une enquête à ce sujet.

 

[14]           Cependant, dans sa décision, la Commission ne conclut pas explicitement que le deuxième rapport n’était pas authentique. La Commission a jugé que, indépendamment de l’authenticité de l’un ou l’autre des rapports, peu d’importance devrait être accordée aux deux rapports puisque ceux-ci contredisaient l’affirmation de la demanderesse selon laquelle ses demandes auprès de la police albanaise avaient été traitées avec indifférence.

 

[15]           Le 23 novembre 2004, la Commission a ajourné l’audience pour faire vérifier l’authenticité du premier rapport de police rédigé par le chef de police albanaise, et pour s’assurer que ce rapport de police respectait la forme habituelle dans laquelle ce type de document est délivré par la police de ce pays, c’est-à-dire aucune en-tête officielle et en lettres moulées. Ce processus de vérification a duré un an et demi. Le premier secrétaire (immigration) à l’ambassade du Canada à Rome (aussi responsable de l’Albanie) a rencontré les responsables du ministère albanais de l’Intérieur en Albanie, qui ont confirmé que le rapport de police était un faux pour les motifs suivants :

1.      le rapport de police ne porte aucun numéro officiel, alors qu’il en porterait un s’il avait été délivré par un service de police en Albanie;

2.      la personne qui a signé le rapport de police n’occupait pas ce poste à la date de la signature du document;

3.      le sceau contient des irrégularités et est relativement facile à falsifier.

La Cour félicite la Commission d’avoir ajourné l’audience en vue de faire vérifier l’authenticité de ce document d’une manière objective et définitive. À la reprise de l’audience, la demanderesse a produit un deuxième rapport de police, lequel était rédigé sur un papier à en-tête, comportait un numéro officiel (contrairement au premier rapport) et était dactylographié (ce qui est aussi différent du premier rapport).

 

[16]           La Cour estime que la Commission avait effectivement des motifs valables de conclure que la demanderesse n’était pas crédible du fait d’avoir déposé un rapport de police qui, objectivement, avait été jugé comme un faux.

 

Les autres conclusions de la Commission en matière de crédibilité

 

[17]           Comme il a déjà été souligné, la conclusion de la Commission, selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible, était fondée sur plusieurs autres conclusions. En ce qui concerne la conclusion de la Commission selon laquelle il n’y avait pas de preuve objective pour établir que les fiançailles avaient réellement eu lieu, la Commission s’est appuyée sur une conclusion de fait manifestement déraisonnable portant que la demanderesse avait affirmé ne pas avoir cherché à obtenir les photos parce qu’elle ne voulait pas que ses parents les voient. En fait, la demanderesse a témoigné qu’elle n’avait pas demandé les photos parce qu’elle-même ne voulait pas les voir. Quant à savoir pourquoi la demanderesse n’a pas produit sa bague de fiançailles à titre de preuve de ses fiançailles, la Commission a rejeté l’explication de la demanderesse sans fournir de motifs. Selon la Cour, l’explication était plausible. Pour ce qui est du témoignage de la demanderesse au sujet de sa relation avec son ex‑fiancé, la Commission a constaté une contradiction entre le témoignage figurant dans son FRP et celui qu’elle a livré de vive voix. Après avoir examiné attentivement la question, la Cour estime que la conclusion de la Commission à cet égard était manifestement déraisonnable. Il n’y a aucune contradiction.

 

[18]           Quant au rapport médical qui est daté du jour précédant le congé de l’hôpital de la demanderesse, la Commission a bel et bien fourni des motifs valables pour conclure que ce rapport n’était pas crédible. Il est peu commun qu’un rapport médical, quel que soit le pays où il a été délivré, fasse état de la date de congé de l’intéressé, mais soit daté du jour précédant ce congé. Il s’agit d’un motif valable qui permettait de conclure que le rapport n’était pas crédible, et la Cour ne devrait pas substituer son opinion à celle de la Commission. Quoi qu’il en soit, la Cour conclut que le rapport médical était inhabituel parce qu’il avait été signé par trois employés de l’hôpital dont le « président-directeur général ». Je ne crois pas les rapports médicaux, peu importe le pays où ils ont été délivrés, doivent porter trois signatures, dont celle du président-directeur général de l’hôpital. Il est plus approprié qu’un rapport médical soit signé par un médecin ou une infirmière.

 

[19]           Quant aux menaces lancées par l’ex-fiancé contre la demanderesse et son père, la Commission a conclu que ces menaces ne figuraient pas dans le FRP de la demanderesse. Après un examen approfondi, la Cour conclut que les menaces en question avaient été exposées dans le FRP, et que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable à cet égard.

 

[20]           L’avocat de la demanderesse, J. Norris Ormston, a fait valoir devant la Cour que certaines des conclusions tirées par la Commission étaient manifestement déraisonnables, et il a présenté une argumentation convaincante concernant les rapports de police et le rapport médical. Cependant, la Cour ne peut annuler les conclusions de la Commission en ce qui a trait à la crédibilité des rapports de police et du rapport médical. Ces conclusions quant à la crédibilité étaient étayées par des inférences et des motifs valables qui étaient plausibles. De telles conclusions en matière de crédibilité appellent le plus haut degré de déférence, et la Cour ne peut substituer son opinion à celle de la Commission relativement à ces questions de crédibilité importantes. Pour ce motif, la Cour doit rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

CONCLUSION

[21]           La présente demande porte sur les conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission. Bien que la Commission ait effectivement tiré certaines conclusions de fait manifestement déraisonnables, ces conclusions de fait n’annulent pas les motifs valables que la Commission a fournis pour conclure que la demanderesse n’était pas crédible, à savoir le premier rapport de police et le rapport médical. En outre, la Commission a conclu que les deux rapports de police contredisaient l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la police n’avait rien fait d’autre que de lui dire de régler le problème en famille. À la page 6 de sa décision, la Commission a indiqué ce qui suit :

[…] ces deux rapports attestent que la police a pris des mesures […] ce qui contredit la demandeure d’asile qui affirme que, loin de l’aider, la police l’a rabrouée.

 

 

[22]           Pour ces motifs, la Cour doit rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[23]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification. Compte tenu que la présente affaire porte sur des faits et des conclusions quant à la crédibilité, la Cour est d’avis que celle-ci ne soulève aucune question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-1556-07

 

 

INTITULÉ :                                                               KRISTINA MIKE

                                                                                    c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 12 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 21 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Norris Ormston

 

POUR LA DEMANDERESSE

David Tyndale

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

J. Norris Ormston

Ormston, Bellissimo, Rotenberg

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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