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Date : 20080215

Dossier : IMM-888-07

Référence : 2008 CF 192

ENTRE :

CAMPO ELIAS RIVERA

 BLANCA ROSA PENA DE RIVERA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]               Les présents motifs font suite à l’audience tenue à Toronto le 12 février 2008 relativement à une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, ce qui équivaut à un refus d’asile. La décision qui fait l’objet du présent contrôle a été rendue de vive voix au terme de l’audience tenue le 13 février 2007 devant la Commission.

 

 

CONTEXTE

[2]               Les demandeurs, un homme et son épouse, sont des citoyens de la Colombie. En août 2002, ils avaient leur résidence principale à Bogotá, mais également une maison de campagne dans la municipalité de Guarinosito, dans le département de Caldas. Ils décrivent la région où était située leur maison de campagne à l’époque comme une [TRADUCTION] « zone rouge » contrôlée par des groupes de guérilleros armés.

 

[3]               Alors qu’ils étaient à leur maison de campagne le 25 août 2002, les demandeurs ont été abordés par des membres d’un des groupes de guérilleros qui les ont convoqués à une réunion. Les demandeurs ont refusé d’assister à cette réunion. Ils sont plutôt retournés à Bogotá et ne sont plus jamais retournés dans la région de Guarinosito et à leur maison de campagne.

 

[4]               En raison de leur refus de collaborer avec les guérilleros, les demandeurs craignaient pour leur sécurité, même à Bogotá. Ils sentaient qu’ils étaient surveillés. Ils savaient que d’autres propriétaires de résidence avaient été enlevés parce qu’ils avaient refusé d’assister aux réunions des groupes de guérilleros, comme on leur avait demandé de faire. Dans l’exposé circonstancié joint à leur Formulaire de renseignements personnels, les demandeurs ont écrit :

 

[TRADUCTION]

[…]

[…] nous ne pouvons même pas aller au parc avec nos petits-enfants sans craindre pour notre sécurité.

 

C’est à cause de ce genre de situation dangereuse, qui se produit même à Bogotá, que nos craintes augmentent.

[…]

Nous savons que nous ne pouvons obtenir aucune protection réelle de la part des autorités puisqu’elles ne sont pas en mesure de réprimer toute la violence qui sévit en Colombie.

[…]

 

[5]               En mai 2004, le demi-frère du demandeur, qui allait à l’occasion vérifier la situation à la maison de campagne, a été assassiné. Peu de temps après, les demandeurs ont quitté la Colombie. Ils sont arrivés au Canada le 23 juillet 2004, après avoir séjourné aux États-Unis. Ils ont ensuite présenté une demande d’asile au Canada.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DE CONTRÔLE

[6]               Après avoir exposé brièvement les faits entourant la demande des demandeurs, ni plus ni moins sans analyse, la Commission a conclu relativement à la question du statut de réfugié au sens de la Convention soulevée dans la demande :

Chose certaine, c’est qu’entre les mois d’août 2002 et juillet 2004, rien de spécifique ne leur [les demandeurs] aurait personnellement arrivé. Ils sont inquiets, mais tel que le démontre la preuve documentaire, ils sont inquiets comme tous les autres colombiens le sont en ce qui concerne les forces révolutionnaires dans leur pays, notamment.

 

Considérant ce qui précède, je dois conclure que les demandeurs n’ont pas subi de persécution au sens de l’article 96 de la Loi dans leur pays d’origine.

 

En effet, malgré le témoignage du demandeur, le tribunal connaissant très bien la situation en Colombie, si les guérilleros avaient ciblé le demandeur depuis 2002, il en aurait, sans aucun doute, subi des conséquences directes, ce qui n’est pas le cas dans cette présente cause.

 

[7]               La Commission a tranché la demande des demandeurs en vue de l’obtention d’une protection semblable au statut de réfugiés, présentée en vertu de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[1], en fournissant un exposé des motifs tout aussi bref. Dans chaque cas, la Commission a essentiellement tiré sa conclusion sans procéder à aucune analyse.

 

[8]               Enfin, et encore une fois très brièvement, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption en faveur de la protection de l’État dans le cas où ils devraient retourner en Colombie.

 

ANALYSE

[9]               Au terme de l’audience, j’ai informé les avocats que j'accueillerais la présente demande de contrôle judiciaire car, à mon avis, les motifs fournis par la Commission sont nettement insuffisants dans la mesure où ils n’ont pas fait l’objet d’une analyse et ne répondent donc pas à l’obligation de la Commission de fournir des « motifs écrits » à l’appui de la décision rejetant une demande d’asile[2]. Après réexamen à la suite de l’audience des documents dont j’étais saisi, je suis parvenu à la même conclusion, c’est-à-dire que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, mais je me fonde maintenant sur une question de fond, à savoir l’omission de la Commission d’appliquer le critère approprié pour déterminer si les demandeurs devraient se voir reconnaître ou non le statut de réfugiés au sens de la Convention.

 

[10]           Je reprends le paragraphe suivant, tiré de l’exposé des motifs de la Commission et cité précédemment :

Considérant ce qui précède, je dois conclure que les demandeurs n’ont pas subi de persécution au sens de l’article 96 de la Loi dans leur pays d’origine.

Dans ce court paragraphe, on trouve le seul motif fourni par la Commission pour justifier son rejet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié des demandeurs.

 

[11]           Pour qu’une demande de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention soit accueillie, il n’est pas nécessaire que les demandeurs, comme ceux en l’espèce, établissent qu’ils ont été victimes de persécution dans leur pays d’origine. Les demandeurs n’ont plutôt qu’à établir qu'ils craignent « avec raison » d’être persécutés ou qu'il existe une « possibilité raisonnable » ou même une « possibilité sérieuse » qu’ils soient persécutés s’ils retournent dans le pays à l’égard duquel ils réclament une protection. La persécution antérieure n’est tout simplement pas une condition préalable au succès d’une demande.

 

[12]           Dans l’arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[3], on trouve le court paragraphe suivant, souvent cité, à la page 683 :

Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse », par opposition à une simple possibilité.

 

 

[13]           En l’espèce, la Commission n’a tout simplement pas examiné la question du caractère prospectif du critère applicable à la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention. Par conséquent, la Commission a commis une erreur de droit en rejetant la demande de statut de réfugié au sens de la Convention présentée par les demandeurs.

 

CONCLUSION

[14]           Eu égard aux observations susmentionnées, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision faisant l’objet de contrôle sera annulée et la demande des demandeurs sera renvoyée pour réexamen et nouvelle décision. L’avocat des demandeurs a soulevé d’autres questions, mais, à la lumière de ce qui précède, il n’est pas nécessaire que je les examine dans les présents motifs.

 

CERTIFICATION D’UNE QUESTION

[15]           À la fin de l’audition de la présente affaire, les avocats ont demandé d’avoir la possibilité d’examiner les présents motifs et de présenter des observations relatives à la certification d’une question. Les présents motifs seront remis aux avocats qui auront dix jours à compter de la date de leur prononcé pour signifier et déposer toutes les observations qu’ils désirent au sujet de la certification d'une question. Ce n'est que par la suite qu'une ordonnance sera rendue dans la présente affaire.

 

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 15 février 2008

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-888-07

 

INTITULÉ :                                                               CAMPO ELIAS RIVERA,

                                                                                    BLANCO ROSA PENA DE RIVERA

                                                                                    c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 12 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                          LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 15 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Randal Montgomery

 

POUR LES DEMANDEURS

Manuel Mendelzon

 

   POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Rokakis,

Avocat

Windsor (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] L.C. 2001, ch. 27.

[2] Voir :  le paragraphe 61(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228.

[3] [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.)

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