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Date : 20080225

Dossier : T-802-07

Référence : 2008 CF 248

Ottawa, Ontario, le 25 février 2008

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

JEAN-CLAUDE BOUCHARD

demandeur

et

 

LA COMMISSION NATIONALE

DES LIBÉRATIONS CONDITIONELLES

 ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est présentement incarcéré au Centre fédéral de formation de Laval, un pénitencier à sécurité minimum. Sa demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Section d’appel), rendue le 10 avril 2007. Cette décision rejetait l’appel formé par le demandeur à l’encontre d’une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) lui refusant toute forme de libération. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

I. Faits

[2]               Le demandeur a un long passé criminel, qui débute en 1972 avec une première condamnation pour des délits dirigés contre les biens et la propriété ainsi que pour voies de fait contre un agent de la paix. Il a également avoué avoir perpétré plusieurs vols qualifiés qui n’apparaissent pas à son dossier.

 

[3]               Après avoir mené à terme une surveillance obligatoire en 1974, il a été condamné à une seconde peine en 1976 à la suite d’une récidive dans trois délits de viol. Cette peine fut caractérisée par des suspensions et des révocations des mesures d’élargissement à la suite de bris de conditions et de récidives. En 1980, il a commis de nouveaux vols à main armée à la pointe de revolvers chargés. Finalement, il a été arrêté pour meurtre au premier degré en 1982, alors qu’il était en liberté surveillée depuis environ un mois. Il a alors été condamné à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

 

[4]               Au cours des premières années de son incarcération, M. Bouchard est considéré comme un leader au sein de l’établissement à sécurité maximale dans lequel il est détenu. Selon diverses informations, il appert qu’il était impliqué dans le trafic de stupéfiants, semait la terreur, menaçait et agressait des détenus. Quelques années plus tard, il devait cependant cesser sa consommation de drogues et d’alcool et il commença à participer à des programmes de réhabilitation.

 

[5]               Son comportement exemplaire lui valut un transfert dans un établissement à sécurité moyenne en 1991, puis à sécurité minimale en 1997. Le demandeur obtint également le droit de participer à plusieurs sorties avec escorte entre 2000 et 2003.

 

[6]               En 2002, M. Bouchard fit une demande de révision judiciaire afin d’obtenir une réduction du délai fixé pour son admissibilité à la libération conditionnelle, conformément à l’article 745.6 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46. Le 12 décembre 2002, la Cour supérieure du Québec accueillit favorablement sa demande, et devança en conséquence son admissibilité à une libération conditionnelle au jour même de son jugement.

 

[7]               Suite à cette décision, la Commission fixa donc une audition pour le mois de mai 2003. Pour des raisons qui ne sont pas entièrement claires, il semble cependant que le comportement du demandeur se soit détérioré suite à la décision de la Cour supérieure; il ne s’impliquait plus dans les programmes, aurait eu des problèmes lors de ses sorties et aurait aussi menacé un codétenu. En conséquence, son équipe de gestion de cas lui recommande de reporter son audience devant la Commission. M. Bouchard, se croyant lésé dans son droit d’obtenir une libération conditionnelle, refuse de reporter son audience.

 

[8]               À la mi-février, M. Bouchard fait parvenir une lettre à la Commission dans laquelle il dénonce certaines activités de codétenus et se plaint du fait qu’on lui refuse certains privilèges pourtant accordés à des codétenus moins méritants que lui. Quelques jours plus tard, le directeur de l’établissement autorise le placement involontaire en isolement préventif de M. Bouchard après avoir pris connaissance de cette lettre. Cette décision est fondée sur le refus de ce dernier de modifier son comportement et de reconnaître ses difficultés et ses conflits avec les intervenants et les codétenus. On estime également que sa lettre envoyée à la Commission témoigne d’une situation de « désorganisation personnelle grave ». Le demandeur restera en isolement pendant 70 jours, puis sera transféré dans un établissement à sécurité moyenne. On décide également de hausser sa cote de sécurité à « moyenne ».

 

[9]               Ces décisions du Service correctionnel ont fait l’objet d’un grief par le demandeur. Dans une décision rendue le 16 juin 2003, ma collègue la juge Johanne Gauthier a fait droit à la demande de contrôle judiciaire de M. Bouchard et renvoyé le grief du demandeur pour réexamen. Cette décision était fondée sur le fait que le décideur avait manqué à son obligation d’agir équitablement, étant donné que l’on n’avait pas considéré la preuve pertinente au dossier. Mme la juge Gauthier a cependant bien pris soin de noter que la Cour n’avait pas compétence pour ordonner quoi que ce soit au Service correctionnel ou à la Commission à l’égard de la libération conditionnelle du demandeur. La redétermination du grief du demandeur a fait l’objet d’une nouvelle demande de contrôle judiciaire par le demandeur, demande qui a cette fois été rejetée par mon collègue le juge Michael Shore le 7 juin 2007.

 

[10]           L’audience devant la Commission sur la libération du demandeur, qui devait originalement avoir lieu en mai 2003, a été reportée une première fois de 60 jours en raison du défaut de fournir les documents prescrits. Elle fut de nouveau reportée à la demande de M. Bouchard, qui estimait qu’une cote de sécurité moyenne diminuait ses chances de succès. En septembre 2003, la cote de sécurité du demandeur fut réévaluée à « minimum », et il fut transféré dans un établissement à sécurité minimum au début du mois d’octobre 2003.

 

[11]           L’audience devant la Commission s’est finalement tenue le 25 février 2004. Cette dernière rejeta la demande de libération conditionnelle de M. Bouchard et indiqua qu’il ne pourrait se représenter devant elle avant deux ans. Cette décision fut confirmée par la Section d’appel le 3 mai 2004, et il n’y eut aucune demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[12]           Le 25 juillet 2006, la Commission a tenu une nouvelle audience afin d’étudier l’admissibilité du demandeur à différentes formes de mise en liberté. Encore une fois, la Commission a conclu qu’il était inopportun d’accorder au demandeur une quelconque forme de mise en liberté.

 

[13]           Après un rappel de la fiche et du comportement criminel du demandeur ainsi qu’une analyse des diverses évaluations réalisées depuis 1995, la Commission a rappelé les améliorations significatives du demandeur. Elle a cependant noté sa régression comportementale des dernières années, et a notamment considéré l’attitude négative et inadéquate du demandeur qui a entraîné un arrêt du programme de sortie avec escorte en 2003, programme dont il bénéficiait depuis deux ans.

 

[14]           La Commission a signalé que ce changement de comportement coïncidait avec la décision favorable qu’il avait obtenue en 2002, en vertu de laquelle il devenait immédiatement éligible à une libération conditionnelle. L’attitude négative adoptée par le demandeur devait par la suite conduire à son isolement préventif et à son transfert dans un établissement à sécurité moyenne. La Commission a néanmoins noté que le demandeur avait fait preuve d’une attitude plus positive et s’était impliqué au niveau social et scolaire dans le milieu carcéral depuis son retour en établissement à sécurité minimale.

 

[15]           La Commission a relevé le refus du demandeur de s’impliquer dans un programme de gestion des émotions et de participer à un programme de sortie avec escorte, freinant du même coup son processus d’élargissement progressif. Elle a également mentionné que sa rigidité d’esprit, son « mode oppositionnel d’entrée en relation » et son attitude revendicatrice entravaient son processus de réinsertion sociale.

 

[16]           Enfin, la Commission a tenu compte de l’évaluation de son équipe de gestion de cas, selon laquelle toute forme d’élargissement du demandeur présente toujours un risque inacceptable pour la société compte tenu du risque élevé de récidive, de sa difficulté à respecter ses périodes d’élargissement, de son refus de participer aux programmes, de son attitude rigide et de la négation de son délit. Elle conclut que la balle est dans le camp du demandeur, qui doit rehausser sa crédibilité en participant à des programmes d’élargissement graduel en communauté avec escorte. La Commission conclut en ces termes :

Pour l’instant, la Commission est d’avis qu’il n’est pas opportun de vous accorder un programme de permissions de sortie sans escorte, une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale. En effet, compte tenu de la situation actuelle qui persiste dans vos relations avec votre équipe de gestion de cas, il est utopique de penser que vous offririez une meilleure collaboration en communauté. Cette situation rend donc le risque inacceptable pour ces formes d’élargissement.

 

Dossier du tribunal, onglet 3, p. 5

 

[17]           Le demandeur en a appelé de cette décision devant la Section d’appel, conformément à l’article 147 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20 (la Loi).

 

II. La décision contestée

[18]           La Section d’appel a conclu que la Commission avait rendu une décision raisonnable, qui trouve appui dans la preuve, et qui est la moins restrictive possible compte tenu du risque posé par le demandeur pour la société.

 

[19]           Après avoir écouté l’enregistrement de l’audience devant la Commission et avoir lu les motifs de cette dernière, la Section d’appel a approuvé l’évaluation qu’avait faite la Commission de la preuve déposée devant elle. Elle a conclu que les commissaires semblaient bien au fait de la nature violente de la criminalité du demandeur et de la nature de son délit, de la négation de son crime, des progrès qu’il avait effectués et de sa régression au cours des dernières années. La Section d’appel a aussi noté que la Commission avait tenu compte de l’évaluation psychologique faite en 2005, du risque de récidive important présenté par le demandeur, de son manque d’implication dans son plan correctionnel et de sa méfiance envers le Service correctionnel.

 

[20]           En tenant compte de tous ces éléments, la Section d’appel en est arrivé à la conclusion que le peu de progrès du demandeur, son hostilité par rapport au Service correctionnel et son niveau de


risque élevé justifiaient la décision de la Commission selon laquelle il n’était pas susceptible de fournir une meilleure collaboration en communauté. Voici ce que la Section d’appel écrit à ce sujet :

Compte tenu de la nature de votre criminalité, de la négation du délit de meurtre, de votre refus de participer aux programmes, de votre niveau de risque de récidive violente, et de la méfiance que vous éprouvez vis-à-vis de votre équipe de gestion de cas, la Commission a conclu que votre risque pourrait difficilement être géré sous toutes formes d’élargissement.

 

Monsieur Bouchard, la Section d’appel est convaincue que les décisions de la Commission sont raisonnables et appuyées par de l’information pertinente, adéquate et fiable. En effet, vous purgez une sentence à perpétuité pour un meurtre au premier degré, et l’addenda à l’Évaluation en vue d’une décision en date du 27 juin 2006, et l’Évaluation en vue d’une décision en date du 9 décembre 2005, indiquent clairement le peu de progrès que vous avez fait, et l’hostilité que vous éprouvez vis-à-vis le SCC. Compte tenu de la relation que vous entretenez avec les intervenants du SCC et du niveau de risque que vous présentez, il n’était pas déraisonnable pour les commissaires de conclure que vous ne seriez pas en mesure d’offrir une meilleure collaboration avec les intervenants du SCC en communauté. De plus, l’évaluation psychologique en date du 5 mai 2003 fait état de votre désorganisation et de vos comportements problématiques à cette époque. Finalement, la décision de la Cour Fédérale a bel et bien été discutée durant l’audience. Donc, contrairement aux arguments soulevés dans votre soumission d’appel, la Section d’appel conclut que la Commission avait suffisamment de renseignements crédibles, et amplement l’espace discrétionnaire pour rendre les décisions prises dans votre cas. De plus, nous sommes convaincus que les décisions de la Commission prises dans votre cas en juillet dernier, sont raisonnables et en conformité avec la Loi et les politiques de la CNLC. La Commission a rendu les décisions les moins restrictives compte tenu de la protection de la société.

 

Dossier du tribunal, onglet 1, pp. 3-4.

 

 


III. Questions en litige

 

[21]            Le demandeur, qui se représente lui-même, a soulevé de nombreuses questions sur lesquelles devraient porter la présente demande de contrôle judiciaire. Certaines d’entre elles ne peuvent cependant être considérées dans le cadre du présent recours, dans la mesure où elles n’ont pas été soumises à la Section d’appel et à la Commission. D’autres ont déjà été traitées dans le cadre d’autres procédures entreprises par le demandeur. Après avoir attentivement considéré les représentations écrites et orales de M. Bouchard, il m’est apparu que son argumentation au demeurant fort bien présentée s’articule autour des deux questions suivantes :

·           La Commission et la Section d’appel ont-elles errées dans leur analyse du risque que représente le demandeur?

·           Le maintien en détention du demandeur constitue-t-il un traitement cruel et inusité, au sens de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)?

 

IV. Les dispositions législatives pertinentes

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (1992, ch. 20) 

Principes

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

 

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

 

 

b) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

 

c) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l’échange de renseignements utiles au moment opportun avec les autres éléments du système de justice pénale d’une part, et par la communication de leurs directives d’orientation générale et programmes tant aux délinquants et aux victimes qu’au public, d’autre part;

 

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

 

e) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en oeuvre de ces directives;

 

f) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

 

Critères

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

 

 

 

 

Motifs de l’octroi

116. (1) La Commission peut autoriser le délinquant visé à l’alinéa 107(1)e) à sortir sans escorte lorsque, à son avis, les conditions suivantes sont remplies :

 

a) une récidive du délinquant pendant la sortie ne présentera pas un risque inacceptable pour la société;

 

b) elle l’estime souhaitable pour des raisons médicales, administratives, de compassion ou en vue d’un service à la collectivité, ou du perfectionnement personnel lié à la réadaptation du délinquant, ou pour lui permettre d’établir ou d’entretenir des rapports familiaux notamment en ce qui touche ses responsabilités parentales;

 

c) sa conduite pendant la détention ne justifie pas un refus;

 

 

d) un projet de sortie structuré a été établi.

 

Idem

(2) Le commissaire ou le directeur du pénitencier peut accorder une permission de sortir sans escorte à tout délinquant, autre qu’un délinquant visé à l’alinéa 107(1)e), lorsque, à son avis, ces mêmes conditions sont remplies.

Raisons médicales

 

 

 

(3) Les permissions de sortir sans escorte pour raisons médicales peuvent être accordées pour une période illimitée.

Services à la collectivité et perfectionnement personnel

 

(4) Les permissions de sortir sans escorte pour service à la collectivité ou pour perfectionnement personnel peuvent être accordées pour une période maximale de quinze jours au plus trois fois par an dans le cas des délinquants qui, en application d’une décision du Service font partie de la catégorie dite « à sécurité moyenne », et quatre fois par an dans le cas de ceux qui font partie de la catégorie dite « à sécurité minimale ».

Intervalle minimal

 

(5) L’intervalle minimal de détention entre les sorties visées au paragraphe (4) est de sept jours.

 

 

 

 

Exception

(6) Lorsque le délinquant suit un programme particulier de perfectionnement personnel, la permission de sortir peut toutefois être accordée pour une période maximale de soixante jours et renouvelée pour des périodes additionnelles d’au plus soixante jours.

Autres cas

 

(7) Pour des raisons autres que celles qui sont mentionnées aux paragraphes (3) ou (4), des permissions de sortir sans escorte peuvent être accordées pour une période maximale de quarante-huit heures par mois, dans le cas des délinquants qui font partie de la catégorie dite « à sécurité moyenne », et de soixante-douze heures par mois, s’ils font partie de celle dite « à sécurité minimale ».

 

Demandes de permission

(8) Les demandes de permission de sortir sans escorte se font selon les modalités réglementaires de temps et autres.

Temps de déplacement

 

 

(9) La durée de validité de la permission de sortir sans escorte ne comprend pas le temps qui peut être accordé pour les déplacements entre le lieu de détention et la destination du délinquant.

Annulation de la sortie

 

 

(10) L’autorité qui a accordé une permission de sortir sans escorte peut, soit avant, soit après la sortie du délinquant, l’annuler dans les cas suivants :

 

 

 

 

a) l’annulation paraît nécessaire et justifiée par suite de la violation d’une des conditions ou pour empêcher une telle violation;

 

 

b) les motifs de la décision d’accorder la permission ont changé ou n’existent plus;

 

 

c) on a procédé au réexamen du dossier à la lumière de renseignements qui ne pouvaient raisonnablement avoir été communiqués lors de l’octroi de la permission.

 

Droit d’appel

147. (1) Le délinquant visé par une décision de la Commission peut interjeter appel auprès de la Section d’appel pour l’un ou plusieurs des motifs suivants :

 

a) la Commission a violé un principe de justice fondamentale;

 

b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision;

 

c) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées;

 

d) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets;

 

e) elle a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou omis de l’exercer.

 

 

 

Décision du vice-président

(2) Le vice-président de la Section d’appel peut refuser d’entendre un appel sans qu’il y ait réexamen complet du dossier dans les cas suivants lorsque, à son avis :

 

 

a) l’appel est mal fondé et vexatoire;

 

b) le recours envisagé ou la décision demandée ne relève pas de la compétence de la Commission;

 

c) l’appel est fondé sur des renseignements ou sur un nouveau projet de libération conditionnelle ou d’office qui n’existaient pas au moment où la décision visée par l’appel a été rendue;

 

d) lors de la réception de l’avis d’appel par la Section d’appel, le délinquant a quatre-vingt-dix jours ou moins à purger.

 

 

 

Délais et modalités

(3) Les délais et les modalités d’appel sont fixés par règlement.

 

 

 

Décision

(4) Au terme de la révision, la Section d’appel peut rendre l’une des décisions suivantes :

 

a) confirmer la décision visée par l’appel;

 

b) confirmer la décision visée par l’appel, mais ordonner un réexamen du cas avant la date normalement prévue pour le prochain examen;

 

 

c) ordonner un réexamen du cas et ordonner que la décision reste en vigueur malgré la tenue du nouvel examen;

 

d) infirmer ou modifier la décision visée par l’appel.

 

Mise en liberté immédiate.

 

(5) Si sa décision entraîne la libération immédiate du délinquant, la Section d’appel doit être convaincue, à la fois, que :

 

 

a) la décision visée par l’appel ne pouvait raisonnablement être fondée en droit, en vertu d’une politique de la Commission ou sur les renseignements dont celle-ci disposait au moment de l’examen du cas;

 

b) le retard apporté à la libération du délinquant serait inéquitable.

Principles guiding parole boards

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;

 

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender;

 

(c) that parole boards enhance their effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system and through communication of their policies and programs to offenders, victims and the general public;

 

 

 

(d) that parole boards make the least restrictive determination consistent with the protection of society;

 

(e) that parole boards adopt and be guided by appropriate policies and that their members be provided with the training necessary to implement those policies; and

 

(f) that offenders be provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

 

 

 

Criteria for granting parole

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

 

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

 

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.

 

Conditions for authorization

116. (1) The Board may authorize the unescorted temporary absence of an offender referred to in paragraph 107(1)(e) where, in the opinion of the Board,

 

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society during the absence;

 

(b) it is desirable for the offender to be absent from penitentiary for medical, administrative, community service, family contact, personal development for rehabilitative purposes, or compassionate reasons, including parental responsibilities;

 

 

 

 

 

(c) the offender’s behaviour while under sentence does not preclude authorizing the absence; and

 

(d) a structured plan for the absence has been prepared.

 

Idem

(2) The Commissioner or the institutional head may authorize the unescorted temporary absence of an offender, other than an offender referred to in paragraph 107(1)(e), where, in the opinion of the Commissioner or the institutional head, as the case may be, the criteria set out in paragraphs (1)(a) to (d) are met.

Medical reasons

 

(3) An unescorted temporary absence for medical reasons may be authorized for an unlimited period.

Personal development or community service

 

 

(4) Subject to subsection (6), an unescorted temporary absence for reasons of community service or personal development may be authorized for a maximum of fifteen days, at the rate of not more than three times a year for an offender classified by the Service as a medium security offender and not more than four times a year for an offender classified as a minimum security offender.

Intervals

 

 

(5) An unescorted temporary absence authorized for reasons referred to in subsection (4) must be followed by a period of custody of at least seven days before the next such absence.

 

 

Exception

(6) An unescorted temporary absence for purposes of a specific personal development program may be authorized for a maximum of sixty days and may be renewed, for periods of up to sixty days each, for the purposes of the program.

Absences for other reasons

 

 

(7) Unescorted temporary absences for reasons other than those referred to in subsection (3) or (4) may be authorized for a maximum total of forty-eight hours per month for an offender classified by the Service as a medium security offender, and for a maximum total of seventy-two hours per month for an offender classified as a minimum security offender.

 

 

Regulations

(8) The circumstances and manner in which, and the time at which, an application for an unescorted temporary absence must be made shall be prescribed by the regulations.

Travel time

 

(9) In addition to the period authorized for the purposes of an unescorted temporary absence, an offender may be granted the time necessary to travel to and from the place where the absence is authorized to be spent.

Cancellation of absence

 

(10) The Board, the Commissioner or the institutional head, whichever authorized a particular unescorted temporary absence of an offender, may cancel that absence, either before or after its commencement,

 

(a) where the cancellation is considered necessary and reasonable to prevent a breach of a condition of the absence or where such a breach has occurred;

 

(b) where the grounds for granting the absence have changed or no longer exist; or

 

(c) after a review of the offender’s case based on information that could not reasonably have been provided when the absence was authorized.

 

Right of appeal

147. (1) An offender may appeal a decision of the Board to the Appeal Division on the ground that the Board, in making its decision,

 

(a) failed to observe a principle of fundamental justice;

 

(b) made an error of law;

 

 

 

(c) breached or failed to apply a policy adopted pursuant to subsection 151(2);

 

(d) based its decision on erroneous or incomplete information; or

 

(e) acted without jurisdiction or beyond its jurisdiction, or failed to exercise its jurisdiction.

 

 

Decision of Vice-Chairperson

(2) The Vice-Chairperson, Appeal Division, may refuse to hear an appeal, without causing a full review of the case to be undertaken, where, in the opinion of the Vice-Chairperson,

 

(a) the appeal is frivolous or vexatious;

 

(b) the relief sought is beyond the jurisdiction of the Board;

 

 

(c) the appeal is based on information or on a new parole or statutory release plan that was not before the Board when it rendered the decision appealed from; or

 

 

(d) at the time the notice of appeal is received by the Appeal Division, the offender has ninety days or less to serve before being released from imprisonment.

 

 

Time and manner of appeal

(3) The time within which and the manner in which a decision of the Board may be appealed shall be as prescribed by the regulations.

 

Decision on appeal

(4) The Appeal Division, on the completion of a review of a decision appealed from, may

 

(a) affirm the decision;

 

 

(b) affirm the decision but order a further review of the case by the Board on a date earlier than the date otherwise provided for the next review;

 

(c) order a new review of the case by the Board and order the continuation of the decision pending the review; or

 

(d) reverse, cancel or vary the decision.

 

Conditions of immediate release

(5) The Appeal Division shall not render a decision under subsection (4) that results in the immediate release of an offender from imprisonment unless it is satisfied that

 

(a) the decision appealed from cannot reasonably be supported in law, under the applicable policies of the Board, or on the basis of the information available to the Board in its review of the case; and

 

(b) a delay in releasing the offender from imprisonment would be unfair.

 

V. Analyse

            1) La norme de contrôle applicable

[22]           Le procureur des défendeurs a fait valoir lors de l’audition que la norme de contrôle applicable devait être celle de la décision manifestement déraisonnable. À l’appui de ses prétentions, il s’est fondé sur la décision de notre Cour dans Costiuc c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. n˚ 241 (QL) [Costiuc], tout en admettant que la jurisprudence subséquente est contradictoire et que la question de la norme de contrôle applicable demeure ouverte.

 

[23]           Dans l’arrêt Costiuc, Mme la juge Tremblay-Lamer a écrit :

[6] Le rôle de la section d’appel est de s’assurer que la CNLC s’est conformée à la Loi et à ses politiques, qu’elle a respecté les règles de justice fondamentale et que ses décisions sont basées sur des renseignements pertinents et fiables. Ce n’est que dans la mesure où ses conclusions sont manifestement déraisonnables que l’intervention de cette Cour est justifiée.

 

 

[24]           Suite à cette décision, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur le rôle particulier de la Section d’appel. Dans l’arrêt Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317, la Cour en est arrivée à la conclusion que la Section d’appel se situait à mi-chemin entre une cour d’appel et une cour de révision judiciaire. Voici comment elle s’est exprimée sur le sujet :

[6] La Section d’appel est une créature hybride. Elle entend l’ « appel » du délinquant et l’alinéa 147(4)d) lui permet d’infirmer ou de modifier la décision qu’a rendue la Commission à l’encontre de ce dernier. C’est là un pouvoir associé à un appel. Cependant, les motifs d’appel énumérés au paragraphe 147(1) sont essentiellement ceux associés au contrôle judiciaire et le paragraphe 147(4) emploie l’expression « au terme de la révision » (mon soulignement). Qui plus est, l’alinéa 147(5)a) vient réduire considérablement le pouvoir d’intervention de la Section d’appel, et du même coup renforcer considérablement le statut de la décision de la Commission, quand il exige de la Section d’appel qu’elle soit « convaincue », avant de rendre une décision « qui entraîne la libération immédiate du délinquant » […]

 

 

[25]           La Cour d’appel fédérale a par la suite conclu que le rôle de la Section d’appel consistait à s’assurer de la raisonnabilité de la décision de la Commission. Conséquemment, la Cour fédérale devra procéder à une analyse de la décision de la Commission afin de s’assurer de la légalité de celle de la Section d’appel :

[9] Si la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité lorsque la Section d’appel infirme la décision de la Commission, il me paraît improbable que le législateur ait voulu que la norme soit différente lorsque la Section d’appel confirme. Je crois que le législateur, encore que maladroitement, n’a fait que s’assurer à l’alinéa 147(5)a) que la Section d’appel soit en tout temps guidée par la norme de raisonnabilité.

 

[10] La situation inusitée dans laquelle se trouve la Section d’appel rend nécessaire une certaine prudence dans l’application des règles habituelles du droit administratif. Le juge est théoriquement saisi d’une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d’appel, mais lorsque celle-ci confirme la décision de la Commission, il est en réalité appelé à s’assurer, ultimement, de la légalité de cette dernière.

 

 

[26]           Que faut-il conclure de ces extraits? À première vue, on pourrait être porté à penser que cette Cour doit appliquer la même norme de contrôle que la Section d’appel, puisque dans les faits, la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est ultimement la décision de la Commission. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en sont venus la plupart des juges de cette Cour appelés à se prononcer sur cette question au cours des récentes années : voir, à titre d’illustrations, Ngo c. Canada (Procureur général), 2005 CF 49; Fournier c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1124; Aney c. Canada (Procureur général), 2005 CF 182; Tozzi c. Canada (Procureur général), 2007 CF 825.

 

[27]           Le défendeur, de son côté, a fait valoir que si l’on applique la même norme de contrôle en Cour fédérale pour les décisions de la Section d’appel que celle retenue pour le contrôle des décisions de la Commission par la Section d’appel, on se trouverait en quelque sorte à transformer le contrôle judiciaire devant cette Cour en un appel de novo déguisé. La Cour, selon cette logique, serait en quelque sorte appelée à substituer sa décision à celle de la Section d’appel.

 

[28]           Compte tenu des faits particuliers de la présente affaire, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de trancher cette question. Pour les motifs qui suivent, je suis en effet d’avis qu’il n’y a pas lieu pour cette Cour d’intervenir, tant à l’égard de la décision de la Commission qu’à l’égard de sa confirmation par la Section d’appel, et ce peu importe que l’on applique la norme du raisonnable ou du manifestement déraisonnable.

 

2) La Commission et la Section d’appel ont-elles erré dans leur analyse du risque que représentait le demandeur?

[29]           Deux facteurs doivent guider la Commission et la Section d’appel dans leur analyse de l’opportunité d’octroyer une libération à un détenu. La protection de la société est sans aucun doute un facteur primordial à considérer; le risque de récidive présenté par un détenu ne doit pas être inacceptable pour la société. La Commission et la Section d’appel doivent également retenir la solution qui sera la moins restrictive compte tenu du risque posé par un détenu. Comme la Loi est axée sur la protection du public, un détenu présentant un risque ne pouvant être convenablement géré en société se verra refuser la libération.

 

[30]           Le demandeur a un dossier disciplinaire exemplaire depuis le début des années ’90 et son cheminement carcéral témoigne de la bonne conduite dont il a fait preuve. C’est d’ailleurs ce qui a amené la Cour supérieure à devancer sa période d’admissibilité à la libération conditionnelle en 2002. Pourtant, malgré cette décision en sa faveur, la Commission a refusé par la suite d’accorder au demandeur toute forme de libération.

 

[31]           Tout indique que le comportement du demandeur a radicalement changé suite à cette décision de la Cour supérieure. Peut-être cette décision a-t-elle engendré chez M. Bouchard une fausse expectative de libération imminente, et s’est-il par conséquent senti frustré lorsqu’il a constaté qu’il y avait d’autres étapes à franchir avant de pouvoir recouvrer sa liberté. Toujours est-il que son niveau de coopération avec les divers intervenants du milieu carcéral s’est rapidement détérioré, ce qui augmentait d’autant son risque de récidive une fois relâché aux yeux de la Commission.

 

[32]           Peu importe les raisons qui ont pu provoquer le changement de comportement du demandeur, j’estime que la Commission et, à sa suite, la Section d’appel, étaient justifiées de lui refuser une libération au vu de la preuve qui était au dossier. Il n’était certes pas déraisonnable de penser que son manque de coopération en milieu carcéral augmentait son risque de récidive et rendait difficile une gestion efficace du risque qu’il présente pour la société.

 

[33]           Que nous révèlent précisément les différentes évaluations dont a fait l’objet M. Bouchard au cours des récentes années? Dans un premier temps, une évaluation psychologique complétée le 23 septembre 2005 a conclu à la difficulté de gérer une libération conditionnelle totale ou même une semi-liberté du demandeur au regard de sa faible collaboration et de son risque statique de récidive élevé. Le psychologue se disait toutefois en faveur d’une reprise des sorties avec escorte, dans un premier temps, et sans escorte éventuellement, si le demandeur faisait preuve d’un bon comportement.

 

[34]           Puis, le 11 novembre 2005, son équipe de gestion de cas effectuait un nouveau Suivi du plan correctionnel. Malgré son conformisme et son absence de comportement violent, on y mentionne qu’aucun objectif d’intervention ne pourrait être formulé tant que le demandeur persisterait dans son attitude de fermeture. On explique dans ce suivi que le demandeur refusait alors de s’impliquer dans son plan correctionnel et n’avait effectué aucun cheminement depuis sa dernière évaluation. L’équipe de gestion de cas en a donc conclu qu’une libération conditionnelle totale du demandeur serait irréaliste, tout comme une semi-liberté et un programme de sortie sans escorte. On recommandait plutôt à M. Bouchard d’accepter une réintégration progressive, débutant par le programme de sortie avec escorte, ce qu’il continuait de refuser à ce moment.

 

[35]           Le 7 décembre 2005, une Évaluation en vue d’une décision recommandait de rejeter les demandes de libération conditionnelle, de semi-liberté et de sorties sans escorte du demandeur. Le risque de récidive du demandeur était considéré comme inacceptable étant donné son risque statique élevé, sa difficulté à respecter ses périodes d’élargissement, son refus de participer aux programmes, son attitude rigide et la négation de son délit. On se disait d’avis que le demandeur présentait un risque de récidive violente de modéré à élevé, qui ne pouvait être géré de façon acceptable en société. Malgré une cote de sécurité faible, le Service correctionnel a évalué que trois détenus sur cinq dans la situation du demandeur commettront un acte criminel suite à leur libération; on ajoutait même que dans la situation actuelle, le risque de récidive présenté par le demandeur était plus probable que ne le reflète cette cote. L’Évaluation recommandait donc à M. Bouchard de s’impliquer dans un programme sur la maîtrise de la colère et des émotions et/ou un suivi psychologique, de développer son introspection, d’assouplir son mode de pensée et de se responsabiliser face à son délit qu’il continuait de nier.

 

[36]           L’Évaluation en vue d’une décision complétée le 22 juin 2006 ne dénotait aucune amélioration chez le demandeur depuis la dernière évaluation. On y fait notamment état de sa persistance dans son attitude d’opposition et de son manque de collaboration avec son équipe de gestion de cas. On ajoute que sa rigidité d’esprit rend difficiles ses relations avec les divers intervenants du Service correctionnel.

 

[37]           Compte tenu de cette preuve, je ne crois pas que la décision de la Commission et de la Section d’appel peuvent être qualifiées de déraisonnable. Il est bien établi que la date d’admissibilité à la libération conditionnelle n’emporte pas une libération automatique. Il appartient à la Commission d’évaluer le risque présenté par une libération, en regard de l’objectif primordial de protection prévu par la Loi. La Cour n’a pas pour mandat de substituer sa décision à celle de la Commission, et en l’absence d’une analyse déraisonnable eu égard à la preuve au dossier, l’intervention de cette Cour n’est pas souhaitable. Comme l’écrivait le juge Evans (dissident mais pas sur ce point) dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Coscia, 2005 CAF 132 :

[44] Aucun détenu n'a le droit à la libération conditionnelle. La Commission a toute « compétence et latitude » pour accorder une libération conditionnelle : Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (LSCMLC), alinéa 107(1)a).

 

[45] Cette attribution exceptionnellement large de pouvoir témoigne de la reconnaissance par le législateur des responsabilités extrêmement importantes et délicates de la Commission, tout comme la restriction imposée par la loi à la compétence de la Section d'appel d'infirmer une décision pour une erreur de droit (voir Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317, 2002 CAF 384, aux paragraphes 6 à 10). En particulier, la Commission est chargée d'arriver à un règlement des cas le moins restrictif possible compte tenu de sa plus importante responsabilité, soit la protection de la société contre les crimes, et de manière à assurer la clarté et l'équité du processus : voir la LSCMLC, article 101.

 

[46] La Cour doit faire preuve d'une grande prudence en contrôlant l'exercice par la Commission de son large pouvoir discrétionnaire, de crainte de mettre en péril la capacité de la Commission de s'acquitter du mandat que lui confie la loi. Ainsi, les motifs de la Commission ne doivent pas être soumis à un examen excessivement approfondi. En raison de son expertise, l'évaluation qu'elle fait du risque de récidive posé par un requérant commande la plus grande déférence : Migneault c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 245, aux paragraphes 14 et 19, confirmé par 2003 CAF 287. On ne doit pas non plus dissuader la Commission de poser des questions pertinentes aux fins d'évaluation du risque.

 

[47] Ainsi, la Cour ne doit intervenir que si le requérant dont la libération conditionnelle a été refusée démontre clairement que la Commission a manqué à son devoir d'agir équitablement ou que sa décision était erronée en droit, fondée sur une conclusion de fait non appuyée par la preuve soumise, ou encore manifestement déraisonnable.

 

 

[38]           Compte tenu de ces principes, je suis d’avis que la Section d’appel était justifiée de confirmer la décision de la Commission.

 

[39]           Je ne peux non plus acquiescer aux prétentions du demandeur selon lesquelles la Commission aurait omis de tenir compte du jugement de la Cour fédérale rendue en 2006. Tel que mentionné précédemment, la juge Gauthier avait alors accueilli la demande de contrôle judiciaire du demandeur concernant la contestation de son isolement, de la hausse de sa cote de sécurité ainsi que de son transfert dans un établissement à sécurité moyenne. Cette décision ne concernait pas une décision de la Commission de refuser une libération, mais bien un grief à l’encontre du Service correctionnel. Je peux donc difficilement considérer que la Commission a omis de tenir compte de ce jugement de la Cour fédérale, dans lequel ma collègue précisait explicitement ne pas avoir le pouvoir d’ordonner quoi que ce soit à la Commission.

 

3) Le maintien en incarcération du demandeur constitue-t-il un traitement cruel et inusité au sens de l’article 12 de la Charte?

[40]           Le demandeur allègue que le fait de prolonger son incarcération constitue une peine cruelle et inusitée contrevenant à la Charte. Il s’appuie sur l’arrêt Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385 [Steele], dans lequel la Cour suprême a considéré les trois critères applicables à ce moment-là pour déterminer si l’incarcération constituait une violation de l’article 12 de la Charte. L’alinéa 16(1)(a) de la Loi sur la libération conditionnelle, L.R.C. (1985), c. P-2, prévoyait que la Commission pouvait octroyer une libération conditionnelle à un détenu si elle estimait que les conditions suivantes étaient réunies : l’effet maximal de l’emprisonnement a été atteint par le détenu, la libération conditionnelle facilitera son amendement et sa réadaptation, et sa mise en liberté ne constitue pas un risque trop grand pour la société.

 

[41]           Après avoir réitéré qu’une peine de durée indéterminée n’est pas en soi contraire à la Charte, la Cour précisait qu’elle pouvait néanmoins le devenir lorsqu’elle n’est pas adaptée à la situation de chaque détenu. Voici d’ailleurs ce qu’elle écrivait à ce propos :

[67] Ce n’est que par l’observation et l’application soigneuses de ces critères qu’il est possible d’adapter la peine d’une durée indéterminée à la situation de chaque délinquant. Le faire permet d’assurer que les dispositions relatives à la détermination de la peine des délinquants dangereux ne violent pas l’art. 12 de la Charte. S’il ressort clairement de la lecture du dossier que la Commission a mal appliqué ces critères ou n’en a pas tenu compte pendant un certain nombre d’années de sorte qu’un délinquant est resté en prison bien au-delà du moment où il aurait dû obtenir sa libération conditionnelle, alors la décision de la Commission de garder le délinquant en prison peut fort bien violer l’art. 12. À mon avis, c’est le cas en l’espèce.

 

 

[42]           La Commission doit donc procéder à une analyse des critères législatifs et avoir un motif raisonnable pour refuser la libération conditionnelle. Si elle a effectué une mauvaise application de ces critères, ou encore refusé d’effectuer l’analyse requise, la décision de la Commission peut constituer une violation de l’article 12 de la Charte justifiant l’intervention de la Cour.

 

[43]           Les critères dont devait tenir compte la Commission à l’époque où l’arrêt Steele a été rendu ont depuis été modifiés (Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20). L’article 101 de la loi actuelle prévoit que le critère déterminant est dorénavant la protection de la société. Ce même article prévoit que le règlement des cas doit être le moins restrictif possible compte tenu de la protection de la société. En l’occurrence, j’estime que la Commission a tenu compte des critères prévus par la Loi pour refuser la libération conditionnelle du demandeur.

 

[44]           Il convient de mentionner que dans l’arrêt Steele, la Cour suprême a également souligné que « dans le cours normal des choses, les experts qui participent aux examens menés par la Commission des libérations conditionnelles et à ses décisions sont les mieux placés pour déterminer si la mise en liberté d’un détenu présente un trop grand risque pour la société » (par. 71).

 

[45]           Je suis bien conscient du fait que la présente décision laisse sans réponse la question de savoir si le régime législatif actuel lui-même est conforme à l’article 12 de la Charte, peu importe l’application qui en est faite. Cette question n’ayant cependant pas vraiment fait l’objet de représentations dans le cadre du présent dossier, je m’abstiendrai d’en traiter. Il est de loin préférable qu’une question de cette nature soit traitée dans le contexte d’un dossier où elle aura été explicitement débattue par les deux parties, sur la base d’un fondement factuel suffisant.

 

[46]           En conclusion, je ne vois aucun motif permettant à cette Cour d’intervenir et d’écarter la décision rendue par la Section d’appel. Ceci étant dit, force m’est de constater que M. Bouchard se trouve présentement dans un cul-de-sac. La frustration qu’il ressent depuis la décision rendue par la Cour supérieure du Québec en 2002 devançant son admissibilité à une libération conditionnelle, et le désespoir dans lequel il semble avoir sombré suite à ses tentatives infructueuses d’obtenir une telle libération, ont entraîné une certaine régression et une attitude de fermeture de sa part qui ne peuvent que nuire à ses chances d’obtenir un élargissement. La Cour ne peut que déplorer ce cercle vicieux dans lequel se trouve M. Bouchard, et souhaiter qu’il adopte une attitude plus positive seule susceptible de démontrer sa bonne foi et de dénouer l’impasse dans laquelle il se trouve, pour ainsi pouvoir reprendre le cours normal d’une vie trop longtemps mise entre parenthèses.

 

[47]           La demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur est donc rejetée, sans frais.

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, sans frais.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-802-07

 

INTITULÉ :                                       Jean-Claude Bouchard

                                                            c.

                                                            CNLC et al.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               14 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR :                     Juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      25 février 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Jean-Claude Bouchard

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Éric Lafrenière

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Non-représenté

 

POUR LEDEMANDEUR

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

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