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Date : 20080221

Dossier : IMM-5785-06

Référence : 2008 CF 235

Ottawa (Ontario), le 21 février 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

demandeur

et

 

KEMEL MENA NARVAEZ; ILEANA AGLAE

 CASTILLO DE MENA; SAHAFADI EMIR MENA CASTILLO;

DELFINA SALEH MENA CASTILLO;

KEMEL ADALIO MENA CASTILLO

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 29 septembre 2006. Dans sa décision, la Commission a conclu que M. Kemel Mena Narvaez (le défendeur principal), son épouse, Ileana Aglae Castillo de Mena, et ses enfants, Sahafadi Emir Mena Castillo, Delfina Saleh Mena Castillo et Kemel Adalio Mena Castillo (les défendeurs), avaient qualité de personnes à protéger, mais non de réfugiés au sens de la Convention, et a accueilli leurs demandes.

 

[2]               Les défendeurs sont des citoyens du Mexique. Le défendeur principal a eu des activités dans le domaine du commerce du bétail. En 1985, il s’est associé à M. Diaz. Selon le récit de son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), le défendeur principal aurait commencé à avoir des problèmes avec les membres de la famille Diaz. Il aurait notamment subi une agression dans son bureau. Un des employés du défendeur principal aurait été agressé au même moment. L’incident a été rapporté dans un journal local.

 

[3]               Le défendeur principal et sa famille ont subi d’autres formes de harcèlement, y compris des appels reçus par l’épouse du défendeur principal. On a menacé la sécurité de leur fille et un de leurs fils a fait l’objet d’une tentative d’enlèvement. De plus, la famille Diaz leur aurait réclamé de l’argent.

 

[4]               Le défendeur principal a attribué tous ces événements à la famille Diaz. Il a fourni des détails à cet égard dans le récit de son FRP et les a réitérés le premier jour de l’audition de sa demande. L’audience a été tenue le 29 avril 2005 et l’affaire a été ajournée et a repris le 29 mai 2006.

 

[5]               Entre-temps, le demandeur a avisé la Commission par avis d’intention de participation, daté du 9 janvier 2000, que conformément à l’alinéa 170e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), il avait l’intention de participer à l’audience relative à la demande des défendeurs, et d’y produire des éléments de preuve, d’interroger les défendeurs et de présenter des observations.

 

[6]               Selon l’avis d’intention de participation, le demandeur voulait participer à l’audience puisqu’il avait reçu des renseignements selon lesquels le défendeur principal était recherché au Mexique pour des accusations de fraude relativement à un chèque émis le 20 novembre 2003 à l’ordre d’un certain Angel Abel Rodriguez Novelo pour l’achat de bétail. Le chèque avait été rejeté le 5 décembre 2003, puisqu’il y avait insuffisance de provisions dans le compte du payeur. Le demandeur a soutenu dans l’avis d’intention que le défendeur principal était interdit de territoire suivant l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, au motif qu’il y avait des raisons sérieuses de penser qu’il avait commis un crime grave de droit commun.

 

[7]               Le 5 mars 2004, M. Novelo a présenté une requête en vue de porter des accusations contre le défendeur principal. Le 16 août 2004, le Service des poursuites pénales a accusé le défendeur principal de fraude. Le 26 août 2004, un mandat d’arrêt a été lancé contre le défendeur principal.

 

[8]               À la reprise de l’audience, lorsqu’il a été interrogé au nom du demandeur concernant les accusations en instance, le défendeur principal a affirmé qu’il avait appris l’existence des accusations en instance et du mandat d’arrestation en mai 2004, quand son avocat au Mexique l’en avait informé. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas fait mention de ces renseignements à l’audience antérieure devant la Commission, le défendeur principal a témoigné qu’il n’avait aucun document attestant la vérité des accusations et du mandat d’arrestation, et qu’il ne lui était pas venu à l’esprit d’obtenir une lettre de son avocat au Mexique.

[9]               La Commission a jugé que les défendeurs étaient crédibles et que les accusations avaient été « fabriquées de toutes pièces » et qu’elles étaient « fausses ». Elle a conclu que les défendeurs avaient qualité de personnes à protéger et qu’ils ne pouvaient se prévaloir de la protection de l’État, puisque les agents de persécution étaient les membres de la « puissante » famille Diaz. La Commission a aussi conclu que le défendeur principal ne pouvait être interdit de territoire au motif qu’il avait commis un crime grave de droit commun, puisque les accusations avaient été fabriquées.

[10]           Le demandeur a contesté la décision de la Commission au motif qu’elle avait omis de traiter du fait que le défendeur principal n’avait pas divulgué l’existence des accusations en instance et du mandat d’arrestation. Ces renseignements n’avaient été indiqués ni dans son FRP, ni dans son témoignage lors de la première audience devant la Commission, ni à aucun moment avant que le demandeur donne son avis d’intention de participer à l’audience sur la demande d’asile.

[11]           La première question dont il faut traiter est la norme de contrôle applicable, compte tenu de l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Quatre facteurs doivent être pris en compte : la présence ou l’absence d’une clause privative, l’expertise du tribunal, l’objet de la loi et la nature de la question posée.

 

[12]           Il n’y a aucune clause privative dans la Loi. Il n’y a aucun droit absolu d’interjeter appel, mais il peut y avoir contrôle judiciaire si une autorisation est accordée. Par conséquent, le premier facteur est neutre.

 

[13]           La Commission est un tribunal spécialisé, ce qui appelle à la retenue.

 

[14]           L’objet général de la Loi est de réglementer l’admission des immigrants au Canada et de garantir la sécurité des Canadiens. Cela implique l’examen de nombreux intérêts qui pourraient entrer en conflit. Les décisions prises dans un contexte polycentrique appellent généralement à la retenue judiciaire. Enfin, il faut tenir compte de la nature de la question. En l’espèce, la décision porte sur la conclusion de la Commission selon laquelle le témoignage du défendeur principal était crédible. Les conclusions relatives à la crédibilité sont « essentiellement de nature factuelle »; voir l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 38.

 

[15]           Après avoir soupesé les quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle, je conclus que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[16]           Le demandeur se fonde sur la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, à l’appui de son argument selon lequel la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant de tenir compte d’éléments de preuve substantiels relativement à une question clé qui contredisait ses conclusions.

 

[17]           En l’espèce, la Commission a conclu que les accusations de fraude avaient été « fabriquées de toutes pièces » et qu’elles étaient « fausses », puisqu’elle a conclu que le défendeur principal était crédible. À mon avis, la Commission a commis une erreur en tirant cette conclusion relative à la crédibilité puisqu’en ce faisant, elle a apparemment omis de tenir compte des éléments de preuve relatifs à l’existence des accusations en instance et du mandat d’arrestation, et du fait que le défendeur principal n’avait pas divulgué ces éléments de preuve à la première occasion. Ces éléments de preuve, s’ils avaient été pris en compte par la Commission, auraient peut-être eu une incidence sur ses conclusions relatives à la crédibilité. Comme l’a souligné la Cour dans la décision Cepeda‑Gutierrez, plus la preuve dont la Commission omet de tenir compte est importante, plus la Cour sera disposée à inférer que la Commission a pris sa décision sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[18]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Il n’y a aucune question aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a aucune question aux fins de certification.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.


COUR FÉDÉRALE

                                                                

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-5785-06

 

INTITULÉ :                                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                    ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                    c.

                                                                                    KEMEL MENA NARVAEZ ET AL.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

                                                           

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 14 NOVEMBRE 2007

                                                           

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 21 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Kristina Dragaitis

 

    POUR LE DEMANDEUR

 

Mordechai Wasserman

 

       POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

   POUR LE DEMANDEUR

 

Mordechai Wasserman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

     POUR LES DÉFENDEURS

 

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