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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20080220

Dossier : IMM-1175-07

Référence : 2008 CF 221

Ottawa (Ontario), le 20 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ORVILLE FRENETTE

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

 

et

 

NORMAN J. CHAMPAGNE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application de l’article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) en date du 28 février 2007, par laquelle la SAI a annulé le refus de délivrer un visa de résident permanent à l’épouse du défendeur. L’agent des visas, à Singapour, avait estimé que le mariage du défendeur n’était pas authentique aux fins de la LIPR, et ce, selon ce que prévoit l’article 4 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

 

[2]               Le défendeur n’a pas déposé de dossier de demande et il n’a pas comparu à la date prévue de l’audience, à Toronto, le 17 janvier 2008. L’avocate du demandeur a insisté pour que l’audience suive son cours.

 

I. Les faits

[3]               M. Champagne, âgé de 44 ans, réside à Cornwall, en Ontario, où il reçoit depuis 2004 une pension d’invalidité de l’Ontario. Il est improbable qu’il soit jamais en mesure de retourner au travail, car il souffre de sérieux ennuis de santé, dont l’épilepsie, l’hépatite et les séquelles d’un triple pontage par opération à cœur ouvert en septembre 2005, outre l’extraction d’une tumeur cérébrale. Il doit subir une chirurgie qui réparera le dommage causé lorsqu’une veine fut enlevée durant la chirurgie du cœur. Avant de recevoir des prestations d’invalidité, M. Champagne travaillait dans la construction et dans une fabrique de Cornwall. Il est propriétaire de sa maison, sur laquelle il ne doit rien, et il a des moyens financiers raisonnables.

 

[4]               De 1975 à 1985, M. Champagne a travaillé comme bénévole en aidant des familles vietnamiennes à s’établir à Cornwall et il s’est fait des amis dans cette communauté. Il en est venu aussi à s’intéresser à l’Asie du Sud-Est et il a appris à parler un peu le vietnamien. Deux de ses amis de cette époque sont les oncles de son épouse, My Tran Le. En 1999, alors qu’elle avait 18 ans, les oncles ont décidé que le temps était venu pour eux de lui présenter M. Champagne, et c’est ce qu’ils firent, profitant d’une visite de trois semaines de M. Champagne au Vietnam. Celui‑ci a eu une crise d’épilepsie alors qu’il se trouvait au Vietnam.

 

[5]               Après son retour au Canada, M. Champagne et Mme Le ont continué de communiquer via l’Internet et parfois par téléphone. Trois ans plus tard, en 2002, M. Champagne a demandé Mme Le en mariage. Mme Le a accepté en décembre de cette année-là, après en avoir parlé avec ses parents. M. Champagne est retourné au Vietnam en mars 2003, et le couple s’est marié le 7 avril 2003. Ils ont voyagé brièvement après s’être mariés et, au bout de deux semaines, le 28 avril 2003, M. Champagne est revenu au Canada. Ils ont continué de communiquer, par Internet, par téléphone et parfois par lettre.

 

[6]               M. Champagne a parrainé Mme Le, qui vivait au Vietnam, à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Sa demande de parrainage fut refusée en avril 2004. Il a fait appel de cette décision devant la SAI, et c’est contre la décision de la SAI que le ministre a introduit la présente procédure de contrôle judiciaire. Entre le refus initial de la demande de son épouse et l’audition de l’appel, M. Champagne a subi l’opération à cœur ouvert.

 

[7]               La visite prévue de M. Champagne à son épouse durant l’hiver 2005–2006 fut rendue impossible en raison de l’opération qu’il avait subie, et de sa période de convalescence. Il a passé un mois auprès d’elle et de sa famille entre les deux audiences de la SAI, durant l’été 2006. Le couple a continué de communiquer régulièrement, et M. Champagne continue de lui envoyer environ 50 $ par mois.

 

II. La décision de l’agent des visas

[8]               La demande de délivrance d’un visa de résident permanent pour l’épouse du demandeur a été refusée parce que l’agent des visas a estimé que le mariage n’était pas authentique et qu’il avait été contracté principalement dans le dessein d’obtenir un statut ou un privilège aux termes de la LIPR.

 

[9]               Les motifs de l’agent peuvent être résumés ainsi :

A.                 Les faits mis au jour durant l’entrevue n’ont pas révélé l’existence d’une relation authentique entre les parties.

B.                 Les renseignements concernant l’historique et la nature de la relation étaient contradictoires.

C.                 Les parties n’ont pas démontré l’existence d’une communication constante et effective.

D.                 Les circonstances de leur relation ne s’accordaient pas avec les normes et attentes de leurs cultures.

E.                  La différence d’âge entre les parties était importante.

F.                  Tout laissait voir qu’il existait au départ des facteurs d’attirance vers le Canada, à cause des autres proches de Mme Le qui sont déjà ici et qui sont le principal point de contact entre le demandeur et son épouse.

 

III. La décision de la SAI du 28 février 2007

[10]           La SAI a conclu que le mariage était authentique et qu’il n’avait pas été contracté principalement dans le dessein d’acquérir un statut au Canada.

 

[11]           La SAI a entendu par téléconférence les témoignages de M. Champagne, de l’oncle de Mme Le, Huu Ha Duc, ainsi que de Mme Le elle-même. Selon la SAI, un large éventail de facteurs devaient être pris en compte pour évaluer l’authenticité du mariage.

 

[12]           Les motifs de la décision de la SAI commencent par l’affirmation suivante :

Le tribunal était d’avis qu’il s’agissait d’un cas difficile à trancher. D’une part, l’appelant semblait de très bonne foi, et le tribunal a conclu qu’il était sincère et crédible. D’autre part, la déposition de la demandeure, à son entrevue avec l’agent des visas et au cours de son témoignage par téléconférence à l’audition de l’appel, posait problème. L’appelant lui‑même a admis que certaines de ses réponses ne correspondaient pas aux siennes, et il ne pouvait pas expliquer pourquoi elle avait déclaré certaines choses. Par exemple, elle a mentionné qu’ils n’ont pas parlé au téléphone jusqu’à ce qu’ils soient mariés; l’appelant a indiqué qu’ils avaient parlé au téléphone entre leur première rencontre en 1999 et leur mariage en 2003. À son entrevue et à l’audition de l’appel, elle a dit qu’il vit à Toronto. L’appelant a fait remarquer qu’elle lui a écrit des lettres pendant des années à Cornwall et qu’elle sait manifestement où il vit. Il y avait un certain nombre de questions non réglées et contradictoires dans le témoignage de la demandeure qui pourraient jeter un doute sur l’authenticité de la relation et les intentions de la demandeure concernant l’immigration au Canada.

 

 

[13]           La SAI a alors conclu qu’elle ne pouvait pas ignorer que la relation durait depuis sept ans et le mariage depuis environ quatre ans.

 

[14]           Cette affirmation est très trompeuse parce que, selon la preuve, la relation avait eu pour origine les oncles de Mme Le, qui en 1999 avaient décidé que leur nièce était assez âgée, à 18 ans, pour commencer cette relation.

 

[15]           La durée de la relation ne doit pas non plus faire illusion parce que, en réalité, le défendeur n’a passé qu’une seule semaine avec son épouse et l’oncle de celle-ci. À partir de là, ils ont continué de communiquer et ont parlé mariage à la fin de 2002, et, en décembre 2002, ils ont décidé de se marier.

 

[16]           Le défendeur s’est rendu au Vietnam en mars 2003, il s’est marié le 7 avril 2003 et il a passé environ deux semaines avec son épouse avant de revenir au Canada le 28 avril 2003. Il est retourné au Vietnam du 13 juillet 2006 au 13 août 2006.

 

IV. Les questions non réglées et contradictoires

[17]           La SAI a commencé ses motifs par l’affirmation suivante : « Il y avait un certain nombre de questions non réglées et contradictoires dans le témoignage de la demandeure qui pourraient jeter un doute sur l’authenticité de la relation et sur les intentions de la demandeure concernant l’immigration au Canada ».

 

[18]           Quelques-unes des divergences et contradictions présentes dans la preuve étaient les suivantes :

A.                 L’agent des visas avait affirmé que Mme Le n’était pas en mesure de communiquer avec lui parce qu’elle avait de la difficulté à parler l’anglais;

B.                 Les différences d’âge et de culture. Mme Le était âgée de 18 ans, le défendeur de 43 ans;

C.                 Les parties ont été présentées l’une à l’autre par l’oncle de Mme Le. Quand les oncles ont décidé que, à 18 ans, Mme Le était assez âgée pour commencer cette relation, ils ont organisé leur rencontre;

D.                 Les appels téléphoniques du défendeur à Mme Le étaient faits chez l’oncle de Mme Le, celui-ci traduisant la conversation parce que Mme Le ne pouvait pas communiquer en anglais;

E.                  Le défendeur a affirmé qu’ils avaient communiqué chaque jour ou chaque semaine après le mariage. Mme Le a affirmé qu’ils avaient communiqué une fois par mois;

F.                  En 2003, ils ont passé une semaine ensemble, puis le défendeur s’est rendu seul en Thaïlande avant de revenir au Canada le 28 avril 2003;

G.                 Mme Le a affirmé à l’agent qu’elle croyait que le défendeur habitait à Toronto, alors qu’il habite à Cornwall;

H.                 Mme Le ne savait rien de l’opération chirurgicale subie par le défendeur en 2005, or ils étaient mariés depuis 2003.

 

V. La question en litige

[19]           La SAI a-t-elle commis une erreur dans sa décision?

 

VI. La norme de contrôle

[20]           La norme de contrôle d’une décision portant sur l’authenticité d’un mariage aux fins de l’article 4 du Règlement est la norme de la décision manifestement déraisonnable : Donkor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1089.

 

VII. L’analyse

[21]           Dans la décision Donkor, mon collègue le juge Richard G. Mosley écrivait que, pour que l’article 4 du Règlement soit applicable, deux conditions doivent être remplies : le mariage n’est pas authentique, et il vise principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la LIPR. Par commodité, je reproduis ici la disposition pertinente :

4. Pour l'application du présent règlement, l'étranger n'est pas considéré comme étant l'époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l'enfant adoptif d'une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l'adoption n'est pas authentique et vise principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège aux termes de la Loi.

4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

 

[22]           La SAI a exposé correctement ce critère et elle a à juste titre concentré son attention sur l’intention de Mme Le d’établir sa résidence permanente au Canada, puisque c’est elle qui souhaitait acquérir un statut aux termes de la LIPR. La SAI a alors étudié la preuve qu’elle avait devant elle et a décidé que le mariage était authentique et que le visa de résident permanent devrait être accordé.

 

[23]           Selon le ministre, la SAI s’est fondée, pour arriver à sa décision, sur le fait que M. Champagne était persuadé de la validité de son mariage, plutôt que sur la preuve objective de l’intention de Mme Le, et elle s’est donc fourvoyée. Le ministre affirme également que les nombreuses divergences que comportent les témoignages du couple montrent que non seulement la conclusion de la SAI n’est pas appuyée par la preuve, mais également qu’elle ne peut l’être. Le ministre soutient que l’agent des visas a eu raison de pointer du doigt la différence d’âge entre le défendeur et son épouse, ainsi que l’incompatibilité du mariage avec les normes, les traditions et les attentes propres à la culture de Mme Le. Le ministre avait affirmé, durant l’audience de la SAI, que ce mariage est simplement un moyen pour Mme Le d’immigrer au Canada pour rejoindre les membres de sa famille qui y résident déjà.

 

[24]           Une procédure de contrôle judiciaire a pour objet, comme le sait évidemment le ministre, sinon le défendeur ici autoreprésenté, de dire si une erreur a été commise et qu’elle justifie le renvoi de l’affaire à une autre formation de la SAI. Vu la norme de contrôle qui est applicable, c’est‑à‑dire celle de la décision manifestement déraisonnable, je dois, pour pouvoir infirmer la décision de la SAI, conclure que c’est une décision abusive ou arbitraire ou une décision prise au mépris de la preuve que la SAI avait devant elle.

 

[25]           Les circonstances de la présente affaire montrent d’une manière convaincante que le mariage entre la Vietnamienne âgée de 18 ans et le Canadien âgé de 43 ans a été organisé et arrangé par les oncles de l’épouse, dans l’intention évidente de l’aider à immigrer au Canada.

 

[26]           Mme Le ne pouvait pas communiquer avec l’agent en anglais et, même si le défendeur semble avoir aujourd’hui une certaine connaissance de la langue vietnamienne, il est difficile de croire qu’ils aient pu communiquer, si éloignés l’un de l’autre, comme ils le prétendent.

 

[27]           Par ailleurs, les nombreuses contradictions et incohérences qui existent entre les récits que les parties font des événements jettent un sérieux doute sur leur crédibilité et la vraisemblance de leurs explications.

 

[28]           La SAI n’avait aucune raison valide de modifier la décision de l’agent des visas, laquelle était manifestement fondée sur les circonstances avérées de la présente affaire.

 

[29]           La décision de la SAI datée du 28 février 2007 est donc une décision fondée sur une conclusion abusive et arbitraire et elle ne saurait être maintenue, après interprétation raisonnable de la preuve. Elle est donc manifestement déraisonnable et doit être annulée.

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR FAIT DROIT à la demande de contrôle judiciaire. Aucune question ne sera certifiée.

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1175-07

 

INTITULÉ :                                                   MCI

                                                                        c.

                                                                        NORMAN J. CHAMPAGNE

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 20 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DEMANDEUR

Aucune comparution

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims,

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Autoreprésenté

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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