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Date : 20080220

Dossier : T-1185-07

Référence : 2008 CF 218

Ottawa (Ontario), le 20 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ORVILLE FRENETTE

 

ENTRE :

M. DIANNE TELFER

demanderesse

et

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Madame Telfer a déposé une demande fondée sur des pertes fiscales pour les années d’imposition 1996 et 1997, des pertes reportées aux années d’imposition 1993 à 1995 et des pertes reportées aux années d’imposition 1998 à 1999. Elle a fait l’objet de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1993, 1994 et 1996, par avis daté du 29 juin 2000. Le 31 juillet 2000, elle a déposé des avis d’opposition relativement aux nouvelles cotisations pour ces années d’imposition auprès du ministre du Revenu national (le ministre). 

 

[2]               La demanderesse a également fait l’objet de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1997, 1998 et 1999, par avis daté du 26 mars 2001, et elle a déposé des avis d’opposition relativement à ces nouvelles cotisations le 19 mai 2001.

 

[3]               Dans les deux cas, la défenderesse, l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) a accusé réception des avis d’opposition par lettre indiquant que les intérêts continueraient de courir sur le solde impayé en cause.

 

[4]               L’Agence a décidé de tenir en suspens les avis d’opposition de la demanderesse, étant donné que la question qui y était soulevée était substantiellement semblable à celle formulée dans l’affaire Brown, qui était alors devant la Cour de l’impôt. L’Agence a informé Mme Telfer de cette décision par lettre datée du 15 janvier 2002. Dans cette lettre, l’Agence a encore une fois informé Mme Telfer que les intérêts continueraient de courir sur le solde impayé et que l’Agence payerait les intérêts sur le montant établi dans le cas où ses oppositions seraient finalement acceptées.

 

[5]               En 2004, à la suite de la décision rendue par la Cour de l’impôt dans l’affaire semblable, l’Agence a présenté une offre de règlement pour les années d’imposition 1996 et 1997, laquelle a été acceptée par Mme Telfer. Selon l’offre de règlement, la demanderesse devait fournir une renonciation au droit d’appel, ce qu’elle a fait le 9 décembre 2004. Conformément aux modalités du règlement, le ministre a confirmé les nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1993 et 1994 et, le 21 mars 2005, il a établi à l’égard de Mme Telfer de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1996,1997, 1998 et 1999.

[6]               Le 22 septembre 2006, Mme Telfer a présenté une demande d’allègement des intérêts (de 10 467 $) relativement à son obligation fiscale en invoquant le retard accusé par le ministère et les difficultés financières qu’elle éprouvait. La lettre de l’Agence qui confirmait réception de cette demande précisait une fois de plus que les intérêts continueraient de courir sur le solde impayé et que la désignation d’un agent dans le dossier de la demanderesse pourrait prendre quelques mois. Le Ministre a refusé la demande par lettre datée du 19 février 2007. La demanderesse a alors présenté une demande d’examen administratif de la décision du 19 février, demande qui a été refusée par lettre datée du 23 mai 2007. Le présent contrôle judiciaire porte sur le refus de l’agente des appels, chargée de l’examen administratif, d’accueillir la demande.

 

I. Questions en litige                 

A.        Le retard à procéder au traitement des avis d’opposition déposés par la demanderesse devrait-il constituer un motif d’allègement au titre des dispositions en matière d’équité de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C.1985 (5suppl.), ch. 1 (la Loi de l’impôt sur le revenu)?

B.         À quel moment le délai de prescription applicable à la demande d’allègement commence-t-il à courir?

 

II. Analyse

[7]               Le ministre a le pouvoir discrétionnaire de renoncer aux pénalités et aux intérêts en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui est ainsi libellé :

Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

 

The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

 

[8]               Ce pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts est assujetti à la norme de la décision raisonnable simpliciter : Succession Dort c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), 2005 CF 1201, [2005] A.C.F. no 1460 [la décision Dort]; Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 153, [2005] A.C.F. no 714 [l’arrêt Lanno]; Kreklewich c. Canada (l’Agence du revenu du Canada), 2007 CF 892, [2007] A.C.F. no 1153 [la décision Kreklewich].

 

A.         Le retard à procéder au traitement des avis d’opposition déposés par la demanderesse devrait-il constituer un motif d’allègement au titre des dispositions en matière d’équité de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5suppl.), ch. 1?

[9]               La demanderesse soutient qu’il n’y a aucune raison de ne pas considérer les retards dans les procédures judiciaires comme un motif d’allègement au titre des dispositions en matière d’équité. Elle cite la décision Cole c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1445, [2005] A.C.F. n1764 [la décision Cole], et la décision Dort, à l’appui de sa prétention. 

 

[10]           La défenderesse réplique que la présente affaire se distingue des affaires précitées, puisque Mme Telfer n’était pas une partie à l’affaire ayant causé le retard, et qu’elle a été informée à plusieurs reprises que les intérêts continueraient de courir sur sa dette fiscale pendant la durée de la suspension.

 

[11]           Les lignes directrices ministérielles qui énoncent les facteurs à prendre en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de renoncer aux pénalités et aux intérêts prévu au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu figurent dans la Circulaire d’information 07-1 – Dispositions d’allègement pour les contribuables. Les situations dans lesquelles un allègement est justifié sont indiquées aux paragraphes 23 à 27. Le paragraphe 25 prévoit des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, telles qu’une catastrophe naturelle ou une maladie grave. Voir Succession de Gary McLeod c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), 2007 CF 1111, [2007] A.C.F. no 1443 [la décision McLeod].

 

[12]           Le paragraphe 26 de la Circulaire d’information énumère les situations dans lesquelles les pénalités et les intérêts attribuables à l’Agence peuvent faire l’objet d’une renonciation, notamment :

a) des retards de traitement, qui ont fait en sorte que le contribuable n'a pas été informé d'une somme en souffrance dans un délai raisonnable;

[…]

e) des renseignements fournis en retard, comme dans le cas où un contribuable n'a pas pu faire les paiements appropriés d'acomptes provisionnels ou d'arriérés, parce que les renseignements nécessaires n'étaient pas disponibles;

f) des retards indus pour régler une opposition ou un appel, ou la réalisation d'une vérification.

 

[13]           Bien qu’elles ne lient pas le ministre ou l’Agence, de telles lignes directrices sont utiles pour évaluer le caractère raisonnable de la décision : Jim's Pizza (1980) Ltd. c. Canada (Agence du revenu), 2007 CF 782, [2007] A.C.F. no 1052.

 

[14]           Dans sa décision, l’agente des appels a indiqué que l’Agence n’avait accusé aucun retard; que Mme Telfer avait accepté que ses avis d’opposition soient tenus en suspens en attendant l’issue de l’autre affaire devant la Cour de l’impôt; et que la demanderesse avait été informée à trois occasions distinctes que les intérêts continueraient de courir sur son solde impayé. L’agente a donc conclu que Mme Telfer n’avait pas droit à une annulation des intérêts en raison d’un retard. Une demande distincte fondée sur des difficultés financières a été déférée au comité de l’équité en matière de perception de Toronto-Nord.

 

[15]           Mme Telfer ne nie pas avoir été informée que les intérêts continueraient de courir sur son solde d’impôt impayé. Elle fait tout simplement valoir que le retard à procéder au traitement de ses avis d’opposition relativement aux nouvelles cotisations, dans l’attente de l’issue d’une autre affaire devant la Cour de l’impôt, devrait constituer un motif suffisant pour conclure que la décision de l’agente était déraisonnable.

 

[16]           Selon la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter, il convient essentiellement de se demander si la décision discrétionnaire peut s’appuyer sur la preuve. La décision ne devrait pas être modifiée sauf si elle a été prise de mauvaise foi, est contraire à la loi ou a tenu compte de faits non pertinents.

 

[17]           Cependant, une telle décision portant sur l’interprétation des conséquences d’un retard indu et des intérêts courus en matière d’impôt sur le revenu a été considérée comme présentant des motifs suffisants pour justifier son annulation dans les décisions Dort et McLeod.

 

[18]           Dans la décision Cole, qui portait sur un retard de dix ans, le juge Michael L. Phelan a écrit au paragraphe 20 :

Il n’y a aucune raison pour laquelle des retards dans les procédures judiciaires, en fonction des circonstances, ne pourraient être considérés comme un motif d’exemption. En outre, ni la loi ni la politique du ministre ne prévoient que seules les situations dépendantes de la volonté du ministère ou de l’Agence doivent être prises en considération.

 

 

Voir également l’arrêt Lanno.

 

           

[19]           Je souscris au raisonnement du juge Phelan, mais j’ajouterais que la décision pourrait être valablement contestée si le retard découlait de la procédure, et constituait un risque prévisible sur lequel pouvait se fonder la partie, voir la décision Kreklewich.

[20]           En l’espèce, le retard a été causé par la suspension de la demande dans l’attente de l’issue de l’affaire Brown, qui était devant la Cour de l’impôt et qui présentait des similitudes avec la présente affaire.

 

[21]           Cette suspension ou ce retard résulte de la suggestion du ministre, et bien que la demanderesse l’ait accepté, est-il juste qu’elle soit tenue de payer tous les intérêts accumulés durant cette période? Je crois que non.

 

[22]           Dans la décision Dort, le juge Sean J. Harrington a accueilli la demande de contrôle en faveur de la succession du contribuable au motif que la cotisation avait fait l’objet d’un appel à la Cour de l’impôt et à la Cour d’appel fédérale. Le juge Harrington a écrit au paragraphe 17 : « […] le principe des attentes légitimes fait partie de l'équité procédurale […] »

 

[23]           Dans la décision Cole, le long retard a été causé par l’appel interjeté par le contribuable et par la conduite imputée au juge. Pour ces motifs, la Cour a accueillie la demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre de refuser d’accorder un allègement d’intérêts.

 

[24]           Dans la présente affaire, il me semble que même si la demanderesse a été informée par le ministre que les intérêts continueraient de courir pendant la période d’attente de l’issue de l’affaire Brown, il n’est pas équitable d’imposer le paiement de tous les intérêts à la demanderesse, qui n’était pas partie à l’instance devant la Cour de l’impôt. Par conséquent, je crois qu’il n’est que juste que la demanderesse paie seulement la moitié des intérêts qui ont couru pendant la période d’attente causée par l’affaire Brown.

 

 

B.         À quel moment le délai de prescription applicable à la demande d’allègement commence-t-il à courir?

[25]           La demanderesse soutient également que sa demande d’allègement d’intérêts devrait être évaluée compte tenu de la date du dépôt des avis d’opposition, de manière à ramener les premières années pour lesquelles elle a demandé un allègement dans le délai de prescription de dix ans prévu au paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

[26]           Cependant, je souscris à l’argument de la défenderesse selon lequel le délai de prescription prévu au paragraphe 220(3.1) a expressément été établi pour restreindre à la période de dix années civiles suivant la fin de l’année d’imposition pertinente le pouvoir discrétionnaire du ministre de renoncer aux intérêts et aux pénalités ou de les annuler. La Loi empêche donc l’Agence de décider de renoncer aux intérêts ou aux pénalités ou de les annuler pour les années d’imposition antérieures à cette période. 

 

[27]           Je souligne également que la demande présentée par la demanderesse pour qu’il soit ordonné à la défenderesse de prendre une décision pour les années d’imposition 1993 et 1994 est sans fondement, étant donné que l’avis d’opposition concernant ces années d’imposition a été réglé par une confirmation des nouvelles cotisations pertinentes. D’après la défenderesse, un avis de cette confirmation a été envoyé à la demanderesse le 21 mars 2005, quoique je n’aie pas reçu copies de cet avis.

 

[28]           Par conséquent, pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à une autre personne autorisée par le ministre que celle qui a rendu la décision contestée pour qu’elle procède à une révision limitée à la question des retards invoqués. Les dépens sont adjugés en faveur de la demanderesse.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                T-1185-07

 

INTITULÉ :                                                               M. DIANNE TELFER

                                                                                    c.

                                                            L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 29 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE SUPPLÉANT FRENETTE

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 20 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Miles O’Reilly

 

POUR LA DEMANDERESSE

Andrea Jackett

 

        POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Miles D. O’Reilly

Avocat

100, rue Richmond Ouest, pièce 424

Toronto (Ontario)  M5H 3K6

 

         POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

       POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                                   

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