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Date : 20080219

Dossier : T-294-07

Référence : 2008 CF 212

Ottawa (Ontario), le 19 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

DANIEL O’LEARY

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le procureur général du Canada à l’égard d’une décision qu’un arbitre a rendue en vertu de l’article 29 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (la LRTFP). Cet arbitrage avait trait à un grief déposé par le défendeur, Daniel O'Leary, à la suite de la décision prise par son employeur, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministère), de le rétrograder. L’arbitre s’est prononcé en faveur de M. O’Leary, ordonnant qu’il soit réintégré à son ancien poste. L’ordonnance de réintégration était soumise à l’exigence additionnelle que M. O’Leary soit indemnisé de la totalité des gains et des avantages perdus et que cette indemnisation soit maintenue jusqu’à ce que le ministère lui fasse une nouvelle offre d’emploi, et ce, à un niveau équivalent et à un endroit autre qu’un poste isolé.

 

[2]               Le demandeur ne conteste pas la décision de l’arbitre selon laquelle la rétrogradation de M. O’Leary était injustifiée ou qu’il devait être réintégré dans son ancien poste à Iqaluit. Il conteste plutôt le pouvoir qu’a l’arbitre d’imposer au ministère une ordonnance d’indemnisation d’une durée indéterminée à laquelle il serait possible de satisfaire, en lieu et place, par une offre de nouvelle nomination à un endroit différent. Le demandeur affirme que cette ordonnance a l’effet illégal d’ordonner que M. O’Leary soit nommé à un nouveau poste.

 

I.                   L’historique

[3]               Le 11 août 2003, M. O’Leary est entré au service du ministère à titre de conseiller en ressources humaines, à Iqaluit. En partie à cause des problèmes de santé associés à la déficience visuelle dont il souffrait déjà, M. O’Leary a eu de la difficulté à répondre aux attentes du ministère. Le 1er juin 2004, il a demandé un congé non payé afin de pouvoir retourner dans le sud pour que l’on puisse prendre soin de son état de santé qui se détériorait. Cette demande a été refusée pour des motifs censément [traduction] « opérationnels ».

 

[4]               Le 10 juin 2004, M. O’Leary a été rétrogradé, apparemment pour des questions de rendement. Il a déposé un grief contre cette décision le 28 juin 2004. Par la suite, son état de santé a continué de se détériorer et, en décembre 2004, Santé Canada a confirmé qu’il était médicalement inapte à travailler à Iqaluit ou à n’importe quel autre poste isolé. À ce moment, M. O’Leary était retourné dans le sud pour recevoir des soins médicaux. Même s’il était médicalement apte à travailler dans le sud, le ministère ne lui a rien offert. M. O’Leary a tout de même trouvé du travail à temps partiel dans un entrepôt et comme gardien de sécurité mais, en général, il a été sans travail entre le mois de juin 2004 et la date de l’arbitrage de son grief en mars 2006.

 

[5]               L’arbitre a conclu que la décision de rétrogradation était injustifiée et il a sévèrement critiqué la façon dont le ministère avait traité M. O’Leary. Les derniers motifs pour lesquels l’arbitre a fait droit au grief sont les suivants :

[316]    Comme je l'ai indiqué au début des motifs de ma décision, il doit exister une séquence d'événements pour que l'employeur établisse que le rendement d'une personne est insatisfaisant au point de justifier une rétrogradation. Je suis d'avis que l'employeur n'a pas démontré que son évaluation de M. O'Leary était raisonnable. Bien que l'employeur, au moyen des preuves présentées, ait établi des motifs pour illustrer que le fonctionnaire s'estimant lésé avait de graves difficultés à atteindre le niveau de rendement auquel Mme Hodder s'attendait de lui, ce niveau de rendement était quelque peu excessif compte tenu de l'expérience du fonctionnaire s'estimant lésé. L'employeur n'a que lui-même à blâmer d'avoir recruté le fonctionnaire s'estimant lésé. Je suis également d'avis que l'employeur n'a pas donné une formation suffisante au fonctionnaire s'estimant lésé pour l'aider à surmonter ses difficultés. La formation et l'aide étaient déficientes à plus d'un égard. Le plan d'action ne proposait pas de véritables moyens de rectifier les problèmes, une formation additionnelle a été refusée jusqu'à ce qu'il y ait remise en ordre des dossiers et rattrapage de l'arriéré, et outre les deux jours passés avec M. Millican, aucune formation en cours d'emploi n'a été dispensée. De plus, l'employeur n'est pas parvenu à établir de manière explicite que le fonctionnaire s'estimant lésé a continué à éprouver les mêmes problèmes. La preuve documentaire des problèmes présentée par l'employeur à l'appui de sa décision de rétrograder avait trait à des problèmes survenus peu après l'entrée en fonction du fonctionnaire s'estimant lésé. À un moment donné, l'avocat de l'employeur a fait valoir que l'on n'aurait pas dû s'attendre à ce que Mme Hodder apporte les 50 dossiers auxquels a travaillé le fonctionnaire s'estimant lésé. Peut-être est-ce vrai de façon générale, mais il appartient néanmoins à l'employeur de présenter les dossiers à l'appui de son argumentation. Le fait que l'employeur a permis au fonctionnaire s'estimant lésé de travailler à un si grand nombre de dossiers montre plutôt qu'il faisait quelque chose de bien.

 

[317]    Par conséquent, je conclus que la rétrogradation était déraisonnable dans les circonstances et que M. O'Leary devrait être réintégré dans son poste de groupe et de niveau PE-02.

 

[318]    M. O'Leary est devenu tellement malade qu'il a quitté Iqaluit pour prendre un congé de maladie avant que sa rétrogradation ne prenne effet. Au mois de décembre suivant, il a été jugé inapte à travailler dans un poste isolé. L'employeur n'a pas offert au fonctionnaire s'estimant lésé aucun autre poste que celui de AS-01 à Iqaluit. Par conséquent, outre les deux semaines au cours desquelles il a travaillé comme agent de sécurité, le fonctionnaire s'estimant lésé est demeuré sans emploi depuis le dépôt de son grief. Il semble que la responsabilité au sein du MAINC de trouver un autre emploi incombe à la région d'Iqaluit du MAINC, qui a peu à offrir mis à part des emplois dans des postes isolés. Cette situation m'apparaît épouvantable; l'obligation de composer avec un employé qui a une incapacité en raison d'un trouble médical s'étend à l'ensemble de l'employeur et n'est pas limitée à une région d'un ministère. 

 

[319]    Dans ces circonstances, je crois qu'il est nécessaire, pour remettre M. O'Leary dans son état antérieur, que l'employeur lui verse les gains perdus à titre de PE-02 jusqu'à ce qu'il soit nommé de nouveau à un poste de PE-02 dans la fonction publique.

 

[320]    Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

 

Ordonnance

 

[321]    Que le fonctionnaire s'estimant lésé soit réintégré dans le poste PE-02 qu'il occupait avant sa rétrogradation.

 

[322]    Qu'il soit indemnisé de tous les gains et avantages perdus depuis qu'il a quitté Iqaluit pour prendre un congé de maladie moins ce qu'il a gagné au cours de cette même période, et que cette indemnisation soit maintenue jusqu'à ce que l'employeur lui fasse une offre d'emploi à son groupe et niveau d'attache PE-02, en un endroit autre qu'un poste isolé. 

 

II.        La question en litige

[6]               L’arbitre a-t-il commis une erreur de droit ou outrepassé sa compétence en ordonnant au ministère d’indemniser M. O’Leary jusqu’à ce qu’on lui fasse une offre d’emploi, au niveau PE‑02 en un endroit autre qu’un poste isolé?

 

III.       L’Analyse

[7]               Pour les besoins de l’analyse, je suis disposé à souscrire à l’argument du demandeur selon lequel la norme de contrôle qui s’applique à l’étendue du pouvoir de réparation de l’arbitre est celle de la décision correcte. Cependant, pour évaluer si l’ordonnance de l’arbitre était logiquement liée au manquement du ministère, la norme de contrôle est à tout le moins celle de la décision raisonnable simpliciter : Via Rail Canada Inc. c. Cairns et al., 2004 CAF 194, 241 D.L.R. (4th) 700. Au vu des conclusions que j’expose ci-après, il est toutefois inutile de procéder à une analyse fonctionnelle et pragmatique car je ne discerne aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de l’arbitre.

 

[8]               Les vastes paramètres du pouvoir de réparation dont dispose un arbitre en vertu de l’article 92 de la LRTFP sont bien définis dans la jurisprudence. En l’espèce, la question litigieuse est la mesure dans laquelle l’arbitre pouvait façonner une réparation qui, au dire du demandeur, équivalait à toutes fins pratiques à une ordonnance de nomination. Selon le demandeur, cette ordonnance a accompli indirectement ce que l’arbitre ne pouvait pas faire directement, c’est-à-dire effectuer une nomination, contrairement à ce qui est prescrit à l’article 29 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003 ch. 22, à savoir que les nomination à la fonction publique sont faites exclusivement par la Commission de la fonction publique.

 

[9]               Le pouvoir de réparation d’un arbitre est défini de manière très générale au paragraphe 97(4) de la LRTFP qui est ainsi libellé[1] :

97. (4) L'employeur prend toute mesure que lui impose une décision rendue à l'arbitrage sur un grief.

 

97. (4) Where a decision on any grievance referred to adjudication requires any action by or on the part of the employer, the employer shall take that action.

 

 

[10]           Aux termes du paragraphe 96(1) de la LRTFP, un arbitre se voit également accorder tous les pouvoirs de la Commission. Selon l’article 21 de la LRTFP, la Commission est tenue d’exercer les pouvoirs expressément conférés ou qu’implique la réalisation des objets de la loi, notamment en prenant des ordonnances qui exigent l’observation de cette loi.

 

[11]           Ce généreux octroi d’un pouvoir de réparation reflète clairement l’intention du législateur de permettre aux arbitres de concevoir des réparations efficaces, qui s’appliquent expressément à chaque affaire. C’est ce qu’a souligné le juge Brian Dickson (plus tard juge en chef) dans le passage suivant de l’arrêt Heustis c. Nouveau-Brunswick (Commission d’énergie électrique), [1979] 2 R.C.S. 768, 98 D.L.R. (3d) 622, dans le passage suivant :

Une très bonne raison de principe explique l’hésitation judiciaire à contrôler les arbitres dans l’exercice de leurs pouvoirs. Le but de l’arbitrage des griefs en vertu de la Loi est d’assurer un règlement rapide, définitif et exécutoire des différends résultant de l’interprétation et de l’application d’une convention collective ou d’une mesure disciplinaire imposée par l’employeur, le tout dans le but de maintenir la paix.

 

Prenons le présent cas. L’appelant s’est mal conduit. Un arbitre saisi de la question a considéré qu’une sanction disciplinaire s’imposait mais qu’une suspension suffisait. Si l’exercice du pouvoir d’arbitre ne permet pas de corriger la situation en ajustant la sanction à l’infraction, la sentence arbitrale se réduit alors à une décision presque dénuée de sens. Ou le grief est accueilli, dans quel cas l’appelant ne sera pas puni, un résultat qui semble injuste dans les circonstances, ou l’appelant est congédié, un résultat qui, selon l’arbitre, compte tenu des circonstances atténuantes qu’il a retenues, est injuste à l’égard de l’employé. Dans l’un et l’autre cas, le but de la procédure d’arbitrage aux fins de l’application de la convention collective ne sera pas atteint. Les relations entre l’employeur et le syndicat seront encore plus tendues. Pour que cette procédure ait un sens, le droit de modifier la sévérité de la mesure disciplinaire par l’imposition d’une peine moindre doit certainement être inhérent à l’exercice du pouvoir d’arbitre : voir Re Polymer Corporation and Oil, Chemical, and Atomic Workers International Union, Local 16-14 [(1959), 10 L.A.C. 51; (1961), 26 D.L.R. (2d) 609 (C.A Ont.); (1961), 28 D.L.R. (2d) 81 (C.A. Ont.); [1962] R.C.S. 338 (Répertorié sous Imbleau c. Laskin).

 

À ce sujet, dans l’arrêt Newfoundland Association of Public Employees c. Procureur général de Terre-Neuve [[1978] 1 R.C.S. 524], le juge en chef Laskin (le juge Ritchie ayant souscrit à ses motifs) s’est prononcé sur les pouvoirs des arbitres. Deux extraits semblent particulièrement pertinents en l’espèce (aux pp. 529 et 530) :

 

Le procureur de l’intimé a d’abord prétendu qu’un conseil d’arbitrage, et en particulier celui-ci, ne pouvait remettre en cause la sanction du renvoi dès lors qu’il existait quelque juste cause de sanction disciplinaire, mais il a fait marche arrière lorsqu’il a réalisé que si un conseil ne pouvait faire autre chose qu’approuver ou annuler un renvoi, cela pouvait jouer sérieusement au détriment de l’employeur puisque, s’il l’annulait, les employés renvoyés devraient être rétablis dans leurs fonctions, qu’ils auraient droit en conséquence à la rémunération perdue (peut-être pour une longue période) et que toute faute de leur part serait demeurée impunie. Il a également concédé qu’il n’était pas possible qu’un employeur qui aurait quelque raison d’imposer une sanction disciplinaire à un employé pour une infraction mineure – disons, des retards en une ou deux occasions – puisse décider de le renvoyer et défendre cette sanction contre toute ingérence d’un conseil d’arbitrage habilité à décider s’il y avait une juste cause de congédiement.

 

Cause et sanction sont intimement mêlées, spécialement dans les affaires de renvoi. J’estime que l’on ne doit pas donner aux conseils d’arbitrage, en tant que tribunaux privés des parties, moins de latitude que n’en donne la jurisprudence aux tribunaux administratifs statutaires, si l’on veut qu’ils exercent leurs pouvoirs de façon à réaliser leurs objectifs. Pour une cour, cela revient au même de dire que la sanction substituée par un conseil excède les pouvoirs de celui-ci ou de remettre en cause une décision de maintenir ou d’annuler la sanction imposée sans plus.

 

Comme j’ai cherché à le démontrer, la convention collective à l’étude et surtout les dispositions législatives applicables relatives à l’arbitrage, se distinguent nettement de celles à l’étude dans l’arrêt Port Arthur Shipbuilding. En l’absence de quelque disposition de la convention et de la Loi interdisant expressément l’exercice de pouvoirs réparateurs par l’arbitre, je suis d’avis qu’un arbitre agissant en vertu de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics du Nouveau-Brunswick a le pouvoir de remplacer un congédiement par une sanction moindre lorsqu’il conclut qu’une cause juste et suffisante justifie une mesure disciplinaire mais non un congédiement.

[Non souligné dans l’original.]

 

[12]           La reconnaissance du fait qu’il ne convient pas d’empêcher indûment les commissions et les arbitres de concevoir des réparations appropriées a été exprimée de façon similaire par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369, 133 D.L.R. (4th) 129 :

58        À mon avis, la réparation est une question qui relève directement de la compétence spécialisée des conseils des relations du travail. Peut-être plus que toutes les autres fonctions, la recherche de la réparation convenable fait appel aux connaissances spécialisées et à la vaste expérience de ces conseils. Aucun autre organisme n'a les compétences et l'expérience requises en relations du travail pour trouver une solution juste et pratique qui permette aux parties de régler définitivement leur différend. Les ordonnances réparatrices représentent une partie importante des attributions du Conseil. Le paragraphe 99(2) du Code canadien du travail reconnaît l'importance de ce rôle et, par conséquent, laisse au Conseil une grande liberté d'action et un large pouvoir discrétionnaire pour concevoir la réparation « juste » qu'il estime la mieux à même de résoudre le problème et de régler le conflit. En édictant que le Conseil peut formuler des réparations justes, le législateur a indiqué clairement qu'il lui a confié des pouvoirs étendus en matière de réparation. De plus, une clause privative de large portée contenue dans le par. 22(1) dispose que, non seulement les décisions du Conseil, mais aussi ses ordonnances, sont définitives. Cette disposition nous permet d'affirmer que les cours de justice doivent déférer aux ordonnances réparatrices du Conseil qui relèvent de sa compétence. C'est donc dire que les cours de justice ne doivent pas modifier les réparations ordonnées par le Conseil, sauf si elles sont manifestement déraisonnables.

 

[13]           Je souscris à l’argument du demandeur selon lequel l’arbitre n’avait pas compétence pour accorder une nouvelle nomination à M. O’Leary. C’est ce qui a été clairement décidé dans la décision Marinos c. Canada (Conseil du Trésor), (1998) 157 F.T.R. 70, 85 A.C.W.S. (3d) 582, et il s’agit d’une limite de compétence que l’arbitre semble avoir relevée. Par contre, la Cour d’appel fédérale a décrété, dans une autre affaire au moins, qu’un arbitre nommé en vertu de la LRTFP peut, au moment de trancher un grief, donner à l’employeur des instructions en application du paragraphe 97(4) de la LRTFP. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Tourigny, (1989) 97 F.T.R. 147, 15 A.C.W.S (3d) 335 (C.A.F.), la Cour a confirmé l’ordonnance d’un arbitre qui réintégrait un employé à son ancien poste, mais en précisant qu’il était possible d’exécuter cette ordonnance au moyen d’une nomination nouvelle et différente. Cette décision a par la suite été appliquée par la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans la décision Fontaine-Ellis et Conseil du Trésor (Santé Canada), [1998] C.P.S.S.R.B. no 3, où l’employeur s’est vu imposer un choix semblable : réintégrer l’employé ou le nommer à un nouveau poste.

 

[14]           Le seul aspect de la sentence arbitrale rendue en faveur de M. O’Leary qui diffère des sentences qui ont été rendues dans les décisions susmentionnées est l’exigence que le ministère continue de rémunérer M. O’Leary même si ce dernier était incapable de réintégrer son ancien poste. Il s’agissait toutefois là d’une obligation de nature purement pécuniaire qui relevait incontestablement du pouvoir de l’arbitre. En l’absence d’une limite prévue par la loi, je ne crois pas que cette combinaison d’indemnisation pécuniaire et d’instruction facultative au ministère de trouver un nouveau poste à M. O’Leary outrepassait le pouvoir de l’arbitre.

 

[15]           Après tout, l’arbitre était confronté à un dilemme. La réparation habituelle que constitue la réintégration n’avait en l’espèce aucune valeur véritable car M. O’Leary ne pouvait pas travailler dans un poste isolé. Le seul endroit où il pouvait travailler était dans le sud, mais l’arbitre n’avait pas compétence pour ordonner au ministère de le nommer à un nouveau poste. L’arbitre avait toutefois le pouvoir d’offrir au ministère un choix entre le déploiement et la nomination, et il a eu recours à ce pouvoir de pair avec l’obligation d’accorder un salaire et des avantages permanents.

 

[16]           Le demandeur se plaint que l’ordonnance de l’arbitre était astreignante, et elle l’était certainement. L’arbitre s’est servi de l’obligation financière permanente comme moyen d’inciter le ministère à trouver un nouveau poste à M. O’Leary. Il était évident aux yeux de l’arbitre qu’en l’absence d’un tel levier le ministère continuerait vraisemblablement de ne rien faire et que M. O’Leary demeurerait sans travail. L’arbitre était à juste titre troublé par le mauvais traitement que le ministère avait fait subir à M. O’Leary et par le fait que l’inconduite du ministère avait contribué aux problèmes de santé ayant empêché la réintégration de M. O’Leary à Iqaluit. Dans de telles circonstances, une ordonnance limitée au paiement des gains et des avantages antérieurs n’aurait pas donné le résultat souhaité, lequel consistait à garantir le retour de M. O’Leary à une occupation rémunératrice au sein de la fonction publique.

 

[17]           L’ordonnance de l’arbitre représentait un lourd fardeau, mais il s’agissait quand même d’une réponse modérée à, a-t-il conclu, la conduite « épouvantable » du ministère. Il n’a pas été ordonné à ce dernier de nommer M. O’Leary à un nouveau poste, même si l’ordonnance de l’arbitre l’incitait fortement à le faire. L’arbitre a conçu une réparation originale qui était appropriée et bien adaptée à la situation singulière dans laquelle se trouvait M. O’Leary : une ordonnance qui, après tout, n’était pécuniairement exigeante qu’au point où le ministère le voulait.

 

[18]           Je conclus que l’arbitre n’a pas outrepassé son pouvoir en rendant son ordonnance. Les deux aspects de cette dernière, tels que formulés, représentaient l’exercice d’un pouvoir relevant de sa compétence et, dans ces circonstances, l’ordonnance était raisonnable et équitable. Il s’agissait d’une réparation qui était logiquement liée au résultat souhaité, lequel consistait à réintégrer M. O’Leary dans un emploi en dépit d’un employeur intransigeant. Le seul autre choix offert représenterait le genre de « décision presque dénuée de sens » dont s’inquiétait la Cour dans l’arrêt Heustis, précité.

 

[19]           Le demandeur se plaint aussi de la référence que fait l’arbitre à l’obligation qu’a le ministère de prendre des mesures d’accommodement à l’endroit de M. O’Leary. L’arbitre, soutient-il, a outrepassé son pouvoir pour s’aventurer dans le domaine du droit en matière de droits de la personne et, ce faisant, il a omis de procéder à l’analyse juridique nécessaire.

 

[20]           Il me semble toutefois que la référence faite par l’arbitre à des mesures d’accommodement était une simple observation d’un fait évident, et que cela ne faisait pas partie de son ordonnance. L’arbitre a dit seulement que, en dépit du fait qu’il était entendu, sur le plan médical, que M. O’Leary ne pouvait pas travailler en un lieu isolé, le ministère n’avait rien fait pour lui trouver un poste dans le sud, à un niveau correspondant même à sa rétrogradation. L’arbitre a conclu avec raison que l’explication donnée par le ministère pour ne pas avoir cherché une affectation dans le sud était inacceptable, et c’est précisément pour cette raison-là qu’il a conçu une réparation qui inciterait le ministère à s’acquitter de son obligation légale envers M. O’Leary.

 

[21]           Le demandeur prétend également que l’arbitre a commis une erreur en ordonnant que le ministère trouve à M. O’Leary un nouvel emploi dans la fonction publique, soit au sein soit à l’extérieur du ministère. Je n’ai pas besoin de décider si cette ordonnance est admissible ou non parce que je ne souscris pas à l’opinion que l’arbitre allait aussi loin dans son ordonnance. Lorsqu’on la lit dans son contexte intégral, l’ordonnance n’oblige pas le ministère à chercher un poste pour M. O’Leary à n’importe quel endroit dans la fonction publique. Elle lui prescrit plutôt de faire une recherche interne, mais sans se restreindre aux limites administratives de son bureau d’Iqaluit.

 

[22]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur, selon la colonne III.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens en faveur du défendeur, selon la colonne III.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                       T-294-07

 

INTITULÉ :                                                      PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                           c.

                                                                           DANIEL O’LEARY

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 14 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 19 FÉVRIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karl Chemsi

Tél. : 613-952-3394

Fax : 613-954-5806

 

POUR LE DEMANDEUR

Dougald E. Brown

Tél. : 613-231-8210

Fax : 613-788-3661

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

 

POUR LE DEMANDEUR

Nelligan O’Brien Payne, LLP

Avocats

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1]               Ce pouvoir est quelque peu limité par le paragraphe 96(2), qui interdit à un arbitre de rendre une décision qui obligerait à modifier une convention collective ou une sentence arbitrale.

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