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Date : 20080218

Dossier : T‑1042‑07

Référence : 2008 CF 199

Ottawa (Ontario), le 18 février 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

 

THOMAS OLLEVIER

 

demandeur

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Le demandeur est un scientifique de la défense à Recherche et développement pour la défense Canada (RDDC). Il dirige le groupe technique des contre‑mesures électroniques par bande radar.

 

[2]        En octobre 2005, RDDC a envoyé à ses divers établissements de recherche une lettre d’appel qui lançait l’exercice d’examen du rendement de ses employés.

 

[3]        M. Ollevier y a réagi en sollicitant une promotion du niveau DS‑4 au niveau DS‑5.

 

[4]        En avril 2006, le Comité de gestion des ressources humaines de RDDC (le jury de sélection) a évalué tous les candidats en quête d’une promotion au niveau DS‑5.

 

[5]        Dans le cadre du processus de promotion, chacun des candidats fut évalué en fonction de son mérite individuel par rapport aux Lignes directrices sur la promotion et l’accroissement du traitement des DS, c’est‑à‑dire la partie IV du Régime de rémunération du groupe des services scientifiques de la défense (les Lignes directrices du régime de rémunération des DS). Les Lignes directrices du régime de rémunération des DS énoncent, justification à l’appui, les sept caractéristiques employées pour l’évaluation des candidats à une promotion, à chaque niveau de la catégorie DS. Les sept caractéristiques sont les suivantes : connaissances et expérience; entregent et communication; créativité; productivité; impact; reconnaissance; enfin responsabilités. Pour chacune des caractéristiques, il y a un ou plusieurs indicateurs de rendement. Ce régime est un modèle d’avancement professionnel, dans lequel chaque candidat à une promotion est évalué par rapport à des normes établies de compétence, et non par rapport à la compétence d’autres candidats.

 

[6]        Le jury de sélection n’a pas retenu M. Ollevier pour une promotion au niveau DS‑5 parce que, selon lui, il ne satisfaisait pas à l’indicateur de rendement fixé pour la caractéristique de la créativité. Plus précisément, le jury de sélection a noté qu’il ne pouvait justifier d’[traduction] « un solide dossier pluriannuel, suffisamment documenté et faisant état de niveaux, plus élevés que la normale, reconnus par ses pairs de l’extérieur, pour ce qui concerne la créativité et l’innovation scientifiques sur le plan personnel ».

 

[7]        M. Ollevier a fait appel de cette décision à un comité d’appel établi par la Commission de la fonction publique (le comité d’appel). Le comité d’appel a rejeté l’appel de M. Ollevier le 7 mai 2007. C’est à l’encontre de cette décision qu’a été déposée la demande de contrôle judiciaire.

 

Cadre légal

[8]        La demande de promotion faite par M. Ollevier a été étudiée en vertu de l’ancienne Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑33 (l’ancienne Loi). En vertu de l’ancienne Loi, les nominations se faisaient sur la base d’une sélection fondée sur le mérite. L’article 10 de l’ancienne Loi reconnaissait que le mérite pouvait être évalué en fonction du mérite relatif ou du mérite individuel. L’article 10 était ainsi rédigé :

10(1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d’une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l’administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

 

(2) Pour l’application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle‑ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

10(1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

 

(2) For the purposes of subsection (1), selection according to merit may, in the circumstances prescribed by the regulations of the Commission, be based on the competence of a person being considered for appointment as measured by such standard of competence as the Commission may establish, rather than as measured against the competence of other persons.

 

[9]        Le paragraphe 21(1.1) de l’ancienne Loi prévoyait un droit d’appel au comité d’appel. Le paragraphe 21(1.1) était rédigé ainsi :

21(1.1) Dans le cas d’une nomination, effective ou imminente, consécutive à une sélection interne effectuée autrement que par concours, toute personne qui satisfait aux critères fixés en vertu du paragraphe 13(1) peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l’appelant et l’administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

21(1.1) Where a person is appointed or about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made from within the Public Service by a process of personnel selection, other than a competition, any person who, at the time of the selection, meets the criteria established pursuant to subsection 13(1) for the process may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

 

Points litigieux

[10]      M. Ollevier soulève deux points dans sa demande de contrôle judiciaire.

 

[11]      D’abord, il fait valoir que le comité d’appel aurait dû infirmer la décision du jury de sélection au motif que celui‑ci avait commis un excès de pouvoir en modifiant les conditions d’une promotion au niveau DS‑5. Plus précisément, M. Ollevier dit que le jury de sélection a ajouté l’obligation pour lui de faire état d’un volume donné de publications à comité de lecture.

 

[12]      Deuxièmement, M. Ollevier fait valoir que le comité d’appel a manqué aux règles de l’équité procédurale parce qu’il a laissé de côté deux de ses arguments. Il s’agissait des arguments suivants :

 

(i)                  le jury de sélection n’a considéré que ses publications à comité de lecture et a laissé de côté ses publications sans comité de lecture;

 

(ii)        le jury de sélection n’a pas évalué d’après les mêmes normes les candidats concernés, alors que les titres et qualités de M. Ollevier étaient remarquablement semblables à ceux d’un autre candidat qui fut promu au niveau DS‑5.

 

Norme de contrôle

[13]      M. Ollevier fait valoir que le premier point soulevé concerne l’interprétation des Lignes directrices du régime de rémunération des DS, et la question de savoir si lesdites Lignes directrices permettaient qu’une décision soit fondée uniquement sur le volume des publications à comité de lecture d’un candidat. Selon M. Ollevier, c’est là une question de droit, à laquelle s’applique la norme de la décision correcte.

 

[14]      Le procureur général invoque la décision Barbeau c. Canada (Procureur général) (2002), 219 F.T.R. 210, aux paragraphes 22 et 25, où la Cour a jugé que l’interprétation de la condition relative à l’expérience, dans un énoncé de qualités, soulevait une question mixte de droit et de fait. Il s’ensuit, d’affirmer le procureur général, que l’interprétation, par le comité d’appel, de l’indicateur de rendement qui concerne la créativité est elle aussi une question mixte de droit et de fait, qui doit être revue selon la norme de la décision raisonnable.

 

[15]      Je dois procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour savoir quelle norme de contrôle il convient d’appliquer au premier point soulevé par M. Ollevier. L’analyse requiert la prise en compte de quatre facteurs : la nature du mécanisme d’appel ou de contrôle; l’objet du texte législatif applicable et de la disposition concernée; la nature de la question soumise à contrôle, enfin la spécialisation du décideur.

 

[16]      S’agissant du premier facteur, qui concerne la nature du mécanisme d’appel ou de contrôle, la Cour d’appel fédérale a procédé, dans l’arrêt Davies c. Canada (Procureur général) (2005), 330 N.R. 283, à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour savoir quelle norme de contrôle s’appliquait à la décision d’un comité d’appel. Ce précédent est applicable en l’espèce, parce que le mécanisme de contrôle est presque le même. Dans les deux cas, le droit d’appel était prévu par l’article 21 de l’ancienne Loi.

 

[17]      La Cour d’appel a noté l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel conféré par la loi et a fait observer que la décision d’un comité d’appel peut être l’objet d’un contrôle judiciaire selon l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. La Cour d’appel a aussi pris en considération l’article 21.1 de l’ancienne Loi, ainsi rédigé :

 

21.1 Malgré la Loi sur les Cours fédérales, une demande de réparation présentée, en vertu des articles 18 ou 18.1 de cette loi, à la Cour fédérale contre une décision du comité visé aux paragraphes 21(1) ou (1.1) est renvoyée à la Cour d’appel fédérale soit sur consentement des parties, soit, à la demande de l’une d’elles, sur ordonnance de celle‑ci rendue au motif que le délai d’audition devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale éventuel serait préjudiciable à la bonne administration du secteur de la fonction publique relevant de la compétence de l’administrateur général en cause.

21.1 Despite the Federal Courts Act, an application to the Federal Court for relief under section 18 or 18.1 of that Act against a decision of a board established under subsection 21(1) or (1.1) shall be transferred to the Federal Court of Appeal if the parties to the application so agree or if the Federal Court of Appeal, on application by any of those parties, so orders on the basis that the sound administration of that part of the Public Service over which the deputy head concerned has jurisdiction would be unduly prejudiced by delay if the matter were heard and determined by the Federal Court and subject to an appeal to the Federal Court of Appeal.

 

[18]      Au paragraphe 15 de ses motifs dans l’arrêt Davies, la Cour d’appel concluait que l’absence d’une clause privative, combinée à l’article 21.1 de l’ancienne Loi, milite en faveur d’une norme de contrôle moins accommodante.

 

[19]      Le facteur suivant concerne l’objet du texte législatif et de la disposition en cause. L’objet de l’ancienne Loi, et celui de l’article 21, qui permet d’interjeter appel d’une nomination devant le comité d’appel, sont ici les mêmes que dans l’espèce Davies. Aux paragraphes 11 à 13 de l’arrêt Davies, la Cour d’appel estimait que l’objet de l’ancienne Loi en général, et de l’article 21 en particulier, était de préserver l’intérêt public en s’assurant que les nominations à des postes de la fonction publique étaient fondées sur le mérite. L’objet du droit d’appel devant le comité d’appel est de faire obstacle à une nomination qui est contraire au principe du mérite. Ce facteur, de l’avis de la Cour d’appel, signalait qu’une certaine retenue devait être montrée envers la décision d’un comité d’appel.

 

[20]      Le facteur suivant concerne la nature de la question. Selon moi, le premier point soulevé par M. Ollevier peut être formulé plus succinctement : le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur en disant que le jury de sélection avait bien interprété l’indicateur de rendement qui concerne la créativité? Le comité d’appel devait donc interpréter l’indicateur de rendement en se fondant sur la totalité des Lignes directrices du régime de rémunération des DS. Il s’agit là, selon moi, d’une question de droit. Lorsque la question posée est une question de droit, la retenue qu’il convient de montrer est généralement moindre, surtout lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la bonne interprétation de l’indicateur de rendement touchant la créativité a une importance pour les futurs candidats à un poste DS‑5.

 

[21]      Le dernier facteur est la spécialisation relative du décideur. Comme je l’ai dit plus haut, le comité d’appel devait interpréter l’indicateur de rendement relatif à la créativité en se fondant sur l’intégralité des Lignes directrices du régime de rémunération des DS. Selon moi, l’indicateur de rendement et les autres dispositions applicables des Lignes directrices du régime de rémunération des DS n’ont aucune portée qui soit quelque peu spéciale ou technique. Il s’agit simplement de dire si le jury de sélection a amplifié les exigences énoncées, ce qu’il a le droit de faire, ou s’il a modifié les exigences énoncées, ce qu’il n’a pas le droit de faire. La question de l’interprétation ne met pas en jeu selon moi une quelconque spécialisation du comité d’appel. De plus, comme l’écrivait la Cour d’appel dans l’arrêt Davies, ceux qui siègent au sein des comités d’appel n’ont pas tous une formation juridique. Pour ces motifs, je suis d’avis que, s’agissant de la spécialisation, la décision du comité d’appel doit être revue selon une norme moins accommodante.

 

[22]      Ayant examiné les quatre facteurs applicables, je dois maintenant arriver à une conclusion sur la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer au premier point soulevé par M. Ollevier.

 

[23]      Tous les facteurs sauf un militent pour l’application d’une norme moins accommodante. Le seul facteur qui dicte une retenue de la part de la Cour concerne l’objet du texte législatif et de la disposition conférant un droit d’appel. Cependant, puisque l’intérêt de la bonne interprétation de l’indicateur de rendement relatif à la créativité va au‑delà de la présente affaire, que le législateur a choisi de ne pas insérer dans l’ancienne Loi une clause privative visant à protéger les décisions du comité d’appel, et que la nature juridique de la question ne met pas en jeu la spécialisation du décideur, je suis d’avis que le premier point soulevé par M. Ollevier requiert l’application de la norme de la décision correcte.

 

[24]      Il n’est pas nécessaire de faire une analyse pragmatique et fonctionnelle au regard du second point soulevé par M. Ollevier. Il appartient toujours à la Cour de dire si un décideur administratif a manqué ou non à l’équité procédurale. Sur ce point, la Cour n’a pas à faire preuve de retenue envers le comité d’appel. 

 

Le comité d’appel aurait‑il dû annuler la décision du jury de sélection parce qu’il avait modifié les titres et qualités fixés pour le niveau DS‑5?

[25]      Comme je l’ai dit plus haut, cette question requiert d’établir si le comité d’appel a commis une erreur en disant que le jury de sélection avait bien interprété l’indicateur de rendement se rapportant à la créativité.

 

[26]      J’examinerai d’abord l’argument de M. Ollevier selon lequel un représentant de RDDC a admis devant le comité d’appel qu’il répondait à l’exigence de créativité telle qu’elle était énoncée dans les Lignes directrices du régime de rémunération des DS.

 

[27]      L’indicateur de rendement qui concerne la créativité est décrit dans les Lignes directrices du régime de rémunération des DS, sous la rubrique « Évaluation de l’état de développement professionnel (Sciences de la défense) au niveau DS‑5 grâce aux indicateurs de rendement ». On peut y lire ce qui suit :

A un solide dossier pluriannuel pour ce qui est de concevoir et d’utiliser des idées très innovatrices pour faire progresser le domaine de l’analyse scientifique ou de défense ou pour exploiter l’application d’une technologie ou l’analyse de défense en réponse à des besoins des clients.

 

[28]      L’avocat de M. Ollevier invoque le paragraphe 38 des motifs du comité d’appel à l’appui de son affirmation selon laquelle RDDC avait admis que M. Ollevier répondait au critère de créativité. Le comité d’appel écrivait ce qui suit :

[traduction]

Le comité ne prétend pas que M. Ollevier n’a pas justifié « d’un solide dossier pluriannuel pour ce qui est de concevoir et d’utiliser des idées très innovatrices pour faire progresser le domaine de l’analyse scientifique ou de défense ou pour exploiter l’application d’une technologie ou l’analyse de défense en réponse à des besoins des clients ». Ce que le comité dit, c’est qu’il n’a pas complété son travail par des publications et par un examen desdites publications par ses pairs.

 

[29]      Pour les motifs qui suivent, je ne crois pas que RDDC ait fait une telle admission.

 

[30]      D’abord, je crois que, lu objectivement, le paragraphe 38 des motifs du comité d’appel énonce une position juridique avancée par l’employeur, et non une admission factuelle. Les propos du comité se trouvent dans la rubrique intitulée « Réponse du ministère », dans laquelle il résume la réponse de l’employeur aux allégations de M. Ollevier. Le comité d’appel n’évoque nulle part dans ses motifs ce qui constituerait une admission factuelle d’une telle portée.

 

[31]      Deuxièmement, et aspect plus important, la transcription de la procédure qui s’est déroulée devant le comité d’appel fait partie du dossier que la Cour a devant elle. Durant son argumentation, l’avocat de M. Ollevier n’a pu signaler aucun témoignage produit par un représentant de RDDC qui eût renfermé la prétendue admission. L’existence d’une telle admission ne s’accorde pas non plus avec la réponse suivante du président du jury de sélection durant son témoignage devant le comité d’appel :

[traduction]

Si j’ai dit que nous avions l’impression que M. Ollevier répondait à l’exigence de créativité et que la difficulté tenait à ses publications, alors c’était là certainement un lapsus de ma part, qui ne s’accorde pas avec les notes que je vous ai remises.

 

[32]      J’examinerai maintenant si le comité d’appel a commis une erreur en disant que le jury de sélection avait bien interprété l’indicateur de rendement relatif à la créativité. Je dois pour cela déterminer si le jury de sélection a modifié, alors qu’il n’en avait pas le droit, les conditions fixées. Il est bien établi en droit qu’un jury de sélection « n’est pas habilité à toucher aux exigences fondamentales définies par le ministère concerné en y ajoutant ou en les modifiant en partie, de manière à limiter les facteurs qui pourraient entrer en jeu dans l’appréciation et le classement des candidats ». Un jury de sélection « peut tout au plus participer à un développement raisonnable des exigences qui se déduisent des conditions initiales ». Voir l’arrêt Canada (Procureur général) c. Blashford, [1991] 2 C.F. 44 (C.A.), paragraphes 5 et 27. Voir aussi la décision Barbeau, précitée, au paragraphe 43.

 

[33]      Par commodité, je répète ici l’indicateur de rendement relatif à la créativité, pour le niveau DS‑5, tel qu’il est énoncé dans les Lignes directrices du régime de rémunération des DS :

A un solide dossier pluriannuel pour ce qui est de concevoir et d’utiliser des idées très innovatrices pour faire progresser le domaine de l’analyse scientifique ou de défense ou pour exploiter l’application d’une technologie ou l’analyse de défense en réponse à des besoins des clients.

 

[34]      Les notes rédigées par le jury de sélection, qui rendent compte des observations faites durant son examen de la demande de M. Ollevier, renferment ce qui suit :

[traduction]

Cependant, après examen adéquat de la preuve présentée dans le rapport d’appréciation du rendement, ils n’ont pas été en mesure d’appuyer votre promotion au niveau DS‑5. Comme il l’avait indiqué en 2003, le comité a pensé que vous ne pouviez pas justifier d’un solide dossier pluriannuel, suffisamment documenté et faisant état de niveaux plus élevés que la normale, reconnus par vos pairs de l’extérieur, pour ce qui concerne la créativité et l’innovation scientifique sur le plan personnel.


 

[35]      Au paragraphe 32 de ses motifs, le comité d’appel écrivait :

[traduction]

Je suis d’avis que la commission d’avancement agissait tout à fait dans le cadre de ses pouvoirs quand elle a interprété de la manière suivante l’indicateur de rendement relatif à la créativité : « un solide dossier pluriannuel, suffisamment documenté et faisant état de niveaux plus élevés que la normale, reconnus par vos pairs de l’extérieur, pour ce qui concerne la créativité et l’innovation scientifique sur le plan personnel », et qu’elle est arrivée à la conclusion que l’appelant ne répondait pas à l’exigence. L’allégation est rejetée. [Non souligné dans l’original.]

 

[36]      On peut voir que les notions « suffisamment documenté », « reconnus par vos pairs de l’extérieur » et « plus élevés que la normale » ne figurent pas dans l’indicateur de rendement qui concerne la créativité tel qu’il est énoncé dans les Lignes directrices du régime de rémunération des DS.

 

[37]      Selon le procureur général, la nécessité de publications externes à comité de lecture est un prolongement raisonnable, logique et légitime de l’indicateur de rendement qui concerne la créativité. Le procureur général fait valoir qu’il ne s’agit pas d’une modification. Il invoque les paragraphes 16 et 17 des Lignes directrices du régime de rémunération des DS.

 

[38]      Les paragraphes en question sont ainsi formulés :

Communication des résultats attendus de la recherche, du développement et de l’analyse scientifique pour la défense [RDASD]

 

16.  Les résultats attendus de la RDASD sont de nouvelles connaissances ou hypothèses tirées de la recherche ou de l’analyse, et des équipements, systèmes, techniques ou tactiques mis au point. Les divers moyens de communication sont simplement des façons de faire connaître les résultats aux clients, aux intervenants et aux pairs. Une communication inadéquate peut sérieusement réduire l’impact de travaux de RDASD qui sont par ailleurs excellents. Par conséquent, les rapports, les publications scientifiques et les communications orales sont des éléments essentiels qui doivent être utilisés pour évaluer l’état de développement professionnel d’un DS. Grâce à ces moyens de communication, le DS consolide en outre la réputation de RDDC. À tous les niveaux du groupe DS, les rapports, les publications scientifiques officielles (ou leur équivalent : une révision par des pairs de l’extérieur) et les communications orales qui présentent les résultats de toutes les activités demeurent une exigence clé imposée à tous les DS, en fonction des rôles qui leur sont assignés. Dans certains secteurs de la RDASD, le travail d’un DS peut présenter un caractère trop délicat pour être diffusé dans les publications scientifiques accessibles à tous. Ce caractère délicat sera souvent le résultat d’une classification de sécurité, mais il peut aussi s’expliquer par une valeur intellectuelle considérable, qu’il faut protéger. Lorsque les résultats d’un travail ne peuvent pas être diffusés ouvertement dans les publications scientifiques, les DS doivent chercher des solutions de rechange pour soumettre ces résultats à leurs pairs. Ils peuvent par exemple recourir à des journaux scientifiques classifiés, ou encore à des forums multilatéraux réunissant des spécialistes de la défense des gouvernements alliés. Dans des cas exceptionnels et extrêmes, même ce type d’exposition peut être impossible. L’avancement professionnel des DS ne sera pas freiné par l’imposition de telles restrictions.

 

17.  Les rapports écrits et les publications officielles ont plusieurs buts :

 

-         Constituer un dossier général de la RDASD menée par un DS.

-         Servir comme moyens de fournir des résultats de la RDASD au client.

-         Obtenir la reconnaissance professionnelle (grâce à la révision par les pairs) des idées scientifiques du DS, qui contribuent aux progrès dans un domaine scientifique (au Canada, à l’étranger et, si possible, dans la communauté scientifique en général).

-         Présenter des propositions de RDASD à tout l’éventail des clients potentiels.

 

Les rapports et les publications scientifiques devraient normalement viser à satisfaire au moins les trois premières de ces fonctions. Certains documents, rapports ou publications scientifiques peuvent appuyer plus d’une fonction, mais les rapports de RDASD doivent souvent être spécifiquement adaptés à une fonction ou à un public précis.

 

Sans documentation appropriée, un projet de RDASD reste incomplet.

 

Les communications orales sont un complément important des documents écrits. C’est souvent la façon la plus rapide de présenter des résultats avant la rédaction des rapports, en particulier pour les clients, et c’est un moyen efficace de procéder à une révision interactive par les pairs. [Non souligné dans l’original.]

 

[39]      On constate dans ces paragraphes les notions suivantes :

 

  • les rapports et les publications scientifiques ne sont « qu’une partie » des éléments essentiels qui doivent être utilisés pour l’évaluation du développement professionnel;
  • la publication de rapports et d’écrits scientifiques, ou leur équivalent, avec révision par des pairs de l’extérieur, est une exigence clé imposée à tous les DS, de même que la publication de rapports et la présentation d’exposés oraux portant sur les résultats de recherches;
  • certains travaux peuvent être de nature trop sensible pour se prêter à une publication dans des revues accessibles à tous;
  • lorsque les résultats de travaux sont de nature trop sensible, les DS doivent trouver d’autres moyens équivalents pour soumettre leurs travaux à l’examen de leurs pairs;
  • l’avancement professionnel des DS ne sera pas entravé lorsque leurs travaux sont de nature trop sensible pour être publiés dans des revues accessibles à tous;
  • les communications orales sont un moyen efficace de procéder à une révision interactive par les pairs.

 

[40]      Le jury de sélection semble avoir interprété la mesure de la créativité d’un candidat comme s’il s’était agi du nombre de ses publications à comité de lecture. Le comité d’appel a estimé que le jury de sélection était fondé à interpréter ainsi la créativité : « un solide dossier pluriannuel, suffisamment documenté, faisant état de niveaux plus élevés que la normale, reconnus par les pairs de l’extérieur, pour ce qui concerne la créativité scientifique sur le plan personnel ». À mon avis, pour les motifs qui suivent, cette interprétation de la créativité n’est pas un « simple prolongement raisonnable » de l’indicateur de rendement.

 

[41]      Les paragraphes 16 et 17 des Lignes directrices du régime de rémunération des DS précisent que les publications scientifiques ne forment « qu’une partie » des éléments requis et que des choses telles que rapports et exposés oraux sont également des exigences clés. D’autres moyens équivalents de publication doivent être employés lorsque, comme ce fut le cas pour M. Ollevier, les travaux produits sont de nature sensible1. À mon avis, en exigeant de M. Ollevier qu’il établisse un solide dossier pluriannuel faisant état de publications scientifiques à comité de lecture, le jury de sélection a modifié l’exigence de créativité parce qu’il a restreint les facteurs qui pouvaient attester telle créativité. Interprétées comme il convient, les Lignes directrices du régime de rémunération des DS disposent que les publications à comité de lecture sont la preuve d’une créativité, et non un simple indice de créativité. Le comité d’appel a erré en disant que le jury de sélection était fondé à interpréter comme il l’a fait l’indicateur de rendement qui concerne la créativité.

 

[42]      Je suis confortée dans cette conclusion par une décision antérieure du comité d’appel, Re Valdur Pille, 02‑DND‑00597. Dans cette affaire, un DS faisait valoir que le jury de sélection avait modifié les lignes directrices en exigeant des candidats à une promotion qu’ils aient à leur actif des publications scientifiques à comité de lecture. L’appel fut rejeté parce que la preuve établissait que le jury de sélection avait estimé que ces publications scientifiques n’étaient qu’une source d’information quand venait le moment de dire si un candidat avait démontré une créativité suffisante. Ainsi, dans ce précédent, le comité d’appel n’était pas en mesure de dire que le jury de sélection avait « touché » aux conditions officielles d’une promotion. Dans la présente affaire, pour les motifs susmentionnés, le jury de sélection a bel et bien touché aux conditions de la promotion, et le comité d’appel a erré en confirmant l’interprétation étroite et restrictive que le jury de sélection avait donné de l’indicateur de rendement qui concerne la créativité.

 

[43]      Avant de laisser cet aspect, je relève qu’une décision déraisonnable est une décision dont les motifs ne résistent pas à un examen assez poussé. Voir l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, paragraphe 56.

 

[44]      Ici, le comité d’appel fait observer à juste titre, au paragraphe 27 de ses motifs, que l’examen de publications par les pairs de l’extérieur fait partie des éléments employés pour évaluer le niveau de créativité d’un candidat DS. Cependant, au paragraphe 32 de ses motifs, le comité d’appel arrive à la conclusion que le jury de sélection avait eu raison de dire que la créativité était attestée par un dossier d’innovation suffisamment documenté et reconnu par les pairs de l’extérieur. Selon les motifs exposés par le comité d’appel, l’indicateur de rendement qui concerne la créativité consiste en un volume donné de publications à comité de lecture, et cela nonobstant la directive contenue dans les Lignes directrices du régime de rémunération des DS, telle que cette directive est reproduite au paragraphe 38 des présents motifs. Le comité d’appel n’a pas résolu cette incohérence, et je suis d’avis que les motifs qu’il a exposés ne résistent pas à un examen assez poussé. Sa décision ne résiste donc pas à l’examen, même selon la norme plus accommodante de la décision raisonnable simpliciter.

 

Le comité d’appel a‑t‑il manqué à l’équité procédurale parce qu’il a négligé d’examiner deux points soulevés par M. Ollevier?

[45]      Eu égard à ma conclusion sur la première question, il ne m’est pas nécessaire d’aborder cet aspect. Cependant, par souci d’exhaustivité, j’examinerai brièvement l’argument selon lequel le comité d’appel s’est abstenu de statuer sur deux points soulevés par M. Ollevier.

 

[46]      D’abord, j’observe que l’avocate du procureur général n’a pas contesté l’affirmation de M. Ollevier selon lequel l’équité procédurale obligeait le comité d’appel à étudier, dans ses motifs, tous les points soulevés par M. Ollevier.

 

[47]      Il ne m’est pas nécessaire de dire si, en droit, l’équité procédurale obligeait le comité d’appel à examiner dans ses motifs les deux points en question. Je prends acte de la jurisprudence, par exemple la décision Scheuneman c. Canada (Procureur général), [2000] 2 C.F. 365 (1re inst.), paragraphes 21 à 27, décision confirmée sur ce point : (2000), 266 N.R. 154 (C.A.F.), paragraphe 2, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée : [2001] C.S.C.R. n° 9 (QL). Cependant, aux fins de la présente demande, je présume, sans trancher la question, que le comité d’appel avait l’obligation d’examiner les points soulevés par M. Ollevier.

 

[48]      Le premier point que le comité d’appel aurait négligé de considérer a trait à l’argument de M. Ollevier selon lequel, lorsqu’il a évalué son niveau de créativité, le jury de sélection a commis une erreur en ne considérant que ses publications à comité de lecture.

 

[49]      Aux paragraphes 33 et 34 de ses motifs, le comité d’appel exposait la conclusion de M. Ollevier en la matière. Aux paragraphes 43 et 44, il résumait le cœur de son analyse à propos de cette conclusion. Il s’est exprimé ainsi :

[traduction]

43.       La preuve produite par le ministère montrait que l’appelant avait des publications restreintes et peu d’examens de ses travaux par ses pairs depuis 2003, année où il fut informé qu’il devait justifier de son bilan pluriannuel d’idées innovatrices. Cette preuve n’a pas été contredite par l’appelant. Par ailleurs, l’appelant a reconnu qu’il n’avait pas « publié » au sens strict, étant donné que la plupart de ses travaux étaient classifiés. Le ministère a dit aussi que des DS ont publié des travaux classifiés, qu’ils avaient fait évaluer leurs travaux par des pairs de l’extérieur et qu’ils avaient été promus; l’affirmation n’a pas été contredite par l’appelant.

 

44.       Il est établi que l’appelant savait depuis quelque temps qu’il devait faire état de ses travaux; pour des raisons que lui seul connaît, il a négligé de le faire. Je suis d’avis que le jury de sélection n’a pas agi déraisonnablement dans sa manière d’évaluer M. Ollevier et qu’il a appliqué les mêmes normes au moment d’évaluer ses titres et compétences. L’allégation est rejetée.

 

[50]      Le comité d’appel n’a pas accepté l’argument de M. Ollevier selon lequel il avait suffisamment fait état de ses travaux, qui, affirmait‑il, avaient été examinés par ses pairs selon des méthodes soustraites à la publicité. Je n’ai pas été persuadée que le comité d’appel a négligé d’étudier le point soulevé par M. Ollevier.

 

[51]      Le deuxième point qui, selon M. Ollevier, aurait été laissé de côté par le comité d’appel est l’argument selon lequel le jury de sélection l’a évalué en fonction d’une norme différente de celle qu’il avait appliquée à d’autres candidats. M. Ollevier affirmait que, parce qu’un autre candidat dont le dossier était semblable au sien avait été promu au niveau DS‑5, sa demande de promotion avait dû être évaluée différemment par le jury de sélection.

 

[52]      Au paragraphe 42 de ses motifs, le comité d’appel faisait état de l’affirmation de M. Ollevier selon laquelle le jury de sélection aurait appliqué différemment les conditions de promotion au moment d’évaluer ses titres et compétences. Au paragraphe 44, le comité d’appel estimait que le jury de sélection avait appliqué les mêmes normes au moment d’évaluer les titres et compétences de M. Ollevier et, au paragraphe 65, le comité d’appel écrivait que [traduction] « l’appelant n’a produit aucune preuve pour montrer qu’il a été évalué selon une norme différente de celle qui fut appliquée aux autres candidats, ou que les employés promus ne répondaient pas aux normes établies par le ministère ». Là encore, je n’ai pas été persuadée que le comité d’appel a négligé d’examiner le point soulevé par M. Ollevier.

 

Dispositif

[53]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[54]      Chacune des parties a sollicité les dépens pour le cas où elle obtiendrait gain de cause. À mon avis, les dépens devraient suivre l’issue de la cause. En cas de désaccord, les dépens devraient être calculés en fonction du point médian de la colonne III du tableau du Tarif B des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

 

 

1.  S’agissant du caractère sensible des travaux de M. Ollevier, le comité d’appel écrivait ce qui suit, au paragraphe 9 de ses motifs :

 

[traduction]

En l’espèce, le [Rapport d’appréciation du rendement] de l’appelant était « classifié » et n’a donc pas été remis au préalable aux membres du comité d’appel. Par ailleurs, un membre du comité d’appel n’avait pas l’autorisation de sécurité requise et n’a donc pu participer à l’évaluation. Par conséquent, le [Rapport d’appréciation du rendement] de l’appelant a été examiné par neuf membres, plutôt que par dix membres comme ce fut le cas pour les autres employés. En tant que président du comité d’appel, le Dr Walker a donné aux membres suffisamment de temps pour examiner le [Rapport d’appréciation du rendement] de l’appelant et a obtenu confirmation orale que les membres s’étaient formé une opinion initiale.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision du comité d’appel datée du 7 mai 2007 est annulée.

 

2.         L’affaire est renvoyée au comité d’appel pour qu’elle soit réexaminée par une autre formation d’une manière conforme au présent jugement.

 

3.         Le procureur général assumera les dépens de M. Ollevier. En cas de désaccord, les dépens seront calculés en fonction du point médian de la colonne III du tableau du Tarif B des Règles des Cours fédérales.

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1042‑07

 

INTITULÉ :                                                   THOMAS OLLEVIER

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 18 FÉVRIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sean McGee                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Nicole Butcher                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne                                  POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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