Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20080215

Dossier : T‑1311‑07

Référence : 2008 CF 196

Ottawa (Ontario), le 15 février 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

 

ENTRE :

MICHEL LAFRAMBOISE

demandeur

 

et

 

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Après l’audition de cette demande, j’ai informé les parties que je ferais droit à la demande de contrôle judiciaire. Les motifs de ma décision sont les suivants.

 

I.          Le contexte

 

[2]               Michel LaFramboise a négligé de produire ses déclarations de revenus dans les délais prévus pour les années d’imposition 2002 et 2004. Il a négligé aussi d’inclure dans ses déclarations tous ses revenus desdites années, comme il devait le faire en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1. Des intérêts et des pénalités lui ont donc été imposés. Le 1er juin 2007, le demandeur devait un total de 14 185,92 $, somme qui comprenait des pénalités de 2 440,92 $ et des arriérés d’intérêts de 3 089,77 $. M. LaFramboise a prié les représentants de l’Agence du revenu du Canada (ARC) de le dispenser du paiement des intérêts et des pénalités, ce qui lui a été refusé par lettre datée du 8 mars 2007.

 

[3]               M. LaFramboise ne conteste pas l’avis de cotisation établi contre lui; il reconnaît avoir négligé de produire ses déclarations. Ce qui l’ennuie, c’est que les intérêts et les pénalités ont continué de s’accumuler et qu’il est incapable de les payer. Sa demande de dispense était fondée sur deux raisons principales. La première est qu’un incendie a détruit sa maison, et sa vie est donc gravement perturbée. Ses dossiers ont été détruits dans l’incendie et il a été contraint d’aller vivre ailleurs. La deuxième raison qu’il avait de demander une dispense est qu’il ne pouvait tout simplement pas se permettre de payer les intérêts et les pénalités, eu égard à son revenu actuel et à ses perspectives d’avenir.

 

II.        La deuxième décision fondée sur les dispositions d’équité

 

[4]               Après que sa première demande de dispense fut rejetée, M. LaFramboise a sollicité un examen de second niveau. Par lettre datée du 19 juin 2007 (la deuxième décision fondée sur les dispositions d’équité), C. MacLean, agissant au nom du ministre du Revenu national (le ministre), exposait les motifs suivants à l’appui du rejet de la demande :

[traduction]

Nous avons examiné attentivement toutes les pièces du dossier, ainsi que vos commentaires, au regard de votre demande se rapportant à la législation applicable. Les paiements effectués dans votre compte ont été très sporadiques, sans qu’aucune disposition ne soit prise pour le remboursement; votre déclaration de revenus de 2006 n’a pas non plus été produite.

 

[5]               L’examen du dossier du tribunal révèle que la décision a été rendue d’après plusieurs facteurs. Les représentants de l’ARC semblent tout particulièrement s’être fondés sur ce qui suit :

 

  • pour la période de 2002 à 2004, M. LaFramboise a négligé de produire ses déclarations de revenus et de déclarer tout son revenu;
  • M. LaFramboise n’avait pas présenté un plan acceptable de remboursement de sa dette fiscale; 
  • M. LaFramboise avait un avoir propre de 60 000 $ sur sa maison.

 

III.       Le régime législatif

 

[6]               Le ministre peut annuler la totalité ou une partie des pénalités ou intérêts qui ont été calculés (Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, paragraphe 220(3.1)). Lorsqu’il examine une demande de dispense du paiement d’intérêts et de pénalités fondée sur les dispositions d’équité, le ministre (par l’entremise de ses délégataires, les fonctionnaires de l’ARC) se fonde sur la Circulaire d’information n° 92‑2, Lignes directrices concernant l’annulation des intérêts et des pénalités (les Lignes directrices – remplacées depuis par la Circulaire d’information IC07‑1, Dispositions d’allégement pour les contribuables). Deux sections des Lignes directrices intéressent particulièrement la présente demande : la section 5, qui autorise une dispense lorsque surviennent des circonstances qui ne dépendent pas de la volonté du contribuable (par exemple un incendie), et la section 7, qui autorise l’annulation lorsque le contribuable est incapable de payer la somme due. Il me semble que la situation du demandeur pourrait tomber sous le coup de l’une ou l’autre de ces dispositions. Par ailleurs, la section 10 des Lignes directrices donne une liste non limitative des facteurs dont le ministère « tiendra » compte :

10.              Le Ministère tiendra compte des points suivants dans l’étude des demandes d’annulation des intérêts ou des pénalités ou de renonciation à ceux‑ci :

 

a)                  si le contribuable ou l’employeur a respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

 

 

b)                  si le contribuable ou l’employeur a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

 

c)                  si le contribuable ou l’employeur a fait des efforts raisonnables et s’il n’a pas fait preuve de négligence ni d’imprudence dans la conduite de ses affaires en vertu du régime d’autocotisation;

 

d)                  si le contribuable ou l’employeur a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou à toute omission.

 

11.              The following factors will be considered when determining whether or not the Department will cancel or waive interest or penalties:

 

(a)                whether or not the taxpayer or employer has a history of compliance with tax obligations;

 

(b)               whether or not the taxpayer or employer has knowingly allowed a balance to exist upon which arrears interest has accrued;

 

(c)                whether or not the taxpayer or employer has exercised a reasonable amount of care and has not been negligent or careless in conducting their affairs under the self‑assessment system;

 

(d)               whether or not the taxpayer or employer has acted quickly to remedy any delay or omission.

 

 


IV.       La norme de contrôle

 

[7]               La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à une décision d’équité est celle de la décision raisonnable simpliciter (arrêt Lanno c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CAF 153, paragraphes 3 à 7). D’après cette norme, je ne pourrai infirmer la décision que si je suis d’avis qu’elle n’est pas appuyée par des motifs qui puissent résister à un « examen assez poussé » (Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, paragraphe 56).

 

V.        Analyse

 

[8]               Me fondant sur ces Lignes directrices et sur la norme de contrôle, j’examinerai la situation particulière de M. LaFramboise et me demanderai si la deuxième décision d’équité est raisonnable.

 

[9]               Le défendeur fait remarquer que le demandeur n’a pas présenté un plan de remboursement, selon ce que prévoit la section 7b) des Lignes directrices. À mon avis, il serait difficile – sinon impossible – pour quelqu’un se trouvant dans la situation financière du demandeur de songer à un plan de remboursement digne de ce nom. Vu son revenu mensuel de seulement 2 185 $ et ses dépenses mensuelles de 2 095 $, M. LaFramboise est loin d’être en mesure de procéder à un remboursement régulier de sa dette fiscale. Ce fait semble avoir été ignoré ou laissé de côté dans l’analyse de l’ARC. On peut lire dans le dossier du tribunal que, à raison de paiements de 50 $ par mois, il faudrait au demandeur plus de 18 ans pour rembourser le principal de sa dette fiscale. Au‑delà de cette remarque succincte, le dossier ne renfermait rien qui montrait que les fonctionnaires de l’ARC avaient calculé ce que le demandeur pouvait se permettre de payer sur sa dette fiscale.

 

[10]           Je suis aussi préoccupée du fait que l’ARC ait mal compris la situation dans laquelle le demandeur s’est trouvé quand sa maison fut détruite par un incendie. Les conclusions présentées par le demandeur à l’ARC à propos des répercussions de l’incendie sur sa vie auraient pu être plus détaillées, mais il est raisonnable de croire que la vie d’un contribuable sera gravement perturbée si sa maison est détruite par un incendie. Outre la perte des registres financiers, la victime d’un incendie sera contrainte d’aller vivre ailleurs. L’une des conséquences évidentes d’un tel incendie sera l’incapacité du contribuable de rembourser sa dette. Il est tout aussi évident, à mon avis, que la victime devra détourner son attention du sinistre pour s’affairer à reconstruire sa vie; durant cette période, l’intéressé n’aura vraisemblablement pas pour première priorité de produire ses déclarations de revenus. Je n’ai pas l’impression que les représentants de l’ARC ont cherché à savoir si l’incendie de sa maison avait pu modifier le quotidien et les obligations fiscales de M. LaFramboise. S’agissant de la section 10c) des Lignes directrices, je ne suis pas persuadée qu’ils ont cherché à savoir si l’incendie avait pu empêcher le demandeur de faire des efforts raisonnables dans la conduite de ses affaires selon le régime d’autocotisation.

 

[11]           Selon les représentants de l’ARC, le demandeur a un avoir propre de 60 000 $ dans la maison qu’il s’emploie aujourd’hui à reconstruire. La valeur totale de la maison n’est que de 145 000 $, sous réserve d’une hypothèque de 84 500 $. Vu le revenu du demandeur, il est évident qu’il aura beaucoup de mal à obtenir un refinancement. Par ailleurs, s’il est contraint de vendre sa maison pour rembourser sa dette fiscale ainsi que les intérêts et pénalités, il ne restera presque plus rien à M. LaFramboise, et aucun endroit où vivre. Je ne suis pas persuadée que les fonctionnaires de l’ARC ont bien tenu compte des conséquences susmentionnées.

 

[12]           Globalement, il semble que les fonctionnaires de l’ARC se sont focalisés presque uniquement sur les antécédents fiscaux de M. LaFramboise. Depuis 2002, et M. LaFramboise l’admet lui‑même, il n’a pas respecté toutes ses obligations en matière d’impôt sur le revenu. Néanmoins, le demandeur avait de bonnes raisons de se dérober à ses obligations, et, d’après le dossier que j’ai devant moi, il est impossible de dire si le décideur a tenu compte des facteurs qui auraient justifié une renonciation aux pénalités et aux intérêts.

 

[13]           En somme, les motifs du décideur ne résistent pas à un examen assez poussé.

 

VI.       Dispositif

 

[14]           Pour ces motifs, la décision sera annulée et l’affaire sera renvoyée au ministre pour nouvelle décision. M. LaFramboise devrait alors avoir la possibilité de présenter d’autres conclusions qui, espérons‑le, seront plus détaillées. Il faut espérer ensuite que la décision du ministre tiendra compte de tous les facteurs pertinents et repose sur des motifs clairs.

 

[15]           Comme je l’ai dit au cours de l’audience, je ne me prononcerai pas sur les dépens, au vu des circonstances particulières de cette affaire.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la deuxième décision d’équité est annulée;

 

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre représentant du ministre, qui décidera si les pénalités et intérêts devraient être annulées, en totalité ou en partie.

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1311‑07

 

INTITULÉ :                                                   MICHEL LAFRAMBOISE

                                                                        c.

                                                                        L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 5 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 FÉVRIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michel LaFramboise

 

 DEMANDEUR

Nimanthika Kaneira

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michel LaFramboise

(se représente lui-même)

 

 DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.