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Date : 20080214

Dossier : IMM‑955‑07

Référence : 2008 CF 189

Toronto (Ontario), le 14 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

ENTRE :

JADWIGA PALKA et

PAULA PALKA

 

demanderesses

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demanderesses sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’ERAR (l’agent), en date du 26 janvier 2007, qui a refusé leur demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR).

 

[2]               Les demanderesses sollicitent l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire à une nouvelle formation de la Commission pour nouvelle décision.

 

Le contexte

 

[3]               Jadwiga Palka (la demanderesse principale) et sa fille, Paula Palka (la demanderesse mineure), sont Polonaises. Elles sont arrivées au Canada le 28 avril 1999 et ont alors demandé l’asile. Leurs demandes d’asile reposaient sur l’affirmation de la mère selon laquelle elle faisait partie d’un groupe social – celui des femmes victimes de violence conjugale. Par décision datée du 10 avril 2001, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a dit que les demanderesses n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La SPR a jugé peu vraisemblables certaines portions cruciales du récit de la demanderesse principale et a conclu en dernière analyse que sa crainte n’était pas fondée. Les demanderesses ont sollicité un ERAR le 5 septembre 2006. Par décision datée du 26 janvier 2007, l’agent a estimé que les demanderesses ne seraient pas exposées à un risque de torture, à une menace pour leurs vies ou à un risque de subir des peines cruelles et inusitées si elles retournaient en Pologne. C’est cette décision de l’agent qui est l’objet de la procédure de contrôle judiciaire.

 

La décision de l’agent d’ERAR

 

[4]               L’agent a commencé à rédiger sa décision en passant en revue la décision de la SPR de rejeter les demandes d’asile des demanderesses. Il a relevé que la SPR avait conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible quant à ses allégations de violence conjugale et quant aux raisons pour lesquelles il lui était impossible de retourner en Pologne. L’agent a dit que la SPR n’était pas persuadée, selon la prépondérance de la preuve, qu’elle avait subi les violences qu’elle alléguait. L’agent a aussi relevé que la SPR avait tiré des conclusions défavorables à propos de sa crédibilité et avait conclu qu’elle avait embelli son témoignage pour favoriser sa demande d’asile. L’agent semble avoir déféré à la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse adulte n’était pas un témoin crédible ou digne de foi.

 

[5]               L’agent a ensuite procédé à l’analyse des prétendus risques. Il a pris note de l’argument des demanderesses selon lequel l’agent de persécution, à savoir le mari de la demanderesse principale et le père de la demanderesse mineure, avait sans relâche traqué les demanderesses et exercé des pressions sur leur famille pour qu’elle le renseigne sur l’endroit où elles se trouvaient. L’agent a examiné quatre lettres venant de proches et d’amis des demanderesses. Le poids qu’il a accordé à chacune des lettres a été le suivant :

  • S’agissant d’une lettre écrite par Agata, une amie des demanderesses, l’agent a dit que cette lettre était peu convaincante parce que celle qui l’avait écrite ne révélait pas son nom de famille, l’endroit où elle avait rencontré le mari ni la date à laquelle la lettre avait été écrite.
  • S’agissant d’une lettre de Mme Janina Surdej, une ancienne voisine des demanderesses, l’agent a dit à nouveau que, comme la lettre n’indiquait pas la date à laquelle elle avait été écrite ou postée, il était impossible de savoir ce que valait l’information qu’elle contenait, et l’agent a donc accordé à la lettre peu de poids.
  • S’agissant d’une lettre venant de Mme Anna Wilk, une connaissance des demanderesses, l’agent a estimé que la lettre constituait une preuve intéressée, produite dans le dessein d’appuyer les demandes d’asile des demanderesses, et il lui a donc accordé peu de poids.
  • S’agissant d’une lettre de la sœur de Mme Palka, Beata, l’agent a relevé que la lettre n’indiquait pas, contrairement à ce qu’avait dit la demanderesse principale, que son mari avait déclaré qu’il la tuerait si elle retournait en Pologne. L’agent a aussi fait observer que Beata n’était pas une partie désintéressée dans l’issue de la présente demande.

 

[6]               L’agent a dit que les lettres n’abordaient pas certains aspects des conclusions de la SPR touchant la crédibilité des demanderesses et que, s’agissant de la crédibilité, la décision de la SPR appelait une retenue considérable car la SPR avait eu l’avantage d’entendre le témoignage sous serment de la demanderesse principale. La conclusion finale de l’agent sur la question du risque était qu’il n’était pas persuadé que la preuve produite suffisait à neutraliser les conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

 

[7]               S’agissant de l’existence d’une protection de l’État, l’agent a dit que, même s’il décidait de reconnaître pleinement le risque allégué, les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État. L’agent a considéré la preuve documentaire soumise par les demanderesses sur la violence conjugale, laquelle était vue comme un problème de taille en Pologne. Il a reproduit certains passages des documents en cause. Il a ensuite considéré les systèmes politique, judiciaire et policier de la Pologne, faisant observer que la Pologne était une démocratie qui avait bien en main son territoire et ses forces de sécurité. Puis l’agent a examiné le Country Report on Human Rights Practices for Poland, daté de 2005, du Département d’État des États‑Unis, portant la date du 8 mars 2006 (le dossier d’information du Département d’État des États‑Unis). Il a reproduit un long extrait du rapport où il est question de la violence familiale exercée contre les femmes, en y ajoutant des statistiques sur les affaires signalées et sur les poursuites engagées. L’agent a admis que [traduction] « les services de protection offerts aux victimes de violence familiale et aux enfants maltraités en Pologne présentent encore des lacunes », mais il a relevé que le gouvernement polonais ne fermait pas les yeux sur la violence contre les femmes ou les enfants et que les moyens pris pour s’attaquer à ces problèmes [traduction] « donnaient certains résultats ». L’agent a examiné l’affirmation de la demanderesse principale selon laquelle elle avait signalé les violences à la police locale à maintes reprises, mais il a fait observer qu’elle n’avait pas apporté la preuve des mesures qu’elle avait prises pour se plaindre de l’inertie de la police locale. En conclusion, l’agent a estimé que les demanderesses n’avaient pas réfuté la présomption de l’existence d’une protection de l’État. Il a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que les demanderesses ne seraient pas personnellement soumises à une menace pour leurs vies ni exposées à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités si elles devaient retourner en Pologne.

 

Les points litigieux

 

[8]               Les demanderesses ont soumis les points suivants à l’examen de la Cour :

1.         L’agent d’ERAR a‑t‑il négligé de considérer la question de la protection de l’État d’après le contexte?

2.         L’agent d’ERAR a‑t‑il manqué aux principes de justice naturelle parce qu’il n’a pas communiqué la preuve extrinsèque aux demanderesses (ou à leur conseil) pour qu’elles fassent des observations sur cette preuve et qu’elles y réagissent?

3.         L’agent d’ERAR a‑t‑il manqué aux principes de justice naturelle parce qu’il n’a pas accordé aux demanderesses une audience pour leur permettre de dissiper les doutes portant sur leur crédibilité qui étaient soulevés dans la demande d’ERAR?

 

[9]               Je reformulerais les questions ainsi :

            1.         Quelle est la norme de contrôle qu’il faut appliquer?

            2.         L’agent a‑t‑il erré dans son analyse de la protection de l’État?

3.         L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas accordé aux demanderesses une audience où elles auraient pu dissiper les doutes portant sur leur crédibilité?

 

Les conclusions des demanderesses

 

[10]           Selon les demanderesses, l’agent ne s’est pas servi du bon critère juridique pour analyser la question de la protection de l’État, et cette erreur est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982). Elles disent que, lorsqu’il s’agit de savoir si un État a fait de « sérieux efforts » pour protéger ses citoyens, la loi requiert une analyse contextuelle qui prenne en compte non seulement le cadre législatif existant, mais aussi la capacité réelle de l’État d’offrir une protection et l’efficacité des corps policiers du pays (Garcia c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2007] A.C.F. n° 118). La preuve requise pour que soit réfutée la présomption d’existence d’une protection de l’État doit être « claire et convaincante » (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Les demanderesses disent que, en apportant la preuve de l’incapacité des autorités polonaises à apporter aux femmes qui le demandent une protection contre la violence, elles ont satisfait à leur obligation d’apporter une preuve propre à réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État. Selon les demanderesses, l’agent a commis une erreur en ne faisant pas une analyse contextuelle de la protection de l’État.

 

[11]           Les demanderesses disent aussi que l’agent s’est trompé en se prononçant sur leur crédibilité sans leur accorder une audience. Plus exactement, selon les demanderesses, lorsque l’agent a dit qu’elles n’avaient pas réfuté les conclusions de la SPR relatives à leur crédibilité, l’agent devait leur accorder une audience. Les demanderesses disent que, selon l’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), une audience doit être tenue lorsque la crédibilité est une question déterminante. Lorsque les facteurs énoncés dans l’article 167 du Règlement sont présents, c’est manquer à l’équité procédurale que de ne pas tenir une audience (Zokai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103).

 

Les conclusions du défendeur

 

[12]           Selon le défendeur, la norme de contrôle devant s’appliquer aux questions de fait est généralement celle de la décision manifestement déraisonnable (Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 540 (1re inst.)). Les décisions d’ERAR sont des décisions discrétionnaires et, à moins que ne soit démontrée une erreur de droit, il n’y a aucune raison de les infirmer; la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve. Le défendeur dit qu’aucune des conclusions tirées de la preuve documentaire par l’agent n’était si totalement dépourvue de raison qu’elle justifiait l’intervention de la Cour (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

 

[13]           S’agissant de la protection de l’État, le défendeur dit que n’est pas étayé par la jurisprudence l’argument des demanderesses selon lequel l’arrêt Ward susmentionné a désavoué l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. 130 (C.A.F.), de telle sorte que la protection de l’État doit être parfaite. Une protection de l’État suffisante, même imparfaite, est acceptable (Villafranca, précité; Valdez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 683; Urgel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 1777; Velazquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 934; Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée). Le défendeur dit que l’agent s’est fondé sur la preuve documentaire qui montrait que la Pologne est une démocratie dotée d’un pouvoir judiciaire autonome et d’instances civiles; la preuve montrait aussi que le gouvernement polonais ne ferme pas les yeux sur la violence contre les femmes ou les enfants et que la loi interdit pareille violence. Le défendeur dit aussi que l’agent a noté les imperfections du système et le fait que les efforts déployés par les autorités étaient entravés lorsque les violences et mauvais traitements n’étaient pas signalés par les victimes. Le défendeur dit que l’agent a ensuite considéré l’efficacité des lois et des politiques gouvernementales, relevant que la prise de conscience des corps policiers, les campagnes médiatiques et l’engagement d’organisations non gouvernementales avaient entraîné une hausse du nombre des dénonciations. Selon le défendeur, l’agent a évalué la preuve qui lui avait été présentée à la lumière de l’obligation rigoureuse qu’avaient les demanderesses d’apporter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État à les protéger.

 

[14]           S’agissant de l’argument des demanderesses selon lequel une audience devait être tenue, le défendeur dit qu’il est en général statué sur les demandes d’ERAR sur la foi de conclusions écrites et qu’une audience ne sera requise que dans des cas exceptionnels. Il a admis que les conditions de la tenue d’une audience sont énoncées dans l’article 167 du Règlement, mais il fait valoir que, dans la présente affaire, elles n’étaient pas toutes réunies. Plus précisément, le défendeur dit que les conclusions de l’agent concernant la crédibilité des demanderesses n’étaient pas au cœur de sa décision (contrairement à ce que requiert l’alinéa 167b)), parce que la demande n’a pas été refusée pour des raisons de crédibilité, mais toujours en raison de l’existence d’une protection de l’État. Par ailleurs, l’agent a estimé que les demanderesses n’avait pas établi le fondement objectif de leur demande d’ERAR et qu’aucune audience n’était donc requise (Allel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 533).

 

Analyse et décision

 

[15]           Point n° 1

            Quelle est la norme de contrôle qu’il faut appliquer?

            Il y a erreur de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, si le décisionnaire n’a pas réellement rattaché aux faits les règles relatives à la protection assurée par l’État (décision Garcia, précitée, paragraphe 28). La conclusion de l’agent d’ERAR relative à la protection de l’État est une conclusion tributaire des faits, qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (décision Kim, précitée).

 

[16]           S’agissant des questions d’équité procédurale, aucune analyse pragmatique et fonctionnelle n’est requise; les conclusions en la matière sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1284, paragraphe 5).

 

[17]           S’agissant de l’obligation ou non de tenir une audience, les facteurs qui requièrent la tenue d’une audience pour l’examen d’une demande d’ERAR sont exposés dans l’article 167 du Règlement; la manière d’interpréter et d’appliquer cette disposition est une question de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (décision Demirovic, précitée).

 

[18]           Point n° 2

            L’agent a‑t‑il erré dans son analyse de la protection de l’État?

            Récemment, dans la décision Garcia, précitée, le juge Campbell s’est livré à un examen très approfondi de la jurisprudence relative à la protection de l’État. Je n’entends pas répéter cette analyse, mais je crois nécessaire de mettre en relief quelques passages qui intéressent la présente espèce. Aux paragraphes 10 à 16, le juge Campbell expliquait l’arrêt Villafranca, précité, faisant observer que l’analyse de la protection de l’État impliquait non seulement de considérer les « sérieux efforts » déployés par l’État pour neutraliser le risque en question, mais également d’apprécier la mesure dans laquelle les efforts en cause sont déployés « sur le terrain ». Plus précisément, il ne suffit pas pour l’agent de considérer les moyens pris par l’État, par exemple mesures législatives, enquêtes publiques sur la question, et ainsi de suite; il doit aussi tenir compte de la mise en œuvre concrète de telles mesures, ainsi que de leur aptitude à venir à bout du problème.

 

[19]           Dans la décision Garcia, le juge Campbell commentait ensuite, aux paragraphes 18 à 20, l’arrêt Ward, précitée, ainsi que son incidence sur l’arrêt Villafranca, précité :

Je suis d’avis que la jurisprudence Ward modifie la jurisprudence Villafranca sous un aspect particulièrement important. Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême s’est exprimée clairement sur la quantité et la qualité des preuves que le demandeur d’asile doit produire pour réfuter la présomption que l’État assure la protection des personnes; en d’autres termes, le demandeur d’asile est uniquement tenu de produire une preuve claire et convaincante. Par conséquent, je suis d’avis que l’observation de l’arrêt Villafranca selon laquelle « il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation » n’est plus d’actualité juridiquement. Ainsi, la preuve de l’échec des autorités publiques à réagir efficacement aux appels à l’aide venant de femmes menacées par des prédateurs sexuels violents peut, à elle seule, être considérée comme une preuve claire et convaincante qui réfute la présomption que l’État concerné assure la protection des personnes. Tout dépend de la force probante de la preuve produite aux yeux du décisionnaire.

 

 

 

[20]           Selon les demanderesses, l’agent a commis une erreur de droit parce qu’il n’a pas fait une analyse contextuelle de la protection de l’État, et elles affirment s’être acquittées de leur obligation, selon l’arrêt Ward, de réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État. Le défendeur répond que l’agent a bel et bien fait une analyse contextuelle de la protection de l’État comme il y était tenu et que, en réalité, les demanderesses ne partagent pas la conclusion ultime de l’agent sur la protection de l’État.

 

[21]           Après examen de la décision de l’agent, je suis d’avis qu’il n’a pas manqué d’analyser la question de la protection de l’État en se fondant sur les circonstances propres à la présente affaire. Il a pris en compte les « sérieux efforts » du gouvernement polonais tels qu’ils sont recensés dans le dossier d’information du Département d’État des États‑Unis, notamment le système de conservation des documents appelé « fiche bleue » (un système qui répertorie les cas de violence conjugale), les campagnes d’information, les lois pénales punissant la violence familiale et le viol, un nouveau programme national approuvé de lutte contre la violence familiale, enfin les efforts déployés par les ONG. Puis l’agent examinait ensuite, aux pages 10 et 11 de sa décision, la question de l’efficacité des efforts en question :

[traduction]

Cette preuve révèle que, alors que des ONG telles que le Centre pour les droits des femmes avaient observé de la part de la police un troublant manque d’empressement à intervenir dans les cas de violence familiale lorsque le Centre avait participé à la publication, en 2002, d’un rapport sur la violence familiale en Pologne, ce peu d’empressement de la police ne serait, semble‑t‑il, qu’un phénomène « occasionnel » en 2005, et il se manifesterait « […] surtout lorsque l’auteur faisait partie de la force policière et que la victime était peu disposée à coopérer ». Malgré le nombre élevé de cas non signalés de violence familiale encore aujourd’hui en Pologne, l’accroissement du nombre de cas est attribué à « la prise de conscience des corps policiers, en particulier dans les régions urbaines, à la suite de campagnes d’information et d’efforts déployés par les ONG ». En 2005, les corps policiers polonais ont mené 22 652 enquêtes sur des cas de violence familiale et ont transmis au ministère public 21 843 de ces cas pour mises en accusation.

 

 

[22]           Il ne s’agit pas ici d’un cas où l’agent a simplement énuméré les initiatives prises par l’État pour venir à bout du phénomène, sans prendre la peine de pousser plus loin son analyse. À mon avis, le passage ci‑dessus permet de dire que l’agent a fait une analyse contextuelle de la protection offerte par l’État aux victimes de violence familiale en Pologne.

 

[23]           Les demanderesses disent aussi qu’elles se sont acquittées de leur obligation, selon l’arrêt Ward, précité, de réfuter la présomption d’existence d’une protection de l’État. Elles disent que les deux documents mentionnés dans la portion de leur demande d’ERAR où sont exposées leurs conclusions constituent la preuve claire et convaincante qui est nécessaire pour réfuter la présomption. Les documents en question sont un communiqué de presse de l’Organisation mondiale contre la torture, intitulé Poland: Concern About Violence Women, portant la date du 13 novembre 2002, et un rapport du Minnesota Advocates for Human Rights, Women’s Rights Center, intitulé Domestic Violence in Poland, portant la date de juillet 2002.

 

[24]           L’agent a évoqué les deux rapports, aux pages 8 et 9 de sa décision. Cependant, à la page 10, il écrivait ce qui suit :

[traduction]

J’accorde davantage de poids au document du Département d’État des États‑Unis, car il est plus récent et donne à penser que la situation qui a cours en Pologne s’est améliorée depuis que le rapport susmentionné de l’ONG a été publié en 2002.

 

 

 

[25]           L’agent a examiné la preuve produite par les demanderesses, mais a jugé que la preuve plus récente était plus convaincante. Il était fondé à tirer cette conclusion. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait l’agent. À mon avis, il a appliqué correctement le droit relatif à la protection de l’État et a tiré en la matière une conclusion finale qui n’est en aucune façon manifestement déraisonnable.

 

[26]           Point n° 3

            L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas accordé aux demanderesses une audience où elles auraient pu dissiper les doutes portant sur leur crédibilité?

            Les demanderesses disent que l’agent a manqué à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas tenu une audience où elles auraient pu dissiper ses doutes relatifs à leur crédibilité. Le défendeur dit que l’agent a correctement appliqué l’article 167 du Règlement et qu’aucune audience n’était donc requise.

 

[27]           Les facteurs qui président à la tenue d’une audience sont exposés dans l’article 167 du Règlement, qui est ainsi formulé :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

[28]           Les critères énumérés dans cette disposition sont considérés comme des critères cumulatifs (Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n° 452 (1re inst.), paragraphe 6).

 

[29]           À mon avis, la condition de l’alinéa 167c) n’est pas remplie en l’espèce. L’agent a trouvé qu’il existait en Pologne une protection de l’État suffisante dont les demanderesses pouvaient se réclamer. Par conséquent, même si la preuve produite par la demanderesse principale avait été jugée crédible et avait été admise, la demande d’asile n’aurait pas été accordée en raison de la conclusion de l’agent sur la protection de l’État. Je suis donc d’avis que l’agent a correctement appliqué l’article 167 du Règlement et qu’aucune audience n’était requise en application de l’alinéa 113b) de la LIPR.

 

[30]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

[31]           Aucune des parties n’a proposé que soit certifiée une question grave de portée générale.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

             « John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.
ANNEXE

 

Dispositions légales et réglementaires applicables

 

Les dispositions légales et réglementaires applicables sont reproduites dans cette section.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

112.(1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :

 

a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;

 

b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);

 

 

c) si elle n’a pas quitté le Canada après le rejet de sa demande de protection, le délai prévu par règlement n’a pas expiré;

 

d) dans le cas contraire, six mois ne se sont pas écoulés depuis son départ consécutif soit au rejet de sa demande d’asile ou de protection, soit à un prononcé d’irrecevabilité, de désistement ou de retrait de sa demande d’asile.

 

 

 

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

 

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

 

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

113.Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

 

114.(1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(2) Le ministre peut révoquer le sursis s’il estime, après examen, sur la base de l’alinéa 113d) et conformément aux règlements, des motifs qui l’ont justifié, que les circonstances l’ayant amené ont changé.

 

 

 

 

 

(3) Le ministre peut annuler la décision ayant accordé la demande de protection s’il estime qu’elle découle de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

 

(4) La décision portant annulation emporte nullité de la décision initiale et la demande de protection est réputée avoir été rejetée.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

112.(1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

(2) Despite subsection (1), a person may not apply for protection if

 

(a) they are the subject of an authority to proceed issued under section 15 of the Extradition Act;

 

(b) they have made a claim to refugee protection that has been determined under paragraph 101(1)(e) to be ineligible;

 

(c) in the case of a person who has not left Canada since the application for protection was rejected, the prescribed period has not expired; or

 

(d) in the case of a person who has left Canada since the removal order came into force, less than six months have passed since they left Canada after their claim to refugee protection was determined to be ineligible, abandoned, withdrawn or rejected, or their application for protection was rejected.

 

(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

 

(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;

 

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

114.(1) A decision to allow the application for protection has

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), the effect of conferring refugee protection; and

 

(b) in the case of an applicant described in subsection 112(3), the effect of staying the removal order with respect to a country or place in respect of which the applicant was determined to be in need of protection.

 

(2) If the Minister is of the opinion that the circumstances surrounding a stay of the enforcement of a removal order have changed, the Minister may re‑examine, in accordance with paragraph 113(d) and the regulations, the grounds on which the application was allowed and may cancel the stay.

 

(3) If the Minister is of the opinion that a decision to allow an application for protection was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts on a relevant matter, the Minister may vacate the decision.

 

(4) If a decision is vacated under subsection (3), it is nullified and the application for protection is deemed to have been rejected.

 

 

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 :

 

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑955‑07

 

 

INTITULÉ :                                                   JADWIGA PALKA et PAULA PALKA

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 15 JANVIER 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

  ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’KEEFE

 

 

DATE DES MOTIFS :                                   LE 14 FÉVRIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeinis S. Patel

 

POUR LES DEMANDERESSES

Jamie Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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