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Date : 20080213

Dossier : IMM-2231-07

Référence : 2008 CF 182

Toronto (Ontario), le 13 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRAYER

 

 

ENTRE :

MOHAMMAD-RAHIM ZAZAY

                          

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

 

                                                                                   

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) rendue le 4 mai 2007 par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.     

 

Les faits

[2]               Le demandeur est né en 1980 et est citoyen de l’Afghanistan. Il vivait avec ses parents à Kaboul tout en travaillant pour son père dans le dépanneur familial. Selon ses dires, son oncle par alliance se nommait Bidar Zazay et était un ancien moudjahid qui avait encore une milice à sa solde. Celui-ci était devenu député et avait déménagé à Kaboul. En mai 2006, selon les dires du demandeur, son oncle par alliance a envoyé les hommes de sa milice chez son père et a expulsé le demandeur et sa famille de leur maison en prétendant qu’elle lui appartenait. Le demandeur affirme que lui et son père ont tenté de remédier à la situation en déposant une requête en justice ainsi qu’une plainte auprès d’un organisme de protection des droits de la personne. Toutefois, il n’a pas été en mesure de produire des preuves documentaires démontrant qu’ils avaient effectué de telles démarches, qui sont demeurées toutes deux infructueuses. Il semble que les autorités n’aient pas agi. Le demandeur affirme qu’à la suite de ces démarches, on l’a amené contre son gré chez son oncle, qui l’a menacé de mort pour avoir porté plainte. Le demandeur a quitté l’Afghanistan quelques jours plus tard, est arrivé au Canada le 13 juin 2006 et a immédiatement présenté une demande d’asile. Il a témoigné sous serment au cours d’une entrevue portant sur sa demande et tenue dans le cadre du processus accéléré. L’affaire a ensuite fait l’objet d’une audition complète et il a témoigné de nouveau. Dans sa décision, la Commission a dit qu’elle était préoccupée par la question de la crédibilité du demandeur et que celui-ci n’avait pas démontré qu’il craignait avec raison d’être persécuté en Afghanistan. Par conséquent, elle a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

Analyse

[3]               Dans la présente affaire, le demandeur affirme que la Commission a commis diverses erreurs de droit, mais les arguments qu’il avance reviennent à se plaindre des conclusions de fait et de crédibilité que la Commission a tirées. La norme de contrôle pour des décisions de cette nature est la décision manifestement déraisonnable : voir par exemple Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, au paragraphe 14.

[4]               J’ai conclu que plusieurs des conclusions de fait et de crédibilité de la Commission étaient manifestement déraisonnables. Ainsi, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à prouver son lien de parenté avec Bidar Zazay parce qu’il n’avait produit aucun document. Le demandeur a néanmoins affirmé plusieurs fois sous serment qu’un tel lien de parenté existait et on n’a pu apporter aucune preuve tendant à démontrer le contraire. Quand un demandeur affirme sous serment que certaines allégations sont vraies, on présume que celles-ci sont vraies, à moins qu’il n’existe des raisons de douter de leur véracité : voir Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1980] 2 C.F. 302 (C.A.). Il n’y a rien dans le témoignage même du demandeur selon lequel Bidar Zazay est son oncle par alliance qui soit invraisemblable.

 

[5]               La Commission n’a apparemment pas cru que Bidar Zazay ait occupé la fonction de député à l’Assemblée nationale d’Afghanistan pendant la période en cause. Le demandeur a produit des traductions de documents tirés du site Internet du Parlement afghan, lesquels indiquaient que Bidar Zazay était membre du comité des finances de l’Assemblée nationale et député de Kaboul à l’Assemblée nationale. La Commission s’est plutôt concentrée sur sa propre documentation, qui comprenait une liste des membres du Cabinet afghan sur laquelle Bidar Zazay ne figurait pas. Le ministre des Finances dont le nom apparaissait sur cette liste n’était pas non plus membre du comité des finances. La Commission y a vu une contradiction. Toutefois, le demandeur n’a pas prétendu que son oncle par alliance faisait partie du Cabinet, mais seulement qu’il était député à l’Assemblée nationale. Il n’existait aucune preuve donnant à penser qu’un membre du comité des finances doive automatiquement être membre du Cabinet, ou encore que le ministre des Finances doive faire partie du comité des finances de l’Assemblée nationale. Par conséquent, la conclusion que la Commission a tirée en se fondant sur cette preuve, voulant que la version du demandeur ne soit pas crédible, était une conclusion déraisonnable.

 

[6]               Dans son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur a déclaré qu’après avoir déposé une requête en justice et une plainte auprès d’un organisme de protection des droits de la personne, son oncle par alliance avait menacé de le tuer. Dans le témoignage qu’il a donné par la suite, le demandeur a déclaré qu’on l’avait amené contre son gré chez son oncle, qui lui avait proféré des menaces de mort. La Commission y a vu une incohérence remettant en question la crédibilité du demandeur lorsqu’il prétendait que son oncle par alliance l’avait menacé de mort. Je crois qu’il s’agissait d’une conclusion exagérée et déraisonnable.

 

[7]               La Commission n’a pas cru le demandeur en ce qui a trait à la requête en justice et à la plainte déposée auprès d’un organisme de protection des droits de la personne, parce qu’il n’avait produit aucune preuve documentaire démontrant qu’il avait effectué ces démarches. Le demandeur a expliqué que les organismes en question ne disposaient d’aucun matériel de reproduction et il me semble déraisonnable de supposer qu’une telle documentation, qu’on pourrait tenir pour acquise, est disponible en Afghanistan dans les conditions actuelles.

 

[8]               La Commission a également tiré une conclusion curieuse : 

De plus, le témoignage du demandeur d’asile montre que les autorités ont pris sa plainte au sérieux contre une personne qui est, d’après lui, un ancien moudjahid, maintenant député, et que les autorités ont pris des mesures à l’égard de sa plainte, ce qui montre qu’elles n’ont pas été influencées par cette personne.

 

En fait, dans les affirmations qu’il a faites sous serment, le demandeur a dit tout le contraire, à savoir qu’aucun des deux organismes n’avait agi et qu’on l’avait informé au nom du tribunal qu’on ne pouvait pas entamer de poursuites contre son oncle par alliance parce que ce dernier était maintenant très haut placé. La conclusion tirée par la Commission était donc déraisonnable.

 

[9]               Dans la présente affaire, je ne peux pas dire que nonobstant les conclusions manifestement déraisonnables susmentionnées, il y avait par ailleurs suffisamment de preuves justifiant la conclusion de la Commission. Par conséquent, je dois conclure que la décision de la Commission est manifestement déraisonnable. Bien sûr, cela ne revient pas à dire que la demande du demandeur était pleinement convaincante et que tout ce qu’il a déclaré était crédible. Je pense simplement que la Commission n’a pas démontré dans ses motifs qu’elle avait des raisons valables de ne pas accorder de crédibilité aux affirmations du demandeur.

 

Dispositif

[10]           Par conséquent, j’annulerai la décision et renverrai l’affaire à la Commission, devant un tribunal différemment constitué, pour un nouvel examen. Les avocats n’ont soulevé aucune question à certifier et aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rendue le 4 mai 2007 est annulée et que l’affaire est renvoyée à la Commission, devant un tribunal différemment constitué, pour un nouvel examen.

 

 

« B. L. Strayer »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2231-07

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMAD-RAHIM ZAZAY

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                                                                                        

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               11 février 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                    Le juge Strayer

 

DATE :                                               Le 13 février 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Randal Montgomery

POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie Todd

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rodney Woolf

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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