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Date : 20080213

Dossier : IMM-2283-07

Référence : 2008 CF 181

ENTRE :

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

demandeur

 

et

 

 

 

UMASANGAR GUNASINGAM

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

LE JUGE HARRINGTON

 

[1]               On peut être à la fois réfugié et menteur. Cependant, si l’obtention du statut de réfugié d’un demandeur résulte de présentations erronées sur un fait important, ou de réticences sur ce fait, la décision peut être annulée. M. Gunasingam est un jeune tamoul du Sri Lanka. Dans son Formulaire de renseignements personnels, il a relaté un certain nombre d’incidents antérieurs à décembre 2000 qui lui faisaient craindre d’être persécuté par les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET). Ses parents ont réussi à le faire passer de son village à un autre pour le faire sortir du Sri Lanka. Le demandeur a alors relaté plusieurs incidents survenus au Sri Lanka, en mai et juin 2001, qui l’amenaient à craindre d’être persécuté par la police et l’armée. Il est parti pour les États-Unis en juin 2001. À son arrivée dans ce pays, il a été détenu pendant deux mois. Dès sa remise en liberté, il s’est rendu au Canada où il a demandé l’asile.

 

[2]               Sa demande a été tranchée rapidement. Dans le rapport accéléré, la demande était décrite brièvement en un seul paragraphe. Dans sa décision, le commissaire a jugé que : [TRADUCTION] « La preuve documentaire sur la situation régnant au Sri Lanka étaye la plausibilité générale des allégations de persécution du demandeur. Je souscris aux observations et aux recommandations formulées par l’agent chargé de la demande ».

 

[3]               M. Gunasingam a voyagé muni d’un faux passeport. Son vrai passeport est plus tard parvenu à l’attention des autorités. En juin 2006, le ministre a demandé que la décision ayant conféré à M. Gunasingam le statut de réfugié au sens de la Convention soit annulée. Comme il a ensuite été admis au cours de l’audience, le passeport indiquait que M. Gunasingam avait quitté le Sri Lanka en février 2001 pour la Malaisie où il était demeuré quelques mois avant de se rendre aux États‑Unis et au Canada.

 

[4]               À l’audience relative à la demande d’annulation, M. Gunasingam a expliqué que l’armée et les autorités sri-lankaises l’avaient bel et bien maltraité, mais plusieurs mois auparavant. Il a rédigé son exposé circonstancié dans sa propre langue mais, au moment de la traduction, le traducteur a modifié les dates. Le traducteur a affirmé qu’il était très important de cacher le fait que le demandeur était demeuré en Malaisie pendant plusieurs mois, puisque cela serait utilisé contre lui. Comme par hasard, M. Gunasingam affirme que ni lui ni le traducteur n’a conservé de copie de ce qu’il avait initialement rédigé. Même si l’on a fourni le nom du traducteur, ni M. Gunasingam ni le ministre l’ont cité à titre de témoin, ce qui est tout à fait inapproprié compte tenu que le traducteur aurait pris part à la fraude.

 

[5]               La commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’annulation du ministre. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[6]               L’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) prévoit :

109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

 

      (2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

 

 

      (3) La décision portant annulation est assimilée au rejet de la demande d’asile, la décision initiale étant dès lors nulle.

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

 

      (2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

 

      (3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected and the decision that led to the conferral of refugee protection is nullified.

 

[7]               Avant d’appliquer le paragraphe 109(2), il faut qu’une décision ait été rendue en conformité avec le paragraphe 109(1), lequel prévoit trois conditions : a) il doit y avoir eu des présentations erronées sur un fait important ou une réticence sur ce fait; b) ce fait doit se rapporter à un objet pertinent; et c) il doit exister un lien de causalité entre, d’une part, les présentations erronées ou la réticence, et, d’autre part, le résultat favorable obtenu.

 

[8]               Le fardeau de la preuve incombant au ministre, si le ministre satisfait aux trois conditions du paragraphe 109(1), la Commission peut toujours rejeter la demande d’annulation si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile. Il est important de souligner que la question n’est pas de savoir si la Commission estime qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve lors de l’audience relative à la demande d’annulation, mais plutôt de savoir s’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DE CONTRÔLE

[9]               L’analyse et la conclusion de la commissaire sont courtes et n’établissent pas une nette distinction entre les conditions prévues aux paragraphes 109(1) et 109(2). En effet, le raisonnement de la commissaire est ambiguë. Selon mon interprétation, la commissaire a conclu que le ministre n’avait pas rempli les conditions établies par le paragraphe 109(1) de la LIPR et que, même s’il les avait remplies, il restait suffisamment d’éléments de preuve non viciés selon le paragraphe 109(2) pour maintenir la décision initiale.

 

[10]           La commissaire a examiné la preuve documentaire produite à l’appui de la demande d’asile initiale, laquelle décrivait les difficultés qu’un jeune homme Tamoul du nord du Sri Lanka pouvait éprouver à cette époque. Elle a déclaré : « Sur ce fondement, j’estime qu’il existe toujours une preuve suffisante à l’appui de la décision rendue par le tribunal original […] »

 

[11]           Elle a souligné que les faits liés aux allégations de persécution par les TLET n’ont pas fait l’objet de présentations erronées. « [C]es événements se sont tous produits entre novembre 1999 et le 16 février 2001. »

 

[12]           De plus, elle n’a pas cru que le fait que M. Gunasingam n’avait pas demandé l’asile en Malaisie aurait modifié la décision du tribunal initial.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]           Quelques questions sont soulevées :

a.       Quelle est la norme de contrôle applicable?

b.      Dans quelle mesure, s’il y a lieu, de nouveaux éléments de preuve favorables au demandeur peuvent-ils être pris en compte lors d’une audience relative à une demande d'annulation?

c.       Les règles de justice naturelle ont-elles été respectées grâce à un exposé des motifs suffisamment clair pour permettre à la partie déboutée de comprendre pourquoi la décision a été rendue?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[14]           S’il n’y avait pas de jurisprudence sur cette question, j’aurais pu pencher en faveur de la proposition selon laquelle la norme de contrôle applicable aux paragraphes 109(1) et 109(2) est celle de la décision raisonnable simpliciter. Cependant, la Cour a conclu, dans les décisions Sethi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1178,  [2005] A.C.F. no 1434 et Mansoor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 420, [2007] A.C.F. no 571, que la norme de contrôle applicable au paragraphe 109(1) est la décision manifestement déraisonnable, tandis que celle applicable au paragraphe 109(2) est la décision raisonnable simpliciter. Je ne vois aucune raison de déroger au principe de la courtoisie judiciaire et d’appliquer une norme différente. Toutefois, il faut garder à l’esprit que les questions de justice naturelle ne sont pas assujetties à l’approche pragmatique et fonctionnelle applicable au contrôle judiciaire (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539). Autrement dit, la norme de la décision correcte s’applique.

 

LES NOUVEAUX ÉLÉMENTS DE PREUVE

[15]           Il est clair que le ministre peut présenter de nouveaux éléments de preuve, lesquels constituent le fondement même de la demande d’annulation de la décision initiale. Cependant, dans la présente affaire, M. Gunasingam a eu l’occasion d’affirmer et d’expliquer que les incidents s’étaient réellement produits, mais tout simplement à un autre moment. Selon le paragraphe 109(2) de la LIPR, la Section de la protection des réfugiés peut rejeter la demande d’annulation présentée par le ministre « […] si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile ». Cette condition est très différente de celle contenue dans la disposition équivalente de l’ancienne Loi sur l’immigration, le paragraphe 69.3(5), qui autorisait la Section du statut de réfugié à rejeter une demande si « elle estim[ait] par ailleurs qu'il rest[ait] suffisamment d'éléments justifiant la reconnaissance du statut ».

 

[16]           Il aurait pu être soutenable que la version « corrigée » des incidents pouvait être prise en compte sous le régime de l’ancienne loi, ce qui n’est pas le cas sous le régime de la Loi actuelle. Cependant, dans l’arrêt Coomaraswamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 153, [2002] A.C.F. no 603, la Cour d’appel fédérale n’a pas tardé à rejeter cet argument. Les observations du juge Evans sont encore plus révélatrices en ce qui a trait à la Loi actuelle :

[15]      Pour dissiper tout doute possible au sujet de l'interprétation du paragraphe 69.3(5), on se demande quel objet législatif serait servi si l'on accordait à des revendicateurs qui ont obtenu gain de cause en trompant la Commission une possibilité de présenter des éléments de preuve supplémentaires afin de prouver de nouveau à l'audience d'annulation que leurs revendications étaient authentiques. Une telle possibilité n'est pas offerte aux revendicateurs sincères ou de mauvaise foi dont les revendications du statut de réfugié sont rejetées. Offrir à un revendicateur qui a obtenu gain de cause en trompant la Commission une deuxième part du gâteau en le laissant présenter une nouvelle preuve lors de l'audience d'annulation reviendrait à récompenser la tromperie et à ne pas inciter à dire la vérité.

 

[17]           Je n’ai aucune hésitation à conclure que les nouvelles dates fournies par M. Gunasingam ne sont tout simplement pas pertinentes. Le fait demeure qu’il a déclaré avoir été persécuté au Sri Lanka en mai et juin 2001, alors qu’il était en fait en Malaisie. Ces incidents ne peuvent être pris en compte quel que soit le moment où ils ont pu se produire.

 

[18]           Tant aux termes du paragraphe 109(1) que du paragraphe 109(2), la commissaire a eu tort de conclure que la situation du pays, à elle seule, justifiait que l’on fasse droit à la demande d’asile du demandeur. La demande doit être personnalisée (Taj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 707, [2004] A.C.F. no 880, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fouodji, 2005 CF 1327, [2005] A.C.F. no 1614, et l’arrêt Coomaraswamy, précité.

 

[19]           En outre, la commissaire s’est fondée sur de pures conjectures et non sur une inférence pour conclure que le tribunal initial n’aurait pas pris en compte le fait que M. Gunasingam n’avait pas demandé l’asile en Malaisie. Le tribunal initial ne pouvait pas prendre en compte ce fait puisqu’il n’était pas au courant que le demandeur était demeuré dans ce pays pendant plusieurs mois. Il est manifestement déraisonnable de fonder une décision sur des conjectures (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum, [1989] A.C.F. no 505, 99 N.R. 171).

 

[20]           Pour ce qui est maintenant des éléments de preuve non viciés par les présentations erronées, visés au paragraphe 109(2), la commissaire affirme que les allégations de persécution par les TLET n’ont pas fait l’objet de présentations erronées et que les incidents se sont tous produits entre novembre 1999 et le 16 février 2001. Cette affirmation est incorrecte. Les incidents doivent avoir eu lieu, si jamais ils ont eu lieu, au plus tard en décembre 2000. Les incidents subséquents, dont les dates ont été changées de mai et juin 2001 à des dates antérieures au 16 février 2001, auraient fait craindre à M. Gunasingam des actes de persécution par les autorités et l’armée, et non par les TLET. Si nous faisons abstraction de ces incidents, ce que nous devons faire parce que nous devons rejeter l’explication du demandeur, le tribunal initial aurait alors pu au moins examiner la possibilité de refuge intérieur.

 

L’INSUFFISANCE DE MOTIFS ET LA JUSTICE NATURELLE

[21]           Même s’il s’agit d’une affaire pénale, l’arrêt R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869, a souvent été cité dans le contexte du droit administratif. Une demande en vue d’annuler la décision ayant accueilli une demande d’asile revêt une grande importance. Une partie devrait savoir exactement pourquoi la décision initiale a été ou n’a pas été annulée. Dans la présente affaire, les motifs n’ont pas été clairement exposés et ne ressortent pas facilement au vu du dossier.

 

[22]           Comme on peut lire dans l’arrêt Sheppard, précité, la Cour suprême avait antérieurement conclu dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193, que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale en droit administratif requerra une explication écrite de la décision. Cette obligation s’applique à l’article 109 de la LIPR (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Shpigelman, 2003 CF 1209, [2003] A.C.F. no 1533, la décision Mansoor, précitée, au paragraphe 32).

 

[23]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du ministre sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre tribunal pour qu’il rende une nouvelle décision. M. Gunasingam aura jusqu’au 20 février 2008 pour soumettre une question grave de portée générale, et le ministre aura jusqu’au 26 février pour y répondre.

 

[24]           Il est tout simplement faux de penser qu’on peut être admis au Canada au moyen d’un mensonge.

 

 

 

« Sean J. Harrington »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 13 février 2008

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-2283-07

 

INTITULÉ :                                                               MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                                                    c.

                                                                                    UMASANGAR GUNASINGAM

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 5 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                          LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 13 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alexandre Tavadian

 

POUR LE DEMANDEUR

Harry Tsimberis

 

 

   POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

   POUR LE DEMANDEUR

Harry Tsimberis

Avocat

Montréal (Québec)

  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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