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Date : 20080213

Dossier : T-208-07

Référence : 2008 CF 186

Ottawa, Ontario, le 13 février 2008

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

MADAME COLOMBE BEAUCHEMIN

demanderesse

et

 

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

défendeur

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse occupe un poste de gestionnaire en rémunération et avantages sociaux à la division des opérations des ressources humaines, centre opérationnel du Québec, à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) depuis mars 1998. Le 27 novembre 2006, Mme Natalie Harrington, vice-présidente intérimaire des Ressources humaines, rendait une décision dans laquelle elle rejetait le grief de classification de la demanderesse. Bien que cette dernière conteste, par le biais de la présente demande de contrôle judiciaire, la « décision » du Comité des griefs, il ne s’agissait formellement que d’une recommandation à la déléguée de l’administrateur général pour le règlement des griefs de classification. C’est donc la décision qu’a prise Mme Harrington en entérinant la recommandation du Comité qui fait techniquement l’objet du présent contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, j’en suis arrivé à la conclusion doit être maintenue.

 

I. Les faits

[2]               La demanderesse est à l’emploi du gouvernement fédéral depuis 1973 et a œuvré au sein de plusieurs ministères dans le secteur de la rémunération et des avantages sociaux. Elle occupe un poste de gestionnaire de niveau AS-04 à l’ACIA depuis mars 1998.

 

[3]               En 2002, la demanderesse a demandé à l’ACIA de mettre à jour sa description de tâche. Le 6 décembre 2004, l’ACIA lui remet une description de travail révisée. La demanderesse soumet alors cette description de travail à un comité de classification interministériel pour fins d’évaluation. Dans le cadre de cet exercice, la gestionnaire de la demanderesse indique notamment que le titulaire du poste doit donner des conseils à la haute gestion du centre opérationnel et à la gestion des ressources humaines au sujet du programme de rémunération, tel que mentionné dans sa description de tâches.

 

[4]               Le comité de classification a conclu, en septembre 2005, que le poste de la demanderesse en est un de groupe et de niveau AS-04. Cette décision a été communiquée à la demanderesse le 4 octobre 2005.

 

[5]               Le 31 octobre 2005, la demanderesse a déposé avec deux de ses collègues (l’une en Ontario et l’autre en Alberta) un grief de classification demandant une classification AS-05 de leur poste. Une audition a été tenue le 6 octobre 2006, au cours de laquelle le représentant de la demanderesse a fait valoir les motifs pour lesquels une reclassification était demandée, et a soumis de nombreux documents à l’appui de ses prétentions. Il a notamment déposé la description de tâches de 25 postes de gestionnaire en rémunération dans la fonction publique du Canada, ainsi que la description de deux postes à l’ACIA, celui de « coordonnateur de formation et développement organisationnel » et celui de « gestionnaire en aménagement de locaux ». Puis, le 26 octobre, le Comité a rencontré deux représentantes de la gestion, en l’absence de la demanderesse et de son représentant, comme il est prévu au Processus de griefs de classification en vigueur à l’ACIA. Sur la base de tous les renseignements obtenus, le Comité a recommandé que soit rejeté le grief de la demanderesse le 27 novembre 2006, recommandation qu’a entérinée la déléguée de l’administrateur général.

 

II. La décision contestée

[6]               Pour évaluer les emplois de la demanderesse et des ses collègues, le Comité devait s’inspirer de la norme de classification des Services administratifs (AS). On y prévoit que quatre facteurs doivent être utilisés pour fixer les valeurs relatives des emplois : connaissances (instruction, expérience et études), décisions (étendue et conséquence), responsabilité attachée aux contacts (nature des contacts et personnes contactées) et surveillance (nombre et niveau des employés à surveiller). Une valeur minimale et maximale est attribuée à chacun de ces facteurs, en fonction de leur importance relative. On trouve également dans cette norme la description de seize postes-repères, qui servent d’exemples pour les divers degrés de chacun des facteurs à considérer.

 

[7]               Le Comité, composé de trois membres, s’est d’abord réuni le 6 octobre pour entendre les représentations de la demanderesse (par la voie de son avocat, Me Bergeron) et de ses deux collègues. Puis, le Comité s’est de nouveau réuni le 26 octobre pour poser des questions à deux représentantes de la gestion.

 

[8]               Il appert du résumé de ces rencontres que fait le Comité dans son rapport que Me Bergeron a fait valoir que l’évaluation des facteurs « connaissances » et « décisions » devait être revue, et a mis en évidence la portée des responsabilités assignées au poste visé ainsi que les exigences qui s’y rattachent. Tout en reconnaissant la responsabilité du gestionnaire des opérations de donner des conseils de nature opérationnelle ou stratégique en matière de rémunération à la direction des secteurs, il a insisté sur le fait qu’il revient souvent au titulaire du poste visé de remplir cette fonction étant donné que le gestionnaire des opérations est un généraliste dans le domaine des ressources humaines.

 

[9]               Quant aux représentantes de la gestion, elles ont été invités à se joindre au Comité pour donner des explications sur les déclarations des plaignantes au sujet du rôle des agents de la politique de rémunération et plus précisément sur leurs responsabilités concernant la rémunération, la prestation de conseils et d’orientation aux gestionnaires du Centre opérationnel. Elles ont reconnu que le titulaire du poste occupé par Mme Beauchemin pouvait devoir fournir un avis de spécialiste à la haute direction ou accompagner le cadre supérieur à des réunions pour discuter des plans et des questions liées à la rémunération, « même s’il ne s’agit pas là d’une exigence régulière ».

[10]           Après avoir examiné et soupesé toute la documentation et l’information qui était à sa disposition, le Comité ont convenu que les trois postes cumulaient un total de 463 ou 483 points. L’écart de 20 points s’explique par le nombre d’employés surveillés; bien que le Comité ne le précise pas, il semble que le poste de la demanderesse était évalué à 483 points. Comme la norme prévoit qu’un total de 401 à 500 points équivaut à un poste AS-04, le Comité a recommandé que les postes faisant l’objet du grief ne soient pas reclassifiés.

 

[11]           Le Comité a reconnu d’emblée qu’il y avait un manque d’uniformité eu égard aux évaluations des gestionnaires régionaux en rémunération au sein de la fonction publique, d’où l’importance d’appliquer la norme de classification des services administratifs correctement.

 

[12]           En ce qui concerne le facteur « connaissances », les membres du Comité ont noté qu’il n’y avait pas de tendance dominante en ce qui concerne l’élément « instruction » dans la fonction publique, et ont décidé de hausser légèrement la notation pour tenir comte du fait que l’on exige une plus grande expérience et des connaissances plus poussées parce que l’organisme est une Agence. Pour ce qui est de l’élément « conséquences des décisions », le Comité a examiné les responsabilités comprises dans la description de travail du poste en cause et leurs répercussions pour déterminer leur pertinence par rapport aux postes repères et leur valeur relative par rapport aux postes de gestionnaire régional en rémunération dans l’ensemble de la fonction publique. On a d’abord noté qu’il était normal que les gestionnaires régionaux en rémunération et avantages sociaux participent à l’élaboration des politiques, lignes directrices, directives et bulletins puisqu’ils travaillent au sein d’une équipe intégrée. On a également conclu que les conseils spécialisés qu’ils peuvent donner au cadre supérieur du Centre opérationnel ne constituaient pas une exigence permanente. Le Comité a aussi tenu compte du bassin de clientèle desservi par les postes visés, de même que de l’encadrement qui était fourni.

 

[13]           Enfin, les membres du Comité ont indiqué avoir examiné la valeur relative des postes de gestionnaire régional en rémunération en se penchant sur les descriptions de travail fournis par Me Bergeron et sur les rapports provenant du système d’information sur la classification des postes. Même si l’on a convenu qu’il y avait quelques similitudes entre le poste en cause et certains postes classés AS-05, on a également relevé des différences qui justifiaient une notation différente : le cadre du travail, l’obligation de s’acquitter de certaines responsabilités au niveau de l’organisme, la taille du bassin de clientèle, la centralisation ou décentralisation de la fonction de la rémunération. À l’inverse, plusieurs postes classés AS-04 ressemblent beaucoup aux postes de gestionnaires régionaux en rémunération et avantages sociaux de l’ACIA.

 

[14]           Quant au rapport le plus récent du Système d’information sur la classification des postes, son examen révèle que les postes semblables, qui desservent un bassin de clientèle semblable et possèdent des responsabilités semblables, sont pour la plupart notés AS-04. Les postes de niveau AS-05 se retrouvent dans des ministères de plus grande taille. Le Comité en conclut que la valeur relative de postes semblables de gestionnaire régional de la rémunération dans les ministères de taille semblable justifie une évaluation au niveau AS-04.

 

[15]           Pour ce qui est de la valeur relative interne, la demanderesse souhaitait que le Comité examine le poste de coordonnateur de l’apprentissage et du développement de l’Agence. Or, il s’est avéré que la description de travail de ce poste n’était pas à jour et que le motif n’avait jamais été approuvé. Quant à l’autre poste au sein de l’ACIA que la demanderesse avait soumis pour fins de comparaison, soit celui de gestionnaire en aménagement de locaux, le Comité n’en a rien dit.

 

[16]           Sur la base de tous les renseignements par les deux parties, le Comité a donc conclu qu’étant donné la complexité des tâches du poste en cause et de l’incidence de ses avis, décisions et recommandations, un degré 2 (modéré) de l’élément « conséquences » était justifié. Les membres du Comité étaient d’avis qu’un degré 3 (important) ne pouvait se justifier pour cet élément, compte tenu de la valeur relative de ce poste et des postes repères.

 

III. Questions en litige

[17]           La demanderesse a présenté plusieurs arguments au soutien de sa demande de contrôle judiciaire. Après examen attentif du dossier et audition des parties, il me semble qu’ils peuvent être regroupés sous les trois rubriques suivantes :

A)    Le Comité a-t-il omis de considérer tous les faits pertinents? De façon plus particulière, le Comité a-t-il erré en ne tenant pas compte des deux seuls postes comparables au sein de l’ACIA, sans fournir d’explication pour l’un d’entre eux et en prétextant que la description n’était pas à jour pour le second?

B)     Le Comité a-t-il fait défaut de respecter le Processus de règlement des griefs de classification, en rencontrant deux représentantes de la direction plutôt qu’une et en préférant leurs opinions à la description de tâches du poste visé?

C)    Le Comité a-t-il enfreint les principes d’équité procédurale en consultant le Système d’information sur les postes et la classification, sans en informer la demanderesse et sans lui permettre de soumettre une contre-preuve?

 

IV. Analyse

[18]           Il n’y a pas de divergence entre les parties quant à la norme de contrôle applicable. Dans la mesure où les questions soulevées dans le présent litige consistent à déterminer si le Comité a considéré l’ensemble de la preuve présentée et si son appréciation de cette preuve était erronée, la norme de contrôle applicable est indéniablement celle de l’erreur manifestement déraisonnable. C’est d’ailleurs ce que cette Cour a conclu à de nombreuses reprises au cours des récentes années : voir, à titre d’exemples, Adamidis c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 243; Laplante c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2004 CF 1345; Trépanier c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1326; Utovac c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 643; Lapointe et al c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 244.

 

[19]           La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22) contient à son article 214 une clause privative qui rend les décisions du dernier palier de grief «définitive et obligatoire». Bien qu’il ne s’agisse pas là d’une clause privative parfaitement étanche, elle n’en témoigne pas moins de la volonté du législateur de limiter les recours aux tribunaux de droit commun.

 

[20]           D’autre part, le Comité de griefs de classification assume des fonctions hautement spécialisées et possède une expertise en matière de classification, domaine qui ne relève pas de l’expertise particulière de cette Cour. Comme le souligne le juge Phelan dans l’arrêt Adamidis, précité, « [i]l faut une grande expertise en matière de classification ainsi qu’une connaissance approfondie des politiques, des procédures et de l’organisation des employés du gouvernement et leurs fonctions » pour appliquer le système de classification. Cela milite en faveur d’une grande déférence.

 

[21]           Troisièmement, l’exercice de classification a pour objectif de trouver une forme de parité parmi les évaluations de postes d’un employeur donné. Il s’agit d’un exercice d’équilibrage délicat qui consiste à concilier divers intérêts plutôt que d’établir les droits des parties. On peut donc dire que l’objet de la Loi est polycentrique, « vu qu’elle vise à résoudre des questions touchant des objectifs de politique contradictoires ou les intérêts de groupes différents et qu’elle n’a pas seulement pour objet d’opposer l’État à l’individu » (Trépanier c. Canada (Procureur général), supra, par. 23).

 

[22]           Enfin, le type de questions dont le Comité est saisi, soit la comparaison des fonctions exercées, des groupes et niveau de chaque poste et l’évaluation numérique attribuée à chaque facteur, est éminemment factuel. Or, la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. 1985, ch. F-7) stipule à son paragraphe 18.1(4)(d) que la Cour n’interviendra sur une question de faits que si la décision attaquée est « fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ».

 

[23]           À la lumière de ces quatre facteurs contextuels, je n’ai d’autre choix que d’appliquer la norme du manifestement déraisonnable. Cette norme impose une très grande déférence, et n’autorise la Cour à intervenir que dans les cas où une décision est « clairement irrationnelle » et « non-conforme à la raison » : Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, à la p. 963; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au par. 57.

 

[24]           Ce cadre d’analyse n’est cependant pas applicable aux arguments de la demanderesse fondés sur une apparente violation des principes d’équité procédurale. C’est à la Cour qu’il appartient de définir le contenu de l’obligation d’agir avec équité dans les circonstances de chaque affaire, et à ce chapitre, le décideur administratif n’a pas droit à l’erreur.

 

[25]           Ceci étant dit, il ne faut jamais perdre de vue que la teneur de l’obligation d’agir de façon équitable sera plus ou moins étendue selon la nature des intérêts affectés par la décision et la nature de la procédure en question. Dans le cadre du processus de règlement des griefs de classification, cette Cour et la Cour d’appel à sa suite ont reconnu que le degré d’équité requis se situe du côté d’une « moindre exigence » plutôt que de celui d’une norme plus contraignante dans l’arrêt Chong c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] A.C.F. No. 693 (C.F.), [1999] A.C.F. No. 176 (C.A.F.). Il y aura cependant toujours des obligations incontournables, parmi lesquelles figure celle-ci :

[…] lorsque le comité décide d’examiner un aspect de la classification que l’employé ne s’attendait pas à voir contester, et qu’il décide d’obtenir une preuve ayant trait à cet aspect et de s’appuyer sur celle-ci sans que l’employé n’en soit informé ou n’ait de renseignements à cet égard, l’équité exige que des renseignements soient fournis à l’employé et qu’il ait la possibilité de faire valoir ses arguments […]

 

Hale c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] 3 C.F. 3, à la p. 16, repris avec approbation par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Chong, précité, au par. 13.

 

 

            A) Le Comité a-t-il omis de considérer tous les faits pertinents?

[26]           Tel que mentionné précédemment, la demanderesse a prétendu que le Comité aurait dû tenir compte des deux postes de gestionnaire au sein de l’ACIA que lui avait soumis son représentant aux fins d’évaluer l’aspect « conséquences des décisions » de son poste. Elle fait valoir que cet aspect de l’évaluation est coté C2 et donne 209 pour chacun de ces deux postes, alors que les conséquences des décisions prises dans le cadre des fonctions qu’elle exerce sont cotées B2 et ne donnent que 163 points.

 

[27]           La demanderesse a tout à fait raison de prétendre que la relativité interne est tout aussi importante que la comparaison avec les postes repères des normes de classification. Dans l’arrêt Chong, précité, le juge McKeown écrit à ce propos (au par. 45) :

À mon avis, la Norme de classification ne limite pas aux postes-repères ceux avec lesquels on peut comparer le poste des plaignants. Selon cette norme, « le but ultime de l’évaluation des emplois est d’en déterminer la valeur relative dans chaque groupe professionnel. Étudier également la relation qui existe entre le poste à évaluer et les postes de l’organisation qui sont situés au-dessus et au-dessous ». Les plaignants soutiennent que la description d’emploi la plus proche du poste de la C.-B. et du Yukon est celle du poste ontarien; par conséquent, bien que celui-ci ne soit pas un poste-repère, le comité était tenu d’examiner pourquoi il y avait lieu de donner une classification différente à celui de la C.-B. et du Yukon.

 

 

[28]           Il faut dire que dans l’arrêt Chong, la description des deux postes que l’on avait omis de considérer était quasi identique à celle du poste qui faisait l’objet du grief. En fait, le poste dont on contestait la classification avait servi de modèle pour la description du poste subséquemment classifié à un niveau supérieur. On ne peut en dire autant dans la présente instance. Les deux postes internes soumis à l’examen du Comité par le représentant de la demanderesse n’ont rien en commun avec les ressources humaines, et encore moins avec la rémunération. Même si l’exercice de classification permet de comparer des emplois qui ont a priori peu en commun, il n’en demeure pas moins que les postes de gestionnaire en rémunération au sein d’autres ministères et agences de la fonction publique étaient plus pertinents aux fins d’évaluer de façon juste le poste de la demanderesse.

 

[29]           S’agissant plus particulièrement du poste de gestionnaire en aménagement de locaux, il est vrai que le Comité n’en a pas explicitement discuté dans son rapport. Le Comité a cependant indiqué avoir examiné toute la documentation et l’information qui lui avaient été soumises. Qui plus est, la défenderesse a tout à fait raison de prétendre qu’il n’existe aucune obligation légale de faire étant de faire état de chaque élément de preuve, de toutes les questions soulevées par les parties ou de toutes les conclusions qui ont mené à la décision : Jarvis c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 300, au par. 5.

[30]           Quant au poste de coordonnateur de formation et de développement organisationnel, le Comité a décidé de ne pas en tenir compte au motif que la description de travail de ce poste n’était pas à jour. Il s’agissait là, à mon avis, d’une considération que le Comité était tout à fait justifié de soupeser dans son examen la valeur relative des postes au sein de l’Agence.

 

[31]           Il est vrai que le Comité semble avoir obtenu cette information de Mme Candida Lourenço, qui avait agi à titre d’observatrice lorsque la première décision de classification avait été prise en septembre 2005. Je ne vois cependant pas cela aurait pu préjudicier la demanderesse. D’une part, Mme Lourenço n’était pas membre du Comité interministériel de classification qui a procédé à une première évaluation du poste en septembre 2005, et l’on n’a pas même tenté de démontrer qu’elle était en conflit d’intérêts. Il n’y a donc eu aucune contravention au Processus de griefs de classification de l’Agence, dont le point VII (A) (5) prévoit qu’ « [u]n membre du comité ne peut avoir participé à la décision de classification visée par le grief, directement superviser ou avoir supervisé le poste en question, ou être en éventuel conflit d’intérêts ».

 

[32]           Au surplus, le contre-interrogatoire de Mme Gisèle Duford, présidente du Comité, révèle que Mme Lourenço n’a fait que transmettre la documentation pertinente au Comité et confirmé que le poste devait être revu et réévalué. Elle n’a pas participé aux délibérations du Comité, et n’a pas discuté de l’évaluation du poste en litige. L’information transmise était purement factuelle et ne faisait que corroborer ce qui apparaissait de toute façon du dossier lui-même. On ne m’a d’ailleurs pas expliqué comment la demanderesse avait pu être préjudiciée du fait de ne pas avoir pu faire des représentations à cet égard.  À tout événement, ce poste était très éloigné des fonctions remplies par la demanderesse, et ne pouvait avoir qu’un impact très limité sur sa classification; à ce chapitre, il est intéressant de noter que le représentant de Mme Beauchemin y a lui-même fait très peu allusion, du moins dans ses représentations écrites au Comité.

 

[33]           Pour tous ces motifs, je suis d’avis que le Comité n’a pas commis d’erreur manifestement déraisonnable en évaluant le poste de la demanderesse. Sa décision est étoffée, et repose sur toute la documentation qui était à sa disposition, incluant les descriptions de postes présentés par le conseiller de la demanderesse. La demanderesse a mis l’accent sur deux postes au sein de l’Agence dont les similarités avec les fonctions qu’elle exerce sont pour le moins ténues, et a fait fi de l’analyse exhaustive que le Comité a faite des 25 autres postes repères qu’elle a également déposés par le biais de son représentant lors de l’audition de son grief.

 

[34]           Cette Cour doit se garder d’intervenir dès lors que la décision du Comité s’appuie sur la preuve présentée, et ce en dépit du fait qu’elle serait peut-être arrivée à une conclusion différente. Les membres du Comité ont une grande expertise dans le domaine de la classification, et il faut faire preuve d’une très grande déférence dans l’examen de leurs décisions. Bien que l’on puisse comprendre la déception de la demanderesse, cela ne saurait constituer un motif suffisant pour écarter une décision structurée et motivée prise au terme d’une audition au cours de laquelle son représentant a pu faire valoir tous les motifs et déposer toute la preuve au soutien de son grief.

 

B) Le Comité a-t-il enfreint le Processus de règlement des griefs de classification?

[35]           La demanderesse a également soutenu que le Comité avait contrevenu au Processus de règlement des griefs de classification de l’Agence en rencontrant deux représentantes de la direction plutôt qu’une seule, en en préférant leurs opinions à la description de tâche de son poste. Ces deux prétentions m’apparaissent sans fondement, pour les raisons suivantes.

 

[36]           Lors de l’audition du grief, la demanderesse avait invité le Comité à rencontrer Mme Claudia Pasteris-Sayegh, sa surveillante, et M. Yvon Bertrand, directeur exécutif de l’Agence pour la région du Québec, dans le but d’illustrer les tâches et fonctions que la demanderesse doit effectuer ainsi que la fréquence d’exécution de ces tâches. Or, le Comité a préféré rencontrer Mme Lyne Caissie, gestionnaire pour les conventions collectives et la rémunération, et Mme Monica Surrett, agente de politique en rémunération, toutes les deux en poste à Ottawa. Dans son affidavit, Mme Gisèle Duford a expliqué ce choix en indiquant que le Comité désirait obtenir des clarifications concernant certaines affirmations faites par le représentant de la demanderesse, notamment sur le rôle des agents des politiques de la rémunération et plus précisément sur leurs responsabilités concernant la rémunération. De façon plus particulière, le Comité souhaitait obtenir plus d’information sur l’administration du programme de rémunération au niveau de l’Agence par opposition à son administration en région.

 

[37]           Il est clair, à la lecture du Processus de griefs de classification, que le choix des représentants de la direction revient au Comité. En l’occurrence, il n’était certainement pas déraisonnable de vouloir obtenir de l’information de la part de la personne responsable de la rémunération au niveau national, de façon à bien saisir les rapports qui peuvent exister entre les agents de rémunération au niveau des régions et la haute gestion. De toute façon, le premier comité de classification avait déjà consulté la superviseure immédiate de la demanderesse. Dans son rapport, le Comité de griefs cite un extrait du rapport de ce premier comité où l’on dit : « le comité a revu la DT [description de tâches] du superviseur immédiat et a eu confirmation que le Gestionnaire, Opérations des ressources humaines est responsable de transmettre des connaissances et donner des conseils relatifs aux ressources humaines et visant particulièrement des questions stratégiques et opérationnelles à la direction des secteurs » (Dossier de la demanderesse, pp. 88-89).

 

[38]           D’autre part, je ne vois rien dans le texte du Processus qui vienne limiter le nombre de représentants de la direction pouvant être consulté par le Comité. On prévoit, au point VII (C), les dispositions suivantes :

1. Un représentant de la direction qui connaît bien la nature du travail du poste visé par le grief devrait être disponible afin de répondre aux questions des membres du comité.

 

2. Le représentant de la direction n’émet aucune opinion sur la décision de classification qui a donné lieu au grief, ne tente d’influencer les membres du comité, ne participe aux délibérations du comité ni n’est présent lors des observations qui sont faites par le plaignant et/ou son représentant.

 

 

[39]           Cette disposition me semble devoir être lue dans son sens générique et vise simplement à prévoir que la direction doit se rendre disponible pour répondre aux questions du Comité. La demanderesse me semble d’ailleurs bien mal placée pour reprocher au Comité d’avoir invité deux représentants de la direction à répondre à ses questions, dans la mesure où elle avait elle-même demandé au Comité de rencontrer sa superviseure immédiate et le directeur exécutif de l’Agence pour le Québec. Quoi qu’il en soit, la demanderesse n’a pas élaboré sur les motifs qui l’amènent à croire qu’elle a subi un préjudice du fait que deux personnes étaient présentes plutôt qu’une seule.

 

[40]           En ce qui concerne l’argument suivant lequel on aurait privilégié le témoignage de ces représentantes de la direction par rapport à la description de tâche, sans donner la possibilité à la demanderesse de se faire entendre, je formulerais les commentaires suivants. Il est tout à fait exact de prétendre, comme le fait le représentant de la demanderesse, qu’un grief de classification ne peut porter sur le contenu d’une description de travail ou la date d’entrée en vigueur de la décision de classification. Ces derniers aspects sont résolus par l’application du processus de règlement des griefs de relations de travail prévu dans les conventions collectives (Processus de griefs de classification, point I (B)(2)). Il est également rigoureusement vrai que la description de tâche du poste occupé par la demanderesse prévoit la fourniture de conseils stratégiques. On lit en effet, au dernier paragraphe de la page 3 de cette description de tâches, l’énoncé suivant :

Donner des conseils stratégiques à la haute direction du centre opérationnel et à la gestion des ressources humaines au sujet du programme de rémunération et fournir des renseignements sur l’implication de lois et de règlements nouveaux ou modifiés auprès de la direction à Ottawa. Formuler des recommandations pour la mise en œuvre de stratégies de communication. Cette information leur permet de prévoir les répercussions de changements sur les ressources régionales et de proposer des solutions.

 

 

[41]           Mais contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, le Comité n’a pas refusé d’accepter les fonctions inscrites à la description de tâches et n’a pas modifié le contenu de ses tâches en ne se basant que sur les dires des représentantes de la direction. Ces dernières, comme le Comité d’ailleurs, reconnaissent que la demanderesse fournit parfois des avis stratégiques à la haute direction. Ce sur quoi l’on ne s’entend pas, c’est sur la fréquence ou l’intensité de cette tâche. Se fondant sur la description de tâches de la superviseure immédiate de la demanderesse, de même que sur les informations des représentantes de la direction, le Comité a conclu que le caractère ponctuel de cette tâche ne justifiait pas que soit haussée la notation de l’élément « conséquences ». C’est là une conclusion que le Comité pouvait tirer sans modifier ou dénaturer la description de tâches du poste visé. Il ne s’agit au surplus que de l’un des facteurs dont a tenu compte le Comité dans son évaluation de l’élément « conséquences », tel qu’en fait foi la version originale anglaise de son rapport.

 

[42]           Je suis conscient du fait que l’obligation d’agir équitablement s’applique au processus de règlement des griefs de classification. Bien que cette obligation se situe « du côté d’une moindre exigence » compte tenu de la nature de ce processus, la personne affectée doit à tout le moins avoir le droit de faire valoir son point de vue sur toute question susceptible d’avoir un impact sur la décision. Comme l’écrivait le juge Evans au nom de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bulat c. Canada (Conseil du Trésor), [2000] A.C.F. No. 148 :

L’un des aspects élémentaires de l’obligation d’agir équitablement veut que la personne sur laquelle une décision a un effet négatif ait véritablement la possibilité de débattre d’une question qui joue, de l’avis du comité, un rôle crucial dans le règlement du grief, mais que l’auteur du grief ne croit pas litigieuse et qu’il ne s’attend donc pas à voir surgir ni à traiter.

 

 

[43]           Dans le cas présent, la demanderesse a eu tout le loisir de faire ses représentations. Non seulement le Comité était-il au courant que la superviseure immédiate de la demanderesse avait confirmé au premier comité interministériel qu’elle donnait des conseils sur des questions stratégiques et opérationnelles à la haute direction, mais son représentant est revenu à la charge sur cette même question lors de l’audition du 26 octobre 2006. La demanderesse ne peut donc se plaindre d’avoir été prise par surprise ou de ne pas avoir pu donner sa version des faits. Sa position était connue du Comité, et ce dernier a tout simplement choisi de ne pas la retenir. Cela ne saurait constituer un bris des principes d’équité procédurale.

 

C) Le Comité a-t-il enfreint les principes d’équité procédurale en consultant le SIPC sans en aviser la demanderesse?

[44]           La demanderesse a soutenu que le Comité avait contrevenu au Processus en utilisant sans l’en informer des renseignements provenant du Système d’information sur les postes et la classification. À l’appui de ses prétentions, la demanderesse invoque le point VII (D)(2), lequel est ainsi libellé :

La direction ou le plaignant peut présenter de nouveaux renseignements au comité en tout temps entre le jour de l’audience et l’émission de la décision. Si le comité juge un nouveau renseignement important, ce renseignement sera présenté à l’autre partie, laquelle aura ensuite dix jours pour fournir sa réponse. Le comité examinera à la fois le renseignement et la réponse de l’autre partie avant de finaliser son rapport.

 

 

[45]           Cet argument ne me semble pas devoir être retenu, pour les raisons suivantes. Même si la preuve est contradictoire à cet égard, il semble que le SIPC soit un outil de référence disponible au sein de la fonction publique. Mais en supposant même que la demanderesse n’y ait pas eu accès, l’explication fournie par Mme Duford pour ne pas lui avoir soumis me paraît raisonnable. Dans son contre-interrogatoire sur affidavit, elle a mentionné que le rapport du SIPC n’est qu’un simple outil de référence, qui donne la liste de tous les postes de niveaux demandés. Il ne s’agissait pas, en l’espèce, d’un nouveau renseignement présenté par la direction; au surplus, ce rapport ne faisait que confirmer qu’en terme de valeur relative, plusieurs postes de gestionnaire régional de la rémunération sont classés AS-04. Par conséquent, même si le point VII (D)(2) de la Politique trouvait application, le Comité pouvait considérer qu’il ne s’agissait pas d’un renseignement suffisamment important pour qu’il soit nécessaire d’en informer la demanderesse.

 

[46]           Pour tous ces motifs, j’estime que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les deux parties ont renoncé aux dépens lors de l’audition, et pour cette raison, il n’y aura pas de frais.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, sans frais.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

                   


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-208-07

 

INTITULÉ :                                       Madame Colombe Beauchemin

                                                            c.

                                                            Agence Canadienne d’inspection des aliments

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               15 janvier 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT PAR:                      Juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      13 février 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean Bergeron

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Simon Kamel

 

POUR LEDÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Jean Bergeron

Trudel Nadeau avocats sencrl

300, Léo-Pariseau, bureau 2500

Montréal (Québec)  H2X 4B7

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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