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Date : 20080218

 

Dossier : DES-4-02

 

Référence : 2008 CF 198

 

Ottawa (Ontario), le 18 février 2008

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

 

MOHAMED HARKAT

 

demandeur

- et -

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE

 

[1]       Le 29 janvier 2008, des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ont arrêté et détenu Mohamed Harkat.  Il a été allégué que M. Harkat avait violé les conditions de l’ordonnance de la Cour du 23 mai 2006 aux termes de laquelle il avait été mis en liberté (l’ordonnance de mise en liberté).

 

[2]       Le 31 janvier 2008, la Cour a tenu une audience et a reçu des éléments de preuve, comme l’exigeait le paragraphe 19 de l’ordonnance de mise en liberté, qui énonce :

19.       Tout agent de l’ASFC ou tout agent de la paix, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu violation d’une condition de la présente ordonnance, pourra procéder à l’arrestation sans mandat de M. Harkat et le faire détenir sous garde. Dans les 48 heures suivant le début d’une telle détention, un juge de la Cour, désigné par le juge en chef, devra établir s’il y a eu violation d’une condition de la présente ordonnance, s’il convient de modifier les conditions de la présente ordonnance et si M. Harkat doit être incarcéré. [Non souligné dans l’original.]

 

[3]       Compte tenu des contraintes de temps et du dossier de preuve complet requis pour décider s’il y avait eu violation de l’une quelconque des conditions de l’ordonnance de mise en liberté, s’il convenait de modifier les conditions de l’ordonnance de mise en liberté et si M. Harkat devait être incarcéré, la Cour a statué qu’elle entendrait des témoignages et des observations quant à la question de savoir si M. Harkat devrait être remis en liberté en attendant une audience ultérieure. La Cour a ensuite reçu des éléments de preuve et entendu des observations par lesquelles M. Harkat a demandé d’être remis en liberté aux conditions préexistantes de l’ordonnance de mise en liberté et les ministres se sont opposés à la remise en liberté de M. Harkat.

 

[4]       Le 1er février 2008, la Cour a rendu une ordonnance provisoire aux termes de laquelle elle remettait M. Harkat en liberté, mais exigeait qu’il demeure dans sa résidence en tout temps avec une de ses cautions de surveillance, sauf pour venir assister aux audiences de la Cour. Par la suite, une autre ordonnance a été émise, qui permettait à M. Harkat de se rendre aux bureaux de son avocat pour préparer l’audience de la Cour (au lieu d’exiger que l’avocat de M. Harkat se rende à la résidence de ce dernier).

 

[5]       Les 4, 5 et 6 février 2008, la Cour a entendu d’autres témoignages et observations concernant la violation alléguée des conditions de l’ordonnance de mise en liberté. La Cour a aussi entendu des témoignages et des observations concernant une requête présentée antérieurement par M. Harkat en vue de faire modifier les conditions de sa mise en liberté.

 

[6]       Le 8 février 2008, la Cour a rendu une deuxième ordonnance provisoire. Cette ordonnance permettait à M. Harkat d’aller dans la cour de sa résidence en compagnie d’une caution de surveillance et de faire des promenades préalablement autorisées comme on le lui avait antérieurement permis. En attendant une décision définitive, la Cour a continué d’interdire à M. Harkat les sorties auxquelles il avait eu droit auparavant. Encore une fois, une exception a été faite pour permettre à M. Harkat d’assister à des audiences devant le Sénat du Canada relativement à une proposition de loi concernant les certificats de sécurité.

 

[7]       Les présents motifs portent maintenant sur les sujets suivants :

 

•           La demande des ministres en vue d’obtenir l’incarcération de M. Harkat, le versement à Sa Majesté des sommes versées à la Cour en vertu de l’ordonnance de mise en liberté, la saisie au profit de Sa Majesté de certains cautionnements de bonne exécution fournis en vertu de l’ordonnance de mise en liberté modifiée en raison de la violation des conditions de l’ordonnance de mise en liberté par M. Harkat (la requête des ministres).

 

•           La demande de modification des conditions de l’ordonnance de mise en liberté formulée par M. Harkat (la requête de M. Harkat).

 

•          Les conditions du maintien en liberté de M. Harkat.

 

•           Les ordonnances provisoires rendues par la Cour les 1er et 8 février 2008.

 

[8]       Dans les présents motifs, je conclus que :

(i)         Pierrette Brunette a quitté la résidence avec l’intention de ne plus y vivre. Par conséquent, Mme Brunette ne « réside » plus avec M. Harkat. Le départ de Mme Brunette a eu comme conséquence de placer M. Harkat en situation de violation de l’ordonnance de mise en liberté, qui exigeait qu’il réside avec Sophie Harkat, Mme Brunette et Alois Weidemann.

 

(ii)                La violation de l’ordonnance de mise en liberté en l’espèce est grave.

 

(iii)               M. Harkat a le droit d’être remis en liberté s’il existe des conditions pouvant contrecarrer le danger qu’il pose. De telles conditions sont encore présentes.

 

(iv)              La Cour a le pouvoir discrétionnaire de décider si, compte tenu de la violation de l’ordonnance de mise en liberté, la totalité ou une partie des sommes versées à la Cour et des cautionnements de bonne exécution devraient être confisqués. Compte tenu des circonstances exceptionnelles et extraordinaires entourant la violation décrites plus loin, il serait inique et injuste d’ordonner la confiscation des sommes ou des cautionnements fournis par Mme Harkat, Mme Brunette et M. Weidemann.

 

(v)                La demande de M. Harkat visant à faire modifier les conditions de l’ordonnance de mise en liberté est refusée, à l’exception d’une modification à laquelle les ministres ont consenti. Cette modification étend légèrement les limites géographiques à l’intérieur desquelles M. Harkat est autorisé à se déplacer.

 

Ainsi, la Cour ordonne que toutes les conditions de l’ordonnance de mise en liberté modifiée soient rétablies et demeurent en vigueur tant que M. Harkat résidera avec Mme Harkat et M. Weidemann et que Mme Brunette demeure une caution de surveillance.

 

Principes juridiques applicables

[9]       Avant d’examiner le bien-fondé des requêtes opposées, il est utile d’exposer les principes juridiques applicables et les principaux faits de l’espèce.

 

[10]     Au plan juridique, M. Harkat ne peut pas être incarcéré s’il existe, selon la prépondérance des probabilités, des conditions pouvant neutraliser ou contrecarrer le danger que pose sa mise en liberté. Il en est ainsi parce que l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, exige qu’une personne détenue ait le droit de contester sa détention et d’obtenir sa mise en liberté s’il y a lieu. Voir : Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350, aux paragraphes 96 et 101.

 

[11]     L’article 12 de la Charte exige également que les conditions de mise en liberté sévères, comme celles qui s’appliquent à M. Harkat, soient assorties d’un processus valable de contrôle sérieux et continu. Ce contrôle doit tenir compte du contexte et des circonstances propres au cas d’espèce et de l’existence de solutions de rechange aux conditions.  Voir : Charkaoui aux paragraphes 107 et 117.

 

[12]     Les conditions de mise en liberté imposées à une personne doivent être proportionnelles à la menace ou au danger que constitue cette personne. Voir : Charkaoui au paragraphe 116.

 

[13]     Dans Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 416, mon collègue le juge S. Noël a élaboré une série non exhaustive de lignes directrices générales à suivre lorsqu’on examine des propositions de modification des conditions de mise en liberté. Au paragraphe 9 de ses motifs, le juge Noël a écrit que la Cour qui procède à cet examen devrait se poser les questions suivantes :

a)         La modification demandée changera‑t‑elle de manière fondamentale les conditions imposées à l’origine? Peut‑on plus exactement qualifier la modification demandée d’affinement des conditions originales?

b)         La modification demandée constitue‑t‑elle une mesure proportionnée à la nature du danger posé par l’intéressé, et continuera‑t‑elle à neutraliser cette menace?

c)         Y a‑t‑il un motif pour lequel la modification n’a pas été demandée à l’origine?

d)         Lors de la mise en liberté initiale, existait‑il des faits inconnus non rapportés à la Cour qui auraient pu modifier les conditions originales de mise en liberté?

e)         A‑t‑il été produit une preuve à l’appui de la modification demandée?

f)          Y a‑t‑il des faits nouveaux qui n’existaient pas lorsqu’on a établi les conditions originales?

g)         La modification demandée constitue‑t‑elle une solution de rechange raisonnable à la condition passée en revue?

h)         Demande‑t‑on la modification en raison d’interprétations divergentes données à la formulation des conditions originales?

i)          L’écoulement du temps doit être pris en compte de concert avec les autres facteurs.

 

[14]     Après ce bref exposé des principes juridiques applicables, il convient de décrire le contexte factuel dans lequel s’inscrivent les deux requêtes dont la Cour est saisie.

 

Contexte factuel

[15]     Le 10 décembre 2002, M. Harkat a été arrêté et détenu en vertu d’un certificat de sécurité émis contre lui.

 

[16]     Le 22 mars 2005, dans des motifs publiés dans Re Harkat (2005), 261 F.T.R. 52, la Cour a jugé que le certificat de sécurité était raisonnable1. Au paragraphe 143 de ses motifs, la Cour a formulé les conclusions suivantes :

 

1.   Avant d’arriver au Canada, M. Harkat s’est livré au terrorisme en soutenant des activités terroristes.

 

2.   M. Harkat s’est rendu en Afghanistan, et y a séjourné.

 

3.   M. Harkat a soutenu des activités terroristes en tant que membre d’un groupe terroriste connu sous le nom de Réseau ben Laden. Avant et après son arrivée au Canada, M. Harkat a été lié à des personnes dont on pense qu’elles font partie de ce réseau.

 

4.  Le Réseau ben Laden se livre à des actes de terrorisme conformes à son objectif déclaré qui est de mettre en place des États islamiques fondés sur une interprétation fondamentaliste de loi islamique. Le Réseau ben Laden a été de manière directe ou indirecte lié à des actions terroristes dans plusieurs pays. [...]

 

5.  Le Réseau ben Laden avait installé, en Afghanistan et au Pakistan, des camps d’entraînement et des lieux d’hébergement pour terroristes. Ces camps assuraient le logement et le financement des terroristes et dispensaient une formation à la lutte armée et aux techniques de contre‑espionnage. En Afghanistan, Abu Zubaida était chargé des camps d’entraînement de Khaldun et de Darunta.

 

6.  M. Harkat reconnaît avoir été un partisan du [Front islamique du salut (FIS)]. Lorsque le FIS s’est séparé du [Groupe islamique armé (GIA)], M. Harkat a fait savoir que sa loyauté était acquise au GIA. Le GIA entend établir en Algérie par la violence terroriste un État islamiste. Le soutien accordé par M. Harkat au GIA s’inscrit dans une logique de soutien à la violence terroriste.

 

7.  M. Harkat a menti aux autorités canadiennes au sujet de :

-     son travail, au Pakistan, auprès d’un organisme de secours;

-    son séjour en Afghanistan;

-     ses liens avec des personnes qui soutiennent des réseaux extrémistes internationaux;

-    son utilisation d’un nom d’emprunt, en l’occurrence Abu Muslima;

-    son aide aux extrémistes islamiques.

 

J’en conclus que s’il a menti c’était, du moins en partie, afin de se distancier des personnes soutenant le terrorisme et de dissimuler aux autorités canadiennes le rôle qu’il avait joué dans ce soutien à des activités terroristes.

 

8.  M. Harkat a aidé des extrémistes islamiques arrivés au Canada.

 

9.  M. Harkat est lié à Abu Zubaida depuis le début des années 1990. Entre 1990 et la date de son arrestation, Abu Zubaida était l’un des principaux adjoints d’Oussama ben Laden.

 

10.           Au Canada, M. Harkat a été en contact avec des militants islamistes. [Renvois omis.]

 

[17]     Concernant le témoignage du demandeur, la Cour a statué au paragraphe 113 de ses motifs que M. Harkat avait menti sous serment à plusieurs égards importants.

 

[18]     Par la suite, M. Harkat a demandé une mise en liberté judiciaire en vertu du paragraphe 84(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui dispose :

84(2) Sur demande de l’étranger dont la mesure de renvoi n’a pas été exécutée dans les cent vingt jours suivant la décision sur le certificat, le juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, le mettre en liberté sur preuve que la mesure ne sera pas exécutée dans un délai raisonnable et que la mise en liberté ne constituera pas un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui.

84(2) A judge may, on application by a foreign national who has not been removed from Canada within 120 days after the Federal Court determines a certificate to be reasonable, order the foreign national’s release from detention, under terms and conditions that the judge considers appropriate, if satisfied that the foreign national will not be removed from Canada within a reasonable time and that the release will not pose a danger to national security or to the safety of any person.

 

[19]     La première demande de mise en liberté de M. Harkat a été refusée dans la décision Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (motifs publiés à (2005), 278 F.T.R. 150) parce qu’il n’avait pas réussi à convaincre la Cour qu’il ne serait pas renvoyé du Canada dans un délai raisonnable.

 

[20]     La deuxième demande de mise en liberté de M. Harkat a été accueillie. Dans Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (motifs publiés à (2006), 270 D.L.R. (4th) 50 (C.F.)), la Cour a ordonné qu’il soit mis en liberté sous une série de conditions. M. Harkat a été mis en liberté le 21 juin 2006.

 

[21]     Depuis cette date, la Cour a contrôlé les conditions de la mise en liberté de M. Harkat à deux occasions. Certaines modifications ont été apportées aux conditions, tandis que d’autres modifications ont été refusées.  Voir : Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1105, et Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 416.

 

[22]     Comme je l’ai déjà mentionné, le 29 janvier 2008, M. Harkat a été arrêté et détenu par suite d’une allégation de violation des conditions de l’ordonnance de mise en liberté. La prétendue violation tient essentiellement au fait qu’à titre de condition de sa mise en liberté, M. Harkat avait, et a toujours, l’obligation de résider avec ses cautions de surveillance actuelles : Sophie Harkat, Pierrette Brunette et Alois Weidemann. Les ministres allèguent que Mme Brunette a déménagé en violation de cette condition. M. Harkat nie toute violation de l’ordonnance de mise en liberté, affirmant que celle-ci n’exigeait pas que Mme Brunette vive avec lui, et qu’en tout état de  cause, Mme  Brunette continue de « résider » avec lui.

 

L’ordonnance de mise en liberté et les motifs qui la sous-tendent

[23]     La réponse à la question de savoir s’il y a eu violation de l’ordonnance de mise en liberté dépend essentiellement de l’interprétation correcte du paragraphe 6 de cette ordonnance, qui énonce :

6.         Au moment de sa mise en liberté, M. Harkat sera conduit par la GRC (ou un autre organisme dont l’ASFC et la GRC pourront convenir) et il résidera par la suite au _______________, dans la cité d’Ottawa, en Ontario (le domicile), avec Sophie Harkat, son épouse, Pierrette Brunette, sa belle‑mère, et Pierre Loranger. Pour protéger la vie privée de ces personnes, l’adresse du domicile ne sera pas publiée dans le dossier public de la présente instance. M. Harkat devra demeurer dans ce domicile en tout temps, sauf s’il y a urgence médicale ou tel que le prévoit par ailleurs la présente ordonnance. M. Harkat ne devra pas rester seul dans le domicile. Cela veut dire qu’en tout temps où M. Harkat est dans le domicile, soit Sophie Harkat, soit Pierrette Brunette, soit une autre personne approuvée par la Cour, devra également s’y trouver. Le mot « domicile » utilis[é] dans les présents motifs vise uniquement la maison d’habitation, à l’exclusion de tout espace extérieur qui y est associé. [Non souligné dans l’original.]

 

[24]     À l’époque de la mise en liberté de M. Harkat, Pierre Loranger était un locataire qui vivait avec Mme Brunette et Mme Harkat. M. Loranger a aussi fourni un cautionnement de bonne exécution pour faciliter la mise en liberté de M. Harkat.

 

[25]     Comme l’indique le paragraphe 6 reproduit plus haut, l’ordonnance de mise en liberté prévoyait que M. Harkat n’avait pas le droit d’être seul dans la résidence. Lorsqu’il était dans la résidence ou dans la cour ou lors d’une sortie approuvée, M. Harkat devait être accompagné soit de Mme Harkat ou de Mme Brunette. Celles-ci étaient ses cautions de surveillance. M. Loranger n’était pas une caution de surveillance.

 

[26]     M. Loranger a par la suite déménagé et le paragraphe 6 de l’ordonnance de mise en liberté a été modifié de manière à tenir compte de ce changement dans la situation. L’ordonnance de mise en liberté a aussi été modifiée de manière à retirer M. Loranger comme caution lorsqu’une caution de remplacement a été trouvée.

 

[27]     Plus tard, M. Weidemann, qui était alors le partenaire de Mme Brunette, a été ajouté comme caution de surveillance, et la Cour a modifié les paragraphes 6, 7 et 8 de l’ordonnance de mise en liberté pour tenir compte de ce changement. Cette modification a été demandée pour que Mme Harkat et Mme Brunette puissent quitter la résidence et que quelqu’un d’autre puisse rester avec M. Harkat. Puis, à l’automne 2006, M. Weidemann et Mme Brunette ont acheté une maison. Les Harkat étaient censés y vivre avec eux. Le 9 février 2007, avec le consentement des parties, la Cour a rendu une nouvelle ordonnance modifiant le paragraphe 6 de l’ordonnance de mise en liberté afin de permettre à M. Harkat de résider dans la nouvelle résidence. Ainsi, le paragraphe 6 de l’ordonnance de mise en liberté modifié exigeait que M. Harkat habite dans la nouvelle résidence « avec Sophie Harkat, son épouse, Pierrette Brunette, sa belle‑mère, et Alois Weidemann ». C’est cette exigence qui est maintenant en vigueur.

 

[28]     Le premier paragraphe de l’ordonnance de mise en liberté exigeait que M. Harkat signe un document dans lequel il acceptait de se conformer strictement à chacune des conditions de l’ordonnance de mise en liberté. L’article 8 de l’ordonnance de liberté exigeait aussi qu’avant la mise en liberté de M. Harkat, Mme Harkat et Mme Brunette signent chacune un document dans lequel elles reconnaissaient avoir l’obligation de signaler sans délai à l’ASFC toute violation d’une condition de l’ordonnance de mise en liberté. L’ordonnance qui a ajouté M. Weidemann comme caution de surveillance exigeait aussi qu’il signe un document similaire avant de surveiller M. Harkat.

 

[29]     Au cours des plaidoiries relatives à la requête des ministres, les avocats de M. Harkat ont convenu que l’ordonnance de mise en liberté devait être lue avec les motifs qui l’accompagnent pour que l’on puisse en dégager l’interprétation correcte.

 

[30]     Les parties pertinentes des motifs qui sous-tendent l’ordonnance sont les suivantes :

 

  • Au paragraphe 60, la Cour a repris la concession faite par l’avocat de M. Harkat selon laquelle, compte tenu des conclusions tirées par la Cour lorsqu’elle a jugé que le certificat de sécurité était raisonnable, la mise en liberté de M. Harkat constituerait un danger.
  • Au paragraphe 68, la Cour a conclu de son propre chef « que la mise en liberté de M. Harkat sans que des conditions soient imposées constituerait un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. S’il n’était pas surveillé, par exemple, M. Harkat serait en mesure de reprendre contact avec des membres du réseau islamiste extrémiste. »
  • Au paragraphe 76, la Cour a statué qu’étant donné que le témoignage de M. Harkat avait été jugé mensonger, toute condition de mise en liberté devrait reposer sur autre chose que sa bonne foi et son honnêteté présumée.
  • Au paragraphe 83, la Cour a écrit que toute condition de mise en liberté devait être « adapt[ée] particulièrement à la situation de M. Harkat » et devait être « proportionnelle au risque que pose M. Harkat ».
  • Aux paragraphes 84 à 92, la Cour a énuméré les motifs qui justifiaient la mise en liberté de M. Harkat sous des conditions sévères. Les paragraphes 85, 88, 89, 90 et 91 sont particulièrement pertinents au regard de la présente instance. La Cour y a écrit :

85.  Premièrement, je suis d’avis que Mme Harkat et sa mère sont en mesure d’assurer une surveillance efficace. Le témoignage de Mme Brunette m’a impressionnée lorsqu’elle a fait état de l’importance pour elle de la somme de 50 000 $ qu’elle est disposée à fournir comme cautionnement et de sa volonté de ne pas perdre cette somme en raison de la violation par M. Harkat de toute condition imposée. Je prête également foi au témoignage de Mme Harkat selon lequel elle devra s’assurer du respect par son époux de toutes les conditions de la mise en liberté afin de ne pas trahir la confiance de sa mère, qui fournit le cautionnement le plus élevé, et de ne pas décevoir les membres du Comité Justice pour Mohamed Harkat avec lesquels elle a tissé des liens étroits.

 

[...]

 

88.  Quatrièmement, il est raisonnable de présumer que les autorités canadiennes demeureront intéressées à la situation de M. Harkat, si ce dernier est mis en liberté, et qu’il leur sera possible de surveiller légalement ses activités.

 

89.  Cinquièmement, on peut aussi présumer la connaissance par M. Harkat tant de l’intérêt des autorités à son endroit que de leur capacité de surveiller ses activités. On peut présumer, en outre, que cette connaissance dissuadera M. Harkat de se conduire d’une manière pouvant lui valoir de nouvelles poursuites.

 

90.  Sixièmement, on peut présumer que les personnes ayant des choses à cacher aux autorités canadiennes estimeront que communiquer avec M. Harkat attirerait sur eux l’attention de ces autorités.

 

91.  Septièmement, même si je conclus que le témoignage de M. Harkat est mensonger en bonne partie, je prête foi à ce dernier lorsqu’il dit croire que, s’il enfreint quelque condition de sa mise en liberté,

 

[traduction] [...] ils vont sûrement m’emprisonner, et ce serait donner l’occasion au gouvernement de me pointer du doigt et de m’expulser.

 

Il est raisonnable de croire que cette crainte, que j’estime être sincère, incitera M. Harkat à respecter les conditions de sa mise en liberté.

 

  • Au paragraphe 94, la Cour a fait remarquer que, si l’on voulait que les conditions de la mise en liberté soient efficaces et proportionnées, « il [fallait] restreindre les mouvements, les fréquentations et la capacité de communiquer de M. Harkat d’une manière permettant d’en assurer la surveillance et le contrôle ». Au paragraphe 81, certaines cautions proposées ont été rejetées parce que la Cour n’était pas convaincue de « leur engagement sincère à assurer le respect des conditions que la Cour [pourrait] imposer », de sorte qu’elles « ne [pourraient] exercer une influence suffisamment forte sur M. Harkat. »
  • Enfin, la Cour a joint à ses motifs les conditions de mise en liberté proposées par M. Harkat. À la quatrième condition, il était écrit : « M. Harkat devra demeurer [...] avec son épouse, Sophie Harkat, ainsi que sa belle‑mère, Pierrette Brunette ».  [Non souligné dans l’original.]

 

La requête des ministres

[31]     En ce qui concerne la requête des ministres, je propose d’examiner dans l’ordre les questions de savoir a) si le paragraphe 6 de l’ordonnance de mise en liberté a été violé, b) dans l’affirmative, quelle est la gravité de la violation et c) quelles conséquences, s’il y a lieu, devraient découler de cette violation.

 

a)         Le paragraphe 6 de l’ordonnance de mise en liberté a-t-il été violé?

[32]     Comme je l’ai indiqué plus haut, M. Harkat nie toute violation de l’ordonnance de mise en liberté et affirme qu’en tout état de cause, le concept de résidence est suffisamment souple pour que l’on considère, au vu des éléments de preuve présentés à la Cour, que Mme Brunette continue de « résider » avec lui, et lui avec elle.

 

[33]     Sur le premier point, M. Harkat soutient que l’ordonnance de mise en liberté visait à neutraliser la perception de danger que constituait sa mise en liberté. L’ordonnance de mise en liberté n’a jamais exigé que M. Harkat soit en compagnie de plus d’une caution de surveillance et n’a jamais enjoint à personne de vivre avec lui. Ainsi, il prétend que Mme Brunette, Mme Harkat et M. Weidemann pourraient tous déménager de la résidence et que M. Harkat ne violerait pas les conditions de l’ordonnance de mise en liberté en autant qu’ils prennent des dispositions pour qu’en tout temps l’un d’eux soit avec M. Harkat.

 

[34]     Au soutien de cette prétention, M. Harkat invoque le courriel, en date du 5 septembre 2006 (pièce 11a), que Mme Brunette a envoyé à Peter Foley. Ce dernier est le « responsable opérationnel du cas » à l’ASFC en ce qui concerne la mise en liberté de M. Harkat. Mme Brunette a envoyé ce courriel à l’époque où M. Harkat demandait l’autorisation d’emménager dans sa résidence actuelle, que Mme Brunette et M. Weidemann avaient achetée à l’automne 2006. Dans son courriel, Mme Brunette a écrit :

[traduction] Vous l’avez dit très clairement. M. Harkat ne peut pas déménager sans l’approbation de la Cour. PAS MOI Je signe [sic] un document qui dit que je suis prête à le surveiller et à respecter toutes les conditions. Je n’ai pas signé un document disant que je DOIS VIVRE AVEC CE TYPE. Il doit être avec moi OU Sophie 24 heures par jour. Si je décide que je déménage, je déménage. Mme Dawson est plus ouverte d’esprit que vous. Elle sait parfaitement que si je m’en vais, ils suivent. [Majuscules dans l’original.]

 

[35]     Ce courriel traduirait la conception que Mme Brunette se fait de ses obligations, et M. Harkat souligne que l’ASFC n’a pas répondu en faisant valoir quelque obligation que ce soit de Mme Brunette de vivre avec M. Harkat.

 

[36]     En ce qui concerne le deuxième argument, M. Harkat invoque des arrêts comme R. c. Stroud, [2007] O.J. No.o48 (C.A.) (QL), et R. c. Gravino, [1991] O.J. No. 2927 (C.A.) (QL), pour soutenir que le mot « résider » a un sens souple. M. Harkat soutient que lorsque Mme Brunette a été « forcée » de quitter la maison par suite d’une rupture de relation, elle a simplement quitté la résidence les soirs. Durant la journée, elle aurait eu « un contact étroit et régulier » avec la résidence, comme en témoigne le fait qu’elle s’y trouve presque tous les jours, qu’elle y conserve la plupart de ses effets personnels, qu’elle y reçoit son courrier et qu’elle y maintient sa ligne téléphonique commerciale.

 

[37]     Les éléments de preuve concernant la présence de Mme Brunette à la résidence sont relativement simples. Selon son témoignage :

·        M. Weidemann et elle se sont séparés en juin 2007 ou vers cette époque;

·        elle a alors commencé à faire chambre à part dans la résidence;

·        elle a rencontré son partenaire actuel, avec lequel elle a noué une relation, entre octobre et novembre 2007;

·        en novembre 2007, elle ne dormait plus à la résidence tous les soirs;

·        depuis le 25 novembre 2007, elle [traduction] « n’a presque pas du tout » dormi à la résidence;

·        elle s’arrête à la résidence tous les jours entre les leçons de musique qu’elle donne, pour ramasser son courrier, prendre ses messages et prendre des effets personnels;

·        une partie de son courrier est acheminé à sa nouvelle adresse;

·        son partenaire actuel a acheté une nouvelle maison où vivront M. et Mme Harkat;

·        son bureau sera situé dans la nouvelle maison, mais elle n’y dormira pas tout le temps;

·        elle s’est montrée évasive quant à ses plans pour l’avenir;

·        elle s’est montrée évasive quant à la question de savoir si son nouveau partenaire était disposé à vivre avec M. et Mme Harkat;

·        elle ne peut pas s’imaginer que son pays l’obligera à vivre le restant de ses jours avec M. Harkat, mais s’il l’y contraint, elle le fera.

 

[38]     Pour ce qui est du témoignage que j’ai qualifié d’évasif, Mme Brunette a livré le témoignage suivant en contre-interrogatoire :

[traduction]

Q.        Vous avez dit que votre partenaire avait offert d’acheter une nouvelle maison où vous pourriez vivre. Votre partenaire a offert d’acheter une nouvelle maison.

 

R.        Oui, il se pourrait qu’il emménage avec nous peut-être.

 

Q.        Peut-être?

 

R.        Oui. Nous avons trois maisons maintenant, à nous deux. J’ai une maison à Greely dont je n’ai jamais pu profiter à cause de la situation, lui a une maison à Gatineau, et nous allions avoir cette maison pour accommoder Sophie et Mo.

 

Q.        Avez-vous l’intention de résider dans cette nouvelle maison?

 

R.        S’il le faut, je le ferai. Mais on ne me l’a jamais ordonné.

 

Q.        Cela ne sera pas trop exigeant, puisque « résider » signifie pour vous de passer tous les quelques jours. N’est-ce pas?

 

M. WEBBER :            Ce n’est que de l’argumentation, madame la juge.

 

LA COUR :     Ça l’est.

 

M. TYNDALE :

 

Q.        Planifiez-vous d’y passer la nuit la plupart du temps?

 

R.        La plupart du temps?

 

Q.        Oui.

 

R.        Nous n’avons pas encore déménagé.

 

Q.        Planifiez-vous d’y passer la nuit la plupart du temps?

 

R.        Si Sophie et Mo n’y emménagent pas, non. On n’a pas encore accepté qu’ils le fassent.

 

Q.        Si on l’accepte et qu’ils y emménagent, planifiez‑vous d’y passer la nuit la plupart du temps?

 

R.        Si la Cour me dit qu’il faut que je dorme là, je le ferai.

 

Q.        Seulement si la Cour vous le dit.

 

R.        Si c’est une ordonnance, je vais me conformer à l’ordonnance. Avant, je n’avais jamais estimé que la Cour m’avait ordonné de dormir toutes les nuits avec Sophie et Mo. À part ça, comme je l’ai dit, je l’ai fait pendant quatre mois auparavant et il n’y avait absolument aucune discussion sur ce fait. Je ne vois pas ce qui a changé maintenant. Je suis une caution, pas l’ombre de Mo et de Sophie.

 

Q.        Votre avocat vous a interrogé au sujet de la nouvelle maison, et vous avez dit « mon bureau sera là ». J’ai l’intention de rester là. Je vais vous soumettre l’hypothèse que jusqu’à ce que cette question de résidence surgisse, vous prévoyiez que Sophie et Mohamed vivraient là et que vous passeriez de temps à autre et que vous et M. Parent vivriez à Gatineau. N’est‑ce pas exact?

 

R.        Il me fait maintenant dire des choses que je n’ai pas dites.

 

Q.        Dites-moi si je me trompe. Est-ce que tel était votre plan ou non?

 

R.        Pas tout à fait parce que j’ai des cours à Orleans. Nous ne savons pas ce que nous allons faire. Est-ce que nous allons vendre la maison à Gatineau, vendre ma maison à Greely, vivre seulement là? Nous n’avons pas décidé. Nous ne savons même pas s’ils seront autorisés à y emménager.

 

Q.        M. Parent a-t-il l’intention d’emménager dans la maison avec Mohamed et Sophie?

 

R.        C’est à lui qu’il faudra que vous le demandiez.

 

Q.        En avez-vous discuté avec lui?

 

R.        M. Parent a dit qu’il ferait tout ce qui doit être fait.

 

Q.        D’après vos discussions avec lui, est-ce qu’il semble ouvert à l’idée d’emménager avec Mohamed et Sophie? Est-ce qu’il pense que c’est une bonne idée, quelque chose qu’il aimerait faire?

 

R.        Il n’a pas dit non.

 

Q.        Ce n’est pas ce que je vous ai demandé.

 

R.        Je ne peux pas parler à sa place.

 

Q.        Encore une fois, ce n’est pas ce que je vous ai demandé.

 

M. WEBBER :            Mais c’est sa réponse.

 

LA COUR :                C’est une réponse.

 

M. TYNDALE :          Bon. Je devrai m’en contenter.

 

[39]     Le témoignage de Mme Harkat quant au plan pour l’avenir était plus clair :

 

[traduction]

Q.        En supposant qu’on vous autorise à emménager dans la nouvelle maison, pouvez-vous expliquer brièvement à la Cour comment cette maison serait aménagée et qui serait là?

 

R.        Ça ressemble à une maison de ville rattachée à deux autres unités de chaque côté, avec un garage. L’idée serait que mon époux et moi vivrions là tout le temps. Nous avons notre intimité et, en gros, ma mère peut continuer à vivre sa vie. Elle aurait en bas son bureau, auquel Mo n’aurait pas accès. Nous n’avons aucun bureau au troisième étage; le bureau serait principalement en bas. Ma mère et moi utiliserions le même bureau et le même ordinateur.

 

Q.        Avez-vous discuté avec votre mère quant à savoir à quelle fréquence elle serait présente dans cette maison, si elle compte rester ailleurs?

 

R.        Elle a dit que, si c’est nécessaire, elle peut passer à la maison tous les jours. Elle le fait déjà de toute façon pour vérifier son courrier et ses messages téléphoniques, parce qu’à l’heure actuelle, tous ses clients appellent là, et pour vérifier ses courriels. [Non souligné dans l’original.]

 

[40]     Les caméras de surveillance à l’extérieur de la résidence révèlent que :

·        du 25 novembre 2007 au 8 décembre 2007, Mme Brunette n’a pas dormi à la résidence;

·        du 25 novembre 2007 au 28 novembre 2007, Mme Brunette a retiré des sacs et des valises de la résidence;

·        du 29 novembre 2007 au 7 décembre 2007, Mme Brunette s’est trouvée dans la résidence durant les heures suivantes :

29 novembre 2007 – 21 h 3 à 22 h 34

30 novembre 2007 – 17 h 11 à 17 h 58

1er décembre 2007 – 15 h 6 à 15 h 23

2 décembre 2007 – 11 h 18 à 14 h 3

2 décembre 2007 – 17 h 14 à 18 h 42

3 décembre 2007 – 13 h 16 à 17 h 16

3 décembre 2007 – 20 h 20 à 22 h 51

5 décembre 2007 – 7 h 28 à 8 h

5 décembre 2007 – 19 h 58 à 22 h 12

6 décembre 2007 – 20 h 3 à 2 h 46

7 décembre 2007 – 11 h 2 à 12 h 2

·        d’autres articles ont été retirés de la résidence le 30 novembre et les 2, 5 et 7 décembre 2007.

 

[41]     Le 9 décembre 2007, Mme Harkat a envoyé un courriel à M. Foley (pièce 23), qui commençait comme suit :

[traduction] Comme les rapports de Mike vous l’auront sans doute appris, ma mère et Louis ne sont plus ensemble. Après de nombreuses discussions, nous avons tous décidé de déménager chacun de notre côté dans des maisons différentes. Nous cherchons quelque chose de beaucoup plus petit et de plus abordable. En attendant, il n’y a rien de nouveau ici. [Non souligné dans l’original.]

 

[42]     Maintenant, en ce qui concerne les arguments avancés par M. Harkat, je conviens que le concept de résidence peut varier selon le contexte.

 

[43]     Ici, le contexte est un régime de conditions de mise en liberté qui visaient à neutraliser et contrecarrer le danger qu’aurait constitué la mise en liberté sans conditions de M. Harkat. L’ordonnance de mise en liberté a été rendue dans des circonstances où le certificat de sécurité avait été jugé raisonnable, il avait été jugé que M. Harkat n’avait pas été sincère, et il avait été jugé nécessaire d’assurer la surveillance et le contrôle des mouvements, des fréquentations et de la capacité de communiquer de M. Harkat.

 

[44]     Dans ce contexte, « résider » avec une personne signifie « vivre » avec elle. Selon les termes de l’ordonnance de mise en liberté à la suite des plus récentes modifications, M. Harkat devait vivre avec Mme Harkat, Mme Brunette et M. Weidemann.

 

[45]     Je tiens compte des décisions invoquées par M. Harkat. Chacune des cautions de surveillance n’était pas obligée de passer chaque nuit à la résidence pour que M. Harkat réside avec elles, mais la résidence de ce dernier devait être l’endroit où elles avaient l’habitude de revenir et de passer la nuit. Une telle interprétation de « résider » est conforme à celle retenue par la High Court of Justice dans Abu Rideh c. Secretary of State for the Home Department, [2007] EWHC 2237 (Admin), aux paragraphes 11 et 33. Tant que les absences des cautions de surveillances de la résidence avaient chaque fois un but temporaire et que les cautions avaient l’intention de revenir à la résidence, les cautions résidaient avec M. Harkat et réciproquement.

 

[46]     Ainsi, Mme Brunette et M. Weidemann pouvaient partir en vacances sans M. Harkat, comme ils l’ont fait, parce que leur absence était temporaire et ils avaient l’intention de revenir à la résidence. De même, Mme Harkat avait le droit de passer une nuit à l’extérieur à l’occasion d’une conférence parce que son absence n’était que temporaire et elle avait l’intention de revenir. Dans les deux cas, d’autres cautions de surveillance étaient présentes à la résidence avec M. Harkat.

 

[47]     Cependant, d’après les éléments de preuve dont la Cour dispose, l’absence de Mme Brunette de la résidence n’a rien de temporaire. Au moment où M. Harkat a été arrêté, Mme Brunette avait mis un terme à sa relation avec M. Weidemann, elle s’était engagée dans une nouvelle relation, avait cessé de dormir à la résidence, avait déménagé certains de ses effets personnels et était en voie d’acheter une nouvelle maison. Comme l’avait noté Mme Harkat dans son courrier électronique à l’ASFC, [traduction] « nous avons tous décidé de déménager chacun de notre côté dans des maisons différentes ».

 

[48]     Pour l’application de l’ordonnance de mise en liberté, j’en arrive à la conclusion de fait que Mme Brunette avait quitté la résidence avec l’intention de ne plus y vivre. Je conclus aussi que les Harkat n’avaient pas l’intention  d’emménager avec elle plus tard. L’inférence la plus raisonnable que l’on puisse tirer du témoignage évasif de Mme  Brunette, du témoignage clair de Mme Harkat  et de son courrier électronique du 9 décembre 2007, est que Mme Brunette et les Harkat allaient partir chacun de leur côté. Il n’était pas prévu que les Harkat rejoindraient Mme Brunette à sa nouvelle adresse.

 

[49]     Mme Brunette avait le droit de quitter la résidence en ce sens que la Cour ne lui avait pas ordonné, et n’aurait vraisemblablement pas pu lui ordonner, de vivre avec M. Harkat si elle ne le voulait pas. Cependant, son départ a eu comme conséquence de placer M. Harkat en situation de violation du paragraphe 6 de l’ordonnance de mise en liberté, qui exigeait qu’il réside avec elle.

 

[50]     Aucune des cautions de surveillance n’a signalé cette violation à l’ASFC avant le 25 janvier 2008, lorsque M. Weidemann a dit à M. Foley que Mme Brunette ne vivait plus dans la résidence depuis le 25 novembre 2007. Par conséquent, chaque caution de surveillance a manqué à son obligation de signaler immédiatement à l’ASFC la violation de la condition de l’ordonnance de mise en liberté qui exigeait que M. Harkat réside avec Mme Brunette.

 

[51]     Pour tirer ces conclusions, j’ai tenu compte de l’observation de M. Harkat selon laquelle l’ordonnance de mise en liberté n’ordonnait pas aux cautions de surveillance de vivre avec lui. C’est vrai. Comme je l’ai indiqué plus haut, je douterais qu’une ordonnance semblable puisse trouver quelque assise juridique. Cependant, chacune des cautions de surveillance a accepté sciemment et volontairement l’obligation selon laquelle M. Harkat devait résider avec elles. Ayant fait cela, toute caution qui ne voulait plus être liée par cette obligation devait demander à la Cour d’en être libérée. En omettant de le faire et en déménageant unilatéralement, Mme Brunette a placé M. Harkat en situation de violation de la condition selon laquelle il devait résider avec elle.

 

[52]     Le courrier électronique du 5 septembre 2006 de Mme Brunette n’est pas incompatible avec ce qui précède. L’ordonnance de mise en liberté n’exigeait pas expressément qu’elle obtienne une approbation pour pouvoir déménager, et il aurait été compatible avec le concept de but temporaire de lui permettre d’emménager en 2006 dans ce qui était alors la nouvelle résidence afin de la préparer pour l’arrivée de M. et Mme Harkat. Comme l’a indiqué Mme Brunette dans son courrier électronique, [traduction] « si je pars, ils suivent. »

 

[53]     Les témoignages de Mme Brunette et Mme Harkat sont tous deux compatibles avec cette séparation temporaire. En contre-interrogatoire, Mme Brunette a affirmé :

 

[traduction]

Q.        Plus haut, juste en-dessous de la ligne qui dit « Si je décide que je déménage, je déménage », deux lignes plus bas, ça dit : « Elle sait – » Et, encore une fois, vous faites allusion à la juge. « Elle sait parfaitement que si je pars, ils suivent. » Je vais vous soumettre l’hypothèse que le plan était, lorsque vous vous êtes rendu compte que vous n’aviez pas l’approbation de la Cour, que vous déménageriez à la nouvelle adresse et que Mohamed et Sophie suivraient lorsque les rénovations seraient terminées et que la Cour aurait approuvé le déménagement. C’était le plan. N’est-ce pas?

 

R.        C’était le plan, oui. Si nous déménageons, ils doivent suivre parce qu’il doit résider avec moi.  [Non souligné dans l’original.]

 

En contre-interrogatoire, Mme Harkat a aussi affirmé :

                       

[traduction]

LA COUR :                La question est : Au départ, vous souhaitiez pouvoir déménager tous ensemble.

 

LE TÉMOIN :             Oui.

 

LA COUR :                Et cela ne s’est pas avéré possible.

 

LE TÉMOIN :             Parce qu’il y a toutes sortes de délais et de choses du genre. Je suis restée là où nous devions rester, et Mo a fait la même chose.

 

LA COUR :                M. Tyndale.

 

M. TYNDALE :

 

Q.        Ce qui s’est passé par la suite, en février, c’est que vous et M. Harkat avez rejoint M. Weidemann et votre mère dans la nouvelle maison. N’est-ce pas?

 

R.        C’est exact.

 

Q.        Et à compter de février, vous prévoyiez de continuer à résider tous ensemble dans cette maison.

 

R.        C’est ce que nous espérions, et d’ailleurs nous adorons l’endroit. C’est dommage, tout ce qui se passe.

 

[54]     Pour ce qui est de l’argument selon lequel Mme Brunette continue de résider dans la maison en raison de son « contact étroit et régulier » avec la résidence, « résider » est l’endroit où l’on dort selon le sens habituel de ce terme, comme l’a fait remarquer le juge Tarnopolsky dans Gravino. Mme Brunette ne dort plus régulièrement à la résidence. Le paragraphe 6 de l’ordonnance de mise en liberté visait à assurer une surveillance efficace de M. Harkat. Une surveillance efficace suppose la présence effective du surveillant – non la présence de ses effets personnels. Je répète qu’il n’y avait rien de temporaire dans la décision de Mme Brunette de ne plus dormir à la résidence.

 

b)         Quelle est la gravité de la violation?

[55]     M. Harkat soutient que si je conclus qu’une condition de l’ordonnance de mise en liberté a été violée, l’affaire devrait être réglée par voie de clarification ou de modification de l’ordonnance de mise en liberté. Il avance que, tant que les Harkat continuent de résider là où ils sont maintenant, la modification appropriée consisterait à exiger que M. Harkat continue de résider avec Mme Harkat, tandis que Mme Brunette demeurerait une caution de surveillance.

 

[56]     J’estime que la violation de l’ordonnance de mise en liberté est trop grave pour n’appeler qu’une approbation de la situation de fait que les cautions de surveillance et M. Harkat ont créée.

 

[57]     Les conditions de l’ordonnance de mise en liberté ont été soigneusement élaborées pour neutraliser le danger que constituait la mise en liberté de M. Harkat.

 

[58]     Un facteur très important qui a milité en faveur de la mise en liberté de M. Harkat était qu’ensemble, Mme Brunette et Mme Harkat pourraient le surveiller efficacement. À l’audience qui s’est conclue par la mise en liberté de M. Harkat, j’ai été impressionnée par le témoignage de Mme Brunette, et j’ai cru qu’en raison de sa forte personnalité, combinée à son cautionnement de bonne exécution de 50 000 $, elle assurerait une surveillance étroite de M. Harkat. J’ai aussi admis le témoignage de Mme Harkat selon lequel elle assurerait une surveillance attentive, parce qu’autrement, elle trahirait sa mère et décevrait les membres du Comité Justice pour Mohamed Harkat. En conséquence, l’ordonnance de mise en liberté exigeait que M. Harkat réside avec Mme Harkat et Mme Brunette, comme elles l’avaient proposé à la Cour.

 

[59]     Cette exigence n’était pas accidentelle et a été soigneusement réfléchie.

 

[60]     Aujourd’hui, ce régime de surveillance, modifié ultérieurement par l’ajout de M. Weidemann, n’existe pas, et ni Mme Brunette ni les Harkat n’en ont avisé l’ASFC ou la Cour.

 

[61]     De fait, les affidavits produits le 21 décembre 2007 au soutien de la requête de M. Harkat visant la modification des conditions de sa mise en liberté sont silencieux quant au départ de Mme Brunette. Dans son affidavit, Mme Harkat se borne à affirmer que [traduction] « M. Alois Weidemann déménagera. » Cela ne constituait pas, à mon avis, une description exacte de la situation existante à cette époque.

 

[62]     Bien que j’admette que les avocats de M. Harkat ont avisé les avocats des ministres le 10 décembre 2007 que la résidence où vivait M. Harkat serait vendue et qu’ils ont aussi informé le juge en chef de la Cour, lors d’une téléconférence de gestion de l’instance, qu’un changement de résidence était prévu, je suis préoccupée par le fait que M. Harkat ait demandé les modifications décrites ci-dessus sans divulguer le fait que Mme Brunette avait cessé de vivre dans sa résidence et d’y centrer sa vie.

 

[63]     M. Harkat, Mme Harkat et Mme Brunette ont tous affirmé avoir respecté à la lettre, et voulu respecter, les conditions de l’ordonnance de mise en liberté. Il est difficile de comprendre comment, compte tenu de ces témoignages, Mme Brunette pouvait croire qu’elle pouvait quitter la résidence (et se retirer du cadre de vie qu’elle et les Harkat avaient proposé plus tôt à la Cour pour approbation) sans que M. Harkat ait à demander une approbation relativement à ce changement très important dans la situation. Cela porte à croire que M. Harkat et ses cautions de surveillance ne comprenaient pas l’importance du respect de l’ordonnance de mise en liberté, qu’ils ont interprété l’ordonnance de manière insouciante ou qu’ils ont fait peu de cas des conditions de l’ordonnance de mise en liberté.

 

[64]     Ce changement de situation non autorisé et unilatéral a pour effet de miner sérieusement ma confiance dans le jugement de Mme Brunette, M. Harkat et Mme Harkat.

 

c)         Quelles conséquences, s’il y a lieu, devraient découler de la violation de l’ordonnance de mise en liberté?

[65]     Les ministres ont soutenu que les Harkat voulaient vivre seuls et que, plutôt que de demander une modification de l’ordonnance de mise en liberté de manière à permettre ce changement, ils présentaient la situation à des fins d’approbation comme un fait accompli. Les ministres soulignent que M. Weidemann est en train de vendre la résidence, que Mme Brunette s’est engagée dans une nouvelle relation, que les plans d’avenir de Mme Brunette sont pour le moins vagues, et que Mme Harkat  a avisé l’ASFC que [traduction] « nous avons tous décidé de déménager chacun de notre côté dans des maisons différentes. » Les ministres soutiennent que les Harkat, par suite de la violation de l’ordonnance de mise en liberté, ont présenté ce qui est essentiellement un « fait accompli » pour approbation par la Cour.

 

[66]     Dans ce contexte, où le régime de surveillance exigé aux termes de l’ordonnance de mise en liberté s’est, à leurs dires, désintégré, les ministres soutiennent que M. Harkat devrait être détenu. M. Harkat devrait ensuite avoir le fardeau de concevoir un nouveau plan de surveillance et se présenter devant la Cour, avec des témoins, pour demander sa mise en liberté à ces conditions.

 

[67]     J’ai examiné très attentivement les observations des ministres. Cependant, malgré les actes de Mme Brunette et le silence des Harkat, M. Harkat a juridiquement le droit d’être mis en liberté s’il existe des conditions pouvant contrecarrer le danger que constitue sa mise en liberté. Voir : Charkaoui aux paragraphes 96 et 101. À mon avis, à ce stade-ci, de telles conditions existent encore.

 

[68]     Le régime de surveillance ordonné par la Cour, en vertu duquel M. et Mme Harkat  devaient résider avec une autre caution de surveillance, demeure intact, quoique de justesse, sous la forme de M. Weidemann.

 

[69]     M. Weidemann a déclaré qu’il était prêt à permettre aux Harkat de vivre dans sa maison à court terme, et que, durant cette période, il était prêt à continuer d’assumer ses obligations de caution de surveillance. J’ai été impressionnée par le témoignage de M. Weidemann, et j’ai trouvé qu’il était une personne respectable, consciencieuse et franche. Il a été la seule caution de surveillance à aviser l’ASFC du départ de Mme Brunette de la résidence.

 

[70]     Selon M. Harkat, M. Weidemann est un [traduction] « homme bien », qu’il respecte et qui l’a beaucoup aidé. Mme Brunette, quant à elle, a dit qu’elle ne lui faisait pas confiance et que M. Harkat [traduction] « [voyait] les choses différemment » et s’entendait très bien avec lui. Mme Harkat a aussi déclaré que son époux entretenait de bons rapports avec M. Weidemann et qu’elle n’avait aucune objection à continuer à vivre avec lui dans la résidence.

 

[71]     M. Weidemann a aussi signé un cautionnement de bonne exécution.

 

[72]     J’admets, et je conclus, que M. Weidemann assurera une surveillance efficace de M. Harkat à court terme.

 

[73]     Il y a quatre autres facteurs qui militent en faveur du maintien de M. Harkat en liberté.

 

[74]     Premièrement, mis à part le départ de Mme Brunette, il n’y a aucun élément de preuve indiquant que M. Harkat ait violé l’une quelconque des conditions de l’ordonnance de mise en liberté. Selon le témoignage de M. Foley, mis à part l’incident qui a donné lieu à la présente instance, les choses ont [traduction] « fonctionné plutôt bien », et compte tenu de la conduite de M. Harkat jusqu’à présent, l’ASFC n’a pas jugé nécessaire de surveiller M. Harkat lors de toutes ses sorties. M. Foley n’a relevé aucune violation de conditions lors des activités de M. Harkat à l’extérieur de la résidence. Bien qu’il y ait eu des malentendus et des disputes quant à l’horaire de sorties ou de visites, M. Foley a déclaré que ces questions avaient généralement été réglées [traduction] « à l’amiable ». Il a affirmé qu’il y avait généralement une bonne collaboration entre les Harkat et l’ASFC. Lorsque l’ASFC est entrée dans la résidence le 25 janvier 2008, sans préavis, l’accès à l’ordinateur était restreint et sous clé, tel qu’exigé.

 

[75]     Le deuxième facteur est la confiance que je conserve en Mme Brunette et Mme Harkat. Bien que je ne parvienne pas à comprendre comment elles semblent avoir pu croire que Mme Brunette pouvait quitter la résidence sans aviser l’ASFC ou la Cour, et bien que je sois préoccupée par le fait qu’elles ont peut-être eu l’intention de présenter les nouvelles conditions de vie à la Cour comme un fait accompli afin de faire modifier les conditions de la mise en liberté, j’estime qu’elles demeurent déterminées à assurer la surveillance de M. Harkat au quotidien.

 

[76]     Je parviens à cette conclusion en m’appuyant sur leur témoignage livré avec véhémence en ce sens et sur leur attitude combative, parfois sans raison, lorsqu’elles ont été contre‑interrogées sur ce point. Je suis convaincue qu’elles ont travaillé fort pour se conformer aux conditions relatives à ce que M. Harkat pouvait et ne pouvait pas faire, et qu’elles réagissent donc fortement à toute insinuation contraire. Je suis aussi convaincue que l’existence des cautionnements de bonne exécution, en particulier le cautionnement de 50 000 $ de Mme Brunette, demeure une source importante de motivation.

 

[77]     Le troisième facteur est que je continue d’accepter le témoignage de M. Harkat selon lequel il croit que toute violation de l’ordonnance de mise en liberté de sa part mènerait probablement à sa détention et accroîtrait les probabilités de son expulsion.

 

[78]     Enfin, lorsque j’ai ordonné la mise en liberté de M. Harkat, je me suis fiée au fait que des autorités comme l’ASFC le surveilleraient. En plus de cette surveillance, la présence de l’ASFC aurait un effet dissuasif aussi bien sur M. Harkat que sur ceux qui ont quelque chose à cacher aux autorités. L’ASFC continuera d’assurer cette surveillance et cette présence dissuasive.

 

[79]     Pour ces motifs, je conclus qu’il n’est pas nécessaire à l’heure actuelle que M. Harkat soit détenu et qu’il existe encore des conditions qui peuvent contrecarrer le risque que constitue sa mise en liberté. Il en demeurera ainsi tant que les Harkat vivront avec M. Weidemann.

 

[80]     Je reconnais qu’il ne s’agit pas d’une solution à long terme, et que M. Weidemann est disposé à agir comme caution de surveillance pour une période limitée. Au cours de cette période, il incombe à M. Harkat de présenter à la Cour, à fins d’approbation, une proposition concernant sa surveillance à long terme.

 

[81]     En termes clairs, pendant que M. Harkat continue de résider avec Mme Harkat et M. Weidemann, il doit présenter une requête à la Cour visant la modification de l’ordonnance de mise en liberté pour que tout changement à cette situation puisse être autorisé.

 

[82]     En plus de la détention de M. Harkat, les ministres demandent le versement à Sa Majesté des sommes versées à la Cour en vertu de l’ordonnance de mise en liberté et la confiscation des cautionnements de bonne exécution fournis par Mme Brunette, Mme Harkat et M. Weidemann.

 

[83]     Le paragraphe 4 et les alinéas 5(i), (ii) et (vii) de l’ordonnance de mise en liberté sont pertinents au regard des demandes des ministres. Ils prévoient :

4.         Avant la mise en liberté de M. Harkat, la somme de 35 000 $ devra être versée à la Cour conformément à la règle 149 des Règles des Cours fédérales. S’il y a violation d’une quelconque condition de l’ordonnance de mise en liberté de M. Harkat, les ministres pourront solliciter une ordonnance prescrivant le versement total de cette somme, plus les intérêts courus, au procureur général du Canada.

 

5.         Avant la mise en liberté de M. Harkat, les sept personnes mentionnées ci‑dessous devront passer des actes de cautionnement de bonne exécution au moyen desquels elles conviennent d’être liées envers Sa Majesté la Reine du Chef du Canada quant aux montants précisés ci‑dessous. Chaque cautionnement de bonne exécution sera assorti d’une condition selon laquelle, si M. Harkat enfreint l’une ou l’autre des conditions prévues dans l’ordonnance de mise en liberté, tel qu’elles pourront être modifiées, les sommes garanties par les cautionnements seront confisquées au profit de Sa Majesté. Les conditions des cautionnements de bonne exécution, qui devront être conformes à celles prévues à l’article 56 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, seront communiquées par les avocats des ministres aux avocats de M. Harkat. Chaque caution devra reconnaître par écrit avoir examiné les conditions prévues dans la présente ordonnance.

 

            i)          Pierrette Brunette                     50 000 $

            ii)         Sophie Harkat                           5 000 $

            [...]

            vii)       Alois Weidemann                      5 000 $

 

[84]     Ni la Loi ni ses règlements d’application ne comportent de critère exprès régissant la confiscation de cautionnements ou de sommes versées à la Cour dans le présent contexte. Les deux parties ont néanmoins reconnu que la Cour avait le pouvoir discrétionnaire d’ordonner ou non la confiscation.

 

[85]     Les avocats de M. Harkat soutiennent que l’on devrait tenir compte du contexte pénal et d’affaires comme Gayle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 446 (QL), qui fait état d’un pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner la confiscation lorsque la violation d’une condition ne résulte pas d’une faute de la caution où lorsqu’il existe des circonstances atténuantes d’ordre humanitaire.

 

[86]     Les ministres reconnaissent que la Cour a un « vaste » pouvoir discrétionnaire pour décider si un cautionnement devrait être confisqué en totalité ou en partie ainsi que le pouvoir discrétionnaire d’ordonner qu’une partie, mais non la totalité, des sommes ou des cautionnements soient confisqués. Les ministres soutiennent qu’il convient notamment de prendre en considération le but pour lequel le cautionnement a été fourni. Ils invoquent la décision de la Cour Khalife c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2006), 287 F.T.R. 306.

 

[87]     Après examen de ces observations, j’estime que les affaires telles que Gayle sont d’une utilité limitée parce qu’elles se rapportent à des lignes directrices ministérielles expresses qui ne s’appliquent pas en l’espèce.

 

[88]     Bien que je n’entende pas établir les limites exactes du pouvoir discrétionnaire dont jouit la Cour ni dresser une liste exhaustive des facteurs dont la Cour doit tenir compte, j’estime qu’il faut tenir compte des considérations pertinentes suivantes :

 

1.         Dans chaque cas, l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit se fonder sur des principes, eu égard aux particularités de l’espèce dont la Cour est saisie.

 

2.                  Toutes les circonstances pertinentes doivent être prises en considération.

 

3.         Il faut tenir compte du but dans lequel les cautionnements ont été fournis et les sommes, versées. En l’espèce, ce but consiste à assurer le respect des conditions d’une ordonnance de mise en liberté d’une personne détenue en vertu d’un certificat de sécurité. Il ne doit pas être fait obstacle à ce but.

 

4.         Une caution contracte un engagement sérieux, et elle devrait payer le montant promis, à moins qu’il n’y ait des circonstances qui rendent inique ou injuste la confiscation de la totalité ou d’une partie des sommes.

 

[89]     Après application de ces considérations, les facteurs les plus pertinents qui militent en faveur de la confiscation et du paiement en l’espèce sont les suivants :

 

i.          La gravité de la violation de l’ordonnance de mise en liberté.

 

ii.                   Le fait que la violation a été commise personnellement par une caution, Mme Brunette, qu’une autre caution, soit Mme Harkat, n’a pas signalé la violation, et qu’une autre caution, soit M. Weidemann, ne l’a pas signalée immédiatement. Le défaut de signaler la violation immédiatement constitue en soi une violation de l’ordonnance de mise en liberté.

 

iii.         Les cautionnements ont été fournis et les sommes ont été versées à la Cour afin d’assurer le respect de l’ordonnance de mise en liberté par M. Harkat.

 

[90]     Sur le fondement de ces éléments de preuve, j’ai sérieusement examiné la possibilité d’ordonner la confiscation de l’intégralité ou d’une partie des sommes et des cautionnements. J’ai aussi examiné la possibilité d’exiger que des sommes additionnelles soient garanties au moyen de cautionnements de bonne exécution.

 

[91]     Il y a cependant un facteur important qui milite contre la confiscation. En octobre 2006, M. Weidemann et Mme Brunette ont acheté la résidence actuelle. M. Weidemann a emménagé dans la résidence et Mme Brunette l’a suivi, laissant les Harkat seuls dans l’ancienne résidence jusqu’à ce que M. Harkat soit autorisé à emménager en février 2007. M. Harkat et ses cautions soutiennent que si cette situation a été autorisée à l’époque, alors pourquoi la situation actuelle constitue-t-elle une violation de l’ordonnance ou une situation suffisamment répréhensible au point de justifier la confiscation des cautionnements de bonne exécution et des sommes versées à la Cour?

 

[92]     Comme je l’ai dit précédemment, les deux situations sont différentes. Le déménagement de Mme Brunette en 2006 avait un but temporaire, la séparation ne devant durer que jusqu’à ce que la nouvelle résidence soit rénovée et approuvée par l’ASFC. Il était prévu que les Harkat suivraient Mme Brunette dans la résidence. Ainsi, cette situation peut très bien ne pas avoir constitué une violation de l’ordonnance de mise en liberté.

 

[93]     Autre distinction : M. Foley a déclaré que l’ASFC ne savait pas que Mme Brunette avait quitté l’ancienne résidence. Ainsi, selon M. Foley, l’ASFC n’a pas approuvé que Mme Brunette vive séparément de M. Harkat. Les avocats de M. Harkat ont admis le témoignage de M. Foley, tout comme moi. Il n’y a donc aucun motif qui permettrait de conclure que l’ASFC a « renoncé » à cette conduite.

 

[94]     Même si l’ASFC n’était pas au courant du déménagement de Mme Brunette en octobre 2006, étant donné le degré de surveillance de M. Harkat par l’ASFC (mais non de Mme Brunette) à l’époque, j’admets que Mme Brunette et les Harkat ont pu supposer que l’ASFC savait que Mme Brunette avait quitté l’ancienne résidence en octobre 2006 et n’avait pas vécu avec eux jusqu’en février 2007. Pourtant, aucune conséquence n’a découlé du déménagement de Mme Brunette en 2006.

 

[95]     Dans ces circonstances très particulières et extraordinaires, je conclus qu’il serait inique et injuste d’ordonner la confiscation des cautions et des sommes versées à la Cour, que ce soit en totalité ou en partie. Je conclus en outre que cela ne minera pas le but dans lequel ces cautionnements ont été fournis. Exerçant le pouvoir discrétionnaire dont je suis investie, je n’ordonnerai aucune confiscation.

 

[96]     J’insiste sur les circonstances extraordinaires qui m’amènent à exercer ainsi mon pouvoir discrétionnaire. Aucune caution ne devrait présumer qu’autre chose que des circonstances tout aussi extraordinaires empêchera à l’avenir la confiscation de la totalité ou d’une partie importante des cautions et des sommes qui servent actuellement de garantie du respect de l’ordonnance de mise en liberté. Je tiens aussi à préciser que la présente décision constitue une réponse précise aux éléments de preuve très précis présentés à la Cour. Dans chaque cas, la Cour devra soupeser soigneusement tous les éléments de preuve particuliers dont elle dispose et examiner les principes juridiques applicables.

 

La requête de M. Harkat

[97]     J’examinerai maintenant la requête de M. Harkat. Celui-ci demande que l’ordonnance de mise en liberté soit modifiée à quatre égards, à savoir :

 

1.         Qu’il soit autorisé à demeurer seul dans la résidence, sans ses cautions de surveillance. (D’après le témoignage de M. Harkat, il est clair que cette modification est demandée non seulement pour permettre à Mme Harkat d’assister à des réunions et de se rendre à des rendez‑vous, mais aussi pour qu’elle puisse assister à des conférences et événements qui l’amèneraient à passer une ou plusieurs nuits à l’extérieur de la résidence).

 

2.         Qu’il soit autorisé à rester seul dans la cour de la résidence, sans ses cautions de surveillance.

 

3.         Que les limites géographiques à l’intérieur desquelles il est autorisé à se déplacer soient étendues de manière à ce qu’il puisse se rendre à la nouvelle demeure de la sœur de Mme Harkat.

 

4.         Qu’une clause résiduelle additionnelle soit ajoutée aux conditions de sa mise en liberté de manière à permettre à l’ASFC d’examiner les demandes spéciales de prolongation d’une de ses sorties hebdomadaires pour une sortie familiale d’une durée de plus de quatre heures, pourvu que la sortie soit effectuée à l’intérieur des limites géographiques permises. Une telle clause lui permettrait d’effectuer ces sorties prolongées jusqu’à trois fois par mois.

 

[98]     Les ministres ne se sont pas opposés à la troisième demande, et j’en traiterai plus loin.

 

[99]     Au paragraphe 13, j’ai énuméré les lignes directrices générales à suivre lors de l’examen de propositions de modification des conditions de la mise en liberté.

 

[100]   Indépendamment de ces lignes directrices, il y a toutefois le fait incontournable que, lors de l’appréciation de la proportionnalité des conditions de la mise en liberté par rapport à la menace ou au danger que constitue la mise en liberté, il faut se fier à la personne concernée et/ou à ses cautions de surveillance. En l’espèce, lorsque M. Harkat a été mis en liberté, la Cour s’est grandement fiée à ses cautions de surveillance. Elle s’est fiée de façon limitée à M. Harkat, dans la mesure où elle a accepté qu’il croyait qu’une violation de l’ordonnance de mise en liberté mènerait probablement à sa détention et accroîtrait les probabilités de son expulsion.

 

[101]   Comme je l’ai mentionné plus haut, la violation de l’ordonnance de mise en liberté a eu pour effet de miner sérieusement ma confiance dans le jugement de Mme Brunette, M. Harkat et Mme Harkat. À cause de cette confiance diminuée dans leur jugement, je ne suis pas prête, à ce stade-ci, à assouplir les conditions de manière à permettre à M. Harkat d’être seul dans la résidence ou dans la cour.

 

[102]   Comme je l’ai expliqué plus haut, un des facteurs qui ont justifié ma conclusion selon laquelle il n’était pas nécessaire à ce stade‑ci de faire détenir M. Harkat, malgré la violation de l’ordonnance de mise en liberté, était la confiance que je conserve en la capacité des cautions de surveillance de continuer à surveiller les activités de M. Harkat au quotidien et en leur disposition à le faire. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je ne puis conclure que permettre à ce stade-ci à M. Harkat de demeurer sans surveillance et seul est proportionnel à la menace qu’il constitue.

 

[103]   Si M. Harkat a demandé la permission de demeurer seul dans la résidence, c’est pour alléger les conditions de vie difficiles imposées à son épouse. Je reconnais que la présente décision maintiendra les obligations de surveillance onéreuses que Mme Harkat doit assumer. Cependant, comme le juge Noël l’a noté aux paragraphes 40 et 45 de ses motifs lors du dernier contrôle des conditions de la mise en liberté de M. Harkat, ces obligations peuvent être considérablement allégées par l’ajout de cautions de surveillance additionnelles. Mme Harkat ne s’est pas prévalue de cette possibilité parce qu’elle et son époux souhaitent se débrouiller seuls.

 

[104]   Dans leur plaidoirie, les avocats de M. Harkat ont fait remarquer que la Cour avait refusé auparavant que Mme Squires et MM. Skerrit et Bush agissent comme cautions de surveillance, et ils ont avancé que ces personnes étaient peut-être les meilleurs candidats disponibles à cette fin. Cependant, au moment où ces personnes ont été refusées, la Cour, aux paragraphes 78 à 81 de ses motifs, a fait observer qu’elles avaient tissé peu de liens avec M. Harkat et qu’elles n’avaient eu aucune discussion poussée sur la façon dont elles coordonneraient leurs responsabilités. C’étaient là deux des facteurs qui ont milité contre leur approbation comme cautions de surveillance à cette époque. Il ne s’ensuit pas nécessairement qu’au vu d’éléments de preuve différents, elles seraient refusées à l’avenir.

 

[105]   Pour ce qui est de la demande relative à une clause résiduelle qui permettrait des sorties prolongées, compte tenu du témoignage de M. Foley selon lequel cela soulève d’importants problèmes opérationnels, du fait que je me fie à l’ASFC et de la violation actuelle de l’ordonnance de mise en liberté, cette demande est refusée à ce stade-ci.

 

Les conditions du maintien en liberté de M. Harkat

[106]   Pour les motifs exposés aux paragraphes 67 et suivants ci-dessus, j’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire que M. Harkat soit actuellement détenu, qu’il existait encore des conditions pouvant contrecarrer le risque que constitue sa mise en liberté, et qu’il en demeurerait ainsi tant que M. Harkat continuerait de résider avec Mme Harkat ainsi qu’avec M. Weidemann.

 

[107]   Pour les motifs exposés aux paragraphes 101 et suivants ci-dessus, j’ai conclu que permettre à M. Harkat de se trouver dans la résidence ou dans la cour sans une caution de surveillance ou de lui permettre de faire des sorties prolongées ne serait pas, actuellement, proportionnel au risque qu’il constitue.

 

[108]   Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la Cour rendra une ordonnance qui rétablira toutes les conditions de l’ordonnance de mise en liberté modifiées et précisera qu’elle n’aura effet que tant que M. Harkat résidera avec Mme Harkat ainsi qu’avec M. Weidemann. Ainsi, le droit de M. Harkat à des sorties limitées, avec l’approbation préalable de l’ASFC, sera rétabli.

 

[109]   En outre, étant donné que les ministres consentent à une légère modification des limites géographiques imposées à M. Harkat, et compte tenu du témoignage de M. Foley selon lequel cette modification ne changera rien au plan opérationnel de l’ASFC, une ordonnance sera rendue en ce sens après que les avocats auront précisé le libellé relatif à ces délimitations.

 

[110]   Comme je l’ai expliqué, puisque M. Weidemann n’est pas disposé à agir comme caution de surveillance à long terme, il faudra que M. Harkat présente une requête à la Cour demandant une modification de l’ordonnance de mise en liberté pour tout changement par rapport à la situation actuelle.

 

[111]   Je prévois aussi que, si de nouvelles dispositions législatives concernant les certificats de sécurité entrent en vigueur, et si un nouveau certificat est émis à l’égard de M. Harkat, de nouvelles requêtes seront présentées pour obtenir la révision et la modification des conditions de sa mise en liberté.

 

[112]   C’est dans ce contexte que je formule l’observation suivante.

 

[113]   Une préoccupation qui a surgi lors de l’audition des témoignages de Mme Harkat et de Mme Brunette tenait à leur ressentiment et leur insatisfaction à l’égard des actes de l’ASFC. Mme Harkat a déclaré qu’elle ne comprenait pas pourquoi il fallait que l’ASFC « contre-vérifie » son travail. Mme Brunette a dit qu’elle refusait d’accompagner M. Harkat lors de promenades si des agents de l’ASFC comptaient les suivre.

 

[114]   Bien que M. Foley et Mme Harkat aient tous deux témoigné au sujet des bons rapports qu’ils entretenaient de manière générale, leurs témoignages ont été quelque peu démentis par d’autres témoignages. Mme Brunette a déclaré qu’elle croyait que M. Foley abusait de son pouvoir et qu’il se servait des conditions de l’ordonnance de mise en liberté comme prétexte pour leur rendre la vie difficile. Selon Mme Harkat, l’interprétation que M. Foley faisait de l’ordonnance de mise en liberté allait trop loin, et elle a dit ne pas parvenir à comprendre pourquoi certaines sorties n’étaient pas permises. M. Foley a indiqué qu’il s’opposait à la clause résiduelle parce que l’investir d’un tel pouvoir discrétionnaire accroîtrait le risque de conflit entre lui et les cautions de surveillance de M. Harkat.

 

[115]   Il en ressort deux choses :

          •        Premièrement, il n’y a aucune allégation formelle de conduite arbitraire ou abusive de la part de l’ASFC, et aucun élément de preuve n’a été produit en ce sens.

 

          •        Deuxièmement, le ressentiment envers l’ASFC est déplacé et traduit une incompréhension d’un des fondements de l’ordonnance de mise en liberté.

 

[116]   Comme je l’ai expliqué plus haut, un facteur important qui a joué en faveur de la mise en liberté et du maintien en liberté de M. Harkat, malgré la violation de l’ordonnance de mise en liberté, était, et demeure, la surveillance et la présence dissuasive de l’ASFC.

 

[117]   Pour employer une analogie, l’ordonnance de mise en liberté n’est pas un tabouret à une patte, reposant uniquement sur l’existence de cautions de surveillance. D’autres assises importantes ont été énumérées aux paragraphes 86 à 92 des motifs de la Cour au soutien de l’ordonnance de mise en liberté. Une de ces assises est la présence de l’ASFC.

 

[118]   Je souligne cela parce que je crois que la preuve des rapports empreints de maturité et de civilité et caractérisés par une collaboration véritable entre M. Harkat, ses cautions de surveillance et l’ASFC constituerait un facteur pertinent pour déterminer à l’avenir si des conditions moins exigeantes pourraient être proportionnelles au risque. En effet, la preuve de tels rapports serait pertinente pour établir dans quelle mesure la Cour pourrait faire confiance à l’avenir aux cautions de surveillance et à M. Harkat.

 

[119]   Pour être plus précise, cela ne signifie pas que M. Harkat est tenu de se conformer aveuglément à chaque décision prise par l’ASFC. Mais, en même temps, il faut bien comprendre le rôle que joue l’ASFC, et il doit y avoir un dialogue respectueux entre les parties.

 

Les ordonnances provisoires

[120]   Il reste à expliquer les ordonnances provisoires de la Cour du 1er février 2008 et du 8 février 2008.

 

[121]   Il importe de signaler que les ordonnances provisoires avaient un caractère temporaire et qu’elles visaient à tenir compte des circonstances qui étaient connues de la Cour au moment où chacune d’elles a été rendue.

 

a)         L’ordonnance du 1er février 2008

[122]   Après l’audience le 31 janvier 2008 qui a suivi immédiatement l’arrestation de M. Harkat, la Cour a ordonné, à titre provisoire, qu’il soit mis en liberté. L’ordonnance exigeait que, après sa mise en liberté, M. Harkat demeure dans sa résidence avec une de ses cautions de surveillance, sauf pour assister à l’audience prévue de la Cour.

 

[123]   Cette ordonnance a été rendue parce que la Cour n’avait entendu aucun témoignage de nature à la convaincre que si M. Harkat était mis en liberté sous cette condition, il constituerait une menace pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. Toutes les conditions de l’ordonnance de mise en liberté n’ont pas été rétablies parce que la Cour a été convaincue, compte tenu des témoignages qu’elle a entendus, que l’allégation des ministres selon laquelle il y avait eu violation de l’ordonnance de mise en liberté n’était pas frivole. La Cour a jugé proportionnelles les restrictions imposées à la liberté de M. Harkat en attendant que tous les témoignages et les observations aient été entendus.

 

b)         L’ordonnance du 8 février 2008

[124]   Après avoir entendu tous les témoignages et les observations, et en particulier le témoignage de M. Weidemann, la Cour a rendu une deuxième ordonnance provisoire. M. Weidemann a livré un témoignage important selon lequel il demeurait déterminé à assurer une surveillance efficace, bien qu’il souhaitât être libéré de cette obligation dans six semaines. La deuxième ordonnance exigeait que M. Harkat continue de résider avec Mme Harkat et M. Weidemann, mais lui permettait d’être dans la cour et de faire des promenades approuvées au préalable avec une caution de surveillance. En attendant la décision définitive de la Cour relativement à la requête des ministres, M. Harkat n’était pas autorisé à faire les trois sorties par semaine prévues dans les conditions de l’ordonnance de mise en liberté.

 

[125]   Ces conditions tenaient compte du fait que la Cour avait entendu des témoignages concernant ce qu’elle estimait être une violation grave des conditions de l’ordonnance de mise en liberté. L’exigence selon laquelle M. Harkat devait continuer de résider avec Mme Harkat et M. Weidemann visait à assurer le maintien du régime de l’ordonnance de mise en liberté originale, qui exigeait que M. Harkat vive avec plus d’une caution de surveillance.

 

[126]   La restriction touchant les sorties a été jugée proportionnelle parce qu’en attendant la décision définitive de la Cour relativement à la requête des ministres, il n’était pas approprié de permettre à M. Harkat de se livrer à des activités que l’ASFC aurait plus de difficulté à surveiller.

 

Conclusion

[127]   Une ordonnance sera rendue pour faire suite aux présents motifs.

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 

 

1.  La Cour a examiné les raisons de la longue durée de l’instance au paragraphe 12 de ses motifs.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                   DES-4-02

 

INTITULÉ :                              MOHAMED HARKAT

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                           Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                       le 31 janvier et les 4, 5 et 6 février 2008

 

OBSERVATIONS ÉCRITES ADDITIONNELLES :      le 11 février 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :             Madame la juge Dawson

 

DATE DES MOTIFS :                                le 18 février 2008

 

COMPARUTIONS   :

 

Paul Copeland                                                avocats du demandeur

Matthew Webber

 

D. Tyndale                                                      avocats des défendeurs

A. Riaz

B. Assan

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Paul Copeland                                                pour le demandeur

Copeland, Duncan

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Matthew Webber                                           pour le demandeur

Webber Schroeder

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                            pour les ministres

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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