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Date : 20080212

Dossier : T-699-06

Référence : 2008 CF 177

Ottawa (Ontario), le 12 février 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

HARI S. NESATHURAI et

1322901 ONTARIO LIMITED

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par un avocat-fiscaliste et la société chargée de la gestion de son cabinet d’avocat en vue de faire annuler ou modifier les demandes de renseignements (les DR) formulées par le ministre du Revenu national (le ministre) en vertu du paragraphe 289(1) de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[2]               Dans la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Welton Parent Inc., 2006 CF 67, une autre affaire portant sur la contestation de DR dans laquelle M. Nesathurai était aussi visé, la juge Gauthier a conclu que des documents semblables, sinon identiques, à ceux dont il est question en l’espèce étaient protégés par le privilège des communications entre client et avocat. Welton Parent Inc. était le cabinet d’actuaires dont les services avaient été retenus par M. Nesathurai. Les DR visent maintenant M. Nesathurai et sa société de gestion plutôt que le cabinet d’actuaires.

 

II.         CONTEXTE

[3]               La demanderesse, 1322901 Ontario Ltd. (la société de gestion), a présenté une demande pour le remboursement de TPS. Cette demande a entraîné une vérification sur place qui s’est transformée en une vérification plus complète.

 

[4]               L’Agence des douanes et du revenu du Canada (maintenant appelée l’Agence du revenu du Canada ou l’ARC) a demandé la divulgation d’un certain nombre de documents au comptable de M. Nesathurai. En réponse à cette demande, les demandeurs ont divulgué certains renseignements, mais ont supprimé les renseignements sur les clients de M. Nesathurai.

 

[5]               Le 15 juin 2004, le ministre a adressé des DR (les DR de 2004) aux demandeurs exigeant :

·                    tous les documents électroniques créés, conservés ou mis à jour à l’aide du logiciel PC Law;

·                    toutes les factures aux clients pour les années pertinentes (2001 à 2003);

·                    tous les relevés bancaires et les chèques annulés pour tous les comptes bancaires;

·                    les états des résultats pour les années pertinentes.

 

[6]               Les demandeurs ont fait valoir une revendication de privilège à l’égard des documents électroniques et des factures ayant trait aux clients et aux conseils qu’ils ont demandés et reçus. M. Nesathurai a divulgué ses relevés bancaires personnels comme l’exigeaient les DR, mais les demandeurs ont par ailleurs soutenu que tous les autres documents commerciaux avaient déjà été divulgués. L’échange de lettres au sujet des DR de 2004 semble avoir pris fin en décembre 2004.

 

[7]               Le 28 février 2006, le ministre a formulé une deuxième série de DR (les DR de 2006) au motif que la divulgation en réponse aux DR de 2004 n’était pas satisfaisante. Les DR de 2006 étaient en grande partie semblables à celles de 2004.

 

[8]               M. Nesathurai avait tout d’abord demandé l’avis du Barreau du Haut-Canada avant de faire valoir la revendication de privilège à l’égard des clients. Il avait aussi reçu des instructions de la part des clients indiquant qu’ils voulaient que ce privilège soit revendiqué.

 

[9]               Les actions du ministre lorsqu’il a formulé les séries de DR doivent être examinées à la lumière du contexte. M. Nesathurai est un avocat qui travaille dans le domaine fiscal. Il (comme d’autres avocats) avait fait la [traduction] « promotion » auprès des employeurs de [traduction] « fiducies de santé et de bien-être » avantageuses du côté fiscal établies à l’étranger au profit de leurs employés.

[10]           Dans l’affaire Welton Parent, l’ARC savait que Welton Parent avait fourni des évaluations de ces fiducies à trois avocats, y compris M. Nesathurai. En fait, le travail de Welton Parent était de communiquer avec les avocats et non avec les clients-employeurs. L’ARC avait formulé des DR qui avaient pour but d’obtenir des renseignements au sujet des clients des avocats au moyen de l’obtention des dossiers de Welton Parent.

 

[11]           La juge Gauthier a conclu, entre autres, que les renseignements demandés à l’égard des clients des avocats étaient protégés par le privilège des communications entre client et avocat. À la suite de la décision Welton Parent, l’ARC a adressé les DR de 2006 à M. Nesathurai et à la société de gestion. Les renseignements demandés sur les clients, s’il n’étaient pas précisément les mêmes que dans l’affaire Welton Parent (en raison du moment des demandes), étaient exactement de même nature et de même type.

 

[12]           Dans le présent contrôle judiciaire, les demandeurs soulèvent un certain nombre de questions qui vont au-delà de la question du privilège des communications entre client et avocat, notamment la question de savoir si les DR ont été formulées pour une fin légitime; l’importance de la période de deux ans écoulée avant qu’une réponse ne soit faite aux observations des demandeurs; la question de savoir si le ministre peut continuellement formuler des DR; l’obligation qu’ont les représentants de l’ARC d’examiner les documents qui sont déposés auprès de leur ministère; et le retard accusé dans le paiement du remboursement de TPS.

 

[13]           Le présent contrôle judiciaire peut être tranché en grande partie par la conclusion sur la question de savoir si les renseignements en cause en l’espèce sont protégés par le privilège des communications entre client et avocat.

 

III.       ANALYSE

[14]           En ce qui concerne la question principale relative au privilège des communications entre client et avocat, je suis d’avis que le principe de préclusion pour question déjà tranchée devrait être appliqué.

 

[15]           La préclusion pour question déjà tranchée s’applique lorsque 1) la même question a déjà été tranchée dans une autre instance, 2) le jugement qui entraînerait l’application de la préclusion a un caractère définitif, et 3) les parties au jugement, ou leurs ayants droit, sont les mêmes que les parties à la procédure au cours de laquelle la préclusion est plaidée, ou leurs ayants droit.

 

[16]           En plus d’avoir à déterminer si ces trois conditions ont été remplies, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire quant à savoir si la préclusion pour question déjà tranchée devrait être appliquée.

 

[17]           La question déterminante est de savoir si la question en l’espèce est la même que celle qui a déjà été tranchée par la juge Gauthier dans son jugement. Pour ce qui est des deux autres conditions, je souligne que le jugement rendu par la juge Gauthier n’a pas fait l’objet d’un appel et que, de plus, le lien qui existe entre les demandeurs (particulièrement M. Nesathurai) et Welton Parent Inc. est suffisant pour qu’ils soient considérés comme ayants droit. Je fonde cette conclusion sur le fait que M. Nesathurai a retenu les services de Welton Parent Inc. pour obtenir des conseils actuariels d’expert relativement à une question précise sur laquelle M. Nesathurai, à titre d’avocat, donnait des conseils dans un contexte plus large. Welton Parent Inc. a reçu des renseignements sur les clients pour être en mesure d’aider les avocats, et a intenté son action afin de protéger le privilège des communications entre client et avocat au nom de M. Nesathurai, conformément aux instructions de ses clients.

 

[18]           Les faits qui ont mené à la conclusion de la juge Gauthier sont résumés comme suit :

·                    L’ARC effectuait des vérifications pour les années d’imposition 1997 à 2003 inclusivement touchant divers employeurs canadiens non désignés qui avaient réclamé des dépenses de salaires et de traitements afférentes à des cotisations versées à des fiducies présentées par ces employeurs comme des « fiducies de santé et de bien-être » (les régimes) établies à l’étranger au profit de leurs employés.

·                    L’ARC a constaté qu’une évaluation actuarielle avait été préparée par Welton Parent Inc. et savait que Welton Parent Inc. fournissait ces évaluations à trois avocats d’Ottawa, y compris M. Nesathurai.

·                    Les contribuables non désignés avaient retenu les services des avocats pour qu’ils leur fournissent des conseils juridiques.

·                    Welton Parent Inc. ne traitait pas directement avec les clients, mais ses services avaient été retenus par les avocats pour qu’elle effectue l’évaluation actuarielle des engagements et des exigences de financement de leurs régimes et qu’elle fasse des recommandations fondées sur la capacité de payer de chacun des employeurs.

·                    Welton Parent Inc. n’a pas servi de canal de communication entre les trois avocats visés et leurs clients, et elle n’a jamais communiqué avec quiconque autre que les avocats eux-mêmes.

·                    Les DR autorisées au départ par la juge Gauthier visaient à obtenir de Welton Parent Inc. les noms des employeurs non désignés figurant dans ses dossiers.

·                    Lorsque les DR ont été adressées à Welton Parent Inc., cette dernière a immédiatement communiqué avec les trois avocats qui ont à leur tour demandé aux employeurs non désignés s’ils les autorisaient à renoncer au privilège des communications entre client et avocat en ce qui à trait à leurs noms et aux autres renseignements figurant dans les dossiers de Welton Parent Inc.

·                    Les avocats ont reçu instruction de présenter la requête en vue de préserver leur privilège, ce qu’ils ont fait par l’intermédiaire de Welton Parent Inc.

 

[19]           La juge Gauthier a ensuite examiné en détail les dispositions législatives et la jurisprudence portant sur la question du privilège des communications entre client et avocat, plus particulièrement dans le cas de comptes d’honoraires. Vu les faits présentés, la juge Gauthier a conclu que la divulgation des noms et des adresses des employeurs aurait pour effet de révéler suffisamment de renseignements au sujet des conseils juridiques en soi. Cette conclusion reposait sur les circonstances entourant le travail effectué et le type de régimes étant établis par les avocats.

 

[20]           En l’espèce, la seule différence relative aux renseignements demandés est leur source et non leur contenu. Dans l’affaire dont était saisie la juge Gauthier, les renseignements avaient été fournis à Welton Parent Inc. par les avocats, et l’ARC avait exigé les renseignements de la mandataire des avocats. Dans l’affaire qui nous occupe, l’ARC a demandé les mêmes renseignements directement aux avocats.

 

[21]           Cette modification de la personne qui fait l’objet des DR ne modifie en rien la nature juridique des renseignements en soi, qui demeurent protégés par le privilège des communications entre client et avocat.

 

[22]           Même s’il n’est pas absolument clair que les clients qui faisaient l’objet de la vérification dans l’affaire Welton Parent (pour les années d’imposition 1997 à 2003) seraient nécessairement les mêmes que ceux visés par la vérification en l’espèce (pour les années d’imposition 2001 à 2003), il est manifeste qu’il existe un chevauchement important entre les deux affaires, et que la nature des renseignements et les rapports juridiques sont les mêmes.

 

[23]           Je ne vois aucun conflit entre la décision rendue par la juge Gauthier et celle rendue par la juge Snider dans l’affaire Canada (Ministre du Revenu national) c. Cornfield, 2007 CF 436, où cette dernière a conclu que les livres comptables n’étaient pas protégés par le privilège des communications entre client et avocat. Les deux affaires se distinguent de par leurs faits. Les livres comptables peuvent contenir des renseignements protégés par le privilège des communications entre client et avocat, mais ce n’est pas toujours le cas. Tout dépend du contenu des livres ou d’autres circonstances pertinentes quant à la divulgation de renseignements protégés par le privilège.

 

[24]           Ayant conclu que la préclusion pour question déjà tranchée s’applique en l’espèce, la Cour doit examiner si l’application du principe causerait une injustice. À mon avis, ce n’est pas le cas. En fait, ne pas permettre l’application du principe créerait une injustice.

 

[25]           La Cour est frappée par la proximité entre la décision Welton Parent rejetant la demande de renseignements adressée à la mandataire de M. Nesathurai chargée de fournir des services actuariels et les DR en l’espèce qui visent à obtenir essentiellement le même type de renseignements de M. Nesathurai lui-même.

 

[26]           Plus important encore, les clients avaient droit à ce que leurs renseignements soient protégés. En cas de doute, la Cour devrait favoriser la protection du privilège.

 

[27]           Même si la préclusion pour question déjà tranchée ne s’appliquait pas en l’espèce, j’aurais conclu que le privilège existe en grande partie pour les mêmes motifs que ceux énoncés par la juge Gauthier.

 

[28]           Cependant, je souligne que la procédure suivie par l’ARC n’a pas permis un examen par la Cour des documents au moyen d’une procédure confidentielle où les documents sont scellés devant la Cour.

 

[29]           Pour ce qui est des autres questions qui se posent dans la présente affaire, je n’ai pas l’intention de les trancher, puisque j’ai conclu que les DR visent des renseignements protégés par le privilège des communications entre client et avocat, et je ne suis pas prêt à dissocier les parties problématiques des DR. Cependant, je tiens à souligner que je ne vois pas comment il peut être légitime pour l’ARC d’exiger des documents qui, selon les demandeurs, ont été divulgués ou n’existent pas, simplement parce qu’elle ne croit pas que la divulgation a été complète. Le ministre dispose d’autres recours dans de tels cas.

 

IV.       CONCLUSION

[30]           Je vais accueillir le présent contrôle judiciaire et annuler les DR sans qu’il soit porté atteinte au droit du défendeur de signifier de nouvelles DR n’exigeant pas la divulgation de documents protégés par le privilège. S’il y a quoi que ce soit qui doit sérieusement être tranché à nouveau, cela peut être fait sans qu’il soit nécessaire d’examiner la question de privilège.

 

[31]           Je ne suis pas prêt à ordonner des dépens avocat-client à ce moment-ci, même s’il est possible de soutenir que cela serait approprié compte tenu du moment de la production des DR et des autres réserves susmentionnées.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que les DR sont annulées sans qu’il soit porté atteinte au droit du défendeur de signifier de nouvelles DR n’exigeant pas la divulgation de documents protégés par le privilège.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.

 


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                T-699-06

 

INTITULÉ :                                                               HARA S. NESATHURAI et

                                                                                    1322901 ONTARIO LIMITED

                                                                                    c.

                                                                                    LE MINISTRE DU REVENU

                                                                                    NATIONAL

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LES 15 ET 16 JANVIER 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LE JUGE PHELAN

                                                           

DATE DES MOTIFS :                                              LE 12 FÉVRIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey L. Goldman

 

   POUR LES DEMANDEURS

Pierre P. Trottier

 

             POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

  POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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